Jurisprudence : CA Douai, 24-11-2011, n° 10/01468, Confirmation partielle

CA Douai, 24-11-2011, n° 10/01468, Confirmation partielle

A3268H3G

Référence

CA Douai, 24-11-2011, n° 10/01468, Confirmation partielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5642782-ca-douai-24112011-n-1001468-confirmation-partielle
Copier


République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI TROISIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 24/11/2011
***
N° MINUTE
N° RG 10/01468
Jugement (N° 08/1798)
rendu le 29 Janvier 2010
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF FG/FB

APPELANTE
La S.C.I. DE LA VEINE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal dont le siège se situe

LILLE
représentée par la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoués à la Cour
assistée de Me Gérald MALLE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ
Maître Jean-Pierre Y, Notaire
né le ..... à BEUVRY LES BETHUNE (62660)
demeurant
Espace Juridique

LILLE
représenté par la SCP THERY - LAURENT, avoués à la Cour assisté de Me Yves LETARTRE, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Françoise GIROT, Président de chambre
Stéphanie BARBOT, Conseiller Cécile ANDRE, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS Cécile NOLIN-FAIT
DÉBATS à l'audience publique du 29 Septembre 2011
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2011, après prorogation du délibéré du 17 Novembre 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Françoise GIROT, Président, et Cécile NOLIN-FAIT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC
3 Février 2011
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 23 Juin 2011
***
Suivant acte authentique reçu par Maître Y, notaire associé à Lille, le 15 décembre 1999 la SCI DE LA VEINE a acquis de la SCI VILLENEUVE un immeuble situé à Villeneuve d'Ascq pour le prix de 1 000 000 francs ( 152 449,02euros).
Le 16 mai puis le 20 septembre 2001 le Trésor public a adressé à la société locataire de l'immeuble deux avis à tiers détenteur portant sur les sommes de 9870,46euros et 1410,46euros correspondant aux sommes dues par la SCI DE LA VEINE au titre des taxes foncières 1998 et 1999 selon droit de suite prévu par l'article 1920-2-2 du code général des impôts et le recours gracieux formé par la SCI a été rejeté.

N'étant pas parvenue à obtenir le remboursement des taxes foncières par la SCI VILLENEUVE la SCI DE LA VEINE a engagé une action en responsabilité contre Maître Y devant le tribunal de grande instance de Lille qui, par un jugement en date du 29 janvier 2010
- a dit que maître Y a commis un manquement à son obligation de conseil à son égard, - l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Le tribunal a retenu que Maître Y avait manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas l'attention de sa cliente sur la difficulté tenant à l'incertitude du droit et sur le risque encouru par elle de l'exercice par le Trésor public d'un droit de suite sur les loyers générés par l'immeuble qu'il envisageait d'acquérir en recouvrement des taxes foncières impayées mais que le préjudice résultant de cette faute n'était pas établi.

