Jurisprudence : Cass. soc., 08-11-2011, n° 10-23.593, F-D, Rejet

Cass. soc., 08-11-2011, n° 10-23.593, F-D, Rejet

A8898HZL

Référence

Cass. soc., 08-11-2011, n° 10-23.593, F-D, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5630097-cass-soc-08112011-n-1023593-fd-rejet
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Abstract

L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 8 novembre 2011 est un "petit arrêt", voué à discrétion du point de vue de la politique de publication des décisions rendues par la Cour suprême, mais il pose une grande question devant laquelle chefs d'entreprise et responsables des ressources humaines restent souvent démunis : celle de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle des salariés, que les moyens modernes de communication ont accentuée, et donc de sa porosité.



SOC. PRUD'HOMMES CH.B
COUR DE CASSATION
Audience publique du 8 novembre 2011
Rejet
M. BAILLY, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt no 2284 F-D
Pourvoi no B 10-23.593
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par M. Jean-Pierre Le Z, domicilié Saint-Pair-sur-Mer,
contre l'arrêt rendu le 23 juin 2010 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'association La Ligue de l'enseignement de l'Isère, dont le siège est Grenoble cedex 1,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 5 octobre 2011, où étaient présents M. Bailly, conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
Mme Grivel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Geerssen, conseiller, M. Foerst, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Grivel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Laugier et Caston, avocat de M. Le Z, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de l'association La Ligue de l'enseignement de l'Isère, l'avis de M. Foerst, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 juin 2010), que M. Le Z, engagé le 1er janvier 1992 en qualité de coordinateur des activités par l'Association de gestion d'équipements sportifs et transféré en 2002 à la Ligue de l'enseignement de l'Isère où il était en dernier lieu chargé de mission au centre de jeunesse départemental de l'Isère, a été licencié pour faute grave le 13 octobre 2008 après avoir été mis en garde à vue pour détention dans son logement de fonction de photos de mineurs à caractère pornographique ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement repose sur une faute grave et de le débouter de sa demande d'indemnités à ce titre, alors, selon le moyen
1o/ qu'un fait de la vie personnelle du salarié ne peut constituer un motif de licenciement pour faute grave, dès lors qu'il ne caractérise pas une violation des obligations résultant de son contrat de travail ou des relations de travail qui soit d'une telle importance qu'elle rende impossible la poursuite de celles-ci ; que la seule détention de photos à caractère pornographique dans les affaires personnelles par le salarié au sein du domicile que lui a attribué son employeur, révélée par hasard, pour répréhensible qu'elle soit au plan pénal, ne peut être rattachée à son activité professionnelle mais également à son comportement général au sein de l'entreprise, tel que décrit par les auteurs des attestations versées aux débats, dès lors qu'il n'a jamais été constaté de sa part la moindre anomalie ni de langage ni d'attitude déplacée à l'égard de quiconque, alors qu'était concomitamment souligné son grand professionnalisme ; qu'en statuant à partir de cette seule détention et de la possible impression de ces photos à partir de son matériel de bureau afin de dire que les faits reprochés au salarié étaient rattachables à sa vie professionnelle quand ils appartenaient uniquement à sa vie privée, et en considérant que son licenciement était fondé sur une faute grave, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 9 du code civil ensemble celles des articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2o/ que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que s'il appartient au juge de rechercher au-delà des énonciations du licenciement la véritable cause du licenciement, ils ne peuvent statuer sur des faits non visés dans la lettre de licenciement ; que dès lors, l'arrêt attaqué, qui s'est fondé sur la circonstance que les photographies litigieuses avaient été imprimées sur du matériel professionnel afin de dire que les faits n'appartenaient pas à la sphère privée du salarié quand cette circonstance n'était pas visée dans la lettre de licenciement, l'arrêt attaqué a violé l'article 1232-6 du code du travail ;
3o/ que la cour d'appel, qui a cru devoir relever que les faits déférés avaient causé un trouble objectif au sein de l'entreprise sans autrement caractériser ce trouble et en l'absence de toute constatation établissant que les faits reprochés avaient nui à la bonne marche de l'entreprise ou à sa réputation ou lui auraient causé un préjudice même minime, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
4o/ que la cour d'appel, qui a retenu qu'il aurait eu un contact permanent avec les mineurs quand ses fonctions n'étaient pas celles d'un animateur, mais avaient trait à la coordination des fonctions et activités des animateurs, n'a pas mieux caractérisé le lien entre la détention des photographies litigieuses et son activité professionnelle et n'a, partant, pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
5o/ que même si les photos litigieuses ont été découvertes inopinément dans une armoire du logement de fonctions du salarié mis à sa disposition par son employeur, ces lieux n'en constituent pas moins le domicile personnel du salarié et, partant, un lieu relevant de sa vie privée ; qu'en ne retenant pas cette circonstance et en se fondant sur le seul fait que ce logement appartenait à son employeur pour considérer que les faits ayant motivé son licenciement ne relevaient plus exclusivement de sa vie personnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 9 du code civil ensemble celles de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Mais attendu qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que la cour d'appel, qui a relevé par des constatations souveraines que le salarié, dont les fonctions le mettaient en contact permanent avec des mineurs, avait imprimé avec le matériel mis à sa disposition par l'employeur 929 photographies à caractère pédo-pornographique qui avaient été découvertes dans le logement de fonction qu'il occupait dans l'enceinte du centre, a ainsi caractérisé une faute professionnelle dont la gravité justifiait la rupture immédiate du contrat de travail ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permanence l'admission du pourvoi
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Le Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits par la SCP Laugier et Caston, avocat aux Conseils, pour M. Le Z.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur Z Z était fondé sur une faute grave et de l'AVOIR en conséquence débouté de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE Jean-Pierre Le Z ne conteste pas avoir détenu à son domicile 929 photos de mineurs à caractère pornographique mais fait valoir que ces faits relevant de sa vie personnelle ne pouvaient motiver une procédure disciplinaire ; que si les faits tirés de la vie personnelle ne peuvent en principe constituer une faute disciplinaire, il en va différemment lorsqu'ils se rattachent à la vie professionnelle et/ou qu'ils ont causé un trouble objectif au sein de l'entreprise ; qu'en l'espèce, Jean-Pierre Le Z dont les fonctions le mettaient en contact permanent avec des mineurs, occupait un logement de fonction se trouvant dans l'enceinte du centre ; que c'est dans ce logement que les photographies étaient entreposées après qu'il les aient imprimées avec le matériel de son bureau, ainsi qu'il l'a indiqué aux gendarmes le 29 septembre 2008 ; que, dans ces conditions, les faits qui ont motivé le licenciement ne relevaient plus exclusivement de sa vie personnelle, dès lors que Jean-Pierre Le Z avait utilisé les moyens mis à sa disposition par son employeur et conservé les photos dans un local appartenant à l'employeur ; que le comportement de Jean-Pierre Le Z a en outre causé un trouble objectif au sein de l'entreprise, au regard de ses fonctions et de la finalité propre de la Ligue de l'Enseignement ; que contrairement à ce qu'a jugé le Conseil de prud'hommes, la détention par Jean-Pierre Le Z de photos de mineurs à caractère pornographique dans les circonstances ci-dessus rappelées constitue un grave manquement à ses obligations contractuelles justifiant son licenciement immédiat ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a écarté la faute grave et débouté Jean-Pierre Le Z de toutes ses demandes au titre du licenciement ;
1o) ALORS QU 'un fait de la vie personnelle du salarié ne peut constituer un motif de licenciement pour faute grave, dès lors qu'il ne caractérise pas une violation des obligations résultant de son contrat de travail ou des relations de travail qui soit d'une telle importance qu'elle rende impossible la poursuite de celles-ci ; que la seule détention de photos à caractère pornographique dans les affaires personnelles par le salarié au sein du domicile que lui a attribué son employeur, révélée par hasard, pour répréhensible qu'elle soit au plan pénal, ne peut être rattachée à son activité professionnelle mais également à son comportement général au sein de l'entreprise, tel que décrit par les auteurs des attestations versées aux débats, dès lors qu'il n'a jamais été constaté de sa part la moindre anomalie ni de langage ni d'attitude déplacée à l'égard de quiconque, alors qu'était concomitamment souligné son grand professionnalisme ; qu'en statuant à partir de cette seule détention et de la possible impression de ces photos à partir de son matériel de bureau afin de dire que les faits reprochés à Monsieur Z Z étaient rattachables à sa vie professionnelle quand ils appartenaient uniquement à sa vie privée, et en considérant que son licenciement était fondé sur une faute grave, la Cour d'appel de GRENOBLE a violé les dispositions de l'article 9 du Code civil ensemble celles des articles L. 1121-1, L. 1232-1,L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail ;
2o) ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que s'il appartient au juge de rechercher au-delà des énonciations du licenciement la véritable cause du licenciement, ils ne peuvent statuer sur des faits non visés dans la lettre de licenciement ; que dès lors, l'arrêt attaqué, qui s'est fondé sur la circonstance que les photographies litigieuses avaient été imprimées sur du matériel professionnel afin de dire que les faits n'appartenaient pas à la sphère privée du salarié quand cette circonstance n'était pas visée dans la lettre de licenciement, l'arrêt attaqué a violé l'article 1232-6 du Code du travail ;
3o) ALORS QUE la Cour d'appel, qui a cru devoir relever que les faits déférés avaient causé un trouble objectif au sein de l'entreprise sans autrement caractériser ce trouble et en l'absence de toute constatation établissant que les faits reprochés avaient nui à la bonne marche de l'entreprise ou à sa réputation ou lui auraient causé un préjudice même minime, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du Code civil, ensemble les articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail ;
4o) ALORS QUE la Cour d'appel, qui a retenu que Monsieur Z Z aurait eu un contact permanent avec les mineurs quand ses fonctions n'étaient pas celles d'un animateur, mais avaient trait à la coordination des fonctions et activités des animateurs, n'a pas mieux caractérisé le lien entre la détention des photographies litigieuses et son activité professionnelle et n'a, partant, pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du Code civil, ensemble les articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail ;
5o) ALORS QUE même si les photos litigieuses ont été découvertes inopinément dans une armoire du logement de fonctions de Monsieur Z Z mis à sa disposition par son employeur, ces lieux n'en constituent pas moins le domicile personnel du salarié et, partant, un lieu relevant de sa vie privée ; qu'en ne retenant pas cette circonstance et en se fondant sur le seul fait que ce logement appartenait à son employeur pour considérer que les faits ayant motivé son licenciement ne relevaient plus exclusivement de sa vie personnelle, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 9 du Code civil ensemble celles de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Z Z tendant à la restitution de ses effets personnels ;
AUX MOTIFS QU'alors qu'il ne formait aucune demande de ce chef devant le Conseil de prud'hommes, bien qu'il ait libéré le logement mis à sa disposition depuis plus de six mois lorsque l'affaire a été évoquée devant les premiers juges, Jean-Pierre Le Z soutient en cause d'appel qu'il avait mis du matériel personnel à la disposition du centre et en demande le remboursement faute d'avoir pu en obtenir la restitution ; il produit pour étayer sa demande un document manuscrit de 11 pages listant les objets les plus divers (...) ; il n'établit cependant par aucune pièce, ni que ces matériels lui appartiennent (aucune facture n'est produite, mais un récapitulatif invérifiable), ni qu'il les a mis gracieusement à la disposition du centre ; il sera débouté de sa demande en paiement de la somme de 14.141 euros ;
ALORS QUE le bénéfice d'un logement de fonctions pendant seize ans est de nature à présumer de la propriété de ces objets, d'autant plus que ni l'existence, ni la propriété des biens revendiqués par Monsieur Z Z n'ont été contestés par la Ligue de l'enseignement de l'Isère ; qu'en en refusant la restitution sans relever ce fait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 544 du Code civil.

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