Décision AMF, 28-10-2011, A L'EGARD DE LA SOCIETE TOCQUEVILLE FINANCE ET DE M. MARC TOURNIER, sanction

Décision AMF, 28-10-2011, A L'EGARD DE LA SOCIETE TOCQUEVILLE FINANCE ET DE M. MARC TOURNIER, sanction

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L3713IRX



DÉCISION DE SANCTION

DU 28 OCTOBRE 2011

À L'ÉGARD DE LA SOCIETE TOCQUEVILLE FINANCE ET DE M. MARC TOURNIER

La 1ère section de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (ci-après " AMF ") :

Vu du code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-14 et L. 621-15, ainsi que ses articles R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu le règlement général de l'AMF, notamment ses articles 631-1 et 631-2 relatifs aux manipulations de cours ;

Vu les notifications de griefs adressées le 5 novembre 2010 à la société Tocqueville Finance (ci-après " Tocqueville ") et à M. Marc Tournier ;

Vu la décision du 9 décembre 2010 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Jean-Jacques Surzur, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 14 décembre 2010 informant les mis en cause de la nomination en qualité de rapporteur de M. Jean-Jacques Surzur et leur rappelant la faculté d'être entendus, à leur demande ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 15 décembre 2010 adressées aux mis en cause, les avisant de la possibilité leur appartenant de demander la récusation du rapporteur ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 4 janvier 2011, par lesquelles M. Marc Tournier et M. A, en sa qualité de directeur général de Tocqueville, ont indiqué qu'ils souhaitaient être entendus et qu'ils ne répondraient aux griefs qui leur étaient reprochés qu'une fois avoir été entendus ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 22 mars 2011 par lesquelles MM. Marc Tournier, B (gérant d'OPCVM chez Tocqueville, entendu comme témoin) et A (directeur général de Tocqueville) ainsi que C (président du conseil d'administration de la société X, entendu comme témoin), ont été convoqués pour être entendus par le rapporteur ;

Vu la lettre en date du 1er avril 2011 de Maitre François Klein qui a demandé, au nom et pour le compte des mis en cause, un report des auditions de ses clients prévues initialement le 29 avril 2011 ;

Vu les lettres de convocation des auditions des mis en cause en date du 5 avril 2011 ;

Vu la lettre en date du 9 juin 2011 par laquelle Maitre François Klein a sollicité du rapporteur un nouveau délai pour répondre aux notifications de griefs ;

Vu la lettre de réponse du rapporteur en date du 17 juin 2011 fixant le délai de réponse au 25 juin 2011 ;

Vu la lettre de Maitre François Klein en date du 20 juin 2011 sollicitant un report du délai de réponse au 30 juin 2011 ;

Vu la lettre du rapporteur en date du 23 juin 2011 confirmant le délai de réponse au 25 juin 2011 ;

Vu les observations en réponse aux notifications de griefs déposées par M. Marc Tournier et Tocqueville le 24 juin 2011 ;

Vu la lettre en date du 28 juin 2011 par laquelle il a été indiqué aux mis en cause que la procédure serait désormais examinée par la 1ère section de la Commission des sanctions ;

Vu la lettre en date du 6 juillet 2011 par laquelle Maître François Klein a été informé de la fixation au 28 octobre 2011 de la date de la séance de la Commission des sanctions de l'AMF qui se prononcera sur les griefs reprochés aux mis en cause ;

Vu le rapport du rapporteur en date du 14 septembre 2011 ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 14 septembre 2011 portant convocation à la séance de la Commission des sanctions, auxquelles était annexé le rapport signé du rapporteur, adressées à Tocqueville et M. Marc Tournier ;

Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 12 octobre 2011 informant les mis en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance, et de leur faculté de demander la récusation de l'un des membres de cette Commission ;

Vu les observations écrites supplémentaires en réponse au rapport du rapporteur, adressées pour le compte de Tocqueville et de M. Marc Tournier, en date du 30 septembre 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance publique du 28 octobre 2011 :

- M. Jean-Jacques Surzur en son rapport ;

- M. Jean-Jacques Barberis, représentant le directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler ;

- Mme Audrey Micouleau-Kerting, représentant le Collège de l'AMF ;

- La société Tocqueville, représentée par son directeur général, M. A ;

- M. Marc Tournier ;

- Maîtres François Klein et Jean-Jacques Daigre, conseils des mis en cause ;

les personnes mises en cause ayant pris la parole en dernier.

