Jurisprudence : CA Rennes, 02-11-2011, n° 10/04156

CA Rennes, 02-11-2011, n° 10/04156

A1228HZI

Référence

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5ème Chambre
ARRÊT N° 438 R.G 10/04156
L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION ENCLAVE INCARDINE
C/
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le
à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2011

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président,
Monsieur Patrick GARREC, Conseiller,
Madame Agnès LAFAY, Conseiller,
GREFFIER
Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 16 Mars 2011
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 02 Novembre 2011, date indiquée à l'issue
des débats 18 mai 2011
****

APPELANTE
L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION ENCLAVE INCARDINE

JANZE
représentée par la SCP GAUTIER LHERMITTE, avoués
assistée de Me F NAIM, avocat
INTIMÉE
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES
Direction des Services Fiscaux 35
Cité Administrative - Rue ... Thomas
RENNES CEDEX 09
représentée par la SCP Jean-Loup BOURGES - Luc BOURGES, avoués
*******************
I CADRE DU LITIGE
A OBJET
L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION L'ENCLAVE - INCARDINEE (ci-après l'Association L'ARCHE DEMARIE), association à but non lucratif créée en 1985 sous le régime de la loi du 01 juillet 1901 à THIERVILLE dont le siège est à CORPS-NUDS, a pour objet social la sauvegarde et la protection de la foi chrétienne par la pratique de la prière en groupe et de la charité évangélique.
Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 26 avril 2002 au 14 juin 2002 pour la période du 01 janvier 1999 au 31 décembre 2000.
Le contrôle entrepris n'a pas conduit au constat de la poursuite d'activités à but lucratif emportant sa soumission au régime d'imposition des Bénéfices Industriels et Commerciaux.
En revanche, il a été constaté au cours du contrôle, effectué sur place, qu'elle était destinataire de dons manuels.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 juin 2002, il a été demandé à l'Association L'ARCHE DE MARIE de déclarer les dons en cause dans le délai d'un mois.
Le 13 juillet 2002, elle a renvoyé un exemplaire numéro 2735 pour chacune des années 1999 et 2000 avec la mention 'néant'.
Une mise en demeure a été adressée à l'Association L'ARCHE DE MARIE et à son avocat, Maître ..., par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 juillet 2002.
Devant le refus de l'association de remplir les imprimés, l'Administration Fiscale lui a adressé des rappels de droits sur la base d'une taxation d'office.
En définitive, ont été maintenus les rappels suivants
DROITS PÉNALITÉS
1999 62 158 Euros 40 247 Euros
2000 62 976 Euros 35 110 Euros
Ces rappels ont été mis en recouvrement par la Recette des impôts de RENNES SUD le 16 juillet 2004.
Par acte du 08 mars 2005, l'Association L'ARCHE DE MARIE a assigné le Directeur des Services Fiscaux afin que soit prononcée
- l'annulation de l'avis de mise en recouvrement du 16 juillet 2004 - la décharge des droits en principal et des pénalités
- la condamnation du Directeur des Services Fiscaux à lui verser la somme de 2500 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
B PROCÉDURE
Par jugement du 11 septembre 2007, le Tribunal de Grande Instance de RENNES a débouté l'Association L'ARCHE DE MARIE de ses demandes tendant à l'annulation de l'avis de mise en recouvrement en date du 16 juillet 2004, à la décharge des droits et pénalités réclamés et de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et l'a condamnée aux dépens.
Sur son appel la Cour, par arrêt du 10 février 2009 - a infirmé le jugement entrepris,
- statuant à nouveau, a déchargé avec toutes conséquences de droit l'Association L'ARCHE DE MARIE des droits de mutation et pénalités visés à l'avis de mise en recouvrement du 16 juillet 2004,
- a condamné l'Administration des Impôts aux dépens de première instance et d'appel à l'exclusion des émoluments d'avocat avec autorisation de droit de recouvrement prévu à l'article 699 du Code de Procédure Civile au profit de la SCP d'avoués GAUTIER et LHERMITTE,
- a condamné l'Administration des Impôts à payer à l'Association L'ARCHE DE MARIE la somme de 2000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Sur pourvoi formé par le Directeur Général des Finances Publiques domicilié à PARIS, la Cour de Cassation a, au visa des seules dispositions de l'article 795-10è du Code Général des Impôts qui avaient amené la Cour à considérer que l'Association L'ARCHE DE MARIE relevait bien de la catégorie des associations cultuelles 'autorisées' au sens de l'article 200 1er - e dudit Code et qu'elle était exonérée de ce fait des droits sur les dons et legs qui lui étaient adressés, a cassé la décision en toutes ses dispositions par arrêt du 07 avril 2010 considérant que tel n'était pas le cas, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour de RENNES autrement composée.
En application des articles 1032 et 1033 du Code de Procédure Civile, L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION L'ENCLAVE - INCARDINEE a, par acte enregistré au greffe de la Cour le 31 mai 2010, saisi la Cour de renvoi.
Le Directeur des Services Fiscaux d'Ille et Vilaine a fait de même par acte enregistré au greffe de la Cour le 23 juin 2010.
Les procédures, enregistrées sous les références 10/4156 et 10/5113, ont été jointes par ordonnance du 28 octobre 2010.
C)

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'Association L'ARCHE DE MARIE a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 09 novembre 2010 ses ultimes conclusions d'appelante accompagnées d'un bordereau récapitulatif visant 31 documents communiqués.
Par envoi du 23 novembre 2010, elle a demandé l'annexion à ses écritures d'un bordereau de communication de pièces additionnel visant un nouveau document porté à la connaissance de l'intimée le jour même.
La Direction Générale des Finances Publiques représentée par Monsieur ... ... des Services Fiscaux d'Ille et Vilaine a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 19 octobre 2010, ses ultimes conclusions accompagnées d'un bordereau de pièces communiquées visant 26 documents.
Dans le cadre de leurs échanges, les parties sont amenées à discuter, à partir des contestations exprimées par l'appelante,
1 - de la régularité de la procédure de redressement mise en oeuvre,
. réputée, selon l'appelante, avoir été engagée de manière irrégulière au regard des dispositions de l'article R 256 du Livre des procédures fiscales dans la mesure où le renvoi de l'imprimé 2735 dans le délai requis par la loi interdisait l'emploi de la procédure de taxation d'office même si aucun règlement de droits n'accompagnait la formalité accomplie.
. réputée encore irrégulière en ce que, selon l'appelante, les associations à but non lucratif ne pourraient être soumises à une vérification de comptabilité mais seraient justiciables de la seule procédure de contrôle sur place.
. réputée encore sans objet dès lors que, relevant de la mise en oeuvre d'une procédure de redressement contradictoire et non d'une taxation d'office comme évoqué dans la notification de redressement puisque, portant la mention 'néant' sur l'imprimé 2735 elle manifestait l'intention de ne rien révéler au sens de l'article 757 du Code Général des Impôts, la base de l'imposition est inexistante faute par l'administration d'apporter la preuve de la réalité des donations alléguées.
. réputée déloyale et fondée sur une preuve déloyale obtenue par le biais d'une vérification de comptabilité à laquelle elle ne pouvait s'opposer et qui a été détournée de son objet réel dans la mesure où l'Administration ne pouvait considérer qu'une 'révélation', acte par nature volontaire, libre et non contraint au regard des termes de l'article 757 du Code Général des Impôts, pouvait être matérialisée par la seule présentation de la comptabilité, acte obligatoire auquel est tenu le destinataire d'un avis de vérification.
2 - de l'obligation d'acquitter les droits et pénalités appelés dans la mesure où l'Association
L'ARCHE DE MARIE prétend démontrer qu'elle relève des associations cultuelles visées à l'article 200 alinéa 1er-e du Code Général des Impôts qui bénéficient d'une exonération des droits sur les dons et legs en application de l'article 795 alinéa 10 dudit Code, où elle entend par ailleurs démontrer que le régime de l'autorisation ministérielle ou préfectorale ne lui est pas opposable au regard des dispositions de l'article 16 de la loi du 23 juillet 1987.
3 - du caractère discriminatoire du régime de droit qui lui est opposé au regard du droit européen dans la mesure où porte atteinte à la liberté de religion ou d'association un système fiscal qui assujettit les dons manuels reçus par une association à but non lucratif à des droits de mutation au taux de 60 % sur la seule présentation, obligatoire, de sa comptabilité s'il n'est encadré par des critères objectifs déterminant le choix des contribuables soumis à vérification, ce qui est le cas en l'espèce, les critères d'exercice du contrôle et du choix du contribuable contrôlé étant indéterminés, discrétionnaires en fait, et fondés, quant au choix de la vérification sur place, sur d'obscures raisons ayant pour visée de 'faire révéler' des dons.
4 - du caractère attentatoire des contrôles effectués, dans le cadre informel mis en oeuvre par l'administration, au principe d'égalité des citoyens devant la loi (article 14 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen et 1er du Protocole numéro 1), au principe de la liberté de religion (article 9 de la convention) et de la liberté de s'associer (article 11) dans la mesure où, sous couvert de l'application d'une législation fiscale, certaines associations seraient arbitrairement exonérées de tout contrôle et, donc, des droits fiscaux alors que d'autres sont taxées au taux de 60 % au seul motif qu'elles ont eu la malchance d'être destinataires d'un avis de vérification de comptabilité et que cet avis est le fait générateur de la révélation évoquée aux termes de l'article 757 du Code Général des Impôts.
5 - du caractère indu des pénalités, la non déclaration des dons pour des motifs de droit dénoncés par lettres des 25 et 26 juillet 2002 interdisant l'application de celles-ci étant constant que, même incomplète, la déclaration a été souscrite, faisant obstacle au principe de la taxation d'office et qu'en tout état de cause, l'article 1732 du Code Général des Impôts exclut, comme l'application de l'article 757 du même code en sa nouvelle rédaction, l'application des pénalités, notamment au regard du principe de la rétroactivité in mitius.
II

MOTIFS DE LA DÉCISION
De l'article L 66 4e du Livre des procédures fiscales relevant de la section V paragraphe 1 intitulé 'TAXATION D'OFFICE A) En cas de défaut ou de retard dans le dépôt des déclarations', il ressort que 'sont taxés d'office... 4è aux droits d'enregistrement et aux taxes assimilées les personnes qui n'ont pas déposé une déclaration ou qui n'ont pas présenté un acte à la formalité de l'enregistrement dans le délai légal' (article 67 délai 30 jours à compter de la mise en demeure).
L'article L 74 du Livre des procédures fiscales disposant cependant que 'les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers', la question préliminaire qui se pose est moins celle de savoir si la procédure de taxation d'office a été régulièrement mise en oeuvre, alors que, aux termes d'un arrêt du 31 octobre 2006 la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a jugé que 'lorsque le contribuable est astreint à tenir et à présenter des documents comptables à raison de son activité professionnelle, l'Administration fiscale peut, dans le cadre de la vérification de cette comptabilité, contrôler les droits d'enregistrement et taxes assimilées à l'occasion de l'exercice de cette activité qui apparaissent ou devraient apparaître en comptabilité' (Bulletin Civil, IV numéro 210 page 233), que celle de savoir si l'Association L'ARCHE DE MARIE était tenue de déclarer les dons manuels qui lui avaient été adressés au cours des années 1999 et 2000 comme elle y était invitée par la mise en demeure du 20 juin 2002.
L'article 757 du Code Général des Impôts en sa rédaction en vigueur à la date de la vérification de comptabilité, inchangée depuis lors en ses alinéas 1 et 2, dispose 'les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets au droit de donation.
La même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'Administration fiscale'.
Le verbe 'révéler' répond à la définition usuelle suivante 'faire connaître à quelqu'un quelque chose qui était ignoré, inconnu, caché ou secret (synonyme dévoiler).'
(Dictionnaire de la langue du 19è et du 20ème siècle Éditions GALLIMARD/CNRS 1971). Il admet deux sens
- révéler quelque chose et le sujet désigne une personne 'révéler un fait, révéler un complot, une identité, etc...
- révéler quelque chose et le sujet désigne une chose 'les documents, les circonstances révèlent que...'.
Il est communément admis que les lois fiscales sont 'd'interprétation littérale' et que le juge n'a donc pas un pouvoir de libre recherche pour les interpréter.
En l'occurrence, il est constant que l'Administration des Impôts a engagé la procédure de taxation d'office, après envoi préalable d'une mise en demeure, sur le constat qu'elle avait fait de la remise de dons manuels effectuée au profit de l'Association L'ARCHE DE MARIE, ce, sans que cette dernière ne manifeste à aucun moment sa volonté de déclarer ou "révéler' ces sources de financement, ce que confirme le fait que l'imprimé numéro 2735 a été renvoyé avec la mention 'néant'.
Or, au regard des termes parfaitement clairs de l'article 757 alinéa 2 du Code Général des Impôts, qui n'appellent aucune interprétation ou extension de sens sous quelqu'angle que ce soit, la révélation doit être le fait 'du donataire', et donc, du contribuable lui même admettre comme l'envisage l'administration des impôts que la révélation pourrait être le fait sinon de ses services de contrôle en tout cas des circonstances et qu'elle résulterait de la présentation obligatoire de la comptabilité reviendrait à violer les termes précis de la loi fiscale.
En effet, l'appelante n'a rien révélé volontairement et c'est à son corps défendant que sa comptabilité, examinée par les contrôleurs, a révélé les dons manuels enregistrés.
Il est observé d'ailleurs que l'article L 180 alinéa 2 du Livre des procédures fiscales use tout aussi clairement du terme 'révélé par le document enregistré ou présenté' et qu'il ne saurait être fait l'amalgame entre deux sens très précis du verbe 'révéler' sans dénaturer la portée des conditions posées par le législateur pour faire apparaître l'exigibilité des droits d'enregistrement et taxes assimilées selon les situations, diverses, dans lesquelles ces droits sont susceptibles d'être appelés.
C'est en conséquence à bon droit que l'Association L'ARCHE DE MARIE soutient que la procédure de vérification de comptabilité mise en oeuvre ne pouvait être l'utile support de l'appel des droits de donation dès lors qu'elle a fait retour de l'imprimé numéro 2735 vierge de toute mention de nature à établir une 'révélation' au sens de l'article 757 alinéa
2 du Code Général des Impôts, base de la taxation appliquée sur le fondement de ce même texte pris en son alinéa 1er.
Le jugement est donc infirmé sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par l'Association L'ARCHE DE MARIE et la demande de cette dernière tendant à la décharge des impositions et pénalités est accueillie.
Pendant le procès sur le recours de l'Association L'ARCHE DE MARIE, l'administration des Impôts est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il y a lieu en outre d'allouer à l'Association L'ARCHE DE MARIE une indemnité de 3000 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
III DÉCISION
LA COUR
INFIRME le jugement déféré,
STATUANT de nouveau,
ANNULE l'avis de mise en recouvrement numéro 040700024 émanant de la Recette des Impôts de Rennes Sud en date du 16 juillet 2004 et décharge avec toutes conséquences de droit L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION L'ENCLAVE - INCARDINEE des droits de donation et des pénalités visés aux termes dudit avis de mise en recouvrement,
CONDAMNE l'Administration des Impôts Direction Générale des Finances Publiques représentée par Monsieur ... ... des Services Fiscaux d'Ille et Vilaine à payer à L'ARCHE DE MARIE ASSOCIATION CONGRÉGATION L'ENCLAVE - INCARDINEE une indemnité de TROIS MILLE EUROS (3000 Euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE l'Administration des Impôts Direction Générale des Finances Publiques représentée par Monsieur ... ... des Services Fiscaux d'Ille et Vilaine aux dépens de première instance et aux dépens d'appel ; autorise la SCP GAUTIER L'HERMITTE, avoués associés, à les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER LE GREFFIER,

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