CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 mars 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 234 F-B
Pourvoi n° F 20-22.349
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2022
La société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (ECW), société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-22.349 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Cegelec NDT-PSC, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (ECW), de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Cegelec NDT-PSC, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 septembre 2020), le 24 octobre 2019, la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (la société ECW) a déposé une requête auprès du président d'un tribunal de commerce, sur le fondement des
articles 145 et 812 du code de procédure civile🏛, aux fins de voir ordonner une mesure d'instruction confiée à un huissier de justice chargé de procéder à un constat dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC (la société Cegelec).
2. Par ordonnance du 30 octobre 2019, il a été fait droit à la requête et les mesures d'instruction ont été exécutées le 25 novembre 2019.
3. Le 19 décembre 2019, la société Cegelec a assigné la société ECW en rétractation de l'ordonnance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
4. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. La société ECW fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 30 octobre 2019 et ordonné la restitution des pièces saisies par l'huissier instrumentaire, en lui faisant interdiction de faire état du procès-verbal de ce dernier ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance, alors :
« 1°/ que l'ordonnance doit, par motifs propres ou adoptés de la requête à laquelle elle fait droit, faire état de circonstances de nature à justifier qu'il soit procédé non-contradictoirement, sans formalisme particulier ; qu'en l'espèce, l'ordonnance a, par motif adopté de la requête, constaté la nécessité pour la société ECW d'ordonner une saisie de documents et données par huissier dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC, ce dont il se déduisait nécessairement qu'il était indispensable au succès de la mesure que cette dernière n'en soit pas informée pour éviter qu'elle ne puisse faire disparaître des pièces et données éventuellement compromettantes, ce qui a conduit le premier juge, par motifs propres de son ordonnance, à constater expressément que « la requérante justifie de circonstances qui exigence que la mesure soit ordonnée sans débats contradictoires préalables » ; qu'en affirmant pourtant que l'ordonnance n'était pas motivée et que ce vice ne pouvait être régularisé, la cour d'appel a violé l'
article 493 et 495 du code de procédure civile🏛 ;
2°/ que doit être écarté comme contraire aux exigences du procès équitable tout formalisme excessif ; qu'en l'espèce, en considérant qu'une motivation plus explicite était requise, ce qui était inutile, et que son absence n'était pas régularisable a posteriori au vu des circonstances ayant justifié la requête et l'ordonnance, la cour d'appel a fait application d'un formalisme excessif de nature à porter atteinte au droit au juge et au droit à la preuve de la société ECW et a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Selon les
articles 145 et 493 du code de procédure civile🏛, le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'
article 145 du code de procédure civile🏛, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
7. Il en résulte que le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction.
8. Après avoir constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, l'arrêt retient que l'ordonnance rendue sur cette requête n'expose pas non plus les motifs justifiant le recours à une mesure d'instruction non contradictoire, le juge se contentant de considérer qu'il est établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable.
9. De ces constatations et énonciations relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a exactement déduit, sans méconnaître l'
article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛, que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation et que l'ordonnance sur requête devait être rétractée.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (ECW) aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (ECW) et la condamne à payer à la société Cegelec NDT-PSC la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (ECW)
La SA ECW fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle avait rétracté l'ordonnance sur requête du 30 octobre 2019 et ordonné la restitution des pièces saisies par l'huissier instrumentaire, en faisant interdiction à l'exposante de faire état du procès-verbal de ce dernier ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance ;
1° Alors que l'ordonnance doit, par motifs propres ou adoptés de la requête à laquelle elle fait droit, faire état de circonstances de nature à justifier qu'il soit procédé non-contradictoirement, sans formalisme particulier ; qu'en l'espèce, l'ordonnance a, par motif adopté de la requête, constaté la nécessité pour la société ECW d'ordonner une saisie de documents et données par huissier dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC, ce dont il se déduisait nécessairement qu'il était indispensable au succès de la mesure que cette dernière n'en soit pas informée pour éviter qu'elle ne puisse faire disparaître des pièces et données éventuellement compromettantes, ce qui a conduit le premier juge, par motifs propres de son ordonnance, à constater expressément que « la requérante justifie de circonstances qui exigence que la mesure soit ordonnée sans débats contradictoires préalables » ; qu'en affirmant pourtant que l'ordonnance n'était pas motivée et que ce vice ne pouvait être régularisé, la cour d'appel a violé l'
article 493 et 495 du Code de procédure civile🏛 ;
2° Alors que doit être écarté comme contraire aux exigences du procès équitable tout formalisme excessif ; qu'en l'espèce, en considérant qu'une motivation plus explicite était requise, ce qui était inutile, et que son absence n'était pas régularisable a posteriori au vu des circonstances ayant justifié la requête et l'ordonnance, la cour d'appel a fait application d'un formalisme excessif de nature à porter atteinte au droit au juge et au droit à la preuve de la société ECW et a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
3° Alors que, pour obtenir une mesure d'instruction in futurum, le requérant doit prouver des faits de nature à rendre crédible une éventuelle action en vue de laquelle la mesure est sollicitée, sans pouvoir se voir reprocher de ne pas prouver les faits objets qui constituent précisément l'objet de la mesure sollicitée ; qu'en l'espèce, s'il est considéré que la cour d'appel soit considérée comme ayant adopté les motifs de l'ordonnance confirmée, elle a alors jugé que la société ECW ne justifiait pas du démarchage systématique de ses clients, ni de manoeuvres caractérisées de détournement de clientèle (V. p. 8 et 9), ni de l'application de tarifs inférieurs constituant un comportement déloyal en vue de détourner sa clientèle (V. p. 9), ni de l'utilisation par la société Cegelec NDT-PSC de copies de documents essentiels de nature à créer une confusion dans l'esprit des clients (V. p. 10), ni de ce que M. [B] serait salarié de la société Cegelec NDT-PSC ; qu'en exigeant ainsi de la requérante qu'elle prouve ce qui constituait précisément l'objet de la mesure sollicitée, sans se contenter d'examiner si les éléments produits ne rendaient pas crédibles l'existence des manquements que la requérante ne pouvait, ni ne devait prouver dans le cadre d'une action in futurum, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'
article 145 du Code de procédure civile🏛.