FAITS ET PROCEDURE

[…]

En 2009, le titre X était coté sur le compartiment C de NYSE Euronext Paris et il l'est actuellement sur Alternext.

Au 30 juin 2009, l'actionnariat de la société X était principalement composé de la société Y (ci-après " Y "), qui détenait 75,18 % du capital de l'émetteur, de Tocqueville Finance SA (ci-après " Tocqueville "), qui en possédait 10,28 %, et de la société Z (ci-après " Z "), dont la participation représentait 1,81 % du capital. Le flottant étant relativement faible (12,73 %), le marché du titre X était peu liquide.

A la suite de l'augmentation de capital autorisée par l'assemblée générale du 30 juin 2009 et réalisée en octobre 2009, qui s'est traduite par l'émission de 1 252 137 actions nouvelles ayant généré un produit de 11,9 M€, le capital de la société X est passé de 2,5 M€ à 4,4 M€ et la participation de Tocqueville a atteint 16,07 % ; la société Y y a souscrit par la voie d'une compensation de sa créance, le montant créditeur de son compte courant étant incorporé au capital.

Dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés, la Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés (ci-après " DESM ") de l'AMF a noté à plusieurs reprises de forts rebonds du cours de l'action X sans raisons apparentes.

Ainsi, le 26 juin 2009, le cours s'est apprécié de 41,25 %, passant de 8 euros à 11,30 euros. Les 5 et 6 août 2009, il a connu de nouveau une forte hausse, de 17 %, et est passé de 9,70 euros à 11,35 euros. Enfin, le 28 août 2009, le titre s'est apprécié de 6,60 % au cours de la séance, passant de 10,60 euros à 11,30 euros.

Au cours de cette période, aucune communication de la part de la société X ne paraissait pouvoir expliquer un tel engouement pour la valeur.

Une analyse approfondie des principaux acheteurs au cours des séances de forte hausse a mis en évidence les interventions des fonds gérés par Tocqueville ainsi que celles de son directeur général délégué, M. Marc Tournier. Cumulées, celles-ci ont représenté entre 73 % et 100 % des volumes échangés au cours des séances concernées et ont provoqué la hausse systématique du cours du titre X.

Ces éléments ont conduit le secrétaire général de l'AMF à ouvrir une enquête, le 1er décembre 2009, " sur les interventions sur le marché du titre X à compter du 1er janvier 2009 ". L'enquête a été réalisée par la DESM, qui a déposé son rapport le 17 septembre 2010.

Le 6 octobre 2010, la Commission spécialisée n° 1 du Collège de l'AMF a décidé, au vu de ce rapport, de notifier des griefs à la société Tocqueville Finance et à M. Marc Tournier à titre personnel, en sa qualité de directeur général délégué de Tocqueville. Les notifications ont été faites par des lettres recommandées avec demandes d'avis de réception en date du 5 novembre 2010 informant les mis en cause du délai de deux mois dont ils disposaient pour présenter des observations écrites, ainsi que des possibilités qui leur étaient offertes de se faire assister de toute personne de leur choix et de prendre connaissance des pièces du dossier dans les locaux de l'AMF.

Copie des notifications de griefs a été transmise, le 5 novembre 2010, au président de la Commission des sanctions, qui a désigné M. Jean-Jacques Surzur en qualité de rapporteur, ce dont Tocqueville et M. Marc Tournier ont été informés par lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 14 décembre 2010 leur rappelant leur faculté d'être entendus, conformément à l'article R. 621-39-I du code monétaire et financier, et, dans le délai d'un mois, de demander la récusation du rapporteur, dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code précité.

Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 4 janvier 2011, M. Marc Tournier et M. A, en sa qualité de représentant de Tocqueville dont il est le directeur général, ont fait part au rapporteur de leur souhait d'être entendus avant de répondre aux griefs qui leur étaient notifiés.

MM. Marc Tournier et A, ainsi que MM. B, gérant d'OPCVM chez Tocqueville, et C, président du conseil d'administration de la société X, ont été convoqués le 22 mars 2011, pour être entendus - les deux derniers en qualité de témoins - le 29 avril 2011.

Toutefois, par courrier du 1er avril 2011, Maitre François Klein, au nom et pour le compte des mis en cause, a demandé un report des auditions de ses clients.

