5ème Chambre
ARRÊT N° 404
R.G 10/04423
Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS
Société LA RÉUNION AERIENNE GIE
C/
M. Brahim X
Mme Lakri X
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le
à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président,
Monsieur Patrick GARREC, Conseiller,
Madame Agnès LAFAY, Conseiller,
GREFFIER
Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 13 Avril 2011
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 12 Octobre 2011, date indiquée à l'issue
des débats 15 juin 2011
****
APPELANTS
Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS
TREMBLAY EN FRANCE
représenté par la SCP Jean-Loup BOURGES - Luc BOURGES, avoués
assisté de Me Christophe CHARLES, avocat
Société LA RÉUNION AERIENNE GIE
PARIS
représenté par la SCP Jean-Loup BOURGES - Luc BOURGES, avoués
assisté de Me Christophe CHARLES, avocat
INTIMÉS
Monsieur Brahim X
REDON
représenté par la SCP GAUVAIN DEMIDOFF, avoués
assisté de Me Corinne DEMIDOFF, avocat
Madame Lakri X
REDON
représentée par la SCP GAUVAIN DEMIDOFF, avoués
assistée de Me Corinne DEMIDOFF, avocat
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I - CADRE DU LITIGE
A - OBJET
Action engagée en référé par Monsieur Brahim X et par Madame Lakri X contre la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS à la suite d'un aléa de parcours survenu le 22 octobre 2009 sur le tarmac de l'aéroport d'ANNABA (Algérie) (chute de Monsieur Brahim X sur le sol emportant une fracture de la rotule du genou gauche) tendant
- à voir ordonner une expertise médicale sur le fondement de l'article 145 du Code de Procédure Civile afin de déterminer les dommages corporels et personnels subis par Monsieur Brahim X découlant de la chute survenue,
- à voir la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS condamnée à payer les sommes suivantes, à titre provisionnel, à valoir sur les dommages patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis par les poursuivants
. 30 000,00 euros en réparation du dommage supporté par Monsieur Brahim X,
. 3 000,00 euros en réparation du dommage personnel supporté par Madame Lakri X qui évoque à cet égard les perturbations engendrées par l'événement alors que la famille X s'apprêtait à rentrer en France à la suite d'un séjour de vacances.
L'action étant, quant à la demande de versement de provisions, fondée sur l'article 809 du Code de Procédure Civile, le litige tient dans le fait, tenu pour inopérant en droit comme sur le plan de l'analyse des circonstances de la chute, que la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE, assureur de la compagnie aérienne, intervenu volontairement à la procédure en première instance, objectent aux époux X
- que le rapport de l'accident fait par Madame Lakri X dénonçant que son époux est tombé à l'occasion d'une opération de transfert de ses bagages sur un chariot qui devait les amener dans les soutes de l'avion ne caractérise pas un accident au sens de l'article 17 de la Convention de Montréal qui constitue le cadre légal de la discussion dans la mesure où il n'est nullement démontré que la chute, causée par la seule manipulation des bagages, résulte d'un événement extérieur soudain qui ne lui est pas imputable,
- que, par ailleurs, ce même rapport de l'accident lui permet d'opposer aux poursuivants une négligence au sens de l'article 20 de la Convention dans la mesure où ils ne rapportent aucunement la preuve que la manipulation des bagages, interdite aux passagers pour des raisons de sécurité et confiée à des manutentionnaires professionnels rompus à cet exercice, lui a été imposée par ses préposés, cette donnée ne ressortant que de leurs allégations consignées dans un écrit rédigé par Madame Lakri X qui ne satisfait pas les exigences formelles de l'article 202 du Code de Procédure Civile et émane d'une partie dont l'objectivité peut être discutée,
- que la demande de provision est fondée, en ce qui concerne Monsieur Brahim X, sur un certificat médical sujet à caution dès lors que reconnu entaché d'erreur et sur d'autres pièces médicales qui n'établissent nullement l'existence d'une relation de causalité entre les séquelles de l'accident et l'embauche d'un salarié un mois et demi après l'événement en sorte que le Juge des Référés a fait droit à tort à une demande qui se heurte à des contestations sérieuses,
- que la demande de provision est fondée en ce qui concerne Madame Lakri X sur l'allégation d'un dommage lié aux perturbations qu'a entraîné l'accident (séjour en Algérie prolongé de quelques jours avec la garde de deux enfants durant l'hospitalisation de son époux), dommage moral par ricochet qui n'atteint pas le seuil de gravité requis par la jurisprudence pour justifier une indemnisation à ce titre, à tenir même, ce qui est discutable, que ses seules déclarations suffisent à démontrer l'existence du dommage allégué et que le fait de rester seule avec ses enfants pendant une courte période est constitutif d'un dommage.