Par une déclaration en date du 1er mars 2010 la SCI DE LA VEINE a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai non critiquées.
Par dernières conclusions signifiées le 12 avril 2011 la SCI DE LA VEINE demande à la cour, au visa de l'article 1147 du code civil, d'infirmer la décision et, statuant à nouveau de
- condamner Maître Y au paiement des sommes de 11 280,82euros au titre des paiements qu'elle a effectués sur la base de l'article 1920-2-2 du code général des impôts, 3309,34euros au titre des frais qu'elle a engagés et 2000euros à titre de dommages et intérêts pour privation de trésorerie,
- condamner Maître Y à lui payer la somme de 4000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La SCI DE LA VEINE rappelle que pour recouvrer les taxes foncières impayées par les propriétaires d'immeubles le Trésor public dispose d'un privilège spécial mobilier lui permettant d'appréhender les loyers versés par le locataire de l'immeuble et d'un véritable droit de suite lui permettant de saisir les loyers même si le propriétaire actuel n'est pas le redevable de la taxe, ce droit de suite lui étant conféré par l'article 1920-2 2° du code général des impôts qui dispose " le privilège établi au 1 s'exerce en outre pour la taxe foncière sur les récoltes, fruits, loyers et revenus des biens immeubles sujets à contribution ".
Elle fait valoir que ce droit de suite a été reconnu par la cour de cassation par un arrêt rendu le 28 mars 2006 et que l'interprétation donnée des dispositions de l'article 1920 du code général des impôts par Maître Y dans ses conclusions n'est pas conforme à la jurisprudence, qu'en effet si le paragraphe 1 de l'article 1920 cantonne expressément le privilège du trésor aux meubles appartenant au redevable il n'en est pas de même du 2 ° du paragraphe 2 du même article qui prévoit que l'assiette du privilège est constituée par les loyers et revenus des biens immeubles sujets à la contribution sans précision de l'identité du redevable.
Elle estime que le tribunal en a justement déduit qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir payé les taxes litigieuses à l'administration fiscale et de ne pas avoir formé de recours contre la décision de rejet de sa contestation contre les avis à tiers détenteurs alors qu'aucune jurisprudence contestant le droit de suite n'existait à l'époque, la jurisprudence de la cour d'appel d'Orléans invoquée par Maître Y étant postérieure au paiement effectué.
Elle ajoute que le Trésor public a invité les notaires et les avocats à s'assurer de la situation fiscale des immeubles au regard des taxes foncières et leur a enjoint de faire connaître, notamment dans le cadre des adjudications à l'enchérisseur, le montant de la dette fiscale du précédent propriétaire et se prévaut d'une lettre du CRIDON dans le même sens.
Elle soutient qu'il s'agit pour le notaire d'une véritable obligation professionnelle à laquelle Maître Y a manqué en l'espèce, ajoutant que celui-ci ne peut se retrancher derrière le caractère occulte du privilège et le secret qu'aurait pu lui opposer l'administration fiscale dès lors qu'il lui appartenait d'exiger du vendeur la copie des taxes foncières et la justification de leur paiement.
Elle fait valoir que le préjudice résultant pour elle de la faute commise est l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de payer les taxes foncières aux lieu et place de la SCI VILLENEUVE et que contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges ce préjudice est certain et son montant déterminé.
Enfin elle rappelle qu'il est de jurisprudence constante que pour engager la responsabilité civile d'un professionnel il n'est pas nécessaire d'avoir épuisé toutes les voies de droit contre d'autres personnes susceptibles d'être recherchées à un autre titre, l'argument soulevé par Maître Y qui lui reproche de ne pas avoir poursuivi les associés de la SCI en liquidation étant dépourvu de pertinence.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 25 mai 2011 Jean-Pierre Y demande à la cour
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il avait commis une faute à l'égard de la SCI DE LA VEINE,
- de rejeter les prétentions, fins et conclusions de la SCI et l'en débouter,
- de la condamner à lui payer la somme de 3000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Jean-Pierre Y soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.
Il rappelle que les taxes foncières dues par les propriétaires d'immeubles ne font l'objet d'aucune inscription légale et qu'il ne disposait par conséquent d'aucun élément permettant d'avoir connaissance du fait que la SCI VILLENEUVE était redevable de taxes foncières au moment de la vente, et ce d'autant que l'administration n'avait effectué pour l'année 1998 aucune démarche en vue du recouvrement de cette taxe.
Il se prévaut d'un arrêt rendu par la cour d'appel d'Orléans le 12 septembre 2003 qui exclut le droit de suite de l'administration fiscale pour les taxes foncières.
Il expose qu'il a rempli ses obligations en insérant dans l'acte de vente une clause relative au paiement de la taxe foncière de l'année en cours et en prévoyant sa répartition entre vendeur et acquéreur en fonction de la date de la vente en sorte qu'on peut s'étonner que la SCI DE LA VEINE ait attendu l'avis à tiers détenteur pour s'en préoccuper.
Il soutient que le tribunal a exactement retenu que la perte de chance pour la SCI soit de ne pas acquérir l'immeuble, soit d'obtenir une réduction du prix de vente, soit encore de pouvoir demander au vendeur le quitus de l'administration fiscale ou à défaut la consignation d'une somme pour garantir le montant de l'arriéré, était incertaine et ne pouvait ouvrir droit à indemnisation.
Il soutient que la SCI DE LA VEINE aurait dû former un recours à l'encontre de l'administration fiscale, recours qui aurait eu toutes les chances d'aboutir au vu de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Orléans, qu'elle n'a pas justifié de l'admission de sa créance par le juge commissaire chargé de la procédure collective de la SCI VILLENEUVE et s'est abstenue de poursuivre les associés, que pour ces motifs son préjudice n'est pas né ni certain ni actuel.

MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes du paragraphe 1er de l'article 1920 du code général des impôts le privilège du Trésor en matière de contributions directes et taxes assimilées s'exerce avant tout autre sur les meubles et effets mobiliers appartenant aux redevables en quelque lieu qu'ils se trouvent. Aux termes du paragraphe 2-2° du même texte ce privilège s'exerce, en outre, pour la taxe foncière, sur les récoltes, fruits, loyers et revenus des biens immeubles sujets à la contribution.
Une jurisprudence ancienne a admis que cette dernière disposition, qui ne distingue pas selon que le bien immobilier est ou non resté dans les mains du même propriétaire, institue un droit de suite au profit de l'administration fiscale.
Cette jurisprudence a été confirmée par deux réponses ministérielles publiées au journal officiel en 1998 en sorte qu'à la date de la vente intervenue le 15 décembre 1999 le notaire ne pouvait ignorer l'existence de ce droit de suite .
Il appartient au notaire d'informer et éclairer ses clients sur les incidences juridiques et fiscales des actes qu'il établit et de les mettre en garde sur les risques fiscaux afférents à ces actes . A ce titre il lui appartient d'aviser les nouveaux acquéreurs de biens immobiliers du droit de suite dont dispose l'administration fiscale pour le recouvrement des taxes foncières laissées impayées par le vendeur.
En l'espèce Jean-Pierre Y a manifestement manqué à cette obligation et n'est pas fondé à se prévaloir du caractère occulte du privilège ou du secret professionnel qui pouvait lui être opposé par les agents de l'administration fiscale dès lors qu'il pouvait simplement demander au vendeur de justifier du paiement des taxes foncières dans la limite des années concernées par le droit de suite.
Il n'est pas davantage fondé à faire valoir qu'il a suffisamment rempli sa mission en insérant dans l'acte une clause habituelle relative au partage de la taxe foncière de l'année en cours entre l'acquéreur et le vendeur en fonction de la date de la vente.
La faute commise par Jean-Pierre Y est par conséquent caractérisée.
Pour dénier le caractère né, actuel et certain du préjudice Jean-Pierre Y soutient d'abord que la SCI DE LA VEINE n'a pas cru devoir former de recours contre la décision de l'administration fiscale alors que ce recours avait selon lui toutes les chances d'aboutir, ce qui n'apparaît nullement établi, étant observé, qu'un arrêt rendu par la cour de cassation le 28 mars 2006 aà nouveau consacré le droit de suite du Trésor public.
Il soutient ensuite que la SCI DE LA VEINE ne justifie pas avoir tout mis en oeuvre pour parvenir au règlement de sa créance par la SCI VILLENEUVE d'abord, puis par ses associés.
Or il convient d'observer que par un jugement en date du 21 janvier 2004 le tribunal de grande instance de Lille a condamné la SCI VILLENEUVE à payer à la SCI DE LA VEINE la somme de 9756,43euros, le tribunal ayant retenu que la créance n'était pas justifiée au-delà de cette somme, que la liquidation judiciaire de la SCI VILLENEUVE a été prononcée le 9 septembre 2005, que la SCI DE LA VEINE justifie avoir déclaré sa créance qui a été admise pour un montant de 12 134,98euros et démontre son caractère irrécouvrable attesté par le mandataire judiciaire le 4 septembre 2008.
Par ailleurs dès lors que Jean-Pierre Y a mis par sa faute la SCI DE LA VEINE dans une situation désavantageuse entraînant un risque de perte il doit en supporter les conséquences et ne peut faire grief à la SCI DE LA VEINE de ne pas avoir engagé de poursuites contre les deux associés de la SCI.
Toutefois en l'espèce le préjudice résultant du manquement du notaire ne peut être évalué au montant des taxes payées mais est constitué par une perte de chance pour l'acquéreur d'éviter le paiement des taxes litigieuses, soit en refusant d'acquérir à défaut de production des justificatifs du paiement des impositions exigibles, soit en négociant une modification des conditions de la vente, perte de chance qui sera estimée à 70% du montant des taxes payées soit une somme de 7896,64euros de nature à réparer l'entier préjudice subi.
La demande de dommages et intérêts complémentaires n'est pas justifiée et sera rejetée.
En revanche il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI DE LA VEINE la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel en compensation desquels il lui sera alloué la somme de 3000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens sont supportés par la partie qui succombe.

PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement rendu le 29 janvier 2010 par le tribunal de grande instance de Lille en ce qu'il a dit que Maître Y avait commis une faute à l'égard de la SCI DE LA VEINE ;
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau
Condamne Maître Jean-Pierre Y à payer à la SCI DE LA VEINE la somme de 7896,64euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Condamne Maître Jean-Pierre Y à payer à la SCI DE LA VEINE la somme 3000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Jean-Pierre Y aux dépens de première instance et d'appel avec faculté pour la SCP d'avoués DELEFORGE-FRANCHI de faire application, pour ceux d'appel, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Cécile ... Françoise GIROT

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus