RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 27 Octobre 2011
(n° 4, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général S 10/00609
Décision déférée à la Cour jugement rendu le 27 Août 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS - Section ACTIVITÉS DIVERSES - RG n° 08/11702
APPELANTE
SA CABINET THIBOUT
PARIS
représentée par Me Stéphane FRIEDMANN, avocat au barreau de PARIS, toque P0425 substitué par Me Constance DELACOUX, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur Pierre Y
VINCENNES
comparant en personne
assisté de Me Evelyn BLEDNIAK, avocat au barreau de PARIS, toque K0093 substitué par Me Sabine DU PUY DE CLINCHAMPS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DESMURE, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de
Mme Françoise FROMENT, président
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseiller
Mme Anne DESMURE, conseiller
Greffier Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. Y est entré le 1er septembre 2005 au service de la société d'expertise comptable CTSA experts, en qualité d'expert-comptable stagiaire et moyennant une rémunération mensuelle brute de 2 462 euros sur 13 mois.
Par avenant du 18 décembre 2006, le contrat de travail a été transféré à compter du 1er janvier 2007 à la SA cabinet Thibout, qui a une activité d'audit et de commissariat aux comptes, M. Y devenant Responsable Audit moyennant une rémunération mensuelle brute forfaitaire de
2 925 euros.
Par lettre datée du 26 mars 2008, l'employeur a infligé un avertissement à M. Y.
Le 4 avril suivant, M. Y a été convoqué à un entretien préalable et mis à pied à titre conservatoire.
Il a ensuite été licencié pour faute grave le 28 avril 2008.
Saisi pour l'essentiel d'une contestation de la légitimité de ce licenciement ainsi que d'une demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires, le conseil de prud'hommes de Paris a, par jugement du 27 août 2009, dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et que la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires était justifiée et condamné en conséquence le cabinet Thibout à payer à M. Y les sommes suivantes
- 3 649,85 euros de rappel de salaire de mise à pied et congés payés,
- 7 334 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 733,40 euro au titre des congés payés afférents,
- 1 040 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 8 438,84 euros de rappel de salaires pour les années 2006, 2007 et 2008,
avec intérêt légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation.
Le conseil de prud'hommes a également ordonné la remise des documents sociaux conformes.
Régulièrement appelant, le cabinet Thibout demande à la cour d'infirmer ce jugement et, statuant à nouveau, de dire que le licenciement procédait d'une faute grave et que la prétention au paiement d'heures supplémentaires n'est pas justifiée, de débouter en conséquence M. Y de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à lui restituer la somme de 16 143,01 euros dont il s'est acquitté à l'occasion de l'exécution provisoire.
Intimé, M. Y requiert la cour de confirmer le jugement en ses condamnations, de l'infirmer en revanche en ce qu'il l'a débouté de ses prétentions indemnitaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, du travail dissimulé ainsi que de ses frais irrépétibles, et de lui allouer les sommes respectives de 20 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 22 002 euros au titre du travail dissimulé et 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un complet exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux écritures que les parties ont déposées et développées oralement à l'audience du 13 septembre 2011.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires
Considérant, selon l'article L.3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile ;
Considérant en l'espèce que les parties s'accordent à reconnaître que M. Y relevait de la catégorie Personnel itinérant 'non autonome' de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes ;
Considérant que, s'agissant de cette catégorie de personnel, il résulte de
- l'article 8.1.2.2 de la convention collective que le temps de travail effectif de cette catégorie de personnel est évalué sur la base d'un temps budgété, et que sur la base du temps budgété, la charge annuelle de travail correspondant à la fonction est définie pour que la durée annuelle du travail soit de 1 596 heures pour une durée hebdomadaire moyenne de travail effectif de 35 heures, hors congés annuels légaux, jours fériés, chômés et dimanches,
- de l'article 8.1.5.2 que le contrôle de la durée du travail s'effectue à partir de documents établis par le salarié faisant apparaître les temps de travail de chaque journée avec récapitulatifs hebdomadaire, que ces documents sont communiqués par le salarié à la direction qui dispose de 2 mois pour valider même tacitement le temps de travail effectif par rapprochement avec les temps budgétés, et qu'ils constituent un élément de preuve au sens de l'article L.212-1-1 et correspondent à l'exigence de l'article D.212-21 du code du travail,
