SOC. / ELECT
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2021
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1407 F-B
Pourvoi n° M 20-16.696
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021
La société Serenest entreprise, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-16.696 contre le jugement rendu le 12 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Paris (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat Alliance ouvrière, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ au syndicat CFDT HTR, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de la société Serenest entreprise, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 12 juin 2020), le 19 décembre 2019, la société Serenest entreprise (la société) a invité les organisations syndicales à négocier un protocole d'accord préélectoral en vue des élections des membres du comité social et économique (CSE). Aucune organisation ne s'étant présentée à la négociation, l'employeur a organisé seul le scrutin qui s'est déroulé, pour le premier tour, le 31 janvier 2020, et, pour le second tour, le 12 février 2020. Un procès-verbal de carence a été établi à cette date.
2. Soutenant qu'il aurait dû être invité par courrier à la négociation du protocole d'accord préélectoral, le 13 février 2020, le syndicat Alliance ouvrière (le syndicat) a saisi le tribunal judiciaire de demandes tendant notamment à l'annulation des élections, à ordonner à la société d'inviter les organisations syndicales habilitées, dont le syndicat, aux négociations du protocole d'accord préélectoral, et au paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. La société fait grief au jugement d'annuler les élections au CSE, qui se sont déroulées le 31 janvier 2020 pour le premier tour et le 12 février 2020 pour le second tour, ayant donné lieu à un procès-verbal de carence, alors « que l'employeur doit inviter par courrier les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale à participer à la négociation du protocole d'accord préélectoral ; qu'il a la faculté de contester l'existence de ladite section syndicale dans le cadre d'un contentieux relatif aux élections professionnelles ; qu'en refusant, pour en déduire que l'employeur était tenu d'inviter par courrier le syndicat Alliance ouvrière qui l'avait avisé de la création d'une section syndicale, d'apprécier l'existence d'une telle section syndicale, au prétexte que celui-ci n'avait pas contesté judiciairement l'existence ou fait constater la perte d'existence de la section syndicale préalablement à l'organisation des élections, le tribunal, qui a ajouté une condition à la loi, a violé les
articles L. 2142-1 et L. 2314-5 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 2142-1 et L. 2314-5, alinéas 1er et 2, du code du travail🏛 :
5. En application du second de ces textes, doivent être invités par courrier à négocier le protocole d'accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats aux fonctions de membre de la délégation du personnel les organisations syndicales reconnues représentatives dans l'entreprise ou l'établissement, celles ayant constitué une section syndicale dans l'entreprise ou l'établissement, ainsi que les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel.
6. Il résulte du premier de ces textes que la section syndicale doit comporter au moins deux adhérents.
7. Pour annuler les élections professionnelles au CSE organisées au sein de la société les 31 janvier et 12 février 2020, le jugement retient que le syndicat établit avoir avisé l'employeur par lettre recommandée du 16 novembre 2018, reçue le 19 novembre suivant, de la création d'une section syndicale au sein de l'entreprise, qu'à la date des négociations du protocole d'accord préélectoral, l'employeur, qui avait connaissance de l'existence d'une section syndicale, n'avait pas contesté son existence ou son maintien, qu'à défaut d'avoir fait constater judiciairement la perte de l'existence de la section syndicale avant l'organisation des élections, il demeurait tenu d'inviter ce syndicat par courrier à la négociation, le cas échéant en contestant ensuite la validité de la représentation du syndicat si celui-ci mandatait un représentant aux négociations du protocole, que dès lors il ne pouvait prétendre qu'il appartenait au syndicat de rapporter la preuve d'au moins deux adhésions à la date de l'introduction des négociations alors que c'était à l'employeur, régulièrement avisé de la constitution de la section syndicale, d'agir en contestation de celle-ci et à défaut de tirer les conséquences de cette constitution par une invitation répondant aux prescriptions de l'alinéa 2 de l'
article L. 2314-5 du code du travail🏛.
8. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'une contestation relative à l'existence d'une section syndicale peut être soulevée à l'occasion d'un litige relatif à l'invitation des organisations syndicales à la négociation du protocole d'accord préélectoral et, d'autre part, qu'il appartenait au syndicat de justifier que la section syndicale qu'il avait constituée comportait au moins deux adhérents à la date de l'invitation à la négociation du protocole d'accord préélectoral, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen pris en sa première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le syndicat Alliance ouvrière irrecevable en son exception d'incompétence, le jugement rendu le 12 juin 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Serenest entreprise ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société Serenest entreprise
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au jugement attaqué D'AVOIR annulé les élections au comité social et économique organisées au sein de la société Serenest entreprise qui se sont déroulées le 31 janvier 2020 pour le premier tour et le 12 février 2020 pour le second tour et ayant donné lieu à un procès-verbal de carence ;
ALORS QUE les délibérations des magistrats sont secrètes, le greffier ne pouvant assister qu'aux débats et au prononcé public de la décision ; qu'en énonçant, sous la mention « composition du tribunal lors des débats et du délibéré », le nom du président et du greffier, ce dont il résulte que le greffier a assisté au délibéré, le tribunal a violé les
articles 447, 448 et 458 du code de procédure civile🏛.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au jugement attaqué D'AVOIR annulé les élections au comité social et économique organisées au sein de la société Serenest entreprise qui se sont déroulées le 31 janvier 2020 pour le premier tour et le 12 février 2020 pour le second tour et ayant donné lieu à un procès-verbal de carence ;
AUX MOTIFS QUE selon les alinéas 1 et 2 de l'
article L. 2314-5 du code du travail🏛 « sont informées, par tout moyen, de l'organisation des élections et invitées à négocier le protocole d'accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats aux fonctions de membre de la délégation du personnel les organisations syndicales qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise ou l'établissement concernés ; que les organisations syndicales reconnues représentatives dans l'entreprise ou l'établissement, celles ayant constitué une section syndicale dans l'entreprise ou l'établissement, ainsi que les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel y sont également invités par courrier » ; qu'en l'espèce, l'employeur justifie avoir adressé des courriers recommandés aux unions départementales des organisations syndicales représentatives au niveau national ; qu'il déclare avoir réalisé un affichage en entreprise à la même date, les attestations ne permettent pas toutefois de connaître la date de réalisation de l'affichage ou de son maintien ; qu'il soutient ainsi avoir respecté les deux aliénas précités, considérant que la section syndicale d'Alliance ouvrière avait disparu au sein de son entreprise ; qu'Alliance ouvrière établit avoir avisé l'employeur par lettre recommandée du 16 novembre 2018, réceptionnée le 19 novembre 2018 de la création d'une section syndicale au sein de l'entreprise ; que la circonstance que deux employées, anciennement candidates aux élections professionnelles sous l'étiquette de ce syndicat aient été licenciées courant 2018 ne permet pas à l'employeur de considérer que la section syndicale n'existait pas ou avait disparu, sans contester cette existence en justice ; qu'en effet, aucun des jugements produits aux débats et soit invalidant les candidatures de ces employés, soit annulant de précédents protocoles préélectoraux ne se prononce sur l'existence de la section syndicale ; que dès lors, à la date des négociations du protocole d'accord préélectoral, l'employeur avait connaissance de l'existence d'une section syndicale et n'avait pas contesté son existence ou son maintien ; que l'employeur demeurait donc tenu d'inviter l'organisation syndicale ayant constitué cette section syndicale dans le respect de l'alinéa 2 de l'
article L. 2314-5 du code du travail🏛 sans pouvoir lui-même apprécier l'inexistence de la section syndicale dont il avait été préalablement avisé ; qu'à défaut d'avoir fait constater judiciairement la perte de l'existence de la section syndicale avant l'organisation des élections, il demeurait tenu d'inviter ce syndicat par courrier, le cas échéant en contestant ensuite la validité de la représentation d'Alliance ouvrière si celle-ci mandatait un représentant aux négociations du protocole ; que dès lors, il ne peut prétendre qu'il appartient au syndicat Alliance ouvrière de rapporter la preuve d'au moins deux adhésions à la date de l'introduction des négociations alors que c'était à l'employeur, régulièrement avisé de la constitution de la section syndicale d'agir en contestation de celle-ci et à défaut de tirer les conséquences de cette constitution par une invitation répondant aux prescriptions de l'alinéa 2 de l'
article L. 2314-5 du code du travail🏛 ; que ce manquement aux conditions de l'article L. 2314-5 alinéa 2, implique que l'ensemble du processus électoral soit annulé, étant précisé qu'aucun protocole d'accord préélectoral n'a été signé et que les élections ont été organisées unilatéralement par l'employeur ; qu'il y a également lieu de faire droit à la demande d'organisation de nouvelles élections, sans imposer de délai ni d'astreinte compte-tenu du calendrier lié à la crise sanitaire comme la proximité estivale, lequel complique l'organisation de telles élections, alors que l'employeur a dans tous les cas nécessairement intérêt à pourvoir à cette obligation légale ;
ALORS, 1°), QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer ; qu'en se fondant, pour retenir l'existence d'une section syndicale, sur le courrier du 16 novembre 2018 réceptionné le 19 novembre suivant, avisant l'employeur de la création de ladite section, cependant qu'il ne résulte ni du jugement ni des éléments de la procédure que cette pièce avait été communiquée à la société Serenest et soumise à la discussion contradictoire des parties, le tribunal a violé les
articles 16 et 132 du code de procédure civile🏛 ;
ALORS, 2°), QUE l'employeur doit inviter par courrier les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale à participer à la négociation du protocole d'accord préélectoral ; qu'il a la faculté de contester l'existence de ladite section syndicale dans le cadre d'un contentieux relatif aux élections professionnelles ; qu'en refusant, pour en déduire que l'employeur était tenu d'inviter par courrier le syndicat Alliance Ouvrière qui l'avait avisé de la création d'une section syndicale, d'apprécier l'existence d'une telle section syndicale, au prétexte que celui-ci n'avait pas contesté judiciairement l'existence ou fait constater la perte d'existence de la section syndicale préalablement à l'organisation des élections, le tribunal, qui a ajouté une condition à la loi, a violé les
articles L. 2142-1 et L. 2314-5 du code du travail🏛.