Décision AMF, 21-10-2011, A L'EGARD DE LA SOCIETE ALTERNATIVE LEADERS FRANCE, sanction

Décision AMF, 21-10-2011, A L'EGARD DE LA SOCIETE ALTERNATIVE LEADERS FRANCE, sanction

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L2650IRL



DECISION DE SANCTION

DU 21 OCTOBRE 2011

A L'EGARD DE LA SOCIETE ALTERNATIVE LEADERS FRANCE

La 1ère section de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (ci-après " AMF ") ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 214-3, L. 214-9, L. 214-24-1, L. 532-9, L. 532-9-1, L. 533-1, L. 533-2, L. 533-4, L. 533-11, L. 621-9, L. 621-14, L. 621-15, R. 214-37, R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu le règlement général de l'AMF, notamment ses articles 313-1, 313-54, 313-60, 313-61, 314-3, 322-12, 322-15, 322-31 en vigueur à l'époque des faits ;

Vu la notification de griefs adressée le 1er septembre 2010 à la société Alternative Leaders France (ci-après " ALF ") ;

Vu la décision du 4 octobre 2010 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Jean-Claude Hassan, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 octobre 2010 informant la société ALF de la nomination en qualité de rapporteur de M. Jean-Claude Hassan et lui rappelant la faculté d'être entendue, à sa demande ;

Vu la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 octobre 2010 adressée à la société ALF, l'informant de ce qu'elle disposait de la faculté de demander la récusation du rapporteur ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification de griefs, en date du 3 novembre 2010, déposées par M. Éric de Sérigny, en sa qualité de Président du directoire de la société ALF ;

Vu le procès-verbal d'audition par le rapporteur, le 7 mars 2011, de M. Éric de Sérigny, Président du directoire de la société ALF qu'il représente ;

Vu la décision du 28 juin 2011 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Michel Pinault, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur en remplacement de M. Jean-Claude Hassan ;

Vu la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 juillet 2011 informant la société ALF de la nomination en qualité de rapporteur de M. Michel Pinault en remplacement de M. Jean-Claude Hassan et lui rappelant la faculté d'être entendue, à sa demande ;

Vu la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 juillet 2011 adressée à la société ALF, l'informant de ce qu'elle disposait de la faculté de demander la récusation du nouveau rapporteur ;

Vu le rapport de M. Michel Pinault en date du 12 septembre 2011 ;

Vu la lettre de convocation à la séance de la Commission des sanctions du 21 octobre 2011 à laquelle était joint le rapport du rapporteur, adressée le 13 septembre 2011 à la société ALF ;

Vu la lettre en date du 6 octobre 2011 informant la société ALF de la composition de la formation de la Commission des sanctions lors de la séance, et lui précisant la faculté de demander la récusation d'un ou plusieurs de ses membres ;

Vu les observations en réponse au rapport du rapporteur, en date du 5 octobre 2011, déposées par M. Éric de Sérigny, en sa qualité de Président du directoire de la société ALF ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance publique du 21 octobre 2011 :

- M. le rapporteur en son rapport ;

- M. Hubert Gasztowtt, représentant le directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler ;

- Mme Michaëla d'Hollande d'Orazio, représentant le Collège de l'AMF ;

- M. Éric de Sérigny pour le compte de la société ALF qu'il représente en tant que Président du directoire ;

- Maître Thibault de Montbrial, conseil de la société ALF ;

La personne mise en cause ayant eu la parole en dernier.

FAITS ET PROCEDURE

La société de gestion de portefeuille Alternative Leaders France (ci-après " ALF "), de type 2, fait partie du groupe Lozé & Associés et a été agréée le 16 mars 2004 par l'AMF. Son agrément est limité à la multigestion, y compris alternative, et aux interventions sur les marchés dérivés dans le seul but de couvrir le risque de change.

Elle gère, notamment, l'organisme de placement collectif en valeurs mobilières (ci-après " OPCVM ") ALF ALPHA, agréé par l'AMF, fonds de fonds alternatifs à règles d'investissement allégées (dits " ARIA III ") et à liquidité mensuelle. Pour le compte de ce fonds, ALF a investi dans deux hedge funds exposés à la stratégie mise en place par M. Bernard Madoff via la société Bernard L. Madoff Investment Securities (ci-après " BMIS "). Il s'agit :

- du fonds One Regent Perinvest Market Neutral Fund (ci-après " ONE REGENT "), enregistré aux Iles Vierges britanniques, qui est devenu Perinvest Market Neutral Fund en octobre 2008 et où ALF ALPHA a réalisé son premier investissement le 28 février 2005 ;

- du fonds Kingate Euro Fund (ci-après " KINGATE "), enregistré aux Bermudes, où ALF ALPHA a réalisé son premier investissement le 31 octobre 2004 et a liquidé sa position le 31 octobre 2007.

Au moment de la révélation, le 11 décembre 2008, de la " fraude Madoff " et sur la base de la dernière valeur liquidative connue du 31 octobre 2008, l'OPCVM ALF ALPHA, dont l'ordre de rachat du 30 novembre 2008 n'a pu être exécuté, était toujours investi dans ONE REGENT à hauteur de 3 millions d'euros, mais a valorisé pour un montant nul la créance qu'il détenait.

En application de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, le secrétaire général de l'AMF a décidé, le 23 mars 2009, de procéder au " contrôle du respect par la société Alternative Leaders France de ses obligations professionnelles ".

À l'issue des investigations sur place, le service du contrôle des prestataires et des infrastructures de marché (ci-après " CPIM ") a présenté un compte-rendu des différents constats réalisés au cours d'une réunion tenue dans les locaux d'ALF le 17 septembre 2009. À la suite de cette réunion, ALF a produit, le 29 septembre 2009, une note qui a été annexée au rapport de contrôle.

Le rapport de contrôle, en date du 8 décembre 2009, ses annexes, la lettre d'observations d'ALF du 1er février 2010 et ses compléments du 23 février 2010 ont été examinés par la Commission spécialisée n° 3 du Collège de l'AMF, constituée en application de l'article L. 621-2 du code monétaire et financier, lors de sa séance du 22 juillet 2010.

Conformément à la décision prise au cours de cette séance, le Président de l'AMF a notifié à ALF, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er septembre 2010, des griefs aux termes desquels il lui était reproché, en substance, de ne pas avoir agi de manière diligente et professionnelle :

- en ne mettant pas en oeuvre les procédures et en n'effectuant pas les vérifications qui lui auraient permis " de comprendre et de suivre, à tout moment, les risques que comportaient ces investissements ", tant au moment des souscriptions successives dans les fonds KINGATE et ONE REGENT que lors du suivi de ces fonds ;

- en ne respectant pas les conditions auxquelles était subordonnée la délivrance de son agrément, dès lors que le processus de sélection des fonds sous jacents et d'investissement dans ces fonds, ainsi que les moyens humains et techniques dont disposait ALF ne correspondaient pas aux engagements qu'elle avait pris le 12 décembre 2003 dans son programme d'activité approuvé par l'AMF le 16 mars 2004 et non modifié depuis lors.

Le Président de la Commission des sanctions, saisi par lettre du 1er septembre 2010 de cette notification de griefs, a, le 4 octobre 2010, désigné M. Jean-Claude Hassan en qualité de rapporteur. Celui-ci, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 octobre 2010, en a informé la société ALF, en lui rappelant la possibilité d'être entendue, à sa demande, en application du I de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier.

Par lettre du 12 octobre 2010, le secrétariat de la Commission des sanctions a avisé ALF de la possibilité de demander la récusation du rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Le 3 novembre 2010, ALF a versé à la procédure des observations écrites contestant les griefs notifiés.

À sa demande, ALF, représentée par M. Éric de Sérigny, Président du directoire, qui était assisté de son conseil, Maître Jacques Rossi, a été entendue par le rapporteur le 7 mars 2011. Par lettre du 21 mars 2011, elle a, par le truchement de son conseil, adressé au rapporteur les documents et informations complémentaires évoqués au cours de son audition.

Le 28 juin 2011, la Présidente de la Commission des sanctions a désigné en qualité de rapporteur, en remplacement de M. Jean-Claude Hassan, appelé à d'autres fonctions au sein de la Commission, M. Michel Pinault, qui en a informé ALF par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 juillet 2011 lui rappelant la faculté d'être entendue conformément à l'article R. 621-39-I du code monétaire et financier.

Par lettre du 21 juillet 2011, le secrétariat de la Commission des sanctions a avisé ALF de la possibilité de demander la récusation du rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 13 septembre 2011, auquel était joint le rapport du rapporteur du 12 septembre 2011, ALF, représentée par M. Éric de Sérigny, a été convoquée à la présente séance de la Commission des sanctions.

Le 5 octobre 2011, ALF a présenté des observations en réponse au rapport du rapporteur.

Par lettre déposée par porteur le 6 octobre 2011, la société ALF a été informée de la composition de la Commission des sanctions ainsi que du délai de quinze jours dont elle disposait, en application de l'article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander la récusation, dans les conditions prévues aux articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4, d'un ou plusieurs de ses membres appelés à délibérer.

MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur le moyen de procédure

Considérant que la société ALF soutient que l'AMF aurait violé l'un des principes édictés par sa " Charte de conduite d'une mission de contrôle sur place " en ce que le rapport de contrôle de l'AMF du 8 décembre 2009 n'aurait pas tenu compte des observations écrites qu'elle avait faites, le 29 septembre 2009, à la suite de la " réunion de debriefing " avec les contrôleurs, de sorte que la Commission spécialisée du Collège de l'AMF qui a décidé de notifier des griefs se serait prononcée sans avoir eu connaissance de cette pièce essentielle ;

Considérant que le moyen manque partiellement en fait, les observations formulées par ALF le 29 septembre 2009 ayant bien été annexées au rapport de contrôle et soumises à la Commission spécialisée du Collège avant que celle-ci ne se prononce ; qu'on ajoutera, tout d'abord, que les contrôleurs, s'ils sont tenus de verser au dossier les observations dont ils sont saisis, apprécient souverainement l'incidence de ces observations sur le contenu de leurs conclusions, ensuite, que la procédure ne revêt un caractère contradictoire qu'à partir de la notification de griefs, enfin que, depuis cette notification, les droits de la défense d'ALF, qui a été entendue par le rapporteur et mise en mesure, à de multiples reprises, de faire valoir son point de vue, ont été pleinement respectés ; que le moyen sera donc écarté ;

B. Sur les griefs

Considérant, à titre liminaire, qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier " […] La commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction " ; que c'est le 23 mars 2009 que le secrétaire général de l'AMF a décidé de procéder au " contrôle du respect par la société Alternative Leaders France de ses obligations professionnelles " ; qu'en conséquence, seuls les faits postérieurs au 23 mars 2006 échappent à la prescription triennale prévue par cet article ;

1. Sur le défaut de diligence et de professionnalisme d'ALF dans le contrôle des risques liés aux investissements dans les fonds KINGATE et ONE REGENT

Considérant que l'activité " de multigestion alternative " exercée par la société mise en cause a pour finalité, dans le cadre de stratégies de gestion d'actifs, de rechercher une performance " décorrélée " des indices de marché ; qu'elle consiste à créer puis à gérer des OPCVM qui investissent dans des fonds sous-jacents, communément appelés " hedge funds ", dont la gestion déroge aux principes classiques de répartition des risques ;

Considérant qu'il est reproché à ALF de ne pas avoir agi " de manière diligente et professionnelle " en omettant de collecter, sur l'ensemble des acteurs impliqués dans la gestion des " hedge funds " dans lesquels elle a investi et s'est maintenue, les informations essentielles qui lui auraient permis " de comprendre et de mesurer, à tout moment, les risques que comportaient ces investissements et ces fonds " ;

Considérant que ne seront pris en considération que les éléments postérieurs au 23 mars 2006 et ceux, antérieurs à cette date, qui auront continué à servir de support aux souscriptions effectuées ou maintenues au cours de la période non prescrite ;

1.1. Rappel des textes visés par la notification de griefs

Considérant que ces textes seront examinés dans leur rédaction en vigueur durant la période postérieure au 23 mars 2006 ;

1.1.1. Textes relatifs à l'obligation d'agir de manière diligente et professionnelle favorisant le respect de l'intérêt des porteurs

Considérant que l'article L. 214-9 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2011-915 du 1er août 2011, reprend en substance l'article L. 214-3 du code monétaire et financier qui prévoyait dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 que " les organismes mentionnés aux articles L. 214-15, L. 214-16 et L. 214-24 doivent agir de façon indépendante " ; que, rendu applicable aux OPCVM non coordonnés par renvoi de l'article L. 214-24-1 du même code, il énonce que " Les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, le dépositaire et la société de gestion doivent agir de façon indépendante et dans le seul intérêt des porteurs de parts ou actionnaires. Ils doivent présenter des garanties suffisantes en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l'honorabilité et l'expérience de leurs dirigeants. Les fonctions de gestion et de dépositaire ne peuvent pas être exercées par la même société " ;

Considérant, pour les faits survenus entre le 23 mars 2006 et le 1er novembre 2007, que l'article L. 533-4 du code monétaire et financier disposait que " les prestataires de services d'investissement (…) sont tenus de respecter les règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations. (…) Elles obligent notamment à : (…) 2. Exercer leur activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, au mieux des intérêts de leurs clients (…) " ; que l'article 322-31 du règlement général de l'AMF, applicable à l'époque des faits, prévoyait dans son alinéa 1er que " la société de gestion de portefeuille doit promouvoir les intérêts de ses mandants ou des porteurs des OPCVM gérés " ;

Considérant, pour les faits postérieurs au 1er novembre 2007, que l'article L. 533-1 du code monétaire et financier dispose que " les prestataires de services d'investissement agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, qui favorise l'intégrité du marché " ; que l'article L. 533-11 du code monétaire et financier dispose que " lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les prestataires de services d'investissement agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients " et qu'aux termes de l'article 314-3 du règlement général de l'AMF " le prestataire de services d'investissement agit d'une manière honnête, loyale et professionnelle qui sert au mieux l'intérêt des clients et favorise l'intégrité du marché " ;

1.1.2. Textes relatifs au suivi des investissements et au contrôle des risques des fonds sous-jacents

Considérant que, pour les faits survenus entre le 23 mars 2006 et le 1er novembre 2007, l'article 322-12 du règlement général de l'AMF disposait que " la société de gestion de portefeuille doit en permanence disposer de moyens, d'une organisation et de procédures de contrôle et de suivi en adéquation avec les activités exercées (…). La société de gestion de portefeuille doit disposer, selon des modalités adaptées à la nature, au volume et aux risques de l'ensemble de ses activités, quel que soit leur lieu d'exercice, ainsi qu'à son organisation, des éléments suivants : (…) 2° Un système de mesure des résultats dégagés par les portefeuilles gérés pour le compte de tiers et un système de mesure, de surveillance et de maîtrise des risques encourus par lesdits portefeuilles, permettant de satisfaire aux dispositions de l'article 322-15 ", lequel disposait que " la société de gestion de portefeuille (…) doit pouvoir mesurer à tout moment les risques associés à ses positions et la contribution de ces positions au profil de risque général du portefeuille de l'OPCVM ou du mandant " ;

Considérant que, pour la période postérieure au 1er novembre 2007, ces obligations ont été reprises, en substance, dans les articles 313-1, 313-60, 313-61 et 313-54 I du règlement général de l'AMF ;

Considérant que l'arrêté du 18 mars 2008 est venu ajouter au II de ce dernier article que " (…) Dans le cadre des activités de gestion collective de la société de gestion de portefeuille, ces procédures de prise de décision incluent en particulier les diligences qui président à la sélection, au suivi et au contrôle des risques associés aux instruments financiers dans lesquels l'OPCVM investit " ; que la définition des garanties suffisantes dont doivent se doter les prestataires de services d'investissement " en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers " de nature à leur permettre d'exercer leur activité avec " la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent " et d'agir " d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients ", au sens des articles L. 214-3, L. 533-4 et L. 533-11 du code monétaire et financier, ainsi que le contenu de l'obligation faite à ces derniers, par l'article 322-15 du règlement général de l'AMF, d'être à même de " mesurer à tout moment les risques associés à ses positions et la contribution de ces positions au profil de risque général du portefeuille de l'OPCVM ou du mandant ", étaient déclinés de manière détaillée bien avant l'intervention de cet arrêté ; qu'en effet, les sociétés de gestion de fonds de fonds alternatifs étaient tenues de faire approuver un programme d'activité spécifique dont le contenu avait été précisé par le relevé de décision de la Commission des opérations de bourse, publié en avril 2003, portant notamment sur " les procédures de sélection et de suivi des investissements " ; qu'il résultait de cette décision que " la sélection doit reposer sur l'application d'une série de critères quantitatifs et qualitatifs à des fonds cibles, de façon à établir une liste de fonds éligibles. A partir de cet univers d'investissement possible sont déterminés les investissements effectifs qui doivent faire l'objet d'un suivi permanent (contacts périodiques, visites…) ; l'instauration d'une organisation de contrôle des risques spécifique et définie permettant le suivi des risques de marché (…), de stress scénario, des risques spécifiques, risques de liquidité et risques juridiques (…) risque de commercialisation abusive ou trompeuse " ;

Considérant qu'enfin, l'article L. 533-2 du code monétaire et financier, non modifié sur ce point par l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, prévoit que " les prestataires de services d'investissement disposent de procédures administratives saines, de mécanismes de contrôle interne, de techniques efficaces d'évaluation des risques et de dispositifs efficaces de contrôle et de sauvegarde de leurs systèmes informatiques. (…) " ;

1.2. Examen du grief

Considérant que les sociétés de gestion doivent élaborer des procédures et mettre en oeuvre des politiques qui permettent, tant lors de la sélection que du suivi des fonds, d'identifier les risques liés à leurs activités et, le cas échéant, de déterminer le niveau des risques qui peuvent être tolérés ; que, dans le domaine de la multigestion alternative, où l'information sur certains fonds sous-jacents, non ou peu régulés, n'est pas librement et publiquement disponible, où les stratégies sont complexes et variables dans le temps et où l'utilisation de leviers importants est fréquente, ces contrôles doivent être faits avec une particulière rigueur ;

Considérant qu'il est reproché à ALF d'avoir omis de collecter les informations essentielles sur l'ensemble des acteurs impliqués dans la gestion des fonds sous-jacents dans lesquels ALF ALPHA a investi et, en conséquence, de ne pas avoir eu connaissance, avec la précision nécessaire, des caractéristiques de ces fonds et des risques que comportaient les investissements qui y ont été effectués ; que ne sera examinée que la période non prescrite, postérieure au 23 mars 2006 ;

Considérant que, si ALF s'est dotée en 2008 d'une procédure dite de " due diligence process ", elle n'avait, auparavant, mis au point aucun programme formalisé de vérification et de contrôle ;

Considérant que sera d'abord examinée la première période qui s'étend du 23 mars 2006 au début de l'année 2008 ; qu'ALF a maintenu une part des investissements qu'elle avait faits pour le compte d'ALF ALPHA dans le fonds KINGATE et dans le fonds ONE REGENT, jusqu'au 31 octobre 2007 pour le premier et au delà de cette période pour le second ; qu'elle a en outre procédé à des souscriptions supplémentaires dans le fonds ONE REGENT les 30 avril et 31 décembre 2006, ainsi que le 31 mars 2007 ;

Considérant qu'elle n'a cependant procédé à aucune actualisation des données -au demeurant tout à fait insuffisantes- qu'elle avait recueillies lors des premières souscriptions ; qu'elle ne disposait donc pas des éléments tangibles et sérieux qui auraient pu lui permettre d'appréhender avec diligence et professionnalisme les risques inhérents au maintien de certains de ses investissements et aux souscriptions supplémentaires faites dans le fonds ONE REGENT ; qu'au demeurant, la mise en cause, si elle critique à juste titre la référence faite par la notification des griefs à la période antérieure, couverte par la prescription, ne conteste pas ne pas avoir mis au point, avant le début de l'année 2008, de procédure formelle de suivi des fonds ;

