Jurisprudence : CA Douai, 08-11-2011, n° 10/00318, Confirmation partielle



République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2 ARRÊT DU 08/11/2011
***
N° de MINUTE
N° RG 10/00318
Jugement (N° 05/03155)
rendu le 02 novembre 2009
par le Tribunal de Commerce de DUNKERQUE
REF PBI/CP

APPELANTES
DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING N.V prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social 4 Spaklerweg 1096 BA ROTERDAM (PAYS BAS)
VICTORIA VERSICHERUNG AG prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social HAMBOURG (Pays Bas)
KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social HAMBOURG
AXA VERSICHERUNG AG prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social KOLN (ALLEMAGNE)
CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social HAMBOURG
BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
ayant son siège social BREMEN (ALLEMAGNE)
AMLIN CORPORATE INSURANCE NV précédemment FORTIS CORPORATE INSURANCE NV prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social 37 Rotterdam, Pays-Bas-Prof. J H. ... 1 AMSTELVEEN (PAYS BAS)
HDI-GERLINGVERZEKERINGEN NV précédemment HDI VERZERINGEN NV, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social Westblaak 14 ROTTERDAM PAYS BAS
TSM INSURANCE COMPAGNY précédemment TSM MARINE INSURANCE COMPAGNY, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social Rue Jacquet Dorz 41, la Chaux de Fonds CONFEDERATION HELVETIQUE
Représentés par la SELARL Eric LAFORCE, avoués à la Cour Assistées de Maître Pierre-Yves LUCAS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
S.A.S. LESIEUR prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social ASNIERES SUR SEINE
S.A.S. SAIPOL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

GRAND COURONNE
Représentées par la SCP CARLIER REGNIER, avoués à la Cour
Assistées de Me Guillaume BRAJEUX, avocat au barreau de PARIS
S.A. RUBIS TERMINAL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social PARIS Représentée par la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoués à la Cour
Assistée de Me Messaline LESOBRE substituant Me Hervé ..., avocat au barreau de PARIS
M. N N N NNN N' représentant les armateurs et les affrêteurs du navire, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
DUNKERQUE
M. N N N NNN N' ès qualité chez WORMS SERVICES MARITIMES, prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social WORMS ST POL SUR MER
KURA SHIPPING LTD CHEZ L'AGENT DU 'BERING WIND' (WORMS SERVICES MARITIMES) prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social DUNKERQUE
Chez 'BERING WIND' (WORMS SERVICES MARTIMES) - 132 rue de la
ST POL SUR MER
Représentés par la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués à la Cour
Assistés de Me LOMBREZ, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS à l'audience publique du 15 septembre 2011 tenue par Patrick ... magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les
conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS Marguerite-Marie HAINAUT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ Patrick BIROLLEAU, Président de chambre
Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller Philippe BRUNEL, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 novembre 2011 après prorogation du délibéré du 25 octobre 2011 (date indiquée à l'issue des débats)
et signé par Patrick BIROLLEAU, Président et Patricia PAUCHET, greffier présent lors du prononcé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 5 septembre 2011
***
Les SAS SAIPOL et LESIEUR ont acquis la première 8.500 tonnes d'huile de tournesol brute, la seconde 6.000 tonnes de cette même denrée, à la société de droit suisse GLENCORE pour un prix total de 9.678.689,81 USD, marchandise transportée par bateau jusqu'au port de Dunkerque.
Une partie de la cargaison s'étant révélée, lors du déchargement de la marchandise au quai de la SA RUBIS TERMINAL, en charge du stockage, altérée par une pollution, les sociétés SAIPOL et LESIEUR ont sollicité l'autorisation de saisir le navire BERING WIND afin de garantir la partie de la marchandise autre que celle écartée pour pollution. Le Président du Tribunal de commerce de Dunkerque a
- par ordonnance du 5 octobre 2005, autorisé la saisie conservatoire du navire pour garantir la créance des sociétés SAIPOL et LESIEUR évaluée provisoirement à 9.700.000 USD ;
- par ordonnance du 7 octobre 2005, rejeté la demande du Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités tendant à la rétractation de l'ordonnance du 4 octobre 2005 ;
- par ordonnance du 7 octobre 2005, désigné Monsieur Daniel ... en qualité d'expert judiciaire.
