CE 3/8 ch.-r., 29-11-2021, n° 450732, mentionné aux tables du recueil Lebon
A62357DB
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2021:450732.20211129
Référence
13-01 1) La prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a pour objet d'attribuer à l'acheteur le droit exclusif d'exercer l'option qui lui permettra d'obtenir l'avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l'instrument financier sous-jacent. La prime rémunère, pour le vendeur du contrat d'option, l'abandon irrévocable du même droit. Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l'acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d'un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée.......2) a) En l'absence de règles comptables en disposant autrement, cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement selon un mode linéaire ou actuariel. Il peut, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions. ......b) Lorsque l'option est exercée, la valeur résiduelle de la prime d'acquisition constitue, dans le cas d'une option d'achat, un élément du prix d'acquisition de l'actif sous-jacent, et vient, dans le cas d'une option de vente, en déduction du prix de cession.......c) En l'absence d'exercice de l'option à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle.
La société Deutsche Bank AG a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010. Par un jugement no 1506591 du 15 décembre 2016, le tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17VE00442 du 26 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles⚖️ a, sur appel de la société Deutsche Bank AG, annulé ce jugement, prononcé la réduction de ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales sur cet impôt à concurrence de la somme de 250 738 449 euros et a prononcé en conséquence la réduction des impositions et pénalités en litige.
Par une décision n° 431066 du 19 décembre 2019, le Conseil d'Etat⚖️ a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un nouvel arrêt n° 19VE04194 du 26 janvier 2021, la cour, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a fait partiellement droit à l'appel de la société, en réduisant les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales sur cet impôt au titre de l'exercice 2010 à concurrence de la somme de 1 035 842 831 euros et en prononçant en conséquence la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités en litige.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 mars et 10 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1, 2, 4 et 5 de cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts🏛🏛🏛🏛 et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Deutsche Bank AG ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2021, présentée par la société Deutsche Bank AG ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la clôture de son exercice 2010, la société Deutsche Friedland SAS, qui avait pris des positions symétriques sur des contrats d'option et sur des valeurs mobilières, a doté une provision dans ses comptes au titre de la perte qu'elle estimait devoir supporter du fait de l'évolution du cours de ces dernières. Pour le calcul de ses gains corrélatifs non encore imposés sur les positions prises sur les contrats d'option, la société Deutsche Friedland SAS a distrait de ses marges bénéficiaires latentes le montant des primes correspondantes, à concurrence de 250 738 449 euros, majorant d'autant la partie, déductible de ses résultats, de sa perte sur les valeurs mobilières. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause cette distraction, diminué en conséquence la part déductible de la perte, et rehaussé à concurrence les résultats imposables. La société Deutsche Bank AG, qui détient l'intégralité du capital de la société Deutsche Friedland SAS, s'étant constituée seule redevable de l'impôt dû par celle-ci en application de l'article 223 A du code général des impôts🏛, il en est résulté pour elle, au titre de son exercice 2010, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, assorties des intérêts correspondants.
2. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts🏛, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Selon le 2 de l'article 38 : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ".
3. Aux termes, toutefois, du 6 de ce même article 38 : " 1° Par exception aux 1 et 2, le profit ou la perte résultant de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice est compris dans les résultats de cet exercice ; il est déterminé d'après le cours constaté au jour de la clôture sur le marché sur lequel le contrat a été conclu. / () 3° Lorsqu'une entreprise a pris des positions symétriques, la perte sur une de ces positions n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. / Pour l'application de ces dispositions, une position s'entend de la détention, directe ou indirecte, de contrats à terme d'instruments financiers, de valeurs mobilières, de devises, de titres de créances négociables, de prêts ou d'emprunts ou d'un engagement portant sur ces éléments. / Des positions sont qualifiées de symétriques si leurs valeurs ou leurs rendements subissent des variations corrélées telles que le risque de variation de valeur ou de rendement de l'une d'elles est compensé par une autre position, sans qu'il soit nécessaire que les positions concernées soient de même nature ou prises sur la même place, ou qu'elles aient la même durée ". Il résulte des dispositions du 1° du 6 de l'article 38 du code général des impôts🏛, relatives à l'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice et qui, expressément constitutives d'une exception, doivent être interprétées strictement, que les pertes ou profits sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice s'entendent de la seule marge déficitaire - pour le vendeur de l'option - ou bénéficiaire - pour l'acheteur de l'option - qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. En vue de la préservation des recettes fiscales, les dispositions du 3° de ce même 6 limitent le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Pour l'application de ces dernières dispositions, le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.
