04/10/2012
ARRÊT N°
N° RG 11/01415
LAM/KP
Décision déférée du 23 Février 2011 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ALBI (10-00165)
JL.BARTHES
SAS SEDIS
C/
Céline Y
POLE EMPLOI MIDI-PYRÉNÉES
CONFIRMATION PARTIELLE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1 - Chambre sociale
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ARRÊT DU QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE DOUZE
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APPELANT(S)
SAS SEDIS
Lieu dit
PUYGOUZON
représentée par Me Philippe GARCIA, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Julie BLANCHARD, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ(S)
Madame Céline Y
54, rue de Sérieyssols
81000 ALBI
représentée par M. Max ... (Délégué syndical ouvrier)
POLE EMPLOI MIDI-PYRÉNÉES
BALMA CEDEX
représenté par la SCP SCP MATHEU - RIVIERE SACAZE ET ASSOCIÉS, avocats au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Juillet 2012, en audience publique, devant Mme L.-A. ..., chargé d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de
C. CONSIGNY, président
C. PESSO, conseiller
L.-A. MICHEL, conseiller
Greffier, lors des débats H. ANDUZE-ACHER
ARRÊT
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxieme alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par C. CONSIGNY, président, et par H. ANDUZE-ACHER, greffier de chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame Y a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet à compter du 8 août 2007 en qualité d'employée commerciale, niveau 1A, par la SAS SEDIS.
Au cours de l'été 2009, il a été envisagé entre les parties une rupture conventionnelle du contrat de travail, laquelle n'a pas aboutie.
Après convocation à un entretien préalable et mise à pied à titre conservatoire, la salariée a été licenciée pour faute grave par courrier recommandé du 30 septembre 2009 pour avoir proféré des insultes à l'égard de sa direction et de l'entreprise.
Elle a saisi le 6 avril 2010 le Conseil de Prud'hommes d'ALBI afin de contester son licenciement et d'obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat.
Par jugement contradictoire du 23 février 2011, cette juridiction a
- débouté Madame Y de sa demande en reconnaissance de harcèlement moral,
- dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la société à payer à Madame Y les sommes de
· 705,06 euros au titre de la mise à pied, outre les congés payés y afférents,
· 2.826,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents
· 588,85 euros au titre de l'indemnité de licenciement
· 8.480 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
· 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- ordonné le remboursement par la société SEDIS des indemnités de chômage versées dans les limites de l'article L.1235-4 du code du travail,
- fixé la moyenne des trois derniers mois à 1.413,24 euros,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société SEDIS aux dépens.
La SAS SEDIS a régulièrement interjeté appel de cette décision, notifiée le 25 février 2011, par lettre recommandée du 8 mars 2011.
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Reprenant oralement ses conclusions écrites auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus ample des moyens, la SAS SEDIS demande à la Cour de
- réformer le jugement déféré,
- constater l'absence de démonstration de harcèlement moral,
- dire que le licenciement repose sur une faute grave,
- débouter Madame Y de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Madame Y aux dépens ainsi qu'à une indemnité de procédure de 2.000 euros.
Elle soutient pour l'essentiel que le licenciement est fondé dans la mesure où le 14 septembre 2009, la salariée a tenu, devant témoins, des propos
insultants à l'encontre du directeur du magasin et de l'entreprise, abusant ainsi de sa liberté d'expression.
Par ailleurs, invoquant les articles L.1152-1 et suivants du code du travail, elle estime que Madame Y n'apporte aucun élément sur un quelconque harcèlement, lequel n'a jamais existé.
Elle souligne que la salariée ne s'est d'ailleurs pas constituée partie civile devant le Tribunal Correctionnel qui a condamné Monsieur ..., directeur, pour des faits de harcèlement moral à l'encontre de certains salariés.
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Madame Y, aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement et auxquelles il est également renvoyé pour un exposé plus ample des moyens, demande pour sa part à la Cour de
- dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- dire que la société SEDIS a, en la licenciant, outrepassé ses droits,
- dire qu'elle a été victime de brimades et d'atteintes à sa dignité,
- condamner la société à lui payer
· 705,06 euros au titre de la mise à pied, outre les congés payés y afférents,
· 2.826,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents
· 588,85 euros au titre de l'indemnité de licenciement
· 16.958,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
· 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- débouter la société SEDIS de l'ensemble de ses demandes.
Elle conteste avoir tenu des propos vulgaires et injurieux lors d'un entretien qui aurait eu lieu le 14 septembre 2009 dans le bureau du directeur, porte fermée et sans témoin et considère que les témoignages produits sont des attestations de complaisance.
Madame Y soutient par ailleurs avoir été victime des agissements de son directeur, lequel, à l'époque de son licenciement,faisait régner dans son magasin un climat de terreur en harcelant les salariés, faits pour lesquels il a été pénalement condamné en 2010.
Elle expose ainsi qu'après lui avoir demandé son accord pour une rupture conventionnelle, ce qu'elle a fait par courrier recommandé du 7 septembre, il lui a adressé une convocation à un entretien préalable à une sanction sans que l'objet de la convocation ne soit précisé; qu'elle a ensuite reçu une deuxième convocation et a été mise à pied, sans que les motifs ne soient non plus précisés.
Elle ajoute qu'il a refusé son arrêt de travail du 17 septembre 2009 en prétextant qu'elle ne faisait plus partie du personnel alors qu'elle n'avait pas encore reçu sa lettre de licenciement et que le certificat médical est explicite sur son état dépressif réactionnel à un harcèlement moral sur son lieu de travail.
Elle fait également état de sautes d'humeur, de brimades ainsi que de pressions et de modifications permanentes de son planning.
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POLE EMPLOI Midi-Pyrénées, reprenant oralement ses conclusions écrites, demande à la Cour, dans l'hypothèse où elle confirmerait l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, d'ordonner à la SAS SEDIS de rembourser les allocations chômage servies à la salariée et ce pour la période de six mois par application de l'article L.1235-4 du code du travail.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 du même code énonce qu'en cas de litige relatif à l'application de l'article L.1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'occurrence, Madame Y soutient que son directeur, Monsieur ..., après avoir envisagé une rupture conventionnelle, lui a adressé deux convocations successives à des entretiens préalables sans en préciser le motif et l'a licenciée pour faute grave, qu'il a refusé son arrêt de travail du 17 septembre 2009, qu'elle a subi ses sautes d'humeur, des brimades ainsi que des pressions et des modifications permanentes de son planning.
Elle produit
- sa lettre d'accord en vue d'une rupture conventionnelle en date du 7 septembre, reçue le 9, la convocation du 11 septembre à un entretien préalable à une sanction fixé au 29 septembre, la convocation du 15 septembre à un entretien préalable à un licenciement fixé au 24 septembre et sa lettre de licenciement,
- une attestation en date du 26 janvier 2012 de Monsieur ..., responsable d'équipe, déclarant que lors de sa période chez Super U, il a été témoin de brimades et d'acharnement concernant Madame Y de la part de la direction qui ne cessait d'exercer sur cette dernière une pression omniprésente quant à la tenue de ses rayons et modifiait son planning de manière intempestive.
Cette unique attestation ne précisant toutefois pas la période durant laquelle les faits relatés se seraient déroulés, ni sous quelle forme ces brimades et cet acharnement se seraient manifestés, elle ne permet donc pas de s'assurer de la réalité et de l'importance de ces faits, étant observé que Madame Y, à la différence de huit de ses collègues de travail, n'a jamais porté plainte contre Monsieur ... pour des faits de harcèlement et ne s'est pas non plus constituée partie civile devant la juridiction pénale qui a condamné ce dernier pour harcèlement moral.
Par ailleurs, le seul fait de licencier une salariée pour faute grave, fusse après avoir envisagé une rupture conventionnelle, et immédiatement après l'avoir convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, ne
peut justifier à lui seul un harcèlement moral.
Ces éléments sont donc insuffisants à laisser présumer l'existence d'agissements répétés de harcèlement et il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté Madame Y de sa demande à ce titre.
2- Sur le licenciement
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations s'attachant à son emploi, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail.
En l'occurrence, le licenciement pour faute grave de Madame Y est ainsi motivé
' Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 15 septembre 2009 nous vous convoquions à un entretien préalable pouvant déboucher sur un éventuel licenciement pour le 24 septembre 2009. Par le même courrier, nous vous confirmions votre mise à pied à titre conservatoire signifiée oralement le 14 septembre 2009.
Vous n'avez pas jugé utile de vous présenter à cet entretien.
Malgré le temps de notre réflexion, notre appréciation des faits ne nous a pas permis de revenir sur notre décision.
Les griefs que nous sommes amenés à formuler à votre endroit sont
Le 14 septembre 2009 à 16 h 00 vous vous êtes rendu dans le bureau de votre directeur pour vous entretenir au sujet d'un courrier que vous aviez reçu en recommandé de la part de la société concernant une convocation en vue d'une sanction sur laquelle vous n'étiez pas d'accord.
Au cours de cette entrevue, vous m'avez insulté ainsi que l'entreprise en tenant des propos plus que vulgaires et injurieux. En effet vous avez employé les termes suivant à l'égard de votre direction et de votre entreprise
o " SUPER U bandes d'enculés "
o " je vais te niquer ta race "
o " je vais te casser la tête "
En conséquence et au regard de la gravité de cette faute, nous vous notifions par la présente votre
licenciement immédiat pour faute grave, sans préavis ni indemnité de rupture [...]'.
La société SEDIS produit trois attestations de salariés (Monsieur ..., Madame ..., Madame ...) déclarant 'avoir vu et entendu Madame Y le 14 septembre 2009, à 16h, hurler, injurier et proférer des menaces à l'encontre de Monsieur ... et du Super U'.
Ces attestations n'emportent cependant pas la conviction alors qu'elles émanent de personnes liées à la société SEDIS par un lien de subordination, qu'elles sont rédigées dans des termes quasi-identiques et appellent les observations suivantes
- l'attestation de Monsieur ... ne respecte pas les conditions de l'article 202 du code de procédure civile (notamment absence de justificatif d'identité, de mention du lien avec la partie, de mention relative aux conséquences d'une fausse déclaration),
- au moins deux des attestants (Monsieur ... et Madame ...) sont également intervenus dans le licenciement de Monsieur ..., salarié accusé lui aussi d'avoir injurié Monsieur ... et le Super U.
Monsieur ... a en effet témoigné contre ce salarié dans les mêmes termes que pour Madame Y et Madame ... a signé la lettre de licenciement de Monsieur ...,
- alors que les parties sont concordantes sur le fait que la discussion s'est déroulée dans le bureau du directeur et sur le fait qu'il s'agissait d'un entretien sollicité par Madame Y, les témoins sont particulièrement taisants sur les circonstances dans lesquelles ils ont pu 'voir' et 'entendre' Madame Y, alors que cette dernière soutient que l'entretien a eu lieu porte fermée et sans témoins,
- enfin, il convient de relever qu'aucun des témoins ne précise les termes employés par Madame Y, ceux-ci ne figurant que dans la lettre de licenciement.Il en résulte que ces attestations, peu probantes, sont insuffisantes à établir la preuve de la faute commise par Madame Y.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a dit le licenciement de Madame Y dénué de cause réelle et sérieuse.3- Sur les conséquences financières du licenciement
Les sommes allouées par les premiers juges au titre de la mise à pied, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés payés y afférents doivent être confirmées.
Au moment de la rupture de son contrat de travail, Madame Y avait au moins deux années d'ancienneté et la SAS SEDIS employait habituellement au moins onze salariés.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, la salariée peut donc prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu'elle a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement, soit en l'espèce 8.480 euros.
Madame Y ne justifiant par ailleurs d'aucun préjudice supplémentaire, il convient de lui allouer la somme précitée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En outre, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner le remboursement par la SAS SEDIS à PÔLE EMPLOI des indemnités de chômage payées à Madame Y du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.
4- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La SAS SEDIS succombant dans le cadre de la présente procédure, elle devra supporter la charge des dépens d'appel et il y a lieu de la débouter de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, elle devra verser à ce titre à Madame Y une somme de 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, CONTRADICTOIREMENT,
CONFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes d'ALBI en date du 23 février 2011 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE la SAS SEDIS de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS SEDIS aux dépens d'appel et à payer à Madame Céline Y la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par C. ..., président et H. ..., greffier.
Le greffier Le président
H. ... C. ...
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