Le rapporteur a finalement entendu, sur nouvelles convocations, MM. Marc Tournier et B le 2 mai 2011, MM. A et C, le 3 mai 2011.

Les observations en réponse aux notifications de griefs n'ont été déposées par les deux mis en cause que le 24 juin 2011.

Tocqueville et M. Marc Tournier ont été convoqués à la présente séance par lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 14 septembre 2011, auxquelles était joint le rapport du rapporteur.

Les mis en cause ont également été informés, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 12 octobre 2011, de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander, dans un délai de 15 jours, la récusation d'un ou plusieurs des membres, en application des articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Les observations en réponse au rapport du rapporteur ont été adressées par Maître François Klein le 30 septembre 2011.

MOTIFS DE LA DECISION

1 - Sur le grief de manipulation de cours

Considérant qu'il est reproché à Tocqueville et à M. Marc Tournier, sur le fondement des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l'AMF, d'avoir " procédé à une manipulation de cours " à l'occasion de l'acquisition, le 26 juin 2009 par ce dernier, agissant " au nom de la société de gestion de portefeuille Tocqueville Finance et pour le compte du fonds commun de placement Ulysse " dont il assurait la gestion, " de 9 637 actions X, alors que le marché moyen quotidien " de ce titre " depuis le début de l'année était seulement de 85 titres ";

Considérant qu'aux termes de l'article 631-1 1° du règlement général de l'AMF, " Toute personne doit s'abstenir de procéder à des manipulations de cours.

Constitue une manipulation de cours :

1°/ Le fait d'effectuer des opérations et d'émettre des ordres ;

a) qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ou ;

b) qui fixent, par l'action d'une ou plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel,

(…)

à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ; (…) ".

Considérant que l'article 631-2 du même règlement précise que : " Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l'article 631-1 :

1° L'importance de la part du volume quotidien des transactions représentée par les ordres émis ou les opérations effectuées sur l'instrument financier concerné, en particulier lorsque ces interventions entraînent une variation sensible du cours de cet instrument ou de l'instrument sous-jacent ;

2° L'importance de la variation du cours de cet instrument ou de l'instrument sous-jacent ou dérivé correspondant admis à la négociation sur un marché réglementé, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un instrument financier ; (…) ".

Considérant qu'il est établi que le 26 juin 2009, M. Marc Tournier a acquis, pour le compte du fonds commun de placement Ulysse, 9 637 titres X alors que, entre le 1er janvier 2009 et le 22 avril 2009, le marché quotidien était seulement d'environ 80 actions ; que ses interventions sur les titres X ont représenté 99,99 % du volume des transactions effectuées ce jour là et environ 120 fois la moyenne quotidienne des volumes échangés depuis le début de l'année ; qu'à la clôture du marché, le 26 juin 2009, le cours de l'action X s'est apprécié de 41,25 %, passant de 8 euros à 11,30 euros ;

Considérant que ces éléments, qui constituent autant d'indices d'une manipulation de cours au sens de l'article 631-2, 1° et 2° du règlement général de l'AMF, sont en outre confortés par l'analyse du mode opératoire utilisé ;

Considérant qu'en l'espèce, M. Marc Tournier, en charge de la gestion du fonds commun de placement Ulysse, qui était présent à la table de négociation le 26 Juin 2009, a donné instruction aux assistants du back office de Tocqueville de passer, pour le compte de ce fonds, une série d'ordres " exécutés ou éliminés " (ci-après " EOE ") sur l'action X à des cours déterminés de manière systématiquement croissante, sans rapport avec ceux qui s'établissaient antérieurement sur ce marché ; que les ordres EOE ont en effet été passés, par rapport aux mentions du carnet d'ordres du titre chez Euronext :

- à un cours supérieur à celui de la meilleure limite de vente (ci-après " MLV "),

- pour une quantité de titres plus importante que celle présente à cette MLV ;

Considérant que l'exécution, le plus souvent partielle, de chacun de ces ordres a, mécaniquement, entraîné un décalage à la hausse de la MLV ; qu'en outre, à peine un ordre d'achat EOE avait-il été réalisé pour partie, éliminé pour le reste, que les assistants du back office passaient un nouvel ordre de même nature, à un prix plus élevé ;

