COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac 80A
17ème chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 NOVEMBRE 2011
R.G. N° 10/03940
AFFAIRE
Yves Z Z
C/
S.A. GAZOCEAN
Décision déférée à la cour Jugement rendu le 28 Juin 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section Encadrement
N° RG 09/00465
Copies exécutoires délivrées à
Me Olivier ...
Me Philippe ...
Copies certifiées conformes délivrées à
Yves Z Z
S.A. GAZOCEAN
le
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE NOVEMBRE DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre
Monsieur Yves Z Z
PARIS
comparant en personne, assisté de Me Olivier KHATCHIKIAN, avocat au barreau de PARIS, affaire plaidée par Maître ...,
APPELANT
****************
S.A. GAZOCEAN
MARSEILLE
représentée par Me Philippe TOISON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle LACABARATS, Président chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de
Madame Isabelle LACABARATS, Président,
Madame Régine CAPRA, Conseiller,
Madame Agnès TAPIN, Conseiller,
Greffier, lors des débats Madame Christine LECLERC,
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 28 juin 2010 qui a
- condamné la SA GAZOCEAN à payer à Monsieur Yves Z Z les sommes de
* 38 025 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 3802,50 euros au titre des congés payés afférents,
* 792 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 7 610 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 56 784 euros à titre de contrepartie financière de clause de non-concurrence et 5 678,40 euros au titre des congés payés afférents, sauf à en déduire la somme de 6 125,45 euros accordée par ordonnance de référé rendue par le conseil de prud'hommes de Versailles le 24 juillet 2009,
- débouté Monsieur de KERMADEC du surplus de ses demandes,
- débouté la SA GAZOCEAN de sa demande reconventionnelle,
- condamné la SA GAZOCEAN aux dépens et au paiement, à Monsieur de KERMADEC, d'une somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la déclaration d'appel adressée au greffe de la cour pour Monsieur Yves Z Z et les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil qui demande à la cour de
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, réformant quant au quantum des indemnités,
- condamner la SA GAZOCEAN à lui verser les sommes de
* 39 736,82 euros au titre du solde de congés payés,
* 32 760,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 63 715,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 6 371,51 euros au titre des congés payés afférents,
* 382 290,48 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement,
- condamner la SA GAZOCEAN à lui verser la somme de 382 290,48 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
en tout état de cause,
- condamner la SA GAZOCEAN à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de solde d'indemnité de double résidence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA GAZOCEAN à lui verser la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence,
réformant quant au quantum,
- condamner la SA GAZOCEAN à lui verser la somme de 127 430,16 euros à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence et 12 743 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la SA GAZOCEAN aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil pour la SA GAZOCEAN qui entend voir
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur de KERMADEC de sa demande de requalification de son mandat social en contrat de travail, de ses demandes y afférentes et de ses demandes à titre d'indemnité de double résidence,
infirmant le jugement pour le surplus,
- débouter Monsieur de KERMADEC de l'intégralité de ses demandes,
- débouter Monsieur de KERMADEC de sa demande au titre de la clause de non-concurrence et infirmer en conséquence l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Versailles du 24 juillet 2009,
subsidiairement,
- limiter les indemnités octroyées aux sommes de
* 38 025 euros bruts à titre de 5 mois de préavis tenant compte du mois versé en mars 2009,
* 792 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- confirmer l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Versailles du 24 juillet 2009 en ce qui concerne la clause de non-concurrence,