Les ordonnances des 5 et 7 octobre 2005 sur la saisie conservatoire du 'BERING WIND' ont été confirmées par arrêt de la Cour de ce siège du 20 octobre 2005, sauf sur le montant de la créance invoquée par SAIPOL et LESIEUR, réduite à 4.000.000 de dollars US.
Le 1er décembre 2006, le tribunal de commerce de Dunkerque a déclaré commune et opposable l'ordonnance du 7 octobre 2005 à la société GLENCORE et à ses assureurs, intervenants volontaires.
L'expert Monsieur ... et le sapiteur Monsieur ... ... TROUDE ont déposé leur rapport le 17 juillet 2007.
Le 25 octobre 2005, SAIPOL et LESIEUR ont assigné devant le tribunal de commerce de Dunkerque le Capitaine du 'BERING WIND' ès qualités et l'armateur du navire, la société KURA SHIPPING afin d'obtenir réparation du dommage causé par la pollution de la marchandise.
Par acte du 19 juin 2006, le Capitaine du 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING ont fait citer la SA RUBIS TERMINAL pour les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre et pour la voir condamner à des dommages et intérêts pour pertes d'exploitation.
Le 21 juillet 2008, les assureurs de la société GLENCORE ont assigné SAIPOL et LESIEUR devant le tribunal de commerce de Dunkerque afin d'obtenir réparation du préjudice occasionné par la saisie abusive du navire.

Par jugement du 2 novembre 2009, le tribunal de commerce a
- déclaré irrecevable l'action des assureurs en l'absence de preuve de paiement subrogatoire ;
- condamné solidairement LESIEUR et SAIPOL à payer au Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et à la société KURA SHIPPING,
- après compensation, la somme de 64.000,00 euros ;
- celle de 7.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à payer à la SA RUBIS TERMINAL la somme de 7.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires ; - prononcé l'exécution provisoire ;
- fait masse des dépens pour être supportée en totalité en solidairement par les sociétés LESIEUR et SAIPOL.

Les sociétés DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING, VICTORIA VERSICHERUNG AG, KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG, AXA VERSICHERUNG AG, CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG, AMLIN CORPORATE INSURANCE NV, HDI-GERLING VERZERINGEN NV et TSM INSURANCE COMPANY, assureurs de la société GLENCORE, ont interjeté appel de ce jugement.
Par leurs dernières conclusions déposées le 10 mai 2011, elles demandent à la Cour
- de dire la juridiction étatique compétente ;
- de les dire recevables en leurs demandes ;
- de condamner solidairement les sociétés LESIEUR et SAIPOL au paiement des sommes
- de 203.208,88 euros au titre des conséquences dommageables du maintien abusif de la saisie du navire 'BERING WIND' ;
- de 45.595,90 euros au titre des frais d'expertise ;
- de 35.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles invoquent le caractère abusif du maintien, par LESIEUR et SAIPOL - pourtant informées, dès le 6 octobre 2005, du caractère sain de la marchandise - de la saisie du navire 'BERING WIND', leur carence dans la communication des résultats du laboratoire VERWEY et leur retard à transmettre les prélèvements au laboratoire qu'elles avaient choisi, fautes qui ont contraint GLENCORE à faire livrer la cargaison restant à bord à ses autres clients à Rotterdam et à Londres.
