Jurisprudence : CE 1/4 ch.-r., 31-01-2022, n° 435888, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 1/4 ch.-r., 31-01-2022, n° 435888, mentionné aux tables du recueil Lebon

A97607KP

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:435888.20220131

Identifiant Legifrance : CETATEXT000045099887

Référence

CE 1/4 ch.-r., 31-01-2022, n° 435888, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/77927637-ce-14-chr-31012022-n-435888-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

66-07 1) Si l’article L. 1233-57-5 du code du travail n’impose pas, par lui-même, à l’administration de faire droit à toute demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de communiquer des pièces au comité d’entreprise ou à l’expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d’entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique, il appartient à l’administration, dans le cadre du contrôle global de la régularité de la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise qui lui incombe en vertu de l’article L. 1233-57-2 du code du travail lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) résulte d’un accord collectif, de vérifier, sous le contrôle du juge, que le comité d’entreprise, et le cas échéant, l’expert-comptable qu’il a désigné lors de sa première réunion, ont été mis à même de rendre leurs avis en toute connaissance de cause.......2) La procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise est régulière alors même que l’administration n’a enjoint à l’employeur de ne communiquer à l’expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise qu’une partie des documents mentionnés par la demande d’injonction, dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l’expert-comptable et le comité d’entreprise avaient été mis à même de rendre leurs avis en toute connaissance de cause.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 435888

Séance du 21 janvier 2022

Lecture du 31 janvier 2022

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 1ère chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La Fédération Confédération générale du travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 janvier 2019 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France a validé l'accord collectif fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de l'union économique et sociale (UES) Happychic constituée des sociétés Happychic, Brice, BZB, Jules, Happychic services, Happychic logistique, Happychic production international, Gentle Factory et Happychic stores. Par un jugement n° 1901771 du 22 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19DA01421 du 10 septembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 novembre 2019, le 12 février 2020 et le 16 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et des sociétés Happychic, Brice, BZB, Jules, Happychic services, Happychic logistique, Happychic production international, Gentle Factory et Happychic stores la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat des sociétés Happychic, BZB, Jules, Happychic logistique et Happychic GF (anciennement dénommée Gentle Factory) et de la société Jules, venant aux droits des sociétés Brice, Happychic services, Happychic stores et Happychic production international ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes, d'une part, de l'article L. 1233-21 du code du travail, dans sa version applicable : " Un accord d'entreprise, de groupe ou de branche peut fixer, par dérogation aux règles de consultation des instances représentatives du personnel prévues par le présent titre et par le livre III de la deuxième partie, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur envisage de prononcer le licenciement économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours. ".

2. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 1233-22 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'accord prévu à l'article L. 1233-21 fixe les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise : / 1° Est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise ; / 2° Peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions ". Aux termes, de l'article L. 1233-24-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants. (). " Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63. / Il peut également porter sur : / 1° Les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise ; / 2° La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 ; / 3° Le calendrier des licenciements ; / 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; / 5° Les modalités de mise en œuvre des mesures de formation, d'adaptation et de reclassement prévues aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 ". Aux termes de l'article L. 1233-24-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable : " L'accord prévu à l'article L. 1233-24-1 ne peut déroger : / 1° A l'obligation d'effort de formation, d'adaptation et de reclassement incombant à l'employeur en application des articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 ; / 2° Aux règles générales d'information et de consultation du comité d'entreprise prévues aux articles L. 2323-2, L. 2323-4 et L. 2323-5 ; / () ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés Happychic, Brice, BZB, Jules, Happychic services, Happychic logistique, Happychic production international, Gentle Factory et Happychic stores forment une unité économique et sociale (UES) qui exploite, sous les enseignes Jules, Brice, Gentle Factory et Bizbee, plusieurs magasins de prêt-à-porter en France et à l'étranger. Le 18 octobre 2018, en application des dispositions citées au point 1, a été conclu en son sein un accord de méthode précisant les conditions de négociation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi. Par une décision du 2 janvier 2019, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France a validé l'accord collectif, signé les 12 et 17 décembre 2018 et conclu en application des dispositions citées au point 2, fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de cette UES. La Fédération Confédération générale du travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 septembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel de ce syndicat contre le jugement du 22 mai 2019 du tribunal administratif de Lille rejetant sa demande d'annulation de cette décision de validation.