très subsidiairement,
- limiter les indemnités octroyées aux sommes de
* 21 547,62 euros à titre d'indemnité de licenciement
* 100 391 euros au titre de la clause de non-concurrence, la SA GAZOCEAN qui a déjà versé la somme de 95 327 euros s'engageant à verser la somme 5 064 euros comprenant les congés payés,
en toute hypothèse,
- condamner Monsieur de KERMADEC aux dépens et au paiement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
LA COUR,
Considérant que Monsieur Yves Z Z a été engagé par la SA GAZOCEAN à compter du 1er février 2001, en qualité de directeur général adjoint, par contrat à durée indéterminée prévoyant, conformément à la convention collective du Personnel Sédentaire des Entreprises de Navigation Libres, une période probatoire de neuf mois comportant une période d'essai de 3 mois et un stage de six mois, les parties disposant pendant cette période de la faculté de se délier, sans préavis pendant le premier mois et moyennant un préavis réciproque d'un mois au delà du premier mois ;
Que, nommé directeur général par délibération du conseil d'administration de la société du 29 juin 2001, Monsieur de KERMADEC a été révoqué de son mandat de directeur général par délibération du 11 mars 2009 ;
Que, par lettre recommandée avec avis de réception du 13 mars 2009, la SA GAZOCEAN a mis fin à son contrat de travail en invoquant la rupture de la période probatoire, celle-ci ne lui ayant pas donné satisfaction ;
Que par lettre du 20 avril 2009, la SA GAZOCEAN a adressé à Monsieur de KERMADEC ses bulletins de paie pour la période du 12 mars au 16 avril 2009, son certificat de travail, une attestation Assedic ainsi que son solde de tout compte et l'a dispensé de tout engagement de non concurrence ;
Que par ordonnance du 24 juillet 2009, le conseil de prud'hommes, statuant en référé, a ordonné à la SA GAZOCEAN de verser à Monsieur de KERMADEC la somme de 6 126,45 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;
Considérant, sur la requalification de la relation de travail, que Monsieur de KERMADEC prétend, au principal, que l'ensemble de la relation qui l'a uni à la SA GAZOCEAN doit être considérée comme une relation de travail alors que la SA GAZOCEAN soutient pour sa part que le contrat de travail a été suspendu pendant la durée du mandat social ;
Considérant, d'abord, qu'il résulte du procès-verbal de délibération du 29 juin 2001 qu'en application des dispositions de la loi du 15 mai 2001, le conseil d'administration de la SA GAZOCEAN a décidé de dissocier les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général, le président du conseil d'administration élu ayant pour fonction de représenter le conseil d'administration dont il organise et dirige les travaux, veiller au bon fonctionnement des organes de la société et s'assurer que les administrateurs sont en mesure de remplir leur mission et le directeur général assumant, sous sa responsabilité, la direction de la société et la représentation de la société vis à vis des tiers ; que le même procès-verbal mentionne que le conseil d'administration a décidé que le contrat de travail de Monsieur de KERMADEC était suspendu durant toute la période pendant laquelle il exercerait ses fonctions de directeur général de la société ;
Que Monsieur de KERMADEC ne peut, dès lors, sérieusement faire valoir que son contrat de travail n'aurait subi aucune modification ni que ses pouvoirs et missions n'auraient jamais été précisées alors qu'en qualité de directeur général, il était investi des pouvoirs les plus étendus ;
Que la circonstance que, conformément à une pratique usuelle, une action ait été mise à sa disposition, à titre de prêt à consommation, pour lui permettre de bénéficier de la qualité d'administrateur, n'est pas de nature à démontrer le caractère artificiel de son mandat social ;
Que le retard apporté à la publication du procès-verbal du 29 juin 2001 et à la modification de ses bulletins de paie, néanmoins effectuées en fin d'année 2001, est insignifiant ; que, de même, la circonstance que le montant de sa rémunération ait été inchangé est inopérante, étant observé qu'en qualité de mandataire social, Monsieur de KERMADEC n'a plus contribué à l'Assedic ;
Que Monsieur de KERMADEC, qui soutient être demeuré sous la subordination du président du conseil d'administration, ne peut utilement se prévaloir de l'organigramme qu'il produit qui est celui des sociétés du groupe GDF SUEZ auquel appartient la SA GAZOCEAN, laquelle verse pour sa part aux débats l'organigramme de la société à la tête duquel apparaît Monsieur de KERMADEC ; que ce dernier, qui affirme avoir continué à recevoir des ordres et instructions du président du conseil d'administration, avoir été soumis à son contrôle permanent et, le cas échéant, à son pouvoir de sanction, n'invoque à l'appui de ses assertions qu'un document manuscrit raturé, sans aucune valeur probante, qui serait, selon lui, le brouillon d'une lettre que le président du conseil d'administration lui aurait destinée ;
Qu'ainsi, alors que le contrat de travail se distingue du mandat social par l'existence d'un lien de subordination, Monsieur de KERMADEC ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce qu'il serait resté dans un lien de subordination, étant observé qu'il ne prétend pas avoir exercé au sein de l'entreprise des fonctions techniques relevant d'un contrat de travail qui aurait pu se cumuler avec son mandat social ;
Que le jugement doit, en conséquence, être confirmé en ce qu'il a considéré qu'il n'y avait pas lieu à requalification de l'ensemble de sa relation avec la SA GAZOCEAN en relation de travail et que Monsieur de KERMADEC doit, par suite, être débouté de ses demandes en paiement de congés payés afférents à la période d'exécution de son mandat social ;
Considérant, sur la rupture du contrat de travail, que la suspension du contrat de travail par la désignation de Monsieur de KERMADEC en qualité de directeur général, titulaire d'un mandat social, le 29 juin 2001, a entraîné, ipso facto, la suspension de la période de stage en cours ; que, de même, le contrat de travail ayant repris ses effets après qu'il a été mis fin au mandat social de Monsieur de KERMADEC,le 11 mars 2009, force est de constater que la période de stage qu'il comportait, demeurait inachevée ;
Considérant qu'il résulte du contrat de travail comme de la convention collective du Personnel Sédentaire des Entreprises de ... Libre à laquelle il se réfère expressément, que la période d'essai de trois mois, suivie d'une période de stage de six mois, constitue une période probatoire de neuf mois au cours de laquelle les règles du licenciement ne sont pas applicables et qui, eu égard au niveau de l'emploi occupé par Monsieur de KERMADEC, n'excède pas une durée raisonnable ;
Que la société, qui n'invoque aucune faute à l'encontre de Monsieur de KERMADEC, n'avait pas davantage à respecter les dispositions de l'article 19bis de la convention collective prescrivant la consultation d'une commission de discipline paritaire avant l'entretien préalable à toute sanction disciplinaire ;
Considérant cependant que, si la société pouvait ainsi mettre fin aux relations contractuelles avant l'expiration de la période probatoire, ce n'était que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus ;
Qu'en l'espèce, en décidant, le 11 mars 2009, immédiatement après avoir décidé de la révocation de son mandat social et constaté que cette révocation faisait revivre son contrat de travail, de rompre le contrat de travail de Monsieur de KERMADEC en mettant fin à la période probatoire contractuelle qui ne lui aurait pas donné satisfaction, le conseil d'administration de la SA GAZOCEAN, qui avait pu évaluer ses capacités professionnelles depuis plus de huit années, a agi avec une légèreté blâmable ;
Que cette rupture abusive de la période de stage, qui ne donne pas lieu à application des règles et indemnités prévues en matière de licenciement, ouvre droit pour Monsieur de KERMADEC à des dommages intérêts que la cour fixe à 15 000 euros au regard de l'ancienneté du contrat de travail, du préjudice invoqué et des justifications produites ;
Considérant, sur l'indemnité de double résidence, que la contrainte résultant pour Monsieur de KERMADEC d'avoir une double résidence du fait de la situation du siège social à Marseille ayant pris fin avec le terme mis à ses fonctions, l'indemnité mensuelle convenue pour compenser cette contrainte cesse d'être due ; que le jugement doit, en conséquence être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur de KERMADEC de ce chef de demande ;
Considérant, sur la contrepartie financière de la clause de non concurrence, que le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence, limitée à deux ans et à des secteurs géographiques déterminés, ayant pour contrepartie financière une indemnité mensuelle versée pendant la durée de la non-concurrence et tant que la société maintiendrait cette clause, évaluée à 50% de la moyenne mensuelle des rémunérations brutes perçues par Monsieur de KERMADEC au cours des douze derniers mois précédant la rupture de son contrat de travail ; que la clause stipulait que la société se réservait toutefois la possibilité de libérer Monsieur de KERMADEC de la clause d'interdiction et de se décharger, de ce fait, de l'indemnisation prévue, à condition de procéder à cette dénonciation, par lettre recommandée avec avis de réception, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la rupture du contrat de travail ;
Considérant que la SA GAZOCEAN est mal fondée à soutenir qu'elle a libéré Monsieur de KERMADEC de son obligation de non-concurrence dans le délai prévu alors qu'aux termes mêmes du contrat de travail, le délai de 15 jours dont dispose l'employeur pour prévenir le salarié qu'il le dispense de l'exécution de la clause de non-concurrence a pour point de départ la date de la notification de la rupture, soit, en l'espèce, le 13 mars 2009, et non l'expiration du préavis comme elle le prétend, et que la lettre par laquelle la société informait Monsieur de KERMADEC qu'elle le dispensait de tout engagement de non-concurrence est datée du 20 avril 2009 ;
Que la SA GAZOCEAN ne peut plus sérieusement prétendre, en méconnaissance du délai de dénonciation expressément précisé au contrat, que l'indication selon laquelle l'indemnité prévue serait versée 'tant que la société maintiendrait cette clause' lui donnait la possibilité d'en libérer le salarié à tout moment ;
Que, dès lors que la SA GAZOCEAN n'a pas renoncé au bénéfice de celle-ci dans le délai contractuellement prévu, l'indemnité compensatrice de l'interdiction de concurrence se trouve acquise à Monsieur de KERMADEC, dont il n'est pas contesté qu'il l'a respectée ;
Que c'est encore à bon droit que, le contrat de travail ayant été suspendu pendant la durée du mandat social, le conseil de prud'hommes a calculé le montant de la contrepartie de la clause de non-concurrence due à Monsieur de KERMADEC sur la base de la moyenne de la seule rémunération brute perçue par ce dernier à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail ;
Que Monsieur de KERMADEC est toutefois fondé à voir fixer le montant de l'indemnité due sur la durée totale d'interdiction désormais écoulée, soit à la somme de 91 265 euros [(7605,41 x 0,5) x 24] + 9 126,50 euros au titre des congés payés, soit 100 391,50 euros ;
Que le jugement sera, en conséquence, réformé de ce chef, étant ajouté que s'il y a lieu de tenir compte des sommes versées à ce titre en exécution des décisions rendues en référé, il n'appartient pas à la cour, saisie du seul appel du jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 28 juin 2010, de confirmer ou infirmer les décisions de référé, au demeurant dépourvues d'autorité de chose jugée au principal ;
PAR CES MOTIFS
STATUANT CONTRADICTOIREMENT,
INFIRMANT PARTIELLEMENT le jugement,
DÉBOUTE Monsieur de KERMADEC de ses demandes à titre de congés payés, d'indemnités de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
FIXE à la somme de 100 391,50 euros due par la SA GAZOCEAN à Monsieur de KERMADEC au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, dont à déduire les sommes déjà versées à ce titre en exécution des décisions rendues en référé,
CONFIRME pour le surplus le jugement,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la SA GAZOCEAN à verser à la SA GAZOCEAN la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de la période probatoire,
LAISSE à chacune des parties la charge des dépens et frais non compris dans les dépens par elle exposés en cause d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle ..., président, et signé par Mme Christine ..., greffier auquel le magistrat a rendu la minute.
Le Greffier Le Président