Par leurs dernières conclusions déposées le 10 mai 2011, les SAS LESIEUR et SAIPOL demandent
- sur l'appel principal de la société DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING et autres sociétés d'assurance
* de dire que le tribunal de commerce de Dunkerque était incompétent pour statuer sur les demandes des assureurs subrogés dans les droits de la société GLENCORE en raison de la clause compromissoire stipulée dans les contrats de vente des marchandises, selon laquelle les litiges entre les parties doivent être réglés par voie arbitrale ;
* subsidiairement, de dire irrecevables les sociétés d'assurance à agir à l'encontre de LESIEUR et de SAIPOL, GLENCORE s'étant elle-même désistée de ses demandes dirigées contre les acheteurs de la marchandise ;
* plus subsidiairement, de dire irrecevables les sociétés d'assurance qui ne rapportent pas la preuve de leur subrogation dans les droits de GLENCORE ;
* encore plus subsidiairement, de les débouter de leurs demandes, les sociétés d'assurance ne démontrant pas que GLENCORE se soit trouvée dans l'obligation de livrer sous les plus brefs délais à d'autres clients ;
* en tout état de cause, de les condamner au paiement de la somme de 50.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- sur les demandes des sociétés LESIEUR et de SAIPOL, de condamner solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à leur payer la somme de 367.794,65 euros, outre intérêts légaux à compter de la date de l'assignation, le 20 octobre 2005, et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
- sur les demandes reconventionnelles formées par le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et par la société KURA SHIPPING
* de débouter le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING de leurs demandes, notamment de celles formulées au titre de l'immobilisation du navire ; elles soutiennent à cet égard que la saisie a fait l'objet d'une mainlevée dès que l'alimentarité de la marchandise a été connue de manière indiscutable, soit le 21 octobre 2005, ce qui n'était pas le cas lorsqu'ont été communiqués les résultats des analyses du laboratoire VEVEY du 6 octobre 2005, analyses décidées unilatéralement par les assureurs et ne portant que sur la partie de la cargaison autre que les 260 tonnes contaminées - et qu'aucun retard fautif ne leur est imputable ;
* dans l'hypothèse où serait reconnue la responsabilité de LESIEUR et de SAIPOL à l'égard des sociétés d'assurance, de condamner le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre ;
* en tout état de cause, de condamner solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING au paiement de la somme de 50.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 27 janvier 2011, le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING demandent à la Cour
- de condamner solidairement les sociétés LESIEUR et SAIPOL pour saisie abusive du navire
- au remboursement des frais d'expert ..., d'un montant de 26.324,40 euros, CWA, d'un montant de 4.045,75 GBP, ou sa contre-valeur en euro au jour du jugement, et au remboursement des frais d'agent AGSM pour un montant de 32.326,26 euros ;
- au remboursement de la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile mise à la charge des armateurs par l'arrêt du 20 octobre 2005 de la Cour de ce siège et de celle de 8.154,68 euros correspondant à l'état de frais de la SCP d'avoués CARLIER § REGNIER consécutif à cet arrêt ;
- au paiement de la somme de 200.000,00 euros de dommages et intérêts pour abus de saisie du bateau ;
- de dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ;
- en tout état de cause, de condamner solidairement LESIEUR et SAIPOL au paiement de la somme de 60.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
- de dire LESIEUR et SAIPOL irrecevables en leur appel en garantie ;
- de les condamner aux entiers dépens.
Ils font valoir que LESIEUR et SAIPOL étaient pleinement informées, dès la communication, le 6 octobre 2005, des résultats des analyses conduites par le laboratoire VEVEY, du caractère sain de la marchandise.
Par conclusions déposées le 22 juillet 2011, la SA RUBIS TERMINAL sollicite
- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à payer à la SA RUBIS TERMINAL la somme de 7.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamnation in solidum des sociétés d'assurance, qui seules l'ont intimée devant la Cour, au paiement des sommes de 15.000,00 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, de 15.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2011.

DISCUSSION
Sur la pollution de la marchandise
Attendu que le transport de la cargaison a été assuré par le navire BERING WIND, propriété de la société KURA SHIPPING, d'Argentine au port de Dunkerque où le bâtiment a accosté le 1er octobre 2005 ; que, le 1er octobre 2005, entre 17 heures 20 et 17 heures 30, lors du déchargement de la marchandise au quai de la SA RUBIS TERMINAL, en charge du stockage, a été constatée, sur les deux lignes de déchargement (lignes 2 et 3), une pollution du produit constituée par la présence de vase sale dégageant une odeur nauséabonde ; que, les opérations de déchargement étant alors suspendues, le Cabinet LEVESQUE, société de surveillance, a procédé, à la demande des réceptionnaires, à un certain nombre de constatations ; qu'un expert désigné, à la demande des assureurs de la société GLENCORE, par le cabinet J. HAMMER § H. Van ... ... a procédé au prélèvement d'échantillons dont l'analyse a été confiée au laboratoire VERWEY ; que, le déchargement a repris le 2 octobre 2005 ; qu'une partie de la cargaison, considérée comme polluée (289 tonnes) a été isolée et vendue en sauvetage les 17 et 18 janvier 2006 ;
Sur la responsabilité de l'armateur
Attendu qu'en application de l'article 4 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 et de l'article 27 de la loi du 18 juin 1966, le transporteur maritime est présumé responsable des pertes ou dommages survenus à la marchandise pendant qu'elle était sous sa garde ; qu'il se libère de sa responsabilité par la preuve d'un cas excepté de responsabilité, cette preuve ne pouvant résulter de simples hypothèses ou de déductions hypothétiques ;
Attendu qu'il est constant qu'une partie de la cargaison déchargée par les manifolds n° 2 et n° 3 présentait des résidus de vase et un état d'émulsion partielle ; que 289 tonnes affectée de pollution ont été isolées dès le début des opérations de déchargement ; que, si le Professeur ...