Considérant que, parallèlement, ont été transmis, toujours sur instructions de M. Marc Tournier, trois ordres d'achat " stricts ", c'est à dire à un prix déterminé, ce qui a eu pour effet de fixer, en la plaçant dans le carnet d'ordres, une nouvelle meilleure limite à l'achat majorée, selon les cas, dans une proportion de 7,1 % à 11,1 % ; que, par ce procédé, M. Marc Tournier a fait évoluer à la hausse la meilleure limite à l'achat du titre X en même temps qu'il a pu chercher à éviter un " gel " de la valeur, c'est à dire la suspension de sa cotation qui intervient automatiquement s'il existe un trop grand écart par rapport aux meilleures limites d'achat et de vente figurant sur le carnet d'ordres ;

Considérant que cette analyse est confirmée par l'enregistrement des conversations téléphoniques des assistants du back office faisant état de " notre point haut " à 8,95 et posant la question " on n'a pas gelé la valeur … elle n'est pas gelée ? … parce qu'on vient de faire…on vient de monter à … ", ce qui a amené la réponse suivante : " Oui, mais c'est à 96 (8,96) que ça la gèle " ;

Considérant qu'au total, le 26 juin 2009, Tocqueville a passé quinze ordres d'achat, dont onze ordres EOE, trois ordres stricts et un ordre " soignant " ; que ces ordres, marquant une position significative sur le marché, se sont répartis en trois " rafales ", de 12 H 52 à 12 H 55, de 13 H 19 à 13 H 22 puis de 15 H 24 à 15 H 33, dont chacune comportait des ordres EOE et un ordre strict, et qui ont porté, en tout, sur 25 000 titres X ; que, si ces ordres d'achat multiples n'ont permis d'acquérir que 9 637 actions, ils ont entraîné une hausse du cours de 41,25 % et une évolution de la meilleure limite à l'achat de 27,4 % ;

Considérant qu'une telle augmentation du cours de la valeur ne peut s'expliquer par aucun élément objectif relatif à l'évolution de la situation de la société X ou à sa communication financière ; qu'étant dépourvue de toute justification rationnelle, elle apparaît donc bien " anormale " au sens du b) de l'article 631-1-1° susvisé ;

Considérant que les mis en cause font valoir qu'une hausse ne peut être regardée comme telle que si le cours du titre retombe ensuite rapidement, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce puisqu'il s'est maintenu jusqu'à la mi-octobre 2009 à un peu plus de 10 euros ;

Considérant que cet argument ne saurait être retenu dès lors que, dans un marché très peu liquide comme celui de l'action X, si le cours s'est effectivement maintenu durant l'été 2009, c'est essentiellement en raison des interventions de M. Marc Tournier et de Tocqueville ; qu'ainsi, alors que le volume moyen des titres traités quotidiennement en juillet 2009 était limité à 32, le fonds Ulysse en a acquis 20 000 à l'ouverture de la séance du 24 juillet 2009 et M. Marc Tournier, pour son compte personnel, 1 000 le 27 juillet 2009 ; que ce dernier a acheté, toujours pour son compte personnel, 2 427 titres les 5 et 6 août 2009, tandis que, les 27 et 28 août 2009, le fonds Ulysse en a acquis 1 355 ; que, le 31 août 2009, c'est sur la base de la moyenne des cours des vingt jours précédents que le conseil d'administration de la société X a fixé à 9,5 euros le prix de l'augmentation de capital ; que ce cours est, au demeurant, inférieur de 15 % à celui obtenu le 26 juin 2009 ; qu'ainsi, les ordres émis ce jour là par Tocqueville, sur les instructions de M. Marc Tournier, ont bien conduit à fixer le cours du titre X à un niveau " anormal ", la façon d'opérer correspondant exactement aux hypothèses envisagées aux 1° et 2° de l'article 631-2 précité ;

Considérant que les mis en cause tentent de justifier l'intervention qui leur est reprochée par la stratégie d'acquisition à long terme que M. Tournier aurait mise en oeuvre sur ce titre, selon lui sous-évalué, et par le souhait de réduire le coût moyen d'acquisition des actions X, qui s'élevait précédemment, pour le fonds Ulysse, à 12,88 euros ;