Considérant qu'il ressort en outre du dossier qu'en investissant, les 30 avril et 31 décembre 2006, ainsi que le 31 mars 2007 -soit avant le décret n° 2007-1207 du 10 août 2007 autorisant un tel investissement dans le fonds ONE REGENT qui ne respectait pas le principe de ségrégation des actifs et, partant, les critères de l'article 411-34 du règlement général de l'AMF, ALF a contrevenu aux critères d'éligibilité de ce fonds ; que, s'il n'est pas spécifiquement fait grief à ALF d'avoir effectué des souscriptions dans un fonds qui n'était pas éligible à l'actif d'ALF ALPHA, il demeure que celles-ci sont révélatrices de l'insuffisance des vérifications effectuées par la mise en cause ;

Considérant enfin que, malgré l'identification du rôle central de la société BMIS (Bernard L. Madoff Investment Securities) dans la gestion des fonds KINGATE et ONE REGENT et la conservation de leurs actifs, qui transparaissait dans les prospectus de ces fonds et dont ALF a expressément confirmé, au cours de la séance, avoir eu conscience, la mise en cause n'a pas procédé à la moindre vérification ; qu'ainsi, aucune recherche n'a été faite sur la société BMIS, sur ses équipes en charge de la gestion, sur ses moyens techniques et sur les stratégies développées ; que ALF a seulement justifié avoir noué avec les promoteurs de ces fonds -qui n'ont fait l'objet d'aucune diligence de sa part- des relations dont elle n'a établi aucun compte-rendu écrit ;

Considérant qu'au titre de la seconde période, le fonds ALF ALPHA, s'il ne détenait plus de parts du fonds KINGATE, a maintenu son investissement dans le fonds ONE REGENT, et cela jusqu'au 30 novembre 2008 ;

Considérant que la mise en place, en 2008, d'un " due diligence process " formalisé ne permettrait d'écarter le grief que pour autant que cette procédure aurait donné à la société la possibilité de connaître avec la précision nécessaire les caractéristiques du fonds ONE REGENT et les risques associés au maintien de l'investissement réalisé dans ce fonds ; qu'en l'espèce, aucun élément n'est produit, qui permettrait d'établir qu'ALF a procédé à un contrôle effectif au cours de l'année 2008 ; qu'en effet, le seul document (cotes 311 et 312) formalisant l'analyse qu'ALF dit avoir effectuée, s'il apparaît comme l'actualisation, en janvier 2008, d'une note censément réalisée en janvier 2004 -mais qui n'était pas jointe au dossier disponible au cours du contrôle- fait référence à des " performances mensuelles " allant jusqu'à octobre 2008, date portée sur sa seconde page ;

Considérant que ce document, outre qu'il n'a pas de date certaine, ne comporte que des indications très sommaires sur la stratégie et la performance du fonds ; qu'il ne permettait donc pas d'appréhender avec rigueur la complexité de l'investissement qui a été maintenu jusqu'en novembre 2008 ; qu'au cours de cette année là, les diligences d'ALF, demeurées tout à fait insuffisantes au regard des exigences légales et réglementaires, n'ont donc pas permis de suivre avec la précision nécessaire l'évolution de cet investissement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, du 23 mars 2006 au 30 novembre 2008, la mise en cause, qui n'a procédé à aucune vérification auprès de la société BMIS qu'elle savait pourtant seule en charge de la gestion des fonds KINGATE et ONE REGENT, a pris ses décisions d'investissement et de maintien dans ces fonds sur le seul fondement de la revue des prospectus et rapports d'audit disponibles ainsi que des entretiens informels qu'elle a eus avec des promoteurs dont elle a négligé de vérifier la fiabilité ; qu'ainsi, elle n'a mis en place aucune procédure de sélection et de contrôle reposant sur des critères quantitatifs, qualitatifs et opérationnels sérieux ; que ALF n'a donc pas disposé des éléments susceptibles de constituer le support fiable de décisions qui auraient dû être prises, non pas dans l'opacité, sans avoir eu accès ni aux locaux ni aux équipes de BMIS ni aux modèles économiques employés, mais dans la clarté, après avoir mis en oeuvre les diligences indispensables à la protection de l'intérêt des porteurs ; que le manquement est caractérisé en tous ses éléments ;

2. Sur le grief relatif au non-respect par ALF des conditions auxquelles était subordonné l'agrément qui lui a été délivré

2.1. Rappel du contenu des textes

Considérant que l'article L. 532-9 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, et reprise en substance dans l'ordonnance n° 2011-915 du 1er août 2011, précise que la gestion de portefeuille pour le compte de tiers " est agréée par l'Autorité des marchés financiers (…). Pour délivrer l'agrément à une société de gestion de portefeuille, l'Autorité des marchés financiers vérifie si celle-ci : (…) / 5. dispose d'un programme d'activité pour chacun des services qu'elle entend exercer qui précise les conditions dans lesquelles elle envisage de fournir les services d'investissement concernés et indique le type d'opérations envisagées et la structure de son organisation " ;

Considérant que l'article L. 532-9-1 du même code prévoit quant à lui que " toute modification apportée aux conditions auxquelles était subordonné l'agrément délivré à une société de gestion de portefeuille doit faire l'objet, selon les cas, d'une autorisation préalable de l'Autorité des marchés financiers, d'une déclaration ou d'une notification (…) " ;

Considérant que si l'article R. 214-37 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue du décret n° 2003-1103 du 21 novembre 2003, qui précisait que " les sociétés de gestion assurant la gestion des organismes de placement collectif en valeurs mobilières qui investissent dans des fonds alternatifs doivent au préalable faire approuver par l'Autorité des marchés financiers un programme d'activités spécifique ", a été supprimé par le décret n° 2011-922 pris en application de l'ordonnance n° 2011-915 du 1er août 2011, il n'en demeure pas moins que l'article L. 532-9 du code monétaire et financier précité subsiste et fait obligation à toute société de gestion de portefeuille de disposer " d'un programme d'activité pour chacun des services qu'elle entend exercer qui précise les conditions dans lesquelles elle envisage de fournir les services d'investissement concernés et indique le type d'opérations envisagées et la structure de son organisation " ; qu'il en résulte que, malgré la disparition dans l'ordonnancement juridique de l'expression " programme d'activités spécifique " pour les sociétés de gestion de portefeuille, celles-ci restent tenues de respecter les engagements qu'elles ont pris lors de leur agrément sur le fondement de cette disposition législative ;

Considérant, enfin, que l'article 313-60 du règlement général de l'AMF prévoit que " la société de gestion de portefeuille prend les mesures suivantes :

1° Elle établit et maintient opérationnelles des politiques et procédures efficaces de gestion des risques permettant d'identifier les risques liés à ses activités, processus et systèmes et, le cas échéant, de déterminer le niveau de risque toléré par elle ;

2° Elle adopte des dispositifs, des processus et des mécanismes permettant de gérer efficacement les risques liés à ses activités, processus et systèmes eu égard à son niveau de tolérance au risque ;

3° Elle contrôle :

a) L'adéquation et l'efficacité de ses politiques et procédures de gestion des risques ;

b) Le degré avec lequel elle-même et ses personnes concernées se conforment aux dispositifs, processus et mécanismes adoptés en application du 2° ;

c) L'adéquation et l'efficacité des mesures prises pour remédier à toute déficience au niveau de ces dispositifs et procédures, y compris tout manquement des personnes concernées aux exigences de ces dispositifs ou procédures.

II. - La société de gestion de portefeuille, lorsque cela est approprié et proportionné eu égard à la nature, à l'importance, à la complexité et à la diversité des activités qu'elle exerce, établit et maintient opérationnelle une fonction de gestion des risques exercée de façon indépendante des activités risquées et chargée des tâches suivantes :

1° Mettre en oeuvre les politiques et procédures mentionnées au I ;

2° Conseiller les dirigeants et leur fournir des rapports de contrôle des risques conformément à l'article 313-7.