considère que la vase et l'état d'émulsion partielle affectant une partie de la cargaison provenaient de l'état de la marchandise antérieurement à son chargement en Argentine, il ne s'agit-là que d'une hypothèse, l'expert n'étant pas en mesure de rapporter la preuve de cette affirmation ; que, par ailleurs, les connaissements ont été émis nets de réserves ('clean on board'), de sorte que la marchandise est présumée avoir été remise intacte au transporteur maritime ; qu'au surplus, l'expert a relevé une faute du transporteur en ce que les procédures de lavage des cuves n'étaient pas conformes aux prescriptions FOSFA ; que le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING doivent en conséquence être déclarés responsables du dommage ;
Sur le préjudice subi par LESIEUR et SAIPOL
Attendu que c'est à raison que l'expert a proposé de ne pas retenir les demandes correspondant à des dépenses intervenues postérieurement à la date à laquelle les réceptionnaires ont eu connaissance du caractère sain de la marchandise ou à des retards imputables à LESIEUR et SAIPOL ; qu'il convient donc de rejeter les demandes d'indemnisation au titre
- du coût du transport supplémentaire et de la perte de capacité de raffinage entre les 16 et 20 octobre 2005, les sommes réclamées à ces deux titres portant sur des périodes postérieures au 13 octobre 2005 ;
- des frais généraux liés au suivi de l'expertise, procédure à laquelle ne se sont opposées ni LESIEUR, ni SAIPOL ;
- des notes d'honoraires d'avocats, ce poste relevant des dépenses indemnisables au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que LESIEUR et SAIPOL sont en revanche fondées à obtenir réparation au titre
- du retard de commercialisation de la totalité de la marchandise pour la période du 2 au 13 octobre 2005, soit 9.678.690 USD x 0,05 l'an x 11 jours = 14.584,32 USD, soit 12.104,99 euros ;
- du retard de commercialisation des 289 tonnes altérées pour la période du 14 octobre 2005 au 16 janvier 2006, date de fin de l'appel d'offres pour la vente en sauvetage (le délai postérieur étant imputable à LESIEUR et SAIPOL qui ont organisé la vente), soit 192.953,74 USD x 0,05 l'an x 94 jours = 2.484,60 USD, soit 2.062,22 euros ;
- des frais de stockage supplémentaires pour séparation de la marchandise saine et de la marchandise douteuse, soit 1.140,00 euros ;
- de la perte pour vente en sauvetage des 289 tonnes, pour un montant de 50.646,24 euros il ne peut être à cet égard reproché à LESIEUR et SAIPOL d'avoir eu, à titre de précaution, recours à la vente en sauvetage dès lors qu'à la date du 21 octobre 2005, les experts eux-mêmes, au vu des résultats des analyses du laboratoire VEWREY, ne concluaient pas que cette quantité ne présentait plus aucun danger pour la consommation humaine, indiquant que 'les experts sont d'accord pour que la société LESIEUR utilise ce produit soit en totalité, soit, pour le moins, la totalité moins les 270 tonnes' ;
- des frais de nettoyage des cuves n° 2 et 7 de la société RUBIS, soit (5.066,80 euros HT) 6.059,89 euros TTC ;
- de la facture du laboratoire ETSA missionné le 5 octobre 2005 par LESIEUR (36.096,48 euros TTC )et de celle du cabinet LEVESQUE (58.385,13 euros TTC) dont l'intervention résulte directement du dommage constaté ;
soit une somme totale de 166.494,95 euros ;
Que le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING seront condamnés solidairement à payer aux sociétés LESIEUR et SAIPOL cette somme à titre de dommages et intérêts ;
Sur le caractère abusif de la saisie conservatoire du navire 'BERING WIND'
Attendu que les assureurs de la société GLENCORE, le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING recherchent la responsabilité de LESIEUR et de SAIPOL pour avoir abusivement maintenu la saisie du navire alors qu'elles connaissaient le caractère sain de la marchandise ;
Sur la compétence et sur la recevabilité des demandes des assureurs de la société GLENCORE
Attendu que LESIEUR et SAIPOL soulèvent l'incompétence, pour statuer sur les demandes des assureurs, de la juridiction étatique au profit de l'instance arbitrale de Londres, subsidiairement l'irrecevabilité de ces demandes ;