Considérant, cependant, que le mode opératoire utilisé apparaît incompatible avec ces explications ; qu'interrogé par les enquêteurs sur la stratégie développée par M. Marc Tournier le 26 juin 2009, son collaborateur M. B, co-gérant du fonds Ulysse, a répondu : " je n'ai pas le souvenir qu'on ait décidé à ce moment là de renforcer notre position " ; que, d'ailleurs, l'intervention litigieuse n'a permis d'acquérir qu'un nombre relativement limité de titres ; que, dans le cadre de la stratégie à long terme dont il se réclame, M. Marc Tournier aurait eu tout loisir d'acquérir les actions X en intervenant à de multiples reprises, sur différents jours, d'autant qu'une partie des ordres de vente exécutés le 26 juin 2009 étaient présents dans le carnet d'ordres depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois ; que des acquisitions plus étalées dans le temps auraient pu être faites pour un volume plus important et à un prix bien moindre de sorte que, même si les frais de transaction eussent été plus significatifs, le coût global - avant l'augmentation de capital comme au moment de la fixation du prix de celle-ci - eût été plus avantageux pour les clients, tandis que la réduction du montant moyen d'acquisition prétendument souhaitée eût été beaucoup plus forte ;

Considérant que l'intervention objet du grief, si elle ne peut trouver sa justification dans une prétendue stratégie d'acquisition, s'explique parfaitement au regard du contexte de l'époque ;

Considérant qu'il résulte en effet des auditions de M. C, président du conseil d'administration de la société X, et de M. Marc Tournier qu'à la suite d'une proposition faite par le premier au second, en septembre 2008, de racheter la position de Tocqueville, comme l'a indiqué M. Marc Tournier (cote D 0000625), en octobre 2008, le marché a baissé de 20 %, ce qui a provoqué " un mouvement important de rachat dans nos fonds " et la nécessité " de réaliser certaines de nos positions pour pouvoir faire face à ces rachats ", de sorte qu'il a repris contact avec M. C ; que plusieurs échanges téléphoniques ont eu lieu dans cette perspective, notamment en octobre et décembre 2008 ; que cette dernière conversation a été conflictuelle, car M. Marc Tournier estimait que le prix de rachat des titres détenus par les fonds gérés par Tocqueville ne pouvait être inférieur à 16 euros, tandis que M. C proposait un prix inférieur à celui du marché ;

Considérant qu'il ressort de divers éléments, et notamment de l'échange téléphonique du 30 juin 2009 entre MM. Marc Tournier et B, que l'opération du 26 juin 2009 a très probablement été motivée par une volonté de faire pression sur la société X pour obtenir un bon prix de sortie des titres détenus ;

Considérant, en effet, que le 30 juin 2009, soit quatre jours après les faits litigieux, s'est tenue, en présence de M. B, l'assemblée générale des actionnaires de la société X, à l'issue de laquelle ce dernier a eu un entretien, seul à seul, avec M. C ; que, quelques instants après, M. Marc Tournier a eu une conversation téléphonique avec M. B, auquel il a posé d'emblée la question " T'as une offre, t'as une offre ? " et rétorqué, à la suite de la réponse négative de son interlocuteur, " Mais attends, moi, je serais venu avec toi on serait repartis avec une offre ", puis : " J'aurais pas quitté les locaux de la société X sans une offre " ; qu'au cours de cette conversation téléphonique, M. B a ajouté avoir été interpellé par M. C sur la raison pour laquelle lui-même et M. Marc Tournier avaient " tiré le cours de bourse " pour leurs " comptes au 30 juin " alors que " monter le cours de bourse, mais ça ne veut rien dire (…) vous ne vous rendez pas compte, 0,6 % du capital de la société X comme ça… je comprends pas ", et avoir, en réponse, prétendu qu'ils n'avaient " jamais acheté de titres "(cotes D 0000563 à D 0000566) ;

Considérant que, quelles que soient les réserves que l'on peut avoir sur leur objectivité, les propos de M. C lors de ses auditions tant par les enquêteurs (" Il ne faut pas perdre de vue que le seul objectif de Tocqueville est de vendre sa participation ") que par le rapporteur (" Quand ils m'ont approché pour céder leur participation, je leur ai dit pourquoi pas, mais au cours du jour ") viennent également confirmer la nature de l'objectif réellement poursuivi par les mis en cause ;

Considérant que, comme M. C semble l'avoir indiqué lors de son échange du 30 juin avec M. B, l'amélioration de la valorisation des fonds gérés par Tocqueville - du fait d'une hausse de plus 40% d'une part des actions en portefeuille - même si elle n'était pas déterminante, peut également avoir été prise en considération par M. Marc Tournier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, le 26 juin 2009, le cours de l'action X a été fixé grâce à des prises de positions à l'achat massives à des niveaux de prix supérieurs à ceux établis antérieurement, et procédant de techniques destinées à faire monter le cours à un niveau anormal, sans que puissent être invoquées ni une quelconque légitimité dans la gestion des intérêts des porteurs ni la conformité des opérations à une pratique de marché admise ; qu'en effet, compte tenu de la manière dont elle a été effectuée, l'opération litigieuse parait bien avoir été motivée, non pas par la volonté d'acquérir davantage d'actions, mais par l'objectif d'améliorer la valeur de la participation de Tocqueville dans la société X et, surtout, d'obtenir le rachat de cette participation à un prix très favorable ;

Considérant que le manquement, constitué en tous ses éléments, est imputable tant à M. Marc Tournier qu'à la société de gestion de portefeuille Tocqueville Finance pour le compte de laquelle celui-ci a agi ; que l'absence d'enrichissement direct des mis en cause est dépourvue de toute incidence sur la caractérisation de la manipulation de cours, et ne sera prise en compte que dans l'évaluation des sanctions pécuniaires ;

2 - Sur les sanctions et la publication

Considérant qu'en application des a) et b) de l'article L. 621-15 III du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, la société Tocqueville Finance et M. Marc Tournier encourent une sanction professionnelle et une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur, pour la première, à 10 millions d'euros, pour le second, à 1,5 million d'euros ;

Considérant que le manquement, particulièrement grave, appelle le prononcé de sanctions d'autant plus sévères qu'il a été commis par une société et une personne physique exerçant l'activité de prestataires de services d'investissement ; qu'en outre, les mis en cause ont déjà été sanctionnés en cette qualité ; qu'en effet, le Conseil de discipline de la gestion financière a, le 30 juin 2003, prononcé un blâme et une sanction pécuniaire à l'encontre de M. Marc Tournier ainsi qu'un avertissement à l'encontre de la société Tocqueville Finance en raison d'opérations intervenues entre le fonds Ulysse et des comptes gérés sous mandat, lesquelles n'avaient pas été réalisées dans l'intérêt des porteurs ; que le 9 septembre 2004, cette dernière a, de nouveau, été sanctionnée, cette fois par la présente Commission autrement composée, qui lui a infligé un blâme et une sanction de 300 000 euros pour avoir manqué à ses obligations de disposer des moyens adaptés à ses activités, de soumettre à un agrément la délégation de la gestion financière d'OPCVM et de séparer l'activité de gestion pour compte propre de celle de gestion pour compte de tiers ;

Considérant que, postérieurement à ces deux décisions, le renouvellement délibéré d'un nouveau manquement qui, même s'il n'a pas procuré d'enrichissement direct aux mis en cause, revêt en lui même une particulière gravité, justifie que soient infligés :

- à la société Tocqueville Finance, un blâme et une sanction pécuniaire de 150 000 euros,

- à M. Marc Tournier, un blâme et une sanction pécuniaire de 250 000 euros ;

Considérant que l'article L. 621-15 du code monétaire et financier prévoit que " la décision de la Commission des sanctions est rendue publique " ; que, compte tenu des circonstances qui viennent d'être rappelées, la publication de la présente décision s'impose ; qu'elle sera donc ordonnée, sous une forme préservant l'anonymat des seules personnes qui n'ont pas été mises en cause dans la présente procédure ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par Mme France Drummond, MM. Jean-Claude Hanus et Bruno Gizard, membres de la 1ère section de la Commission des sanctions, en présence du secrétaire de séance,

DÉCIDE DE :

- prononcer un blâme et une sanction pécuniaire de cent cinquante mille euros (150 000 €) à l'encontre de la société Tocqueville Finance ;

- prononcer un blâme et une sanction pécuniaire de deux cent cinquante mille euros (250 000 €) à l'encontre de M. Marc Tournier ;

- publier la présente décision sur le site internet de l'AMF et dans le recueil des décisions de la Commission des sanctions, sous la forme préservant l'anonymat des personnes non mises en cause.

À Paris, le 28 octobre 2011.

Le Secrétaire de séance, Marc-Pierre JANICOT

La Présidente, Claude NOCQUET


Cette décision peut faire l'objet d'un recours dans les conditions prévues à l'article R. 621-44 du code monétaire et financier.

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