SOC. PRUD'HOMMES CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 décembre 2011
Rejet
Mme MAZARS, conseiller doyen faisant fonction de
président
Arrêt no 2576 FS-P+B
Pourvoi no K 10-10.192
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Christine Z, domiciliée Paris,
contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2009 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Éditions Mondadori Axel Springer (EMAS), anciennement dénommée société EMAP France, société en nom collectif, dont le siège est Issy-les-Moulineaux,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 novembre 2011, où étaient présents Mme Mazars, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Blatman, conseiller rapporteur, MM. Bailly, Trédez, Chollet, Gosselin, Linden, Ballouhey, Mmes Goasguen, Vallée, conseillers, Mmes Mariette, Sommé, M. Flores, Mme Wurtz, M. Becuwe, Mme Ducloz, M. Hénon, Mme Brinet, conseillers référendaires, M. Legoux, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Blatman, conseiller, les observations de la SCP Roger et Sevaux, avocat de Mme Z, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Éditions Mondadori Axel Springer, l'avis de M. Legoux, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2009), rendu après renvoi de cassation (Soc 19 décembre 2007 no 07-40.384) que la société EMAS, éditrice du magazine Auto plus comportant une rubrique juridique confiée à un avocat, a fait appel de juin 1996 à décembre 2003 à Mme Z, avocate ; que cette dernière a saisi le 11 décembre 2003 la juridiction prud'homale de demandes tendant à ce que sa collaboration soit requalifiée en contrat de travail et à ce que certaines sommes lui soient allouées ; que par jugement du 7 février 2006 le conseil de prud'hommes de Paris a accueilli ces demandes ;
Attendu que Mme Z fait grief à l'arrêt de dire que la juridiction prud'homale était incompétente pour connaître du litige, alors, selon le moyen
1o/ qu'en se bornant à retenir que Mme Z ne pouvait prétendre bénéficier de la présomption de salariat instaurée par l'article L. 7112-1 du code du travail en relevant qu'elle n'était pas journaliste professionnelle au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail en raison de son activité d'avocate dont elle tirait l'essentiel de ses revenus, la cour d'appel a laissé sans réponse les conclusions de l'intéressée qui ne se prévalait non pas d'une qualité de journaliste professionnel mais distinctement de celle de collaboratrice directe du magazine au sens de l'article L. 7111-4 du code du travail, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2o/ subsidiairement, que bénéficie de la présomption de salariat instaurée au profit du journaliste professionnel, le journaliste pigiste non professionnel qui, en raison de sa contribution permanente et régulière, doit être qualifié de collaborateur direct de la rédaction d'un magazine ; que la cour d'appel ne pouvait, après avoir relevé comme établi et non sérieusement contesté que Mme Z apportait à la société éditrice EMAS une collaboration constante et régulière à la publication du magazine Auto plus, retenir que celle-ci ne pouvait invoquer une présomption de salariat sans méconnaître la portée de ses propres constations et violer l'article L. 7111-4 du code du travail ;
3o/ que la présomption de salariat instaurée au profit du journaliste pigiste subsiste, quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ; qu'en retenant néanmoins que Mme Z ne pouvait bénéficier de la présomption de salariat dès lors qu'elle était rémunérée "à la pige, c'est-à-dire à la tâche", la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7112-1, alinéa 2, du code du travail ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 7111-3, alinéa 1, du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ; que selon l'article L. 7111-4 du même code "Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle" ; qu'il résulte de ces textes que ne peut avoir la qualité de journaliste professionnel que celui qui apporte à l'entreprise de presse une collaboration constante et régulière et qui en tire l'essentiel de ses ressources ;
Et attendu qu'ayant relevé que la demanderesse, bien qu'apportant à la société éditrice EMAS une collaboration constante et régulière, ne tirait pas de cette collaboration l'essentiel de ses ressources, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre au statut de journaliste professionnel et au bénéfice de la présomption de salariat prévue à l'article L. 7112-1 du code du travail, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils pour Mme Z
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli le contredit de la société Emas et d'avoir dit en conséquence que la juridiction prud'homale était incompétente pour connaître du litige opposant cette société à Madame Z ;
Aux motifs qu'un contrat de travail est caractérisé par l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination juridique ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que toutefois, la qualification de contrat de travail dépend non pas de la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail mais des conditions effectives dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle ; qu'en l'espèce, il est établi et non sérieusement contesté, que Mme Christine Z apportait à la société éditrice EMAS une collaboration constante et régulière, dans la mesure où, outre diverses autres prestations, elle écrivait quasiment chaque semaine un article de fond, à caractère juridique, publié sous sa signature dans le revue Auto Plus, ce qui avait pour conséquence que son nom apparaissait à l'ours du magazine ; qu'en échange de ces prestations régulières, Mme Christine Z était, en fait rémunérée sous forme d'honoraires, sur facture et sans que lui soient remis des bulletins de salaire ; qu'en revanche, il est admis par Mme Christine Z, par ailleurs avocate, qu'elle ne tirait pas de cette collaboration l'essentiel de ses ressources et ne pouvait en conséquence prétendre au statut de journaliste professionnelle ; que l'intéressée se décrit elle-même comme une " pigiste régulière, assimilée journaliste professionnelle " ; qu'or, un pigiste peut, selon les cas, bénéficier du statut de salarié ou être rémunéré " à la pige ", c'est-à-dire à la tâche ; que Mme Christine Z ne peut donc en l'espèce invoquer une présomption de salariat ; que par ailleurs, si la prestation de travail et la rémunération, premiers éléments constitutifs d'un contrat de travail sont établies, reste à examiner la réalité du lien de subordination juridique, indispensable pour caractériser un contrat de travail et un statut de salarié ; que pour soutenir qu'elle intervenait sous le statut de salarié, Mme Christine Z soutient que le rédacteur en chef adjoint en charge de la partie du magazine lui donnait des instructions précises sur les modalités de rédaction ainsi que des délais impératifs ; que s'il ressort des divers exemples cités par l'intéressée, supposés établir le lien de subordination vis-à-vis du rédacteur en chef adjoint, que celui-ci adressait en effet couramment à Mme Christine Z des indications relatives au nombre de signes à respecter pour l'article luimême ou son " chapô " au type de " ton " recommandé compte tenu du sujet de l'article, au délai dans lequel celui-ci devait être rendu, l'examen des échanges, manifestement interactifs, entre le rédacteur en chef adjoint et l'auteur desdits articles, n'est révélateur en réalité, et comme l'a relevé le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision du 12 janvier 2005, que d'un " mode d'élaboration d'usage courant dans la rédaction d'articles de journaux pour tenir compte des contraintes de la maquette du journal et des centres d'intérêts du lectorat " ; que dans la pratique, ce type de consignes est absolument inévitable lors de l'élaboration d'un journal, oeuvre collective, dont l'ensemble, au-delà de chacune des composantes, est en lui-même porteur de sens, et dont la confection est en outre nécessairement étroitement encadrée par des exigences relatives au nombre de pages, au nombre de signes par page et donc par article, à la présentation de chacun des articles ou des rubriques, par la confection de la maquette ; que techniquement, aucun magazine, aucun journal n'échappe à cette règle et ce type d'indication est systématiquement transmis par le rédacteur en chef à l'auteur de tout article à publier dans ce type de support sans que pour autant, tout auteur d'article publié ne puisse prétendre ipso facto, à l'existence d'un contrat de travail ; que la seule sanction usuellement encourue par l'auteur d'un article qui ne respecterait pas ces contraintes techniques étant que l'article ne soit pas publié pour des raisons d'impossibilité matérielle ; qu'il ne ressort d'aucun élément produit au dossier ou aux débats, que les consignes données à Mme Christine Z par le rédacteur en chef adjoint aient dépassé ce niveau d'exigence, les éventuels échanges relatifs au " fond " des articles ne prenant jamais le ton ni le forme de commandes impératives mais s'apparentant manifestement toujours à des suggestions formulées pour enrichir la réflexion de l'auteur et/ou aider à trouver le bon angle pour l'article ; que de manière évidente, il n'est pas imaginable et il n'est d'ailleurs nullement soutenu, que ces instructions techniques et ces suggestions éditoriales si elles n'avaient pas été respectées par Mme Christine Z aurait pu donner lieu à une forme quelconque de sanctions du type de celles auxquelles recourent habituellement les employeurs en cas d'exécution défectueuse du contrat de travail ; qu'aussi, si la collaboration s'inscrivait nécessairement dans une forme de " cadre " collectif, fixé par le rédacteur en chef, les indications et les suggestions données par celui-ci ne sauraient être interprétées comme des ordres ou des directives, dont le manquement aurait été assorti de sanctions disciplinaires ; que le lien de subordination n'est pas établi ; que les relations entre les parties ne s'analysent donc pas comme un contrat de travail et Mme Christine Z, qui fournissait dans le cadre de la confection de ce journal un apport à caractère juridique, spécifique au regard des savoir faire disponibles dans l'équipe de rédactions, ne peut, en dépit d'une collaboration régulière, invoquer le statut de salarié, étant par ailleurs souligné, que sa profession d'avocat rend peu envisageable une " erreur " de sa part quant au statut dont elle relevait ou aurait dû relever, mais confirme au contraire une commune volonté des parties de placer la collaboration dans le cadre d'un système de piges rémunérées sous forme d'honoraires, système qui avait en tout état de cause l'avantage de moins exposer l'avocate au regard des exigences du règlement intérieur du barreau de Paris ;
Alors, de première part qu'en se bornant à retenir que Madame Z ne pouvait prétendre bénéficier de la présomption de salariat instaurée par l'article L. 7112-1 du Code du travail en relevant qu'elle n'était pas journaliste professionnelle au sens de l'article L. 7111-3 du Code du travail en raison de son activité d'avocate dont elle tirait l'essentiel de ses revenus, la Cour d'appel a laissé sans réponse les conclusions de l'intéressée qui ne se prévalait non pas d'une qualité de journaliste professionnel mais distinctement de celle de collaboratrice directe du magazine au sens de l'article L. 7111-4 du Code du travail, et a ainsi violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Alors, de deuxième part, subsidiairement que bénéficie de la présomption de salariat instaurée au profit du journaliste professionnel, le journaliste pigiste non professionnel qui, en raison de sa contribution permanente et régulière, doit être qualifié de collaborateur direct de la rédaction d'un magazine ; que la Cour d'appel ne pouvait, après avoir relevé comme établi et non sérieusement contesté que Madame Z apportait à la société éditrice EMAS une collaboration constante et régulière à la publication du magazine Auto Plus, retenir que celle-ci ne pouvait invoquer une présomption de salariat sans méconnaître la portée de ses propres constations et violer l'article L. 7111-4 du Code du travail ;
Alors, de troisième part, que la présomption de salariat instaurée au profit du journaliste pigiste subsiste, quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ; qu'en retenant néanmoins que Madame Z ne pouvait bénéficier de la présomption de salariat dès lors qu'elle était rémunérée " à la pige, c'est-à-dire à la tâche ", la Cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7112-1, alinéa 2 du Code du travail ;
Alors, de quatrième part, subsidiairement, que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; qu'en retenant que le lien de subordination de Madame Z à l'égard du rédacteur en chef du magazine Auto Plus n'était pas établi en se bornant à relever que ce dernier ne lui adressait aucun ordre ou directive, sans rechercher si le travail de Madame Z s'intégrait dans le service organisé de la rédaction du magazine Auto Plus, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
Alors, de cinquième part, que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la Cour d'appel ne pouvait, après avoir relevé que le rédacteur en chef adjoint exigeait de Madame Z qu'elle se conformât à des instructions techniques dans la rédaction de ses articles, ainsi qu'à des délais de rigueur hebdomadaires, et qu'elle adoptât un certain ton dans ses publications la privant d'une partie de sa liberté rédactionnelle, retenir que la rédaction ne lui imposait aucun ordre ou directive dans son travail d'écriture sans méconnaître la portée de ses propres constatations et violer l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
Alors, de sixième part, que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'en se bornant à relever abstraitement qu'il n'était pas imaginable que le non-respect des instructions techniques et des suggestions éditoriales pût donner lieu à une forme quelconque de sanctions du type de celles auxquelles recourent habituellement les employeurs en cas d'exécution défectueuse du contrat de travail sans énoncer concrètement lesquelles de ces sanctions étaient inapplicables à la relation de travail litigieuse, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
Alors, de septième part que la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, et violer ainsi l'article 455 du Code de procédure civile, énoncer tout d'abord que " la qualification de contrat de travail dépend non pas de la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail mais des conditions effectives dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle " pour ensuite retenir qu'il n'existait pas de contrat de travail liant Madame Z à la société EMAS en s'appuyant expressément sur une prétendue " commune volonté des parties de placer la collaboration dans le cadre d'un système de piges rémunérées sous forme d'honoraires ".