Attendu que les contrats de vente de la marchandise conclus entre GLENCORE et LESIEUR et SAIPOL sont soumis aux conditions FOSFA 54, lesquelles, en leur article 29, contiennent une clause d'arbitrage devant la FOSFA de Londres (Federation of Oils, Seeds and Fats Associations) pour les litiges opposant les parties ; qu'en l'espèce, le litige relatif à la saisie d'un bien d'un tiers, fût-il utilisé pour le transport du produit cédé, est distinct de l'exécution des contrats de vente et ne relève donc pas de la clause d'arbitrage ; que la juridiction judiciaire est dès lors compétente ;
Attendu qu'il résulte de la lettre du courtier en assurance AON en date du 14 février 2007 que les assureurs ont indemnisé la société GLENCORE ; qu'ils sont en conséquence, en application de l'article L 121-12 alinéa 1er du code des assurances, subrogés dans les droits de GLENCORE à l'encontre de LESIEUR et SAIPOL ; que leur action doit être déclarée recevable ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;
Sur le caractère abusif de la saisie conservatoire du navire
Attendu que les assureurs de la société GLENCORE, le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING font grief à LESIEUR et SAIPOL d'avoir maintenu la saisie du navire alors qu'elles savaient, dès le 6 octobre 2005, et en tout cas avant que n'ait été donnée mainlevée de la saisie, que l'huile de tournesol était de bonne qualité marchande dans sa totalité ;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que
- par note en date du 4 octobre 2005, le Cabinet LEVESQUE a informé les réceptionnaires
- que la présence de vase a conduit 'à écarter un chargement de l'ordre de 260 tonnes d'huile' ;
- 'qu'il s'avère cependant que subsiste encore un doute quant à la qualité de cette huile autre que les 260 tonnes précitées' ;
- 'qu'une odeur apparaît persistante et des analyses complémentaires doivent être menées' ;
- 'qu'en l'état actuel du dossier, il existe une avarie potentielle sur l'intégralité des 14.500 tonnes qui (...) pourrait être condamnées' ;
- le 5 octobre 2005, le Cabinet LEVESQUE a informé les autres parties des analyses qu'elle souhaitait faire réaliser par le laboratoire ETSA ;
- le 6 octobre 2005, le laboratoire VERWEY a transmis au cabinet J. HAMMER § H. Van ... ..., représentant les assureurs, les résultats des analyses effectués sur les échantillons prélevés entre les 2 et 4 octobre 2005 et a conclu que 'l'huile est de bonne qualité marchande et propre à la consommation humaine' ;
- le 7 octobre 2005, l'expert judiciaire a été désigné ;
- le 10 octobre 2005, des résultats partiels ont été communiqués aux conseils de LESIEUR et de SAIPOL aux termes desquels les analyses effectuées par le laboratoire ETSA de Rouen 'ne permettent toujours pas de déterminer si l'huile de tournesol litigieuse pourrait, après raffinage, être utilisée à des fins de consommation humaine' ;
- le 13 octobre 2005, les résultats des analyses conduites par le laboratoire ETSA ont été disponibles ;
- selon l'accedit du 14 octobre 2005, l'expert a indiqué que 'les résultats des analyses étant incomplets, il paraît difficile de tirer des conclusions prématurées' ;
- mainlevée de la saisie du navire a été donnée le 21 octobre 2005 ;
- par dire aux experts en date du 4 novembre 2005, le Cabinet LEVESQUE a indiqué que LESIEUR avait accepté d'engagé immédiatement le raffinage du stock d'huile à l'exception des 280 tonnes, quantité 'lourdement polluée, comprenant un polluât de type vase' et pour laquelle il a été proposé de lancer une procédure de vente en sauvetage ;
Attendu que, si LESIEUR et SAIPOL ne contestent pas avoir eu connaissance, le 6 octobre 2005, des résultats des analyses conduites par le laboratoire VERWEY faisant état de ce que 'l'échantillon est constitué d'huile de tournesol pure, de bonne qualité marchande', il convient d'observer que ces résultats d'une part mentionnent que l'huile présente 'une odeur déviante', d'autre part ne précisent pas expressément si l'huile est propre à la consommation humaine ; que les réceptionnaires, soumis à une particulière obligation de précaution conformément à l'article 14 du Règlement CE n° 178/2002 du 28 janvier 2002 qui prévoit que 'lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou de ce chargement sont également dangereuses, sauf si une
évaluation détaillée montre qu'il n 'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux' et à l'article 19 du même règlement qui dispose que, 'si un exploitant du secteur alimentaire considère ou a des raisons de penser qu'une denrée alimentaire qu'il a importée (...) ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires, il engage immédiatement les procédures de retrait du marché de la denrée en question', étaient encore le 6 octobre 2005 fondés à présumer de la pollution de la marchandise et à attendre, pour prendre une décision sur les conditions d'utilisation de la cargaison, le résultat de l'expertise judiciaire demandée au Président du tribunal de commerce de Dunkerque ; qu'au surplus, les assureurs de la société GLENCORE, le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING ne démontrent que l' 'évaluation détaillée' prescrite par l'article 14 du Règlement du 28 janvier 2002 précité ait été communiquée à LESIEUR et à SAIPOL, seule étant produite la télécopie adressée le 6 octobre 2005 par le laboratoire VERWEY au cabinet J. HAMMER § H. Van ... ... ; qu'aucune dissimulation d'informations ne peut donc être reprochée à LESIEUR et à SAIPOL au 6 octobre 2005 ;
Attendu en revanche que c'est le 13 octobre 2005 que LESIEUR et SAIPOL ont eu connaissance des résultats des analyses du laboratoire ETSA dont il n'est pas contesté qu'ils démontraient le caractère sain de la cargaison hors les 289 tonnes isolées ; que l'expert a confirmé cette analyse dans sa note aux parties du 12 mai 2006 'Les experts sont donc d'avis que, dès le 13 octobre, la société LESIEUR ne pouvait ignorer que la majorité de la cargaison correspondait aux spécifications d'un produit normal' ; que, dès lors que les réceptionnaires de la marchandise avaient obtenu, dès le 4 octobre 2005, une garantie financière pour les 289 tonnes, seule quantité demeurant en débat, le maintien de la saisie conservatoire du navire au-delà du 13 octobre 2005 n'était plus nécessaire, ainsi que l'indique l'expert en page 151 de son rapport 'La décision de saisir le navire a été prise par les réceptionnaires alors que ceux-ci, avertis par leurs assureurs, savaient (...) au plus tard le 13 octobre 2005, que la cargaison ne présentait pas d'anomalie' ;
Que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu que LESIEUR et SAIPOL avaient commis un abus en maintenant, au-delà du 13 octobre 2005, la saisie conservatoire du 'BERING WIND' ;
Sur le préjudice
Sur les demandes des assureurs de la société GLENCORE
Attendu que les assureurs de la société GLENCORE réclament le paiement de LESIEUR et de SAIPOL de la somme de 203.508,88 euros, somme qu'elle justifie avoir payée à GLENCORE selon lettre de subrogation et de cession en date du 14 février 2007 ;
Attendu qu'il n'est pas discuté que le déchargement des produits destinés à LESIEUR et SAIPOL aurait dû s'achever au plus tard le 2 octobre 2005 ; qu'il n'est pas, dans ces conditions, contestable, que, compte tenu de l'immobilisation prolongée du 'BERING WIND', de l'impossibilité, dans laquelle s'est trouvée GLENCORE jusqu'au 21 octobre 2005, d'obtenir la mainlevée de la saisie du navire et de l'incertitude subsistant sur la date de cette mainlevée - situation dont il n'est pas discuté qu'elle a placé le navire 'off-hire', le rendant indisponible pour la poursuite du voyage - GLENCORE a été contrainte d'acheminer, par cabotage, le reste de la marchandise demeurant à bord du 'BERING WIND' et destiné aux autres clients ; qu'en conséquence, ainsi que l'a retenu l'expert par une analyse qui n'encourt aucune critique, les assureurs sont fondés à obtenir le paiement des sommes de
- 94.611,30 euros au titre des surcharges de fret pour les voyages Dunkerque - Rotterdam ou Hamm ;
- 17.789,48 euros au titre des surprimes d'assurance ;
- 5.500,58 euros au titre des frais supplémentaires de supervision ;
- 59.492,34 euros au titre des surestaries ;
soit une somme totale de 177.393,70 euros ; que les assureurs seront en revanche déboutés de leur demande concernant la prise en charge des frais d'expertise privée qui ne résultent pas de l'immobilisation du navire ; que LESIEUR et SAIPOL seront déboutées de leur demande de condamnation en garantie du Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et de la société KURA SHIPPING, le dommage causé aux assureurs résultant uniquement du maintien abusif de la saisie commis par LESIEUR et SAIPOL ;
Sur les demandes du Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING
Attendu que le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING justifient du préjudice occasionné par l'immobilisation du navire du 13 octobre au 21 octobre 2005, date de la mainlevée de la saisie ; que l'expert ayant, dans sa note de synthèse du 14 mars 2007, procédé à une évaluation complète du préjudice subi de ce chef, la Cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement LESIEUR et SAIPOL à payer au Capitaine du navire
'BERING WIND' ès qualités et à la société KURA SHIPPING la somme de 67.000,00 euros et en ce qu'il a débouté ces derniers du surplus de leur demande ;
Sur les demandes de la SA RUBIS TERMINAL
Attendu que la société RUBIS TERMINAL sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, la preuve ni d'un comportement fautif, ni, en tout état de cause, d'un préjudice autre que celui indemnisable au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'étant en l'espèce rapportée ;
Attendu que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à payer à la SA RUBIS TERMINAL la somme de 7.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que l'équité commande de prononcer les condamnations en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que prévu au dispositif ; qu'il sera fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre d'une part solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING et d'autre part solidairement les SAS LESIEUR et SAIPOL ;

PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement les SAS LESIEUR et SAIPOL à payer au Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et à la société KURA SHIPPING la somme de 67.000,00 euros à titre de dommages et intérêts et en ce qu'il a condamné solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à payer à la SA RUBIS TERMINAL la somme de 7.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme sur le surplus, Statuant à nouveau,
Déclare les juridictions judiciaires compétentes pour connaître des demandes des sociétés DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING, VICTORIA VERSICHERUNG AG, KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG, AXA VERSICHERUNG AG, CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG, AMLIN CORPORATE INSURANCE NV, HDI-GERLING VERZERINGEN NV et TSM INSURANCE COMPANY,
Déclare recevable l'action de ces dernières sociétés,
Condamne solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING à payer aux SAS LESIEUR et SAIPOL la somme de 166.494,95 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne solidairement les SAS LESIEUR et SAIPOL à payer aux sociétés DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING, VICTORIA VERSICHERUNG AG, KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG, AXA VERSICHERUNG AG, CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG, AMLIN CORPORATE INSURANCE NV, HDI-GERLING VERZERINGEN NV et TSM INSURANCE COMPANY la somme de 177.393,70 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne solidairement les SAS LESIEUR et SAIPOL à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile
- au Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et à la société KURA SHIPPING la somme de 7.000,00 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
- aux sociétés DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING, VICTORIA VERSICHERUNG AG, KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG, AXA VERSICHERUNG AG, CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG, AMLIN CORPORATE INSURANCE NV, HDI-GERLING VERZERINGEN NV et TSM INSURANCE COMPANY la somme de 15.000,00 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne solidairement les sociétés DELTA LLOYD SCHADEVERZEKERING, VICTORIA VERSICHERUNG AG, KRAVAG-LOGISTIC VERSICHERUNG AG, AXA VERSICHERUNG AG, CONDOR ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, BASLER SECURITAS VERSICHERUNG AG, AMLIN CORPORATE INSURANCE NV, HDI-GERLING VERZERINGEN NV et TSM INSURANCE COMPANY à payer à la SA RUBIS TERMINAL la somme de 1.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Fait masse des dépens, comprenant les dépens relatifs à la procédure de référé expertise et les frais d'expertise, qui seront partagés par moitié entre d'une part solidairement le Capitaine du navire 'BERING WIND' ès qualités et la société KURA SHIPPING, d'autre part solidairement les SAS LESIEUR et SAIPOL.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Patricia ... Patrick BIROLLEAU

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