Jurisprudence : CA Lyon, 11-01-2022, n° 19/04005, Confirmation

CA Lyon, 11-01-2022, n° 19/04005, Confirmation

A12167IU

Référence

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N° RG 19/04005 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MNDX

Décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 20 mars 2019

RG : 15/12442

chn°1 cab 01 B

A

CHARRONDIERE

C/

Aa

REPPELIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 11 Janvier 2022


APPELANTS :

M. Ab A

né le … … … à … (…)

… … … … …

… … … … …

Représenté par la SELARL SAINT-EXUPERY AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque 716

Mme Ac B épouse A

née le … … … à … … … (…)

… … … …

… …

Représentée par la SELARL SAINT-EXUPERY AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque 716

INTIMÉS :

M. Ad Aa

né le … … … à … (…)

… … … …

… …

Représenté par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938

Assisté de Me Marie DUVERNE-HANACHOWICZ, avocat au barreau de LYON, toque : 667

Mme Ae C épouse Aa

née le … … … à … (…)

… … … …

… …

Représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938

Assistée de Me Marie DUVERNE-HANACHOWICZ, avocat au barreau de LYON, toque : 667

Date de clôture de l'instruction : 09 Mars 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Novembre 2021

Date de mise à disposition : 11 Janvier 2022


Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Laurence VALETTE, conseiller

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée, désignée par ordonnance du Premier Président du 09 juillet 2021

assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier

A l'audience, Marie CHATELAIN a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


EXPOSÉ DE L'AFFAIRE

Monsieur Ab A est nu-propriétaire de deux parcelles de terrain cadastrées B 176 et 345 sises Chemin de Bellevue à LIMONEST dont sa mère, Madame Ac A, est

suivant actes notariés des 1er et 8 octobre 1973.

Monsieur Ad Aa et Madame Ae Aa sont propriétaires depuis 1980 des deux parcelles voisines cadastrées B 173, 472 et 474 sur laquelle est édifiée leur maison.

Au cours de l'année 2010, les consorts Aa ont fait réaliser des travaux d'enrochement et de remblaiement de leur terrain suite à la délivrance d'un permis de construire du 3 avril 2008. Par la suite, ils ont fait réaliser des travaux de remblaiement et un mur de soutènement pour créer une aire de retournement devant leur maison et ont sollicité la délivrance d'un permis de construire modificatif relatif à la réalisation de remblais.

Après un premier refus de permis de construire en date du 13 février 2012, la mairie de Limonest a accordé un permis de construire modificatif par arrêté du 6 juin 2012.

Faisant état de la non-conformité au Plan local d'urbanisme des remblais et du mur du fait de sa hauteur de plus de 4 mètres et de la création d'une servitude de vue par les époux Aa, les consorts A ont sollicité une expertise par le cabinet EUREXO qui a rendu son rapport le 26 avril 2013.

Monsieur Ab A et Madame Ac A ont ensuite saisi le juge des référés qui a ordonné une expertise judiciaire par ordonnance du 20 décembre 2013.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 5 janvier 2015.

Par acte d'huissier en date du 19 octobre 2015, Monsieur Ab A et Madame Ac A ont fait délivrer assignation à Monsieur Ad Aa et à Madame Ae Aa devant le Tribunal de grande instance de LYON, sur le fondement des articles 678, 679 et 1240 du Code Civil, en vue de voir remettre en état les lieux avant le remblaiement et la création du mur et en vue de la suppression de la servitude de vue créée.


Par jugement en date du 20 mars 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a :

* Déclaré recevable l'action de Madame Ac A et Monsieur Ab

A,

* Débouté Madame Ac A et Monsieur Ab A de leur

demande de condamnation de Monsieur et de Madame Aa à réaliser les travaux

nécessaires à la remise en état des lieux avant remblaiement et création du mur et à la

suppression de la servitude de vue oblique et droite dans un délai d'un mois à compter de la

date de signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 100,00 € par jour de

retard,

* Débouté Madame Ac A et Monsieur Ab A de leur

demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de jouissance,

* Débouté Monsieur Ad Aa et Madame Ae Aa de leurs demandes

d'indemnisation pour procédure abusive et au titre d'une amende civile, à l'encontre de

Madame Ac A et à Monsieur Ab A,

* Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

* Condamné in solidum Madame Ac A et Monsieur Ab A à verser à Monsieur Ad Aa et Madame Ae Aa la somme de 1200 € au titre de

l'article 700 du Code de procédure civile,

* Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

* Condamne in solidum Madame Ac A et Monsieur Ab A

aux dépens de l'instance.


Par déclaration du 7 juin 2019 Madame Ac A et Monsieur Ab A ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions les consorts A demandent à la Cour de :

* Infirmer le jugement du 20 mars 2019,

Et, statuant à nouveau,

* Déclarer que les travaux de terrassement réalisés chez Monsieur et Madame Aa relatifs à

la création d'une aire de stationnement à l'aplomb d'un enrochement sont constitutifs d'une

création de vue droite et oblique sur le fonds de Madame et Monsieur A ;

* Déclarer que cet aménagement se trouve pour partie à moins d'un mètre quatre-vingt-dix

centimètres de la limite de propriété ;

* Déclarer que le mur de soutènement a été construit en violation des règles impératives

prévues par le plan local d'urbanisme ;

* Condamner Monsieur et Madame Aa à faire procéder aux travaux nécessaires afin de

procéder à la remise en état des lieux avant remblaiement et création du mur et à la

suppression de la servitude de vue oblique et droite dans un délai d'un mois à compter de la

date de signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 100,00 € par jour de

retard ;

* Condamner Monsieur et Madame Aa à payer à Monsieur et Madame A la

somme de 10.000,00 € en réparation de son préjudice résultant de la privation de jouissance

paisible de leur droit de propriété ;

* Condamner Monsieur et Madame Aa à payer la somme de 3.000,00 € au titre de l'article

700 du Code de procédure civile ;

* Condamner Monsieur et Madame Aa en tous les dépens de l'instance, en ce compris les

frais de référés et d'expertise, qui seront distraits au profit de la SCP ARNAUD-REY,

Avocats, sur son affirmation de droit.

Au soutien de leurs prétentions, les consorts A soutiennent que ces travaux ont conduit à la création de servitudes de vues droites et obliques sur leur fond, l'aire de retournement se trouvant pour partie à moins d'1m90 de leur propriété. Ils rappellent à cet égard que l'article 680 du code civil dispose que les distances prévues par les articles 678 et 679 se comptent depuis la ligne extérieure de l'aménagement d'où s'exerce la vue litigieuse jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés.

Ils s'appuient pour fonder leurs demandes sur le rapport d'expertise, et notamment les photographies et un procès-verbal de constat d'huissier établi le 23 juin 2020, qui met en évidence selon eux des vues droites à moins de 1,90 mètres s'étendant sur plus de 6 mètres tout le long de la clôture.

Ils soulignent que le rapport d'expert qui indique que dès lors que l'on se recule du bord de la plate-forme, la vue directe diminue pour ensuite complètement disparaître ne fait que faire état d'une réalité optique qui n'a pas d'incidence sur l'existence de la vue droite et oblique sur le fond qui ne peut s'apprécier qu'en bordure de plate-forme.

Sur la présence d'arbres sur le fonds de la partie adverse, dont l'expert a indiqué qu'ils avaient pour effet de minorer la vue directe et oblique, ils objectent que la servitude de vue ne peut s'apprécier qu'au regard de la situation du fonds dominant, que ces arbres ne sont pas nécessairement amenés à rester en place et qu'ils n'obstruent que partiellement les vues. Ils font valoir à cet égard que le tribunal a ajouté une condition aux articles 678 et 679 du code civil en rejetant la demande de destruction des travaux «à charge pour les époux Aa de maintenir l'existence d'une haie plantée en bordure du talus de la plate-forme et de conserver à celle-ci son usage d'aire de retournement de leurs véhicules». Ils ajoutent que ces arbres ne sont pas de nature à interdire toute vue sur leur fonds.

Les consorts A font ensuite état d'un trouble de jouissance résultant d'une faute des époux Aa fondée par le non-respect des servitudes d'urbanisme.

Ils expliquent ainsi que l'enrochement réalisé pour soutenir le remblai constituant l'aire de retournement constitue un mur de soutènement et que celui-ci méconnaît les règles du PLU, celui-ci prévoyant que les murs de soutènement doivent être traités comme les murs de clôture et ne pas dépasser 2 m de hauteur, alors que le mur litigieux présente une hauteur de 4m voire 5m selon les mesures réalisées par drone.

Ces remblais méconnaissent en outre les règles du PLU puisque l'amplitude de mouvements de terrain par remblai ou déblai ne doit pas excéder 2 mètres, alors qu'il est en l'espèce de 2,52 mètres.

Ils précisent que par courrier du 23 avril 2014, le Maire de LIMONEST a enjoint les époux Aa de procéder à la mise en conformité de leur construction, ce que ces derniers n'ont toujours pas fait.

Les appelants expose que la création de ce mur de plus de 4 mètres à proximité immédiate de leur terrasse constitue nécessairement un préjudice de jouissance lié à la modification de la vue depuis la propriété A ainsi que la sensation d'être au pied d'une «muraille» du fait du caractère extrêmement imposant de l'édifice.

Ils considèrent également cette construction illégale entraînant également une dévalorisation de la valeur de leur propriété.

Ils répondent enfin aux époux Aa que les jeunes conifères, récemment plantés par ces derniers en limite de la plate-forme de retournement ne sauraient en aucune façon être de nature à interdire toute vue sur le fonds A permettant ainsi de faire obstacle à la démolition de l'ouvrage à l'origine de la servitude de vue et que la Cour de cassation considère que seuls les aménagements de nature à interdire les servitudes de vue peuvent faire obstacle à la destruction de tels ouvrages.

Dans leurs dernières écritures, les époux Aa demandent à la cour :

* DIRE et JUGER que l'existence de prétendues vues droites ou obliques n'est pas démontrée

par les consorts A

* DIRE et JUGER que l'expert a expressément relevé dans son rapport l'absence de nécessité

de travaux de reprise ; DIRE et JUGER que le constat d'huissier non contradictoire réalisé par les consorts A le 23 juin 2020, alors qu'un rapport d'expertise a déjà été rendu

dans cette affaire le 5 janvier 2015, n'a aucune valeur probante ;

* DIRE et JUGER que les consorts A ne démontrent l'existence d'aucun préjudice

Par conséquent,

* CONFIRMER le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 20 mars 2019, en ce qu'il a débouté Madame Ac A et Monsieur Ab A de :

leur demande de condamnation de Monsieur et de Madame Aa à réaliser les travaux nécessaires à la remise en état des lieux avant remblaiement et création du mur et à la suppression de la servitude de vue oblique et droite dans un délai d'un mois à compter de la date de signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 100,00 € par jour de retard,

leur demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de jouissance,

- DÉBOUTER les consorts A de l'intégralité de leurs demandes.

2. Sur la procédure abusive des consorts A

- DIRE et JUGER que l'assignation en référé du 5 août 2013 et l'assignation du 19 octobre 2015 des consorts A s'inscrivent dans le prolongement du conflit de voisinage les opposant aux époux Aa depuis 2005 ;

- DIRE et JUGER que Madame A a contesté auprès de la mairie de LIMONEST le permis de construire déposé le 3 avril 2008 par Monsieur Aa ;

- DIRE et JUGER que Monsieur Aa a précisément réalisé les travaux visant à l'édification d'un mur de soutènement, ainsi qu'au remblaiement de l'aire de stationnement pour répondre favorablement à ces contestations

- DIRE et JUGER que le permis de construire modificatif accordé le 6 juin 2012 n'a pas été contesté par Madame A ;

En conséquence,

* INFIRMER le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 20 mars 2019, en ce qu'il a débouté Monsieur Ad Aa et Madame Ae Aa de leurs demandes

d'indemnisation pour procédure abusive et au titre d'une amende civile, à l'encontre de

Madame Ac A et à Monsieur Ab A,

* CONDAMNER les consorts A au paiement d'une amende civile de 3.000 euros, ainsi qu'au paiement aux époux Aa d'une somme de 10.000 euros à titre de

dommages-intérêts pour procédure abusive ;

* CONDAMNER les consorts A à payer aux époux Aa la somme de 20.000

euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

* CONDAMNER les consorts A aux entiers dépens distraits au profit de Maître

LAFFLY, Avocat, sur son affirmation de droit

Après avoir rappelé la jurisprudence selon laquelle les juges du fond statuent souverainement sur la suppression des vues inférieures à la distance légale, et peuvent refuser d'ordonner la démolition s'ils constatent que les travaux sont de nature à interdire toute vue sur le fonds voisin, les époux Aa font valoir les éléments suivants :

* Sur l'existence de vues

Ils soutiennent que l'expert ne constate clairement ni vue oblique, ni vue directe au sens des dispositions du code civil, que son rapport est plus nuancé que ce que les appelants prétendent et qu'il pourrait exister des vues obliques si celles-ci n'étaient pas obstruées par la présence d'arbres plantés sur les 2 propriétés. Ils soulignent en outre que l'expert ne précise pas si ces vues obliques sont inférieures à 0,60m, tandis que les photographies et le plan cadastral démontrent le contraire. S'agissant des vues directes, ils avancent que celles-ci ne sont que théoriques, puisqu'elles existeraient en l'absence des végétaux, à condition de se placer au bord du talus et observent que l'expert n'a pas plus précisé si cette vue était inférieure à 1m90. Ils font remarquer que le rapport d'expertise a constaté que les consorts A avaient coupé des conifères disposés au pied de leur butée peu de temps avant la réunion d'expertise, alors que ces arbres formaient un «bel écran de verdure» selon les termes de l'expert.

Les époux Aa font valoir que la jurisprudence citée par la partie adverse n'est pas transposable à l'espèce puisque ces décisions concernent uniquement des constructions réalisées en bordure de la limite séparative des fonds, ce qui n'est pas le cas de la plate-forme réalisée à l'exception d'une infime partie du mur de soutènement, d'où ne s'exerce aucune vue.

Ils ajoutent avoir tout mis en œuvre pour limiter la vue s'exerçant depuis cette surface peu accessible, représentant 1m? en réalisant une plantation d'une haie de thuyas.

Ils concluent que les consorts A ne rapportent pas la preuve de l'existence des servitudes de vues dont ils se prévalent, et affirment à cet égard que le procès-verbal de constat d'huissier produit par ces derniers est dépourvu de toute valeur probante dès lors qu'il a été dressé de manière non contradictoire, par un huissier qui n'est pas un technicien, avec l'assistance d'une société Hyperion Seven qui n'est pas identifiable et ne présente aucune garantie technique, alors qu'un rapport d'expertise avait déjà été déposé.

* Sur les travaux nécessaires et l'évaluation du coût de reprise

Les époux Aa font valoir que l'expert a indiqué que les désordres allégués ne compromettent en rien la solidité de l'ouvrage et ne le rendent pas impropre à sa destination, qu'il a également retenu que les travaux avaient été réalisés dans le respect des règles du PLU. Ils ajoutent que les consorts A ne démontrent pas l'incidence de la réalisation sur la valeur de leur propriété.

* Sur le préjudice résultant de la privation de jouissance paisible de leur droit de propriété

Les époux Aa soutiennent que les consorts A n'ont subi aucun préjudice, qu'ils n'en ont pas fait état dans le cadre de l'expertise, et qu'ils sollicitent à un montant exorbitant.

* Sur la procédure abusive des consorts A

Reconventionnellement, les époux Aa observent que la partie adverse les a déjà assignés en 2005 aux fins de raccordement du domicile des époux Aa aux réseaux publics, qu'en 2008, Madame A a contesté le permis de construire des époux Aa et que c'est d'ailleurs pour rassurer cette dernière qu'ils ont fait édifier un mur de soutènement et procédé au remblaiement de l'aire de stationnement, que malgré un rapport qui leur est défavorable, ils persistent dans leur acharnement judiciaire, que leur action est ainsi abusive, constitue une faute leur causant un préjudice.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 novembre 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux dernières conclusions qu'elles ont déposées.


MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'une servitude de vue

Il résulte de l'article 678 du code civil qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

L'article 679 du même code dispose qu'on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance.

L'article 680 du même code précise enfin que la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et, s'il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés.

Les premiers juges ont exactement rappelé que les juges du fond statuent souverainement sur la suppression des vues inférieures à la distance légale et ils peuvent refuser d'ordonner la démolition s'ils constatent que des travaux sont de nature à interdire toute vue sur le fond voisin.

En l'espèce, les époux Aa ont procédé à des travaux d'enrochement et de remblaiement de leur terrain suivant permis de construire délivré le 3 avril 2008, puis des travaux de remblaiement et de d'édification d'un mur de soutènement, suivant permis de construire délivré le 6 juin 2012, afin de créer une aire de retournement devant leur maison, laquelle domine en surplomb la propriété voisine des consorts A.

Il résulte des plans topographiques dressés le 17 mars 2014 par le cabinet GILLET MOUSSARD et annexés en pièce 8 à 9 au rapport d'expertise déposé le 5 janvier 2015 qu'une partie du remblai s'inscrit sans la zone de 1,90 m séparant les fonds des parties, formant un triangle d'une surface d'environ 1m?.

Le fait qu'une partie plus importante du mur de soutènement se situe dans cette zone de 1m 90 comme le relève le procès-verbal de constat d'huissier daté du 23 juin 2020 versé par les consorts A est indifférent, seules les vues directes à cette distante étant prescrites, celles-ci doivent être appréciées au regard de l'accès possible en haut du mur ou de la plate-forme et non à la base du mur inaccessible depuis la propriété des époux Aa. Or il ressort des plans topographiques et des photographies figurant dans l'expertise, que seul ce triangle situé au niveau du remblai, en bord de talus dépasse de la limite de 1m90.

S'agissant de cette partie en bord de talus, l'expert retient que «les photographies prises en haut de la butée et à l'aplomb des pierres d'enrochement montrent qu'il existerait des vues obliques ou de côté sur la propriété de M. et Mme A situées en contrebas», que « ces vues sont partiellement obstruées par la présence d'arbres plantés sur les deux propriétés » et précise que «lorsque l'on se recule d'un mètre environ, la propriété voisine se dissimule entièrement derrière de jeunes conifères qui ont été plantés pour se préserver de tout regard». L'expert conclut ainsi «en l'absence théorique de tout obstacle créé par les végétaux, dont certains existent depuis les années 1975, la vue directe en surplomb existe lorsque l'observateur se trouve dans une zone très proche du bord du talus. (')

La haie plantée au bord de la plate-forme pour notamment sécuriser les chutes, empêche toute vue y compris au lointain et indiscrétion à l'égard du voisinage.» En réponse à un dire du conseil des consorts A, il précise enfin avoir constaté sur cette zone «la présence de jeunes végétaux suffisamment hauts et touffus qui rendent peu accessible cette zone».

Bien que les consorts A soutiennent que la taille des plantations n'empêche pas la vue puisqu'ils affirment qu'elles s'élèveraient à 1m 50, l'expert a relevé, lors de ses constatations intervenues en 2014, que celles-ci, destinées à pousser puisqu'il s'agit de jeunes conifères, mesuraient déjà 1m 80.

Il résulte de ce qui précède que la réalisation du terrassement n'a pas entraîné la création de servitudes de vues obliques ou de côté, depuis le fonds des époux Aa sur la propriété des consorts A, aucune pièce ne permettant d'établir l'existence de telles vues à moins de 0,6 m de celle-ci.

