SOC. PRUD'HOMMES CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 1er décembre 2011
Cassation
M. FROUIN, conseiller le plus ancien faisant fonction de
président
Arrêt no 2525 F-D
Pourvoi no H 10-17.825
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Chantal Z, domiciliée La Possession,
contre l'arrêt rendu le 23 février 2010 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Assurdom gestion, société anonyme, dont le siège est Le Port cedex,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 3 novembre 2011, où étaient présents M. Frouin, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Guyon-Renard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Deurbergue, conseiller, M. Lalande, avocat général, Mme Becker, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Guyon-Renard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme Z, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Assurdom gestion, l'avis de M. Lalande, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche Vu l'article L. 1152-2 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Z, engagée par la société Moral Réunion, aux droits de laquelle vient la société Assurdom gestion (la société), comme aide rédactrice à compter du 1er mars 1992, a été licenciée pour faute grave le 31 octobre 2007 ; que, contestant ce licenciement et invoquant l'existence d'un harcèlement moral, Mme Z a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient d'une part, que si la salariée a été privée de manière vexatoire des cadeaux offerts par l'employeur à l'occasion de certaines fêtes, le lien entre ce harcèlement et le licenciement n'en découle pas nécessairement et, d'autre part, que l'insubordination reprochée à la salariée est caractérisée, dès lors qu'elle n'a pas respecté à l'issue de ses congés la date de reprise dont l'employeur lui avait rappelé le caractère impératif ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que si le licenciement concomitant à des agissements de harcèlement n'en découle pas nécessairement, il lui appartenait de rechercher si, nonobstant le grief d'insubordination reproché, la salariée n'avait pas été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral qu'elle avait constatés, la cour d'appel, qui n'a pas procédé à une telle recherche, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne la société Assurdom gestion aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Assurdom gestion et la condamne à payer à Mme Z la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils pour Mme Z
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR décidé que le licenciement était fondé sur une faute grave et d'AVOIR débouté madame Z de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice distinct, d'indemnités de préavis et de congés payés et de rappels de salaires ;
AUX MOTIFS QUE madame Z invoque l'existence d'un harcèlement moral ayant conduit à son licenciement ; que l'examen de cette problématique est nécessairement préalable à celui du bien fondé du licenciement ; qu'en droit, il appartient au salarié qui se prétend victime d'un harcèlement moral d'établir l'existence de faits de nature à le faire présumer ; que de ce chef, les faits allégués et non prouvés par la salariée sont inopérants ; qu'iI en est ainsi notamment des nombreux courriers émanant d'elle-même qui n'ont pas de valeur probante des faits dénoncés ; qu'il en est de même de l'avertissement décerné en juillet 2004 fondé sur le fait que madame Z a expédié du courrier personnel aux frais de l'entreprise et qui ne s'inscrit pas plus dans ce contexte puisque justifié par une faute de la salariée ; que le blâme qui lui a été décerné le 8 juillet suivant, pour des propos injurieux et l'inobservation de consignes a fait l'objet d'une contestation initiale laquelle n'a pas été suivie ou maintenue par madame Z (courrier du 24 janvier 2005) ; qu'en l'absence de toute autre sanction disciplinaire postérieure, autre que le licenciement prononcé plus de trois années après, ce blâme n'est pas de nature à faire présumer un harcèlement moral ; qu'en revanche, le fait que madame Z ait été volontairement exclue par l'employeur des cadeaux que celui-ci offrait aux salariées pour la fête des mères ou de Noël est de nature à faire présumer un harcèlement ; que c'est en fait une pratique discriminatoire et vexatoire, non contestée par la société Assurdom Gestion qui si elle n'était pas satisfaite de madame Z devait engager une procédure disciplinaire ; que ces faits ayant été répétés, la présomption de harcèlement opère ; que l'employeur ne prouvant pas que ces faits sont fondés sur une cause exclusive du harcèlement, celui-ci est alors retenu ; que pour autant, le lien avec le licenciement n'en découle pas nécessairement ; qu'iI n'en effet nullement démontré qu'il existe un lien entre la privation vexatoire des