Jurisprudence : CAA Marseille, 6e, 09-07-2012, n° 11MA02796



N° 11MA02796

M. Gustave TRANI

Mme Felmy, Rapporteur
Mme Markarian, Rapporteur public

Audience du 18 juin 2012

Lecture du 9 juillet 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

PCJA : 24-01

La Cour administrative d'appel de Marseille


6ème chambre


Vu la requête, enregistrée le 19 juillet 2011, au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 11MA02796, présentée pour M. Gustave TRANI, demeurant au 142 avenue du Prado à Marseille (13008), par la SCP Carlini & Associés, avocat ;

M. Gustave TRANI demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001204 du 19 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 5 octobre 2010 par laquelle le préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, a transféré d'office, dans le domaine public de la commune de Bonifacio, la voie privée dénommée chemin de Pruniccia, ainsi que l'ordonnance d'expropriation en date du 21 décembre 1987 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Corse du Sud en date du 5 octobre 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

.............

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment l'article 17 ;

Vu la Constitution, notamment l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Vu le code civil, notamment l'article 545 ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l'urbanisme, notamment l'article L. 318-3 ;

Vu le code de la voirie routière ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 juin 2012 :

- le rapport de Mme Felmy, rapporteur,

- les conclusions de Mme Markarian, rapporteur public,

- et les observations de Me Tchiftbachian représentant M. TRANI ;

Considérant que le 18 août 1986, les travaux d'aménagement du chemin communal de Pruniccia devant permettre de créer une liaison entre le chemin de Piantarella et celui de Cala Longa ont été déclarés d'utilité publique par arrêté du sous-préfet de Sartène ; que M. TRANI a été exproprié des parcelles M 486, M 493 et M 489, dont il était propriétaire indivis au lieu-dit Pruniccia sur le territoire de la commune de Bonifacio par ordonnance du président du Tribunal de grande instance d'Ajaccio en date du 21 décembre 1987 ; qu'en juin 2009, une enquête publique préalable au transfert d'office du chemin de Pruniccia dans le domaine public communal a été ouverte par arrêté du maire de Bonifacio ; que le 7 août 2009, le conseil municipal de cette commune a approuvé par délibération le transfert d'office du chemin de Pruniccia dans le domaine public en demandant au préfet de prendre l'arrêté correspondant ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. TRANI tendant à l'annulation de la décision en date du 5 octobre 2010 par laquelle le préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, a transféré d'office, dans le domaine public de la commune de Bonifacio, la voie privée dénommée chemin de Pruniccia ;

Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ; qu'aux termes de l'article 545 du code civil : " Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité " ; qu'aux termes de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par le loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général " ; qu'aux termes de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme : " La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d'habitations peut, après enquête publique, être transférée d'office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées " ; qu'un tel transfert est conditionné, sous le contrôle du juge administratif, par l'ouverture à la circulation générale de ces voies, laquelle résulte de la volonté exclusive de leur propriétaire d'accepter l'usage public de son bien et de renoncer à son usage purement privé ; que le législateur a entendu en tirer les conséquences en permettant à l'autorité administrative de conférer à ces voies privées ouvertes à la circulation publique un statut juridique conforme à leur usage ; que ce transfert libère les propriétaires de toute obligation et met à la charge de la collectivité publique l'intégralité de leur entretien, de leur conservation et de leur éventuel aménagement ; qu'au demeurant, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour le propriétaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport du commissaire enquêteur, que la voie concernée par l'incorporation au domaine public communal dessert un groupe d'habitations et assure une liaison entre le chemin de Piantarella et la route départementale 258 et qu'à la suite de la procédure d'expropriation achevée en 1987, le chemin de Pruniccia a été inclus dans le domaine public communal ; que la décision attaquée a pour objet de légaliser l'élargissement de cette voie au-delà du domaine public communal ; que, toutefois, l'élargissement d'une voie publique n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme alors même que, par les aménagements réalisés visant à améliorer les conditions de circulation, l'emprise de la voie publique a été de fait étendue sur les propriétés privées riveraines ; qu'en procédant de la sorte au transfert d'office de la voie dans le domaine public de la commune de Bonifacio, le préfet de la Corse-du-Sud a entaché sa décision de détournement de procédure ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. TRANI est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. TRANI la somme que la commune de Bonifacio demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. TRANI et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bastia du 19 mai 2011 et l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 5 octobre 2010 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. TRANI la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la commune de Bonifacio tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Gustave TRANI, à la commune de Bonifacio et au ministre de l'intérieur.

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