4. Aux termes de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ".
5. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir déduit de la règle énoncée au point 3, par des motifs non contestés en cassation, que le vérificateur avait pu, sans méconnaître les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts🏛, remettre en cause la distraction des marges bénéficiaires latentes des primes payées au titre des contrats d'options, pour leur montant au couru, au titre de l'exercice 2010, la cour administrative d'appel a fait droit à une demande de compensation formée par la société contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales, tirée de ce que la rectification opérée par l'administration avait fait apparaître une surimposition résultant de son abstention à déduire, au titre de ses charges de l'exercice clos en 2010, les primes payées pour l'acquisition des contrats d'options.
6. Toutefois, la prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a pour objet d'attribuer à l'acheteur le droit exclusif d'exercer l'option qui lui permettra d'obtenir l'avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l'instrument financier sous-jacent. La prime rémunère, pour le vendeur du contrat d'option, l'abandon irrévocable du même droit. Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l'acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d'un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée. En l'absence de règles comptables en disposant autrement, cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement selon un mode linéaire ou actuariel. Il peut, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions. Lorsque l'option est exercée, la valeur résiduelle de la prime d'acquisition constitue, dans le cas d'une option d'achat, un élément du prix d'acquisition de l'actif sous-jacent, et vient, dans le cas d'une option de vente, en déduction du prix de cession. En l'absence d'exercice de l'option à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les primes d'option en litige avaient la nature de charges déductibles de l'exercice au cours duquel elles étaient exposées, au motif qu'elles avaient pour seul objet de rémunérer une prestation consistant en l'engagement pris par le vendeur, que leur montant, versé intégralement au cours de l'exercice où la promesse est accordée, n'était pas susceptible d'être révisé au cours du contrat, que l'option soit ou non exercée, et qu'elles étaient dès lors certaines dans leur principe et leur montant dès cet exercice. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, il est fondé à demander l'annulation des articles 1, 2, 4 et 5 de l'arrêt qu'il attaque.
8. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛 : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en remettant en cause la distraction des marges bénéficiaires latentes des primes payées au titre des contrats d'options, pour leur montant au couru, au titre de l'exercice 2010, le service vérificateur n'a pas méconnu les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts🏛.
10. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la contribuable, les énonciations des paragraphes n° 40 et 41 de l'instruction administrative 4 A-4-88 du 20 avril 1988, reprises au paragraphe n° 120 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP - impôts) sous la référence BOI-BIC-PDSTK-10-20-70-50, qui se bornent à évoquer le cas dans lequel l'acquisition de l'option et son exercice interviennent au cours du même exercice, ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle rappelée à ce même point 3.
11. En second lieu, si la société Deutsche Bank AG demande la compensation des rehaussements dont elle a fait l'objet par la surimposition qui résulterait pour elle de son abstention à déduire, au titre de l'exercice clos en 2010, le montant des primes d'option acquittées au cours de cet exercice, il résulte de ce qui au point 6 que les primes d'option acquittées au cours de l'exercice 2010 ne constituaient pas des charges déductibles du résultat de cet exercice. La société n'allègue, au demeurant, pas que ces options, dont il résulte de l'instruction qu'elles arrivaient à échéance en 2011, auraient donné lieu à amortissements ou à constitution de provisions à la clôture de l'exercice 2010. Par suite, la société Deutsche Bank AG n'est pas fondée à obtenir le bénéfice de la compensation qu'elle sollicite.
12. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
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Article 1er : Les articles 1, 2, 4 et 5 de l'arrêt du 26 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.
Article 2 : L'appel de la société Deutsche Bank AG est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Deutsche Bank AG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Deutsche Bank AG.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. F B, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. E H, M. C G, M. Christian Fournier, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme A D450732
Arrêt, 17VE00442, 26-03-2019 Arrêt, 19VE04194, 26-01-2021 Article, 1, arrêt, 19VE04194, 26-01-2021 Article, 2, arrêt, 19VE04194, 26-01-2021 Article, 4, arrêt, 19VE04194, 26-01-2021 Article, 5, arrêt, 19VE04194, 26-01-2021 Contributions sociales Exercice clos Bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés Concurrence des sommes Valeurs mobilières Marge bénéficiaire Vérification de la comptabilité Résultats imposables Valeur à la clôture Suppléments d'apports Exécution du contrat Instruments financiers Recettes fiscales Limitation du montant Double imposition Société contribuable Charge Option d'achat Prix d'acquisition Exercice de l'option Rémunération de prestations Instruction administrative Finances publiques Interprétation différente Charges déductibles des résultats