Dans la mesure où le GIE LA RÉUNION AERIENNE, assureur de la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS, est intervenu à la procédure en première instance et s'est joint à son assuré pour relever appel de la décision, Monsieur Brahim X et Madame Lakri X sollicitent devant la Cour la condamnation des deux appelantes à verser à Monsieur Brahim X la somme de 30 000,00 euros outre celle de 3 000,00 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et demandent confirmation de l'ordonnance pour le surplus de ses dispositions.
B - DÉCISION DISCUTEE
Ordonnance du Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de RENNES en date du 6 mai 2010 qui a, au visa de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 et des articles 145 et 809 du Code de Procédure Civile
- au fond, renvoyé les parties à se pourvoir comme elles l'aviseraient,
- donné acte au GIE LA RÉUNION AERIENNE de son intervention volontaire à la procédure en qualité d'assureur de la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS,
- ordonné l'expertise médicale requise par Monsieur Brahim X confiée au Docteur Etienne ..., expert judiciaire de la spécialités chirurgie orthopédique et traumatologique exerçant ... Jeanne d'Arc, Nantes, avec la mission d'usage en la matière, aux frais avancés de Monsieur Brahim X et de Madame Lakri X,
- condamné la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS à verser à Monsieur Brahim X la somme provisionnelle de 1 500,00 euros et à Madame Lakri X la somme provisionnelle de 600,00 euros à valoir sur la réparation définitive de leurs préjudices respectifs,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
C -
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE ont relevé appel de l'ordonnance par déclaration enregistrée au Greffe de la Cour le 10 juin 2010.
Les appelantes ont signifié, et déposé au greffe de la Cour le 5 avril 2011, leurs ultimes conclusions accompagnées d'un bordereau récapitulatif visant cinq documents versés aux débats.
Monsieur Brahim X et Madame Lakri X ont signifié, et déposé au Greffe de la Cour le 1er février 2011, leurs ultimes conclusions d'intimés accompagnées d'un bordereau récapitulatif visant quarante-cinq documents versés aux débats en première instance, un document communiqué au stade de l'appel le 1er février 2011 (pré-rapport déposé par le Docteur Marc ... le 12 novembre 2010).
Le Docteur Marc ... a été désigné en remplacement du Docteur Etienne ... par ordonnance du 25 mai 2010 émanant du Premier Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de RENNES, Juge chargé du contrôle de l'expertise.
II -
MOTIFS DE LA DÉCISION
Du témoignage de Madame Lakri X il ressort que son époux, Monsieur Brahim X, a fait une chute à l'occasion du transfert de leurs bagages sur un chariot qui devait être dirigé vers la soute de l'avion (pièce 12).
Ce témoignage n'est pas plus précis en ce qui a trait à la cause de cette chute, soit la rencontre d'un obstacle quelconque sur le sol, une glissade, le heurt inopiné d'un autre passager ou, simplement, une position adoptée au lever ou lors du transfert des bagages défiant les lois de l'équilibre.
Il est donné acte, cependant, aux appelantes du fait qu'elles ne contestent pas que la fracture de la rotule évoquée par les intimés est bien une conséquence de cette chute et qu'elles ne soutiennent pas que la chute serait la conséquence d'un malaise dont Monsieur Brahim X aurait subi les conséquences immédiates, ni que les conditions matérielles, de lieu et de temps, dans lesquelles elle est censée être survenue ne sont pas définitivement établies en l'état des pièces versées aux débats.
A partir de ce moment, et même si la cause de la chute reste inconnue en l'état seul du témoignage de Madame Lakri X, celle-ci demeure, au sens de l'article 17 de la Convention de Montréal, un accident dont elles sont responsables et, s'agissant de la Société GIE LA RÉUNION AERIENNE, tenue de couvrir les conséquences dommageables en application du contrat d'assurance.
En effet, leur affirmation de l'évidence d'une contestation sérieuse tenant à l'existence d'un accident, soit à l'existence d'un événement soudain provoqué exclusivement par un fait extérieur à la victime et imprévisible, n'est pas pertinente.
Dès lors qu'il n'est ni allégué que Monsieur Brahim X aurait été victime d'un malaise emportant sa chute, ni communiqué, en conséquence, la moindre pièce valant indice de la validité de cette hypothèse que la plupart des décisions judiciaires communiquées par les appelantes ont été appelées à discuter avant de se prononcer au fond, il n'est pas sérieusement contestable que cette chute résulte forcément d'un événement extérieur soudain et imprévisible, soit
- le heurt d'un obstacle fixé au sol ou un faux-pas/glissade induit par une manoeuvre quelconque du pied emportant une position de déséquilibre,
- l'effet général, lorsqu'il s'agit d'une chute découlant d'une rupture du point d'équilibre du corps, qu'elle découle d'une position naturelle ou provoquée par un poids déplaçant le centre de gravité, de la loi de la gravitation universelle, fait extérieur dont le déclenchement, imprévisible, emporte toute chute d'un corps qui, par maladresse, se trouve placé en position de déséquilibre.
