COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2011
(Rédacteur Thierry ..., conseiller,)
N° de rôle 10/04311
SCI CLEMENT ET GUILLAUME
c/
Jean-Pierre Y
Jean-Jacques Y
Nature de la décision AU FOND
Grosse délivrée le
aux avoués
Décision déférée à la cour jugement rendu le 04 juin 2010 par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC (RG 09/720) suivant déclaration d'appel du 09 juillet 2010
APPELANTE
SCI CLEMENT ET GUILLAUME, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social POMPORT
représentée par la SCP ARSENE-HENRY Corine ... Pierre, avoués à la Cour, et assistée de Maître Michèle PERRIERE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS
Jean-Pierre Y
né le ..... à OUED-IMBERT (ALGÉRIE)
de nationalité française
retraité
demeurant BERGERAC
Jean-Jacques Y
né le ..... à OUED-IMBERT (ALGÉRIE)
de nationalité française retraité
demeurant BERGERAC
représentés par la SCP TAILLARD Annie ... Valérie, avoués à la Cour, et assistés de Maître Naïma MIGLIORETTI substituant Maître Corinne ..., avocats au barreau de BERGERAC
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 septembre 2011 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Thierry LIPPMANN, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de
Marie-Paule LAFON, président,
Jean-Claude SABRON, conseiller,
Thierry LIPPMANN, conseiller,
Greffier lors des débats Annick BOULVAIS
ARRÊT
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
Exposé du litige.
Par acte sous seing privé du 15 décembre 2007, Monsieur Jean-Pierre Y et Monsieur Jacques Y (les consorts Y), se sont engagés à acquérir de la société Saint Clément & Guillaume, société civile immobilière, un terrain à bâtir situé à Bergerac (24), 28, route de Sainte ... des vignes, pour le prix de 45000euros.
L'acte comportait une condition suspensive d'obtention par les acquéreurs d'un prêt de 45000euros, les consorts Y s'engageant à faire toutes les démarches utiles pour obtenir ce prêt ainsi qu'un permis de construire.
Soutenant que les consorts Y n'avaient pas respecté leurs engagements contractuels, la société Saint Clément & Guillaume les a assignés devant le tribunal de grande instance de Bergerac afin d'obtenir la résolution de son engagement de vente et l'attribution du dépôt de garantie de 4000euros versé à Maître ..., notaire à Bergerac, en qualité de séquestre.
Par jugement rendu le 4 juin 2010, le tribunal a constaté la caducité de la vente, a débouté la société de sa demande et a ordonné la restitution du dépôt de garantie aux consorts Y.
Le tribunal a débouté les parties de leurs demandes respectives en dommages et intérêts, a condamné la société Clément & Guillaume à payer aux consorts Y la somme de 700euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.
La société Clément & Guillaume a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas discutées.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 juillet 2011, la société soutient que, contrairement à leur engagement, les consorts Y n'ont pas effectué en temps utile les démarches nécessaires à l'obtention du prêt mentionné à l'acte et n'ont pas davantage déposé la demande de permis de construire dans le délai convenu.
Elle en déduit que la vente est caduque et que la carence des consorts Y justifie la résolution de l'acte, la remise entre ses mains du dépôt de garantie et l'indemnisation, à hauteur d'une somme de 9000euros, du préjudice qu'elle soutient avoir subi par la faute des acquéreurs.
Elle demande en définitive à la cour d'infirmer le jugement déféré, de constater la caducité de la vente au sens de l'article 1176 du code civil, de prononcer aux torts des consorts Y la résolution des conditions de l'acte sous seing privé du 15 décembre 2007, de dire qu'elle conservera le dépôt de garantie versé entre les mains du notaire, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 février 2009, d'ordonner la remise de cette somme par le notaire, de condamner les consorts Y à lui payer la somme de 9000euros à titre de dommages et intérêts et celle de 7000euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2011, les consorts Y soutiennent qu'ils ont procédé aux recherches requises pour obtenir le prêt, font valoir que leurs demandes ont été refusées par les organismes bancaires et considèrent en conséquence qu'ils n'ont pas empêché la réalisation de la condition suspensive.
Ils soutiennent par ailleurs que la société Clément & Guillaume était informée du déroulement de leurs démarches et font valoir qu'en tout état de cause il n'a pas été convenu de sanctionner l'absence d'information.
Ils soutiennent encore que les parties ont tacitement accepté de prolonger le délai qui leur était imparti pour obtenir le prêt.
Ils font encore valoir qu'ils justifient avoir demandé et obtenu la délivrance d'un permis de construire.
Ils estiment ainsi avoir démontré qu'ils ont mis tout en oeuvre pour voir les conditions suspensives se réaliser, de sorte que la condition suspensive ne peut être considérée comme accomplie et qu'ils ne peuvent être condamnés au paiement de dommages et intérêts.
Ils estiment en revanche pouvoir prétendre à la restitution du dépôt de garantie qu'ils ont versé.
Ils demandent en définitive à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner en outre la société appelante à leur payer la somme de 2000euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire et la somme de 3500euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2011.
Motifs de la décision.
L'article 1178 du code civil dispose que la condition suspensive est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement.
L'acte sous seing privé conclu par les parties le 15 décembre 2007 prévoit, au profit des acquéreurs, une condition suspensive d'obtention par ceux-ci d'un prêt de 45000euros, remboursable en 15 ans, au taux de 4,65% hors assurance.
Il est prévu que l'offre devra être émise au plus tard le 31 janvier 2008 et que les acquéreurs devront effectuer les démarches nécessaires dans un délai permettant la réception d'une offre de prêt conforme à ces caractéristiques et compatible avec ce délai.
Il est encore prévu que l'acquéreur devra informer sans délai le vendeur et son notaire de la présentation de cette offre.
Il appartient en conséquence aux consorts Y de justifier de l'exécution de leur obligation.
A cet égard, les consorts Y ne sauraient se prévaloir de la lettre que la société CAFPI a adressée le 28 janvier 2008 à une SCI Bernad en cours de constitution pour l'informer du refus de l'octroi d'un prêt immobilier de 45000euros pour le financement de l'opération, dès lors qu'il en résulte que la demande de prêt a été faite au nom d'une SCI en cours de constitution et non par les consorts Y eux-mêmes.
L'attestation délivrée le 20 octobre 2008 par le crédit industriel de l'ouest (CIC Banque privée) établit le refus d'un financement par un prêt de 40000euros pour l'achat du terrain et un prêt de 180000euros pour la construction de la maison, alors que la condition suspensive ne porte que sur l'obtention d'un prêt de 45000euros pour la seule acquisition du terrain, de sorte qu'il n'est pas établi que cette demande porte sur un prêt dont le montant et les caractéristiques sont conformes à l'engagement souscrit, étant observé au surplus que la durée d'amortissement des prêts dont il a été sollicité la délivrance n'est pas précisée dans la lettre de refus.
L'attestation que la même banque a délivrée aux consorts Y le 25 septembre 2008 établit le refus d'une demande de prêt de 212000euros dont le montant ne correspond pas davantage à l'engagement des parties.
Enfin, la lettre de la société Atlantique courtage du 17 avril 2009 ne comporte aucune indication du montant et des caractéristiques des prêts qui ont été demandés aux organismes bancaires démarchés.
Ainsi, les pièces produites ne permettent pas aux consorts Y de justifier que, comme ils s'y étaient engagés, ils ont effectivement déposé auprès d'un organisme bancaire une demande de prêt conforme aux caractéristiques prévues dans l'acte sous seing privé, et qui aurait fait l'objet d'un refus.
Il convient, dès lors, de considérer que faute de justifier du respect de leur engagement, ils ont empêché l'accomplissement de la condition suspensive d'obtention de prêt.
Il s'ensuit que, conformément aux dispositions de l'article 1178 précité, cette condition est réputée accomplie.
Il est constant que les consorts Y n'ont pas signé l'acte authentique que les parties avaient prévu de régulariser au plus tard le 30 juin 2008, en se prévalant à tort du défaut de réalisation de la condition suspensive.
Or, aux termes de l'acte sous seing privé du 15 décembre 2007, si les acquéreurs ne signent pas l'acte authentique dans le délai prévu, les conditions suspensives stipulées dans son intérêt étant réalisées, la somme de 4000euros versée à titre de dépôt de garantie reviendra au vendeur.
Il s'ensuit que la société Clément & Guillaume est fondée à demander le versement à son profit de la somme dont il s'agit.
La société ne saurait cependant demander au surplus à la cour de constater la caducité de la vente par application de l'article 1176 du code civil, cette demande étant incompatible avec son argumentation selon laquelle la condition suspensive est au contraire réputée accomplie par le fait que les acquéreurs en ont empêché l'accomplissement.
En revanche, la société Clément & Guillaume est fondée à demander la résolution de l'acte de vente sous seing privé, aux torts des consorts Y.
La société ne demandant pas l'application de la clause pénale prévue à l'acte, il convient de considérer que l'attribution du dépôt de garantie de 4000euros indemnisera le préjudice qu'elle a subi du fait de l'immobilisation de son bien pendant plusieurs mois, un préjudice plus important n'étant pas établi.
En définitive, le jugement déféré sera infirmé dans toutes ses dispositions, la cour attribuera à la société Clément & Guillaume la somme de 4000euros versée à titre de dépôt de garantie, autorisera en conséquence Maître Bernard ..., notaire, en sa qualité de séquestre, à remettre à la société Clément & Guillaume la somme de 4000euros qui lui a été versée lors de la signature de l'acte sous seing privé du 15 décembre 2007, prononcera la résolution de la vente conclue par acte sous seing privé le 15 décembre 2007 et déboutera la société Clément & Guillaume du surplus de sa demande en dommages et intérêts.
Enfin, les consorts Y seront condamnés à payer à la société Clément & Guillaume la somme de 2000euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
Attribue à la société Clément & Guillaume la somme de 4000euros versée à titre de dépôt de garantie entre les mains de Maître Bernard ..., notaire, en qualité de séquestre,
Autorise en conséquence Maître Bernard ..., notaire, en sa qualité de séquestre, à remettre à la société Clément & Guillaume la somme de 4000euros qui lui a été versée lors de la signature de l'acte,
Prononce la résolution de l'acte de vente sous seing privé du 15 décembre 2007 aux torts des consorts Y,
Dit que le préjudice subi par la société Clément & Guillaume est réparé par l'attribution à son profit du dépôt de garantie,
En conséquence, déboute la société du surplus de sa demande en dommages et intérêts,
Condamne Monsieur Jean-Pierre Y et Monsieur Jacques Y à payer à la société Clément & Guillaume la somme de 2000euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires,
Condamne Monsieur Jean-Pierre Y et Monsieur Jacques Y aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Arsène-Henry & Lançon à les recouvrer directement, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule ..., président, et par Madame Annick ..., greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.