Sur les moyens du pourvoi relatifs à la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise :

4. Aux termes, d'une part, de l'article L. 1233-57-5 du code du travail : " Toute demande tendant, avant transmission de la demande de validation ou d'homologation, à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de fournir les éléments d'information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs, les conventions collectives ou un accord collectif est adressée à l'autorité administrative. Celle-ci se prononce dans un délai de cinq jours ". Aux termes de l'article D. 1233-12 du même code : " La demande mentionnée à l'article L. 1233-57-5 est adressée par le comité d'entreprise, ou, à défaut, les délégués du personnel, ou, en cas de négociation d'un accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 par les organisations syndicales représentatives de l'entreprise, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétent en application des articles R. 1233-3-4 et R. 1233-3-5, par tout moyen permettant de conférer une date certaine. / La demande est motivée. Elle précise les éléments demandés et leur pertinence. / Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi se prononce après instruction dans un délai de cinq jours à compter de la réception de la demande. / S'il décide de faire droit à la demande, le directeur régional adresse une injonction à l'employeur par tout moyen permettant de lui conférer une date certaine. Il adresse simultanément une copie de cette injonction à l'auteur de la demande, au comité d'entreprise et aux organisations syndicales représentatives en cas de négociation d'un accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 ".

5. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 1233-57-2 du code du travail : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de / : 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 ; / 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et L. 1233-63 (). ".

6. Si les dispositions citées au point 4 n'imposent pas, par elles-mêmes, à l'administration de faire droit à toute demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de communiquer des pièces au comité d'entreprise ou à l'expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique, il appartient à l'administration, dans le cadre du contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise qui lui incombe en vertu des dispositions citées au point 5 lorsque le plan de sauvegarde de l'emploi résulte d'un accord collectif, de vérifier, sous le contrôle du juge, que le comité d'entreprise, et le cas échéant, l'expert-comptable qu'il a désigné lors de sa première réunion, ont été mis à même de rendre leurs avis en toute connaissance de cause.

7. Par suite, en jugeant que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise de l'UES Happychic avait été en l'espèce régulière, alors même que l'administration n'avait enjoint à l'employeur de ne communiquer à l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise qu'une partie des documents mentionnés par la demande d'injonction, dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l'expert-comptable et le comité d'entreprise avaient été mis à même de rendre leurs avis en toute connaissance de cause, la cour administrative d'appel de Paris a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit. Son arrêt est, par ailleurs, sur ce point suffisamment motivé, alors même qu'elle n'a pas répondu à l'argumentation tirée de ce que les délais prévus par l'accord de méthode, relatifs à la communication à l'expert-comptable des documents utiles à sa mission, n'auraient pas été respectés.

Sur les autres moyens de cassation :

8. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges fond, ni, d'ailleurs, des visas de l'arrêt attaqué, qu'a été soulevé en appel le moyen tiré de ce que la régularité de la procédure de négociation préalable de l'accord collectif fixant le plan de sauvegarde de l'emploi aurait été viciée du fait du défaut de communication de certains documents à l'expert-comptable. Par suite, il ne peut être reproché à l'arrêt de ne pas y avoir répondu.

9. En second lieu, si la requérante soutenait en appel que les conditions dans lesquelles avait été négocié un accord de fin de conflit entre la direction de l'UES Happychic et les salariés d'un entrepôt du Mans avaient été irrégulières, un tel moyen, relatif à un accord distinct de l'accord collectif fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de l'UES Happychic, était inopérant dès lors qu'il est sans portée sur la légalité de la décision administrative en litige. Ce motif, qui n'emporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu au point 12 de l'arrêt attaqué. Il en résulte que le moyen tiré de ce que l'arrêt attaqué serait, à son point 12, entaché d'erreur de droit est sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la substitution de motifs sollicitée par les sociétés Happychic et autres, que la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de ces mêmes dispositions par les sociétés Happychic, BZB, Jules, Happychic logistique et Happychic GF et la société Jules venant aux droits des sociétés Brice, Happychic services, Happychic stores et Happychic production international.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par les sociétés Happychic, BZB, Happychic logistique, Happychic GF et par la société Jules venant aux droits des sociétés Brice, Happychic services, Happychic stores et Happychic production international, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, à la société Happychic, première dénommée des sociétés défenderesses et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 janvier 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A L, Mme D K, présidentes de chambre ; M. I G, Mme H J, Mme B F, M. Damien Botteghi conseillers d'Etat ; M. Edouard Solier, maître des requêtes et Mme Dorothée Pradines, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 31 janvier 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Dorothée Pradines

La secrétaire :

Signé : Mme C E435888

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