Compte tenu de la configuration des lieux, il apparaît également que la haie plantée par les époux Aa au bord de leur plate-forme est de nature à prévenir la vue directe sur le fonds des consorts A d'une part en empêchant de se tenir dans cette zone et d'autre part en faisant obstacle à la vue.

I] convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'ordonner la destruction des travaux.

Sur le non-respect des règles d'urbanisme

En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'expert a retenu dans son rapport que la butée en enrochement résultant des travaux effectués par les époux Aa s'élevait dans sa plus grande largeur à 3,90 m sur 2, 40m.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu l'absence de contrariété du mur de soutènement au Plan Local d'Urbanisme en considérant que l'expert a relevé que si l'article 1 1.8 du Plan Local d'Urbanisme indique que l'amplitude de terrain ne doit pas excéder 2 mètres pour les terrains dont la pente naturelle est supérieure ou égale à 30%, ce document d'urbanisme admet une amplitude de terrain plus importante dès lors qu'elle a pour objet une meilleure insertion de la construction dans le site, que toujours selon l'expert, tel est le cas en l'espèce, puisque l'architecte indique que la création d'une aire de stationnement plus importante qu'à l'origine est destinée à permettre son accessibilité aux véhicules de sécurité incendie et que la butée en enrochement de blocs calcaires constitue une technique de stabilisation adaptée à des sols très pentus pour en limiter les risques de glissement.

Le procès-verbal de constat d'huissier versé en cause d'appel par les époux A est insuffisant à remettre en cause les conclusions de l'homme de l'art. En effet, ce constat se fonde pour l'essentiel sur un rapport technique émanant d'une société HYPERION SEVEN, ayant procédé à des prises de vues depuis la propriété des consorts A, notamment au moyen drone. Cette pièce est insuffisamment probante dès lors qu'elle s'appuie sur des constations effectuées de manière non contradictoire par un technicien ne présentant pas les mêmes garanties de compétence et d'objectivité que l'expert.

Par conséquent, les consorts A ne démontrent pas l'existence d'une faute des époux Aa résultant d'une violation des règles d'urbanisme, ils ne peuvent qu'être déboutés de leur demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de jouissance qu'ils fondent sur ce seul élément.

Le jugement est ainsi également confirmé de ce chef.

Sur l'amende civile et la demande au titre de la procédure abusive

Selon l'article 559 du code de procédure civile, en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un montant de 10.000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.

Au sens de ces dispositions, l'exercice d'une action en justice, qui est par principe un droit, ne dégénère en abus que dans des circonstances manifestement caractérisées révélant notamment une mauvaise foi ou un acte de malice.

En l'espèce, l'existence d'une précédente procédure judiciaire initiée en 2005 par les consorts A à l'encontre des époux Aa ne suffit pas à caractériser un acharnement judiciaire à l'encontre de ces derniers, compte tenu de son ancienneté et du fait que cette procédure apparaissait fondée, les époux Aa ayant accepté de procéder au raccordement au réseau public d'assainissement. De même, la contestation par Mme A d'un permis de construire délivré aux époux Aa le 3 avril 2008 n'est pas de nature à caractériser un abus de droit, puisqu'ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, les époux Aa admettent avoir entrepris les travaux litigieux afin de répondre aux inquiétudes de leur voisine.

Dans ces conditions, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté les époux Aa de leurs demandes d'indemnisation pour procédure abusive et au titre d'une amende civile.

Sur les autres demandes

Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux Aa l'intégralité des frais exposés au titre des frais irrépétibles, il convient donc de condamner les consorts A à leur verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel et de les débouter de leur propre demande sur ce fondement.

Les consorts A, succombant en leur appel, sont condamnés aux dépens.


PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement du 20 mars 2019 en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

CONDAMNE M. Ab A et Mme Ac B épouse A in solidum à verser à M. Aa et Mme Aa la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

CONDAMNE M. Ab A et Mme Ac B épouse A in solidum aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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