Références
Cour administrative d'appel de ParisN° 11PA04236Inédit au recueil Lebon
5ème Chambrelecture du jeudi 11 avril 2013REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu le recours, enregistré le 22 septembre 2011, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 0918594, 0918595 du 31 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a accordé à la SARL Immobilière Coye 04 la décharge des majorations pour manoeuvres frauduleuses dont ont été assortis les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos au cours de l'année 2004 et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période correspondante, en substituant à ces pénalités les pénalités pour manquement délibéré ;
2°) de remettre à la charge de la société les majorations mentionnées ci-dessus pour un montant total de 123 888 euros ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 mars 2013 :
- le rapport de M. Niollet, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Dhiver, rapporteur public,
- et les observations de Me Chartier, avocat de la société Immobilière Coye 04 ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SARL Immobilière Coye 04, alors dénommée société Garbe Coye, qui exerçait une activité de marchand de biens a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur ses exercices clos au cours des années 2004, 2005 et 2006, à l'issue de laquelle l'administration a notamment entendu redresser le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sur l'impôt sur les sociétés de son exercice clos en 2004 en remettant en cause la déduction d'une charge de 667 500 euros hors-taxe correspondant à une facture qui lui avait été délivrée par la SARL B David MRI à raison d'une prestation fictive d'apport de clientèle et remettre en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé cette facture ; que l'administration a en outre entendu assortir ces redressements des majorations pour manoeuvres frauduleuses ; que le ministre relève appel du jugement du 31 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à la demande de la société Immobilière Coye 04 en lui accordant la décharge de ces majorations et leur substituant les pénalités de mauvaise foi ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Immobilière Coye 04 :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. / Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre " ; qu'aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. / Si le jugement a été signifié par huissier de justice, le délai court à dater de cette signification à la fois contre la partie qui l'a faite et contre celle qui l'a reçue " ;
3. Considérant que le recours du ministre a été enregistré dans le délai d'appel de deux mois dont il dispose, à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre le jugement et le dossier d'une affaire, en vertu des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ; que ces dispositions réglementaires, qui tiennent compte des nécessités particulières de fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables, ne lui confèrent pas, contrairement à ce que soutient la société, un privilège qui serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité et au principe des droits de la défense, sont par suite légales ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) " ; qu'il résulte de ces stipulations qu'un juste équilibre doit être ménagé entre les parties au procès, de telle sorte que chacune d'entre elles ait une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; que si les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ménagent au ministre chargé du budget un délai d'appel qui peut excéder celui dont le contribuable dispose, en application de l'article R. 811-2 du code de justice administrative, pour saisir la cour administrative d'appel territorialement compétente d'une requête tendant à l'annulation d'un jugement de tribunal administratif, même lorsque le tribunal en cause a statué sur des pénalités fiscales ayant le caractère d'accusations en matière pénale, le contribuable conserve néanmoins la faculté, y compris lorsque le ministre a saisi la cour après l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article R. 811-2 du code de justice administrative, outre de présenter des observations en défense, de former un appel incident en vue de contester les pénalités qui étaient en litige devant le tribunal, quand bien même le ministre ne contesterait que les impositions dont ce tribunal aurait déchargé le contribuable ; que par ailleurs, le contribuable est en mesure d'écourter le délai ouvert à l'administration, en application de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales, en signifiant directement au ministre, seul compétent pour faire appel, le jugement dont il a lui-même reçu notification ; que dans ces conditions, les dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ne placent pas le contribuable dans une situation de net désavantage par rapport au ministre chargé du budget et laissent à chaque partie une possibilité raisonnable de contester les pénalités fiscales qui, ayant le caractère d'accusations en matière pénale, seraient en litige ; qu'ainsi, les dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales doivent être regardées comme compatibles avec le principe de l'égalité des armes découlant des stipulations précitées de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant, en troisième lieu, que la société ne saurait utilement se référer à la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ;
Sur le recours du ministre :
6. Considérant qu'il ressort du jugement attaqué que, pour décharger la société Immobilière Coye 04 des majorations en litige, le tribunal administratif a estimé que, si l'inscription comme charges déductibles de sommes détournées par le gérant au moyen d'une facturation établie par une société sans consistance réelle et versées sur un compte bancaire en Belgique révélait, dans les circonstances de l'espèce, la mauvaise foi de la contribuable, eu égard notamment aux nombreuses commissions fictives ainsi déduites dont elle ne pouvait ignorer l'existence, l'administration ne justifiait pas pour autant de pratiques destinées à égarer son contrôle et constitutives de manoeuvres frauduleuses ;
7. Considérant, toutefois, que, pour contester ce jugement, le ministre fait valoir à bon droit que le recours à la société B David MRI qui était une société écran, permettant au dirigeant de la société Immobilière Coye 04 de faire passer ses détournements pour des charges sociales déductibles, destiné notamment à égarer le contrôle de l'administration, justifiait que les impositions litigieuses fussent assorties de pénalités pour manoeuvres frauduleuses ; que la circonstance que les actionnaires de société Immobilière Coye 04 ont porté plainte contre son dirigeant est sans incidence ; que, même si ses détournements ont profité personnellement à ce dirigeant, le ministre est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a accordé à la société Immobilière Coye 04 qui ne fait valoir aucun autre moyen, la décharge des majorations en litige ;
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Immobilière Coye 04 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 0918594, 0918595 du 31 mai 2011 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les majorations pour manoeuvres frauduleuses en litige sont remises à sa charge de la société Immobilière Coye 04 pour un montant total de 123 888 euros.
Article 3 : Les conclusions de la société Immobilière Coye 04 présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 11PA04236
Classement CNIJ :
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