Dans les cas où la société de gestion de portefeuille n'est pas tenue de garder opérationnelle une fonction de gestion des risques exercée de façon indépendante, elle est néanmoins en mesure de démontrer que les politiques et procédures qu'elle a adoptées en application du I satisfont aux exigences de ce paragraphe avec l'efficacité appropriée ".

2.2. Examen du grief

Considérant qu'il est fait grief à ALF de ne pas s'être dotée des moyens humains et techniques nécessaires à l'accomplissement des diligences relatives au processus de sélection, de suivi et de contrôle des fonds sous-jacents, contrairement aux engagements qu'elle avait pris dans son programme d'activités spécifique du 12 décembre 2003 approuvé par l'AMF le 16 mars 2004 et non modifié depuis lors ; que ne sera examinée que la période, non prescrite, postérieure au 23 mars 2006 ;

Considérant, en premier lieu, que ce n'est qu'au début de l'année 2008 qu'est apparue la première formalisation d'un processus de sélection, matérialisée par un " due diligence process ", alors qu'ALF s'était expressément engagée dès la fin de l'année 2003 à mettre en oeuvre une procédure opérationnelle destinée à sélectionner les investissements et à suivre les fonds sous-jacents ;

Considérant, en deuxième lieu, que contrairement aux engagements contenus dans le programme d'activité d'ALF, qui devait maintenir en son sein deux gérants employés à temps plein, il résulte de l'instruction que Mme R., nommée le 17 mars 2008 en remplacement de M. H, n'a consacré que la moitié, puis les deux tiers de son temps de travail à ALF ; qu'il est donc établi que, à partir du 17 mars 2008, si les deux gérants étaient physiquement présents, un seul, M. C, exerçait ses fonctions à temps plein ;

Considérant, en troisième lieu, que deux analystes salariées d'une société distincte du groupe, dénommée L., ainsi que M. N, directeur général d'une autre société du même groupe, K, associé de L. et président du comité d'investissement d'ALF depuis septembre 2007, sont intervenus, sans aucune convention, dans le processus de sélection et de gestion des fonds ; que ce constat n'est d'ailleurs pas contesté par la société ;

Considérant que les documents produits par ALF conduisent, en revanche, à écarter le quatrième élément, concernant le statut de la personne en charge de la fonction de contrôleur des risques ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'ALF ne s'est pas conformée, notamment en ce qui concerne les moyens humains, aux stipulations de son programme d'activité sur la multigestion alternative ; que les trois premiers éléments du grief seront donc retenus, mais pour la seule période postérieure au 23 mars 2006 ;

3. Sur les sanctions et la publication

Considérant que, parmi les manquements relevés à l'encontre d'ALF, les uns sont survenus, les autres se sont poursuivis après le 23 mars 2006 ; qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa version issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, les sanctions encourues sont " l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la Commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés " ; que la loi du 4 août 2008 a porté le montant de la sanction pécuniaire encourue à 10 millions d'euros ;

Considérant qu'il sera tenu compte de la gravité intrinsèque du premier manquement mettant en lumière, dans le domaine de la multigestion alternative, des défaillances multiples et avérées dans la mise en place du processus de sélection des fonds et de contrôle des risques, mais aussi des efforts de transparence et de mise en conformité déployés par ALF, ainsi que de la dégradation de sa situation financière au cours des dernières années ; que lui sera infligée une sanction pécuniaire de 150 000 euros ;

Considérant que la publication de la présente décision ne risque ni de perturber gravement les marchés financiers ni de causer un préjudice disproportionné à la personne morale concernée; qu'elle sera donc ordonnée ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par Mme France Drummond et M. Jean-Claude Hanus, membres de la 1ère section de la Commission des sanctions, en présence de la Secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- prononcer à l'égard de la société ALTERNATIVE LEADERS France une sanction pécuniaire de cent cinquante mille (150 000) euros ;

- publier la présente décision sur le site internet de l'AMF et dans le recueil des décisions de la Commission des sanctions.

A Paris, le 21 octobre 2011.

La Secrétaire de séance, Brigitte Letellier

La Présidente, Claude Nocquet


Cette décision peut faire l'objet d'un recours dans les conditions prévues à l'article R. 621-44 du code monétaire et financier.

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