Jurisprudence : CA Besançon, 02-12-2011, n° 10/02694, Confirmation



ARRÊT N° HB/IH
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 02 DÉCEMBRE 2011 CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 20 septembre 2011
N° de rôle 10/02694
S/appel d'une décision
du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BESANCON
en date du 13 septembre 2010
Code affaire 89B
Demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ou d'une personne substituée dans la direction, ou en réparation complémentaire pour faute inexcusable
SOCIÉTÉ ALLIANZ IARD
Me Pascal Y, pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la STE SAS EMT 25
C/
Arlette W, Caroline W, Lucie W
CPAM DU DOUBS SITE DE BESANCON

PARTIES EN CAUSE
SOCIÉTÉ ALLIANZ IARD, ayant son siège social PARIS CEDEX 02
Maître Pascal Y, pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la STE SAS EMT 25, demeurant BESANCON
APPELANTS
REPRESENTES par Me Eric V, avocat au barreau de PARIS
ET
Madame Arlette W, demeurant Mademoiselle GRANDFONTAINE Mademoiselle Lucie W, demeurant GRANDFONTAINE
COMPARANTES EN PERSONNE, assistées par Me Anne-Sylvie GRIMBERT, avocat au barreau de BESANCON
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU DOUBS SITE DE BESANCON, ayant son siège social BESANCON CEDEX
REPRÉSENTÉE par Madame Brigitte T, responsable du service contentieux, selon pouvoir général et permanent, daté et signé par Monsieur Maxime S, directeur
INTIMÉES

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats du 20 Septembre 2011
PRÉSIDENT DE CHAMBRE Monsieur Jean DEGLISE
CONSEILLERS Madame Hélène ... et Madame Véronique ...
GREFFIER Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES
Lors du délibéré
PRÉSIDENT DE CHAMBRE Monsieur Jean DEGLISE
CONSEILLERS Madame Hélène ... et Madame Véronique ...
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 4 novembre 2011 et prorogé au 2 décembre 2011 par mise à disposition au greffe.
**************

Monsieur André W, salarié de la société EMT 25 depuis 1998 en qualité d'électromécanicien, a été victime le 14 septembre 2006 à 13 heures d'un accident mortel du travail dans les circonstances suivantes alors qu'il était occupé à fixer un carter de récupération d'huile à l'intérieur d'une presse, il a été heurté à la tête puis coincé au niveau du thorax contre le bâti de celle-ci, lors de la descente et de la remontée du coulisseau, remis en marche par un opérateur.
Un procès-verbal d'infraction a été dressé par l'inspection du travail et une information pénale a été ouverte.
Le 13 mars 2008, Madame Arlette W et ses deux filles Caroline et Lucie W, ayants-droit de la victime, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Besançon aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et versement des réparations complémentaires prévues par l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale.
La SAS EMT 25 ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 5 mai 2008, Me Y, ès qualités de mandataire liquidateur, et la compagnie Allianz, assureur de l'employeur, ont été appelés en cause.

Par jugement en date du 13 septembre 2010 auquel il est référé pour un plus ample exposé du litige ainsi que pour les motifs, le tribunal a
- débouté Me Y et la société Allianz de leur demande de sursis à statuer,
- constaté l'existence d'une faute inexcusable commise par la société EMT 25 à l'origine de l'accident qui a causé la mort de Monsieur André W,
- ordonné la majoration maximale de la rente servie à Madame Arlette W,
- fixé à 40 000 euros le montant de l'indemnisation due à Madame Arlette W en réparation de son préjudice moral,
- fixé à 20 000 euros le montant de l'indemnisation due à Mademoiselle Caroline W en réparation de son préjudice moral,
- fixé à 20 000 euros le montant de l'indemnisation due à Mademoiselle Lucie W en réparation de son préjudice moral,
- sursis à statuer et réouvert les débats sur l'indemnisation du préjudice financier invoqué par Madame W, et invité les parties, le cas échéant, à actualiser leurs demandes, défenses et moyens en fonction de la modification du droit applicable à l'indemnisation de ce préjudice résultant de la décision n° 2010-8 rendue le 18 juin 2010 par le Conseil constitutionnel sur la question préalable de constitutionnalité,
- constaté son incompétence matérielle pour statuer sur la demande dirigée par la caisse contre l'assureur de l'employeur et renvoyé la caisse à se pourvoir devant la juridiction compétente,
- fixé à la date du jugement le point de départ des intérêts au taux légal courant sur les sommes attribuées,
- ordonné l'exécution provisoire dans la limite de 75% des sommes allouées,
- renvoyé l'examen des demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile à l'audience du 6 décembre 2010.

La société Allianz et Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS EMT 25 ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 25 octobre 2010.
Ils demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré
incompétent pour statuer sur la demande de condamnation dirigée contre la société Allianz, mise en cause en qualité d'assureur de la société EMT 25, d'infirmer le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau de
- surseoir à statuer jusqu'à l'issue de l'instruction pénale en cours, conformément aux exigences des droits de la défense et du procès équitable résultant de l'article 6 § 1 de la Convention Européenne des droits de l'Homme, en vue de leur permettre, dans les mêmes conditions que la partie civile non soumise au secret de l'instruction, de faire état des pièces du dossier pénal ;
- subsidiairement d'ordonner la communication par le parquet de l'intégralité des pièces du dossier pénal en application des articles 14 et 15 du code de procédure civile, et de surseoir à statuer dans l'attente de celles-ci ;
- déclarer irrecevables toutes les demandes des consorts W et de la caisse primaire d'assurance maladie de Besançon tendant à la condamnation de la SAS EMT 25 en liquidation judiciaire, faute par ceux-ci d'avoir procédé à la déclaration de leurs créances entre les mains du mandataire liquidateur ;
- dire que les conditions de la faute inexcusable de l'employeur ne sont pas réunies, en l'absence de preuve par les consorts W de ce que la société EMT 25 avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, étant rappelé que l'accident est survenu au cours d'une opération de maintenance habituelle assurée par un salarié expérimenté ;
- débouter en conséquence les consorts W de leurs demandes et prononcer la mise hors de cause de Me Y, ès qualités.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait retenue, ils concluent à la réduction à de plus justes proportions des demandes formées au titre de la réparation des préjudices moraux et au rejet de celle formée par Madame Arlette W au titre du préjudice économique, dès lors que celui-ci est déjà réparé par le versement de la rente et de la majoration de rente.
Ils demandent enfin à la cour de rappeler qu'aucune demande de condamnation ne peut prospérer à l'encontre de Me Y, ès qualités de liquidateur de la société EMT 25 et de donner acte à la société Allianz de ce qu'elle contestera devant la juridiction compétente la recevabilité, le cas échéant, de l'action qui serait exercée à son encontre par l'organisme de sécurité sociale.
Madame Arlette W et Mesdemoiselles ... et W W concluent au rejet de l'appel principal et à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf à fixer le montant des dommages et intérêts accordés à Madame W au titre de son préjudice moral à la somme de 50 000 euros.
Elle sollicitent en outre la condamnation solidaire de la société Allianz assurances et de Me Y, ès qualités de liquidateur, à leur régler une indemnité de 3 588 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles font valoir
- que le tribunal a écarté à juste titre la demande de sursis à statuer, toutes les pièces du dossier pénal relatives aux circonstances de l'accident ayant été versées aux débats, et l'article 4-1 du code de procédure civile disposant que l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne faisait pas obstacle à l'action en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur ;
- que celle-ci peut-être retenue même si elle n'a pas été la cause déterminante de l'accident, qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, peu important que d'autres causes aient concouru à celui-ci, et en particulier que la victime ait elle même commis une imprudence, qu'aucune faute inexcusable ne peut être retenue à la charge de Monsieur W ; que la société EMT 25 était informée d'une part depuis 2001 de la non conformité de la presse Arisa en cause, laquelle ne comportait aucun système de protection automatique des accès latéraux à la zone dangereuse, que la société n'y avait pas remédié à la date de l'accident, que d'autre part les conditions dans lesquelles avait été organisée l'intervention de Monsieur W, de manière fragmentée, pendant les pauses, afin d'éviter l'arrêt de la production, avaient été à l'origine d'une mauvaise circulation de l'information entre la maintenance et les opérateurs et avaient contribué ainsi à la réalisation de l'accident ce dont l'employeur aurait dû avoir conscience ;
- que le décès de Monsieur André W a été à l'origine pour son épouse d'un préjudice moral important et d'une altération de son état de santé physique qui a nécessité plusieurs arrêts de travail et une reprise de son emploi à temps partiel (80%), de sorte qu'elle est fondée à obtenir une majoration de l'indemnité allouée par les premiers juges au titre du préjudice moral, outre l'indemnisation du préjudice financier résultant de sa perte de salaire à hauteur de 60 000 euros, indemnité qu'elle sollicitera devant le tribunal du fait de la décision de sursis à statuer.
La caisse primaire d'assurance maladie du Doubs demande pour sa part à la cour, à titre principal, qu'en l'absence de garantie de l'assurance prise par la société EMT 25, il soit fait application des dispositions des articles L 452-2 et L 452-4 du code de la sécurité sociale, relatives à l'exigibilité immédiate du capital constitutif de la rente en cas de cessation de l'entreprise et à la responsabilité de l'auteur de la faute inexcusable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci, et que soit ordonné en conséquence la mise en cause du responsable de la société liquidée, à titre personnel.
A titre subsidiaire, elle déclare s'en remettre à la sagesse de la cour tant en ce qui concerne l'imputabilité de l'accident à une faute inexcusable de l'employeur que le montant des préjudices inhérents à celle-ci, et dans l'affirmative, elle demande à la cour de
- fixer la majoration de rente,
- si cette majoration est fixée au maximum, condamner solidairement Me Y, ès qualités de liquidateur de la société EMT 25 et la compagnie d'assurance Allianz, à lui rembourser la somme de 159 692,24 euros correspondant au capital de cette majoration et aux arrérages échus,
- condamner solidairement Me Y, ès qualités de liquidateur de la société EMT 25 et la compagnie d'assurance Allianz à lui rembourser les sommes qu'elle sera amenée à verser au titre des préjudices prévus à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale aux ayants-droit de la victime.

MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la demande de sursis à statuer
Les premiers juges ont refusé, à juste titre, par des motifs pertinents que la cour adopte, de surseoir à statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Une telle demande est manifestement dilatoire et le droit au procès équitable garanti par la Convention Européenne des droits de l'Homme implique également que justice soit rendue aux victimes dans un délai raisonnable.
En l'espèce, l'accident mortel dont a été victime Monsieur André W s'est produit il y a plus de cinq ans, et il n'est pas fait état par les appelantes d'investigations en cours susceptibles d'apporter quelque éclairage nouveau sur les circonstances dudit accident, qui sont précisément relatées par les pièces qui ont été régulièrement communiquées aux débats, telles que le procès-verbal d'enquête de la gendarmerie de Quingey le rapport d'intervention de l'ingénieur de prévention de la direction régionale du travail en date du 9 octobre 2006, le procès-verbal de l'inspection du travail clos le 11 juin 2007 et le rapport de l'INRS relatif à la vérification de la conformité de la presse Arisa en date du 18 décembre 2006.
L'instruction pénale en cours n'interdisait en aucune façon à la société EMT 25 et à son assureur de communiquer dans la présente instance toutes les pièces de nature à emporter la conviction de la cour quant aux mesures de prévention mises en oeuvre par elle avant l'accident pour assurer la sécurité des opérateurs chargés de la maintenance des presses, susceptibles de l'exonérer de tout manquement à son obligation de sécurité de résultat.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de sursis à statuer.
Sur l'exception d'incompétence opposée par la compagnie Allianz
La compétence matérielle du tribunal des affaires de sécurité sociale est limitée au contentieux général de la sécurité sociale, tel que défini par l'article L 142-1 du code de la sécurité sociale, sous les réserves visées à l'article L 142-3 du même code.
Il ne peut connaître des demandes incidentes qui ne relèvent pas de sa compétence d'attribution, telles que notamment les recours des caisses primaires d'assurance maladie à l'égard des tiers responsables d'un accident de travail ou à l'égard des assureurs de ceux-ci ou de l'employeur lui-même qui ressortissent à la compétence des juridictions de droit commun en ce qu'ils mettent en jeu les dispositions relatives à la responsabilité civile ou au droit des assurances.
Le jugement sera donc confirmé en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour statuer sur le recours de la caisse primaire d'assurance maladie de Besançon à l'encontre de la compagnie d'assurance Allianz, assureur de la SAS EMT 25, actuellement en liquidation judiciaire et a renvoyé celle-ci à se pourvoir devant la juridiction compétente.
Sur la demande de la caisse aux fins de mise en cause du responsable de la société EMT 25
Il résulte de la combinaison des articles L 451-1 à L 452-4 du code de la sécurité sociale que la victime d'un accident du travail ou ses ayants-droit ne peuvent agir en reconnaissance de la faute inexcusable que contre l'employeur, quel que soit l'auteur de la faute et que le versement des indemnités est à la charge exclusive de la caisse primaire d'assurance maladie, laquelle n'a de recours que contre la personne qui a la qualité juridique d'employeur.
Il s'ensuit qu'en cas de liquidation judiciaire de la personne morale employeur, la caisse primaire d'assurance maladie ne peut poursuivre le recouvrement de la majoration de rente et des indemnités complémentaires dont elle a fait l'avance à la victime de la faute inexcusable ou à ses ayants-droit à l'encontre du mandataire social de celle-ci même dans le cas où il a été condamné pénalement pour infraction aux règlements de sécurité et homicide ou blessures involontaires.
Il n'y a pas lieu en conséquence d'ordonner la mise en cause du responsable de la société EMT 25. Sur la faute inexcusable
Il résulte des pièces de l'enquête de gendarmerie et du procès-verbal de l'inspection du travail clos le 11 juin 2007 les faits suivants
- Monsieur André W avait reçu l'ordre le 13 septembre 2006 de procéder à la mise en place d'une plaque servant à récupérer l'huile de découpe à l'intérieur d'une presse de marque Arisa, plaque qu'il devait fixer après perçage et vissage à l'extrémité du coulisseau de celle-ci ;
- la consigne était d'effectuer cette opération en temps dits 'masqués' c'est à dire pendant les temps de pause des opérateurs ou temps de changement d'équipe.
L'opération devait se découler de la manière suivante
- le 14 septembre 2006, pendant la pause du matin, entre 9H et 9H30, Monsieur W devait percer et tarauder les trois trous de fixation de la plaque à monter, à l'extrémité du coulisseau ;
- le 14 septembre 2006, 13 H, pendant le changement d'équipe et la préparation des pièces à produire (environ 10 à 15 minutes), Monsieur W devait poser la plaque par la mise en place des trois vis ;
- le 15 septembre 2006, entre 9H et 9H30, pendant la pause, Monsieur W devait souder des barres de support sous la plaque ;
A chaque intervention sur la presse Arisa concernée, il devait donc trouver un moyen (nacelle ou escabeau) pour travailler en hauteur, le mettre en place, ouvrir la porte latérale droite de la cabine d'insonorisation de la presse, puis entrer dans la cabine et dévisser un protecteur fixe présent sur le côté latéral droit de la presse, avant de pouvoir accéder à la partie du coulisseau sur laquelle il devait travailler. Puis, une fois ses travaux terminés, il devait revisser le protecteur fixe, refermer la porte latérale droite de la cabine d'insonorisation, et enlever l'équipement de travail lui permettant de travailler en hauteur.
Le 14 septembre 2006, Monsieur W a percé les trous sur la presse Arisa concernée le matin entre 9H et 9H30. A 13H, il est allé cherché un chariot automoteur à conducteur porté, a installé une palette sur les fourches du chariot. Puis il a ouvert la porte latérale droite de la cabine d'insonorisation de la presse Arisa, sans couper la machine au moyen du sectionneur, sans mettre en place une chaîne et un panneau d'information, et sans avertir l'opérateur de la nouvelle équipe qui a commencé à 13H, Monsieur Marmet ..., de l'intervention de maintenance sur cette machine. Monsieur W a dévissé le protecteur fixe droit de la machine donnant accès à la partie du coulisseau sur laquelle il devait fixer le récupérateur d'huile. Il a positionné la plaque sur la palette, elle même positionnée sur les fourches du chariot de manière à la maintenir en place pour pouvoir fixer les vis et s'est penché en avant pour la fixer.
C'est alors que Monsieur ..., opérateur, qui venait de prendre son poste, a appuyé sur la commande bi-manuelle de déclenchement de la presse ce qui a entraîné un abaissement du coulisseau puis une remontée de ce dernier. Il s'agissait pour Monsieur ... de faire la première pièce, puis de procéder aux vérifications de sa qualité avant de commencer la production des autres pièces.
Monsieur W, penché en avant dans la machine pour effectuer son travail, a été coincé entre la descente et la remontée du coulisseau et le bâti de la machine et a subi un écrasement thoracique et cervical.
S'il est indiscutable que l'absence de consignation de la presse au moyen du sectionneur a joué un rôle causal dans la réalisation de l'accident, les premiers juges ont considéré à juste titre qu'elle n'était pas de nature à exonérer l'employeur de ses propres manquements à l'obligation de sécurité dont il est tenu à l'égard de ses salariés.
Il est en effet constant en droit que la faute inexcusable de l'employeur est caractérisée dès lors qu'il avait ou devait avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, peu important que sa carence n'ait pas été la cause déterminante de l'accident et que d'autres causes, telle que notamment l'imprudence de la victime, aient concouru à la réalisation de celui-ci dès lors qu'elle en a été une cause nécessaire.
Or en l'espèce, il a été relevé par l'inspecteur du travail chargé de l'enquête, et il n'est pas sérieusement contesté que la presse Arisa n'était pas conforme aux règlements de sécurité en vigueur en ce qu'elle ne comportait pas de dispositif de protection au niveau de la porte située sur la face latérale droite, empêchant l'accès aux organes mobiles dangereux ; que cette non-conformité concernait également d'autres presses et avait été signalée à plusieurs reprises à la société EMT 25 à l'occasion des vérifications périodiques effectuées par l'APAVE depuis 2001 ; qu'il n'y avait pas été remédié avant l'accident, et que la mise en place d'une barrière immatérielle n'est intervenue qu'après l'accident.
Ainsi que l'expose de manière précise et circonstanciée le procès-verbal de l'inspection du travail, la présence d'un dispositif de protection conforme au niveau des ouvertures de la face bilatérale droite de la presse utilisées par Monsieur W aurait empêché la mise en mouvement du coulisseau lorsque Monsieur ... a appuyé sur la commande bi-manuelle et ce nonobstant l'absence de consignation de la presse au moyen du sectionneur.
L'absence de mise en conformité de la presse a donc joué un rôle causal direct dans la survenance de l'accident.
Les conditions de la faute inexcusable de la société EMT 25 sont dès lors établies.
Les premiers juges ont par ailleurs relevé avec pertinence que la négligence commise par la victime pouvait d'autant moins constituer une cause d'exonération de l'employeur qu'elle apparaissait être la conséquence d'une organisation du travail dangereusement fragmentée et soumise à des contraintes horaires.
Monsieur André W était en effet un technicien expérimenté dont le professionnalisme n'avait jamais été pris en défaut jusqu'alors, et l'obligation qui lui a été faite de réaliser l'opération en temps 'masqués', pendant les pauses, imposant le fractionnement de celle-ci en trois phases, l'obligeant à chaque fois à mettre en place dans un temps limité et spécialement le jour de l'accident, des moyens d'accès en hauteur à la zone de travail dans des conditions aléatoires et improvisées, a sans aucun doute été à l'origine de l'omission fatale de consignation de la presse et du défaut d'information de l'opérateur (cf rapport de l'ingénieur de prévention).
Sur le montant des réparations complémentaires
En l'absence de faute inexcusable de la victime, la majoration de rente due à ses ayants-droit a été justement fixée au maximum prévu par la loi.
Au vu des documents produits aux débats par la veuve et les filles de Monsieur W, quant au retentissement de leur souffrance morale sur leur vie personnelle, mais également professionnelle en ce qui concerne Madame Arlette W, eu égard aux circonstances de l'accident, à la durée de la vie commune, et au projet familial en cours lors du décès, il n'y a pas lieu de remettre en cause l'appréciation des premiers juges en ce qui concerne l'évaluation du préjudice moral des ayants-droit de la victime qui sera purement et simplement confirmée.
Le tribunal ayant sursis à statuer sur la demande de réparation de Madame Arlette W au titre d'un préjudice financier complémentaire et la cour n'étant saisie d'aucune demande à ce titre, il incombe au tribunal de vider sa saisine sur ce point.
Sur le recours de la caisse primaire d'assurance maladie
Ainsi qu'il a été évoqué plus haut, le tribunal des affaires de sécurité sociale s'est déclaré à juste titre incompétent pour statuer sur le recours de celle-ci à l'encontre de la société Allianz.
En l'état du litige et des conclusions des parties, la cour n'estime pas opportun d'user de la faculté d'évocation qui lui est ouverte par l'article 568 du code de procédure civile, en vue de statuer sur ce point.
S'agissant du recours de la caisse à l'encontre de la société EMT 25, la liquidation judiciaire de celle-ci fait obstacle au prononcé d'une condamnation au remboursement de la majoration de rente et des indemnités dues aux ayants-droit de Monsieur André W dont il incombe à la caisse de faire l'avance.
La cour ne peut que fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire, sans que la société EMT 25 ne puisse se prévaloir de l'absence de déclaration de sa créance par ladite caisse pour conclure à l'irrecevabilité de sa demande.
Il résulte en effet des dispositions de l'article L 622-24 alinéa 6 du code de commerce, que pour les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture, les délais de déclaration courent à compter de la date d'exigibilité de celles-ci, laquelle s'agissant du recours de la caisse contre l'employeur ne peut être antérieure à la date à laquelle les réparations complémentaires dues à la victime ou à ses ayants-droit ont été définitivement fixées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La procédure est sans frais de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer condamnation aux dépens.
Il apparaît toutefois inéquitable de laisser à la charge des intimés l'intégralité des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer dans l'instance.
La compagnie Allianz qui succombe sur l'appel sera tenue de compenser ceux-ci dans la limite de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Besançon le 13 septembre 2010 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Fixe la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs à l'égard de la liquidation judiciaire de la société EMT 25 aux sommes suivantes
- arrérages échus et capital représentatif de la majoration de rente cent cinquante neuf mille six cent quatre vingt douze euros et vingt quatre centimes (159 692,24 euros),
- indemnités versées au titre du préjudice moral des ayants-droit de la victime quatre vingt mille euros (80 000 euros),
Dit le présent arrêt opposable à la société Allianz Iard ;
Condamne ladite société à payer Mesdames W, ... et W W, une indemnité de deux mille euros (2 000 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le deux décembre deux mille onze et signé par Monsieur Jean ..., président de chambre et Mademoiselle Ghyslaine ..., greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

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