cadeaux et la rupture du contrat ; que par ailleurs, le licenciement n'est pas en soi un fait de nature à faire présumer un harcèlement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement vise "une insubordination caractérisée" ; qu'il est en effet reproché à madame Z de n'avoir pas respecté les dates de congés fixées par l'employeur avec une reprise le lundi 15 octobre 2007 ; que la salariée a en effet repris le mercredi 17 octobre ; que le différentiel de deux jours pourrait paraître insignifiant si madame Z n'avait pas été mise préalablement en demeure de respecter les dates fixées ; qu'il doit être ici précisé que la salariée a formalisé sa demande de congés avec retard (délai expirant le 30 mars et demande faite le 15 mai suite à un rappel de l'employeur) ; que par un courrier du 23 mai, l'employeur lui a notifié ses congés du 1er au 12 octobre inclus puis par celui du 19 juin un congé annuel
du 20 septembre au 12 octobre avec une reprise le lundi 15 ; que par un courrier du 21 juin, la société a maintenu ces dates en précisant que les impératifs de service ne permettaient pas de lui donner la journée du 15 octobre et que tout retard de reprise était de nature à constituer un acte délibéré d'indiscipline pouvant constituer une cause de licenciement ; que malgré cette mise en garde, madame Z est passée outre ; que l'excuse de l'hospitalisation de sa fille en métropole n'est pas à retenir dès lors que cette dernière est sortie de l'hôpital le 9 octobre ; que la difficulté de changer le billet retour ou la réservation d'avion ne l'est pas plus en l'absence de la moindre justification de l'impossibilité alléguée ; que l'excuse invoquée n'est par ailleurs pas fondée au regard du retard pris par la salariée à demander ses dates de congés et de l'absence de justification de la date de réservation du vol et de son paiement ; que le non-respect par madame Z de la date de reprise est fautif ; qu'eu égard à la mise en demeure
du 21 juin, la faute n'est pas une absence injustifiée mais un acte d'insubordination incompatible avec le maintien de la relation salariale et justifiant sa rupture immédiate ;
1) ALORS QU'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ; que le licenciement disciplinaire prononcé concomitamment aux agissements de harcèlement constatés par le juge doit nécessairement être considéré comme lié à ce harcèlement ; qu'en décidant que le licenciement pour faute grave de madame Z était justifié quand elle constatait que, concomitamment à ce licenciement, la salariée avait fait l'objet d'agissements de harcèlement moral de la part de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1152-1, L1152-2 et L1154-1 du code du travail ;
2) ALORS QU'en retenant que le non-respect par madame Z de sa date de reprise de congés constituait un acte d'insubordination, sans vérifier si, compte tenu des agissements de harcèlement déjà constatés, le maintien par l'employeur de la date de reprise qui obligeait la salariée, soit à laisser seule en métropole sa fille récemment hospitalisée, soit à échanger des billets d'avion à un prix prohibitif, ne participait pas du même harcèlement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1235-3, L. 1234-5, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1154-1 du code du travail ;
3) ALORS QUE (subsidiairement) le licenciement disciplinaire prononcé concomitamment aux agissements de harcèlement constatés par le juge est présumé lié au harcèlement ; qu'il incombe alors à l'employeur de prouver que le licenciement est justifié par des éléments objectifs étrangers au harcèlement ; qu'en retenant dès lors qu'il n'était nullement démontré par la salariée l'existence d'un lien entre les faits de harcèlement constatés et la rupture du contrat, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;
4) ALORS QUE (subsidiairement) il incombe au juge de rechercher, audelà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause de la rupture du contrat de travail ; qu'en se bornant à retenir qu'il n'était " nullement démontré qu'il existe un lien entre la privation vexatoire des cadeaux et la rupture du contrat " sans rechercher si, la véritable cause du licenciement n'était pas le harcèlement moral dont la salariée était victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1, L. 1152-2 et L.1154-1, L.1235-3, L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail ;
5) ALORS QUE (plus subsidiairement) nonobstant la mise en demeure préalable de l'employeur, ne constitue pas une faute grave, le fait pour une salariée totalisant plus de quinze ans d'ancienneté d'être à une seule occasion revenue de ses congés payés avec seulement deux jours de retard, alors qu'elle avait dû quitter l'Ile de la Réunion pour se rendre en métropole en raison de l'hospitalisation de sa fille ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail.