COMM. LG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 2 octobre 2012
Cassation partielle
M. ESPEL, président
Arrêt no 964 FS-P+B
Pourvoi no C 10-18.005
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Franck Z, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société de droit allemand Phoenix Kapitaldienst GmbH Gesellschaft für die Durchführung und Vermittlung von Vermögensan-lagen, domicilié Francfort-sur-le-Main (Allemagne),
contre le jugement rendu le 9 mars 2010 par la juridiction de proximité d'Alès, dans le litige l'opposant à M. Marcel X, domicilié Saint-Ambroix,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 septembre 2012, où étaient présents M. Espel, président, M. Rémery, conseiller rapporteur, M. Gérard, conseiller doyen, Mmes Canivet-Beuzit, Levon-Guérin, Jacques, M. Laborde, Mme Wallon, M. Zanoto, conseillers, Mme Guillou, MM. Lecaroz, Arbellot, Mmes Schmidt, Texier, conseillers référendaires, Mme Bonhomme, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Rémery, conseiller, les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Z, ès qualités, l'avis de Mme Bonhomme, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'arrêt no 1847 F-D de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 17 novembre 2011 rabattant l'arrêt no 1269 F-D rendu par elle le 23 juin 2011 et disant qu'il sera procédé à un nouvel examen du pourvoi ;
Attendu, selon le jugement attaqué et les productions, que M. X a investi, le 22 octobre 2001, auprès de la société Phoenix Kapitaldienst GmbH (société Phoenix), établie en Allemagne, une certaine somme sur des marchés à terme, dont le placement lui a procuré une plus-value ; qu'une juridiction allemande a ouvert les 14 mars puis 1er juillet 2005 une procédure collective à l'égard de la société Phoenix et nommé, en qualité de syndic, M. Z ; que cette procédure étant exclue, en raison de la nature de l'activité de la société débitrice, du champ d'application du règlement (CE) no 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité par l'article 1er, alinéa 2, de celui-ci, les décisions d'ouverture ont fait l'objet d'un exequatur par un tribunal français ; que M. Z, ès qualités, a alors exercé devant le tribunal de grande instance de Strasbourg l'action révocatoire du droit allemand en vue de recouvrer la plus-value perçue par M. X, laquelle serait fictive, comme résultant d'une escroquerie ; que le tribunal saisi s'est déclaré incompétent et a désigné pour connaître de la demande la juridiction de proximité d'Alès, dans le ressort de laquelle M. X est domicilié ;
Sur le premier moyen
Attendu que M. Z fait grief au jugement d'avoir rejeté son exception de connexité, alors, selon le moyen
1o/ que seule la juridiction saisie en second d'une action connexe à une précédente demande peut retenir l'exception de connexité ; qu'en décidant que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 16 juin 2009 s'opposait à ce que le juge second saisi se prononce sur l'exception de connexité, quand la juridiction strasbourgeoise première saisie n'avait pu se prononcer sur cette exception, la juridiction de proximité a violé les articles 101 et 480 du code de procédure civile ;
2o/ qu'en toute hypothèse l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une demande fondée sur des événements postérieurs à ceux sur lesquels a statué la première décision ; qu'en opposant à M. Z l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg le 16 juin 2009, qui s'était déclaré incompétent pour connaître du litige aux motifs qu'il était seul saisi et que l'exception de connexité ne pouvait jouer car elle suppose la saisine de deux juridictions différentes, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, pour en déduire que l'exception de connexité ne pouvait plus être invoquée devant elle, sans rechercher si un événement nouveau, en l'occurrence la saisine d'une deuxième juridiction devant statuer sur l'action révocatoire exercée par M. Z, ne s'opposait pas à ce que puisse être opposée l'autorité de la chose jugée attachée à la première décision, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de l'article 480 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le tribunal de grande instance de Strasbourg s'étant déclaré incompétent et ayant renvoyé les parties devant la juridiction de proximité d'Alès, celle-ci était tenue de statuer, par application des dispositions de l'article 96, alinéa 2, du code de procédure civile ; que par ce motif de pur droit substitué, après avis donné aux parties, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen
Vu les articles 3 et 2221 du code civil ;
Attendu qu'en droit international privé commun, l'action qu'exercent les organes d'une procédure collective en annulation, révocation ou inopposabilité d'actes passés par le débiteur avant l'ouverture de celle-ci et estimés préjudiciables aux créanciers est, en raison de son lien avec la procédure, soumise au droit applicable à celle-ci, y compris en ce qui concerne les délais pour agir ;
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action exercée par M. Z, le jugement retient que l'article L. 137-2 du code français de la consommation est applicable au litige et qu'il résulte des pièces versées aux débats que le délai de prescription de deux ans qu'il prévoit est expiré ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que M. Z, agissant en tant qu'organe d'une procédure collective, fondait son action sur la loi allemande gouvernant celle-ci, laquelle, selon lui, l'autorisait, sur une période suspecte pouvant remonter jusqu'à quatre années avant l'ouverture de la procédure, à recouvrer les bénéfices fictifs distribués par la société débitrice, la juridiction de proximité, en ne mettant pas en oeuvre la loi allemande, après en avoir vérifié la teneur, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
Statuant à nouveau, CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de connexité soulevée par M. Z, ès qualités, le jugement rendu le 9 mars 2010, entre les parties, par la juridiction de proximité d'Alès ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de Nîmes ;
Condamne M. X aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Z, ès qualités ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Franck Z, ès qualités
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté Maître Z de son exception de connexité déjà jugée par le Tribunal de grande instance de Strasbourg le 16 juin 2009 par jugement définitif et ce en application de l'article 480 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS qu'un jugement de TGI de Strasbourg devenu définitif a statué sur cette exception déjà présentée par Maître Z, ce jugement déboute Maître Z de sa demande de connexité, rappelle le principe de l'article 42, alinéa 1er, du Code de procédure civile, rappelle que la connexité suppose la saisine de juridictions différentes ce qui n'était pas le cas en l'espèce et renvoie selon l'article L. 231-2 du Code de l'organisation judiciaire devant la juridiction de proximité territorialement compétente d'Alès ; que Maître Z est donc mal fondé à soulever cette exception déjà jugée par le Tribunal de grande instance de Strasbourg ; qu'il sera débouté de son exception et de sa demande de renvoi devant le TGI de Strasbourg et ce en vertu de l'article 480 du Code de procédure civile et de l'autorité de la chose jugée ;
1) ALORS QUE seule la juridiction saisie en second d'une action connexe à une précédente demande peut retenir l'exception de connexité ; qu'en décidant que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg du 16 juin 2009 s'opposait à ce que le juge second saisi se prononce sur l'exception de connexité, quand la juridiction strasbourgeoise première saisie n'avait pu se prononcer sur cette exception, la Juridiction de proximité a violé les articles 101 et 480 du Code de procédure civile ;
2) ALORS QU'en toute hypothèse l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une demande fondée sur des événements postérieurs à ceux sur lesquels a statué la première décision ; qu'en opposant à Maître Z l'autorité de la chose jugée par le jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg le 16 juin 2009, qui s'était déclaré incompétent pour connaître du litige aux motifs qu'il était seul saisi et que l'exception de connexité ne pouvait jouer car elle suppose la saisine de deux juridictions différentes, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, pour en déduire que l'exception de connexité ne pouvait plus être invoquée devant elle, sans rechercher si un événement nouveau, en l'occurrence la saisine d'une deuxième juridiction devant statuer sur l'action révocatoire exercée par Maître Z, ne s'opposait pas à ce que puisse être opposée l'autorité de la chose jugée attachée à la première décision, la Juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de l'article 480 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR déclaré l'action de Maître Z représentant PHOENIX forclose en vertu de l'article L. 137-2 du Code de la consommation ;
AUX MOTIFS QUE le conseil de Monsieur X soulève la prescription visée à l'article L. 137-2 du Code de la consommation ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que l'action de PHOENIX est forclose le délai de deux ans étant dépassé ;
ALORS QU'en matière de droits indisponibles, il incombe au juge français de mettre en oeuvre, même d'office, la règle de conflits de lois, de rechercher la teneur du droit étranger et de l'appliquer sous réserve qu'il ne soit pas contraire à l'ordre public international français ; qu'en jugeant prescrite, en application de la loi française, l'action révocatoire de Maître Z, tendant à voir annuler les actes commis pendant la période suspecte et préjudiciables aux créanciers de la société Phoenix, quand cette action étroitement liée à la procédure d'insolvabilité ouverte en Allemagne était régie par la loi allemande qu'il lui appartenait de mettre en oeuvre d'office en cette matière, la Juridiction de proximité a violé l'article 3 du Code civil.