Jurisprudence : CAA Bordeaux, 6e, 02-04-2013, n° 12BX01394

CAA Bordeaux, 6e, 02-04-2013, n° 12BX01394

A1233KCN

Référence

CAA Bordeaux, 6e, 02-04-2013, n° 12BX01394. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8065051-caa-bordeaux-6e-02042013-n-12bx01394
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Abstract

Une condamnation qui date de plus de deux ans ne peut à elle seule suffire pour constituer les conditions d'une menace actuelle à l'ordre public faisant obstacle à la délivrance d'un titre de séjour, énonce la cour administrative d'appel de Bordeaux dans un arrêt rendu le 2 avril 2013 (CAA Bordeaux, 6ème ch., 2 avril 2013, n° 12BX01394, inédit au recueil Lebon).



N° 12BX01394

M. Joël TOUSSAINT

M. Bernard Chemin, Président
Mme Florence Rey-Gabriac, Rapporteur
M. Pierre Bentolila, Rapporteur public

Audience du 5 mars 2013

Lecture du 2 avril 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

La Cour administrative d'appel de Bordeaux


(6ème chambre)


Vu la requête enregistrée le 4 juin 2012, présentée pour M. Joël Toussaint, demeurant résidence les Surettes, bâtiment 11, appartement 1112, Concordia, à Saint-Martin (97150) ;

M. Toussaint demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100044 en date du 29 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 mars 2011 par lequel le préfet délégué auprès du représentant l'Etat pour les collectivités d'outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy a refusé de renouveler son titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

2°) d'annuler l'arrêté précité du 25 mars 2011 ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer le titre de séjour de résidant ou, à défaut, un titre de séjour d'un an, portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 300 euros par jour de retard dans le délai de quinze jour à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- il a vécu la plus grande partie de sa vie en France, puisqu'il est arrivé à Saint-Martin à l'âge de 7 ans, soit maintenant plus de 20 ans ; il n'a jamais quitté Saint-Martin depuis lors ; toute sa famille y vit ; ses deux parents ont un titre de résident ; il a une sœur de nationalité française, ainsi qu'une autre sœur et un frère ayant un titre de résident ; il ne connaît donc pas Haïti où il n'a plus aucune attache ; il était en situation régulière depuis plusieurs années ;

- le fait d'être célibataire et sans enfant n'est pas la preuve de ce qu'il n'a pas établi le centre de ses intérêts vitaux et familiaux en France ; il produit des preuves de ce que ses attaches substantielles sont à Saint-Martin, où il a grandi et où il a fait ses études ;

- le préfet a donc commis une erreur manifeste d'appréciation en ayant estimé qu'il n'avait pas porté atteinte à sa vie privée et familiale ;

- le second motif de la décision du préfet est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation des faits ; en effet, une condamnation qui date de plus de deux ans ne peut à elle seule suffire pour constituer les conditions d'une menace actuelle à l'ordre public ; or, le préfet n'a pas considéré sa condamnation de 2009 comme représentant une menace à l'ordre public, dès lors qu'il lui avait précédemment renouvelé ses titres de séjour ; le préfet ayant ainsi déjà renouvelé sont titre de séjour, et lui-même n'ayant plus commis aucun acte répréhensible depuis, il a un droit acquis à son maintien sur le territoire, ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2012, présenté par le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que :

- le requérant a vu son titre de séjour renouvelé depuis 2005 du fait qu'aucune mention n'était portée sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire national, et ce, encore en 2010 ; en tout état de cause, les conditions du renouvellement de la carte de séjour temporaire n'en font pas un droit acquis et la condition tirée de l'absence de menace pour l'ordre public est opposable à l'étranger qui demande le renouvellement de sa carte de séjour temporaire ;

- à la suite de la demande de renouvellement effectuée par l'intéressé en 2011, le bulletin n° 2 du casier judiciaire national qui a été sollicité, a laissé apparaître que M. Toussaint a été condamné par le tribunal correctionnel de Basse-Terre le 19 février 2009 à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour recel, conduite d'un véhicule sans permis et sans assurance ; aux termes de l'article 321-1 du code pénal, le recel est un délit et cette condamnation a été rendue à l'issue d'une procédure contradictoire, contrairement à ce que soutient le requérant ;

- M. Toussaint n'a jamais travaillé et vit d'expédients et de prestations sociales, il est célibataire et sans enfants ; dans ces conditions, il ne peut se voir délivrer un titre sur le fondement de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'ordonnance en date du 7 juin 2012 fixant la clôture de l'instruction au 9 octobre 2012 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des doits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2013 :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;

1. Considérant que M. Toussaint, de nationalité haïtienne, né en 1985, entré sur le territoire français à Saint-Martin, à l'âge de 7 ans selon ses dires, a bénéficié de 2005 à 2010 de cartes de séjour temporaires, portant la mention " vie privée et familiale ", régulièrement renouvelées ; que, toutefois, à la suite de la dernière demande présentée par l'intéressé, le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat pour les collectivités d'outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, a refusé, par un arrêté du 25 mars 2011, de renouveler son titre de séjour ; que M. Toussaint fait appel du jugement du tribunal administratif de Saint-Martin en date du 29 mars 2012 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. (...)." ;

3. Considérant que pour refuser le titre de séjour sollicité, le préfet a estimé que la présence de M. Toussaint représentait une menace pour l'ordre public et que le refus qui lui était opposé ne portait pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

4. Considérant, d'une part, que si l'intéressé a fait l'objet, le 19 février 2009, d'une condamnation par le tribunal correctionnel de Basse-Terre à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour recel de bien provenant d'un vol, conduite sans permis et sans assurance, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard au caractère isolé de cette condamnation prononcée des faits commis le 27 décembre 2008, qu'à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris, la présence de M. Toussaint constituait réelement une menace pour l'ordre public ;

5. Considérant, d'autre part, que M. Toussaint établit à l'aide des nombreux documents qu'il produit, notamment ses certificats de scolarité, qui ne sont pas contestés par le préfet, qu'il réside de façon continue à Saint-Martin depuis l'âge de sept ans, soit depuis près de dix-neuf ans à la date de la décision attaquée ; que sa famille proche, notamment ses deux parents chez lesquels il vit encore, son frère et ses sœurs, tous en situation régulière, y résident également ; qu'il y a lui-même résidé régulièrement à partir de 2005, date à compter de laquelle il s'est vu délivrer chaque année des titres de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " et ce, jusqu'au refus en litige ; que, dans ces conditions, alors même que le requérant, qui a toutes se attaches à Saint-Martin, est célibataire, sans enfant et sans emploi, l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus qui lui a été opposé, et a ainsi méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-11,7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Toussaint est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 mars 2011 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Considérant que l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. Toussaint d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ; qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet délégué auprès du représentant l'Etat pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, de délivrer ce titre dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. Toussaint au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1100044 du 29 mars 2012 du tribunal administratif de Saint-Martin est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 25 mars 2011 du préfet délégué auprès du représentant l'Etat pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet délégué auprès du représentant de l'Etat pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy de délivrer à M. Toussaint une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. Toussaint la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Joël Toussaint et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet délégué auprès du représentant l'Etat pour les collectivités d'outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2013 à laquelle siégeaient :

M. Bernard Chemin, président,

M. Jean-Emmanuel Richard, premier conseiller,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 2 avril 2013.

Le rapporteur,

Florence Rey-Gabriac

Le président,

Bernard Chemin

Le greffier,

André Gauchon

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

André Gauchon

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