Il ne peut donc être allégué sur la base des points de pur fait discutés que Monsieur Brahim X n'a pas été victime d'un accident au sens de l'article 17 de la Convention de Montréal sa chute, qu'elle ait pour origine un obstacle matériel ou une maladresse dans le déplacement, est la conséquence, sur le terrain, d'une loi physique qui lui est extérieure, qui est insurmontable et sanctionne immédiatement toute personne maladroite.
Les appelantes peuvent certainement évoquer que le seul témoignage de Madame Lakri X (pièce 12) laisse en suspens le point de savoir si, intervenant éventuellement spontanément, Monsieur Brahim X n'a pas commis une négligence au sens de l'article 20 de la Convention de Montréal cette question peut être soumise au Juge du fond.
Il n'est cependant pas sérieusement contestable que, fautif ou non en raison de cette initiative, Monsieur Brahim X ne peut, en tout état de cause, se voir opposer une faute de nature à exclure purement et simplement son droit à indemnisation elle n'est pas suffisamment établie et grave au regard des circonstances pour mettre en question un droit à indemnisation partiel tel que l'envisage l'article 20 de la Convention sous l'angle de l'exonération 'partielle' des responsables.
Sans entrer dans les méandres de la discussion poursuivie par les parties, il convient en conséquence d'admettre que le droit à indemnisation de Monsieur Brahim X ne souffre aucune discussion sérieuse dès lors qu'il est tenu compte, en référé, d'une exonération partielle de responsabilité dont peuvent se prévaloir les appelantes sur le fondement de l'article 20 de la Convention de Montréal en l'état, lacunaire, des éléments de preuve soumis à la Cour en ce qui a trait à la réalité des instructions données à Monsieur Brahim X afin qu'il transfère ses bagages sur un chariot.
Tenant compte de cette donnée autant qu'il convient, il y a lieu d'allouer en conséquence à Monsieur
Brahim X une provision limitée à 12 000,00 euros sur la base
- des conclusions du Docteur Marc ... dont il ressort que l'intimé peut faire valoir un dommage extra-patrimonial non négligeable au regard de la cotation des postes de préjudice relevant du déficit fonctionnel temporaire (total près de cinq mois, partiel deux mois) des souffrances endurées (3/7), du préjudice esthétique (1/7), outre le déficit fonctionnel permanent (4 %) et l'assistance tierce personne pendant plus de trois mois,
- des pièces médicales et avis de l'expert judiciaire, page 9, d'où il ressort que dans le cadre de la poursuite de son activité de prospection, essentielle pour une entreprise créée récemment (rapport pages 13, 14 et 19), il a dû recruter un chauffeur à compter du 2 décembre 2009 (contrat de travail CAMILLERI, à durée indéterminée) explication tout à fait cohérente au regard de la nature des séquelles de l'accident et de la durée de sa convalescence.
Les appelantes contestent vainement sur la base de principes aujourd'hui abandonnés par la jurisprudence que le dommage moral et les perturbations supportées par Madame Lakri X ne pourraient être indemnisées parce que ces dommages n'ont pas atteint un seuil de gravité suffisant pour justifier le principe d'une indemnisation.
La gestion de l'événement par Madame Lakri X durant quarante-huit heures à ALGER a, sous des angles divers aisés à imaginer (formalités administratives à l'hôpital, à l'aéroport, prise en charge de l'hébergement inopinée du foyer composé d'elle-même et de ses enfants ...), perturbé les conditions de son retour de vacances, dommage certain, direct et personnel au titre duquel le Premier Juge a alloué la provision de 600,00 euros qu'il convenait d'allouer et qui est donc confirmée.
Il est pris acte de l'absence de contestation exprimée par les appelantes sur le principe d'une expertise médicale qui, ordonnée sur le fondement de l'article 145 du Code de Procédure Civile, est, de fait, difficile à remettre en cause au regard du contexte qui a amené la survenance du dommage corporel l'expertise est donc également confirmée.
Perdant sur leur recours, les appelantes ne peuvent qu'être déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il serait en revanche inéquitable que les époux X conservent à leur charge les frais irrépétibles issus de l'appel les appelantes sont condamnées in solidum à leur verser une indemnité de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
III - DÉCISION
REFORME l'ordonnance déférée en ce qu'il en ressort que la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS a été condamnée à payer à Monsieur Brahim X une provision de 1 500,00 euros à valoir sur l'indemnisation de ses dommages corporels,
STATUANT de nouveau de ce chef,
CONDAMNE in solidum la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE à payer à Monsieur Brahim X une provision de 12 000,00 euros à valoir sur l'indemnisation de ses dommages extra-patrimoniaux,
CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes autres dispositions,
DÉBOUTE la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE à payer à Monsieur Brahim X et à Madame Lakri X la somme de 2 000,00 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles par eux exposés au cours de l'entière procédure,
CONDAMNE in solidum la Société AIGLE AZUR TRANSPORTS AERIENS SAS et le GIE LA RÉUNION AERIENNE aux dépens d'appel ; autorise la SCP GAUVAIN DEMIDOFF à les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,