- de la loi et des articles 5.2.1 et 8.2.3.2 que les majorations applicables sont de 10% entr la 36ème et la 39ème heure, de 25% entre la 40ème et la 43ème heure, puis de 50% au delà ;
Considérant que M. Y, dont le temps de travail était de 35 h hebdomadaires, correspondant aux 151,67 h/mois figurant sur son bulletin de paie, explique qu'au sein du cabinet Thibout, les temps sont saisis sur un logiciel nommé 'DIA', se présentant sous forme d'un journal comportant différentes colonnes, pour la date, le nom du dossier, le nom du collaborateur, la date de fin d'exercice, le type de mission et le type de prestation, ainsi que pour la durée et le calcul automatique de la facturation, la dernière colonne, intitulée prix facturé, correspondant à un état des factures émises et payées ou non par le client; qu'au soutien de ses prétentions chiffrées détaillées pour chaque période dans ses écritures, il verse son journal de temps détaillé d'octobre 2005 à janvier 2008 ainsi que les états récapitulatifs mensuels de saisie de ses temps de janvier 2006 à mars 2008 ;
Considérant que, jointes aux attestations de deux anciens salariés qui témoignent que M. Y a effectué de nombreuses heures supplémentaires au service du cabinet Thibout, ces pièces étayent suffisamment la demande en paiement d'heures supplémentaires ;
Considérant que, pour combattre la prétention adverse, le cabinet Thibout excipe de ce que
M. Y n'a pas décompté le 22 janvier 2008 qui a correspondu à un jour de formation Excel ni non plus les journées de formation stagiaire, aussi de ce que le relevé contrôle des heures saisies pour le mois de janvier 2008 indique 109,4 alors que pour la même période le document 'journal des temps détaillé par collaborateur' fait apparaître un cumul de 117,40 heures, également de ce que M. Y revendiquait initialement 340 heures alors qu'il a demandé en justice le règlement de 315 heures, enfin de ce qu'il a fourni d'autres relevés de temps à l'Ordre des experts comptables pour valider son stage ;
Mais considérant que le Cabinet Thibout ne justifie, ni n'allègue même, qu'il n'a pas facturé ses honoraires sur la base des documents dont M. Y se prévaut; que partant il conteste vainement être redevable du paiement des heures supplémentaires de travail revendiquées ;
Considérant que de l'ensemble de ce qui précède, il résulte que la réalité de l'existence des heures supplémentaires réclamées est établie ; que le jugement sera par conséquent confirmé ;
Sur le travail dissimulé
Considérant qu'en application de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi le fait pour l'employeur notamment de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.3243-2 relatif à la délivrance du bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli; que l'article L.8223-1 du code du travail sanctionne le travail dissimulé d'une indemnité forfaitaire allouée au salarié égale à six mois de salaire, à moins que l'application d'autres règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le cabinet Thibout a utilisé sciemment, sans le rémunérer de l'intégralité de ses heures, la force de travail de M. Y au delà de la durée légale de travail; que le jugement sera ici infirmé et, tenant compte des heures supplémentaires accomplies par M. Y au cours des six mois précédant la rupture, la prétention chiffrée de M. Y sera accueillie;
Sur la rupture
Considérant qu'il est constant que M. Y a travaillé au service de la société CTSA experts, puis du cabinet Thibout, à la pleine satisfaction de son employeur pendant deux ans et demi ; que la qualité de la relation contractuelle s'est brutalement dégradée au mois de mars 2008 ; que par lettre du 26 mars 2008, l'employeur a infligé un avertissement à M. Y pour s'être présenté sur son lieu de travail le jeudi précédent à 11h20, également pour ne pas s'être présenté sur son lieu de travail la veille, 25 mars, sans motif, et pour avoir le jour même, 26 mars, refusé de ses rendre chez un client avec pour motif invoqué 'je ne suis pas motivé pour aller chez Fléchard' ; qu'aux termes de cette lettre, l'employeur réitérait son refus d'accéder à la demande de M. Y d'être licencié pour pouvoir rédiger son mémoire tout en percevant les allocations Assedic ; que cette lettre d'avertissement a été présentée le 29 mars puis a été distribuée le 1er avril ; que, par lettre datée du 27 mars, mais postée le 1er avril, M. Y a réclamé le paiement de 340 heures supplémentaires à son employeur; que M. Y ne contestait pas les motifs de l'avertissement ni ne protestait des accusations de tentative de fraude aux Assédic portées à son encontre ; qu'au demeurant, les indications du Cabinet Thibout selon lesquelles M. Y se prévalait de ce que sa compagne, Mlle ..., avait obtenu un tel 'arrangement' du cabinet d'expertise comptable parisien Amperex, expert comptable M. Thierry ..., n'ont pas non plus suscité d'observation de sa part ;
Considérant que M. Y a été licencié le 28 avril 2008 ; qu'aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur reproche à M. Y des 'retards et absences injustifiées, actes d'insubordination et perturbations des services en vue d'obtenir votre licenciement'; qu'après avoir relaté le contexte de la dégradation de la relation contractuelle, les faits imputés à faute à M. Y les 20 mars, 25 mars et 26 mars, l'employeur fait en substance grief à M. Y d'avoir renouvelé le 27 mars sa demande d'être licencié et d'avoir, à la suite de son refus, prévenu le client Stentys de son départ du cabinet le 30 avril, puis, dans la semaine du 28 mars au 4 avril, d'être arrivé chaque jour entre 10h45 et 11h15, de n'avoir fourni aucun travail et d'avoir délibérément refusé toutes les directives ;
Considérant que M. Y observe exactement que les faits commis antérieurement au 27 mars 2008 ont été sanctionnés; qu'il convient donc d'analyser si M. Y a commis une nouvelle faute après s'être vu infligé l'avertissement et dans l'affirmative, si ces nouveaux manquements fautifs sont de nature à caractériser une réitération d'un comportement fautif ;
Considérant à cet égard que Mme ..., secrétaire générale, et Mme ..., assistante, attestent de l'heure tardive à laquelle M. Y est arrivé sur son lieu de travail 'après le 25 mars' ; que M. Y ne conteste au demeurant pas avoir continué à se présenter sur son lieu de travail entre 10h45 et 11h15, après que l'avertissement lui eut été infligé; qu'il soutient néanmoins que ce comportement ne peut lui être imputé à faute dés lors qu'il n'était pas soumis à un horaire et qu'il devait simplement consacrer le 'temps nécessaire au bon exercice de ses fonctions' ; que cependant le fait de se présenter en fin de matinée sur son lieu de travail, malgré les remarques qui lui avaient été faites sur ce point, caractérise une attitude volontairement provocatrice de M. Y qui ne pouvait ignorer, de par sa formation, qu'un tel comportement était de nature à désorganiser le fonctionnement de l'entreprise ;
Que par ailleurs, le Cabinet Thibout, dont l'effectif était de huit salariés lors du licenciement, verse au débat les attestations de Mme ..., de Mme ..., et de M. ..., responsable expertise, lesquels témoignent de façon concordante du comportement d'insubordination dont a fait montre M. Y après le 25 mars 2008 en refusant de se conformer aux directives de son employeur ; que M. ... atteste notamment que 'Pierre Y a continué à refuser de faire les tâches prévues à son planning' et qu'il a dû 'organiser en catastrophe une équipe du service d'expertise pour suppléer à son refus d'aller notamment dans l'entreprise Compteurs Farnier dont il a la charge pour réaliser les tâches annuelles d'audit qui étaient planifiées depuis plusieurs semaines'; que l'employeur verse également au débat un courrier électronique adressé le 2 avril 2008 à 14h42 par Mme ... à M. Y, auquel ce dernier n'a pas opposé de démenti, et qui était ainsi libellé 'Vous n'avez pas à travailler sur Stentys ni Baccata qui ne sont pas sur votre planning et ne constituent pas une priorité. Je vous rappelle que vos tâches pour cette semaine sont Compteurs Farnier, Fléchard, que vous avez refusé de faire la semaine dernière et ABC Peinture également refusé par vous la semaine dernière'; que la preuve est ainsi suffisamment faite par l'employeur de l'attitude d'insubordination de M. Y malgré l'avertissement qui lui avait été infligé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, postérieurement à l'avertissement du 26 mars 2008, M. Y a persévéré dans un comportement fautif délibéré qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise eu égard notamment au fait qu'il était en contact direct avec la clientèle; que partant, le jugement entrepris sera infirmé et M. Y débouté de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires consécutives à la rupture ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que l'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Cabinet Thibout à payer à M. Y la somme de 8 438,84 euros à titre de rappel de salaires, en ce qu'il a débouté chaque partie de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la SA Cabinet Thibout ;
L'infirme en ce qu'il a dit que le licenciement de M. Y était fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté M. Y de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que le licenciement de M. Y procédait d'une faute grave ;
Déboute en conséquence M. Y de ses prétentions indemnitaires consécutives à la rupture du contrat de travail ;
Condamne la SA Cabinet Thibout à payer à M. Y la somme de 22 002 euros au titre du travail dissimulé ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la SA Cabinet Thibout aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT