No S 11-80.122 F P+B No 5724
SH 11 OCTOBRE 2011
REJET
M. LOUVEL président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze octobre deux mille onze, a rendu l'arrêt suivant
Sur le rapport de M. le conseiller ..., les observations de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général ... ;
Statuant sur le pourvoi formé par
- L'établissement public Voies navigables de France,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 6-1, en date du 30 novembre 2010, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'homicides involontaires aggravés, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 451-1, L. 452-1, L. 452-3, L. 454-1 du code de la sécurité sociale, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à payer à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral les sommes de 25 000 euros à Mme ..., de 35 000 euros à Mme ..., veuve ..., de 30 000 euros à M. ... et de 25 000 euros chacun aux époux ..., parents de M. Bruno ... ;
"aux motifs propres que l'accident est survenu à l'occasion de travaux de réfection et d'entretien devant être effectués sur le barrage de la grande île à Meaux, ouvrage confié à la gestion de l'établissement public Voies navigables de France ; que cet ouvrage a été l'objet d'une description précise dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, qui en fait apparaître la complexité, ainsi, par suite, les éléments de dangerosité des interventions de plongeurs, qui étaient nécessaires à l'opération menée le jour de l'accident ; qu'il y a lieu, ensuite, de juger, avec les premiers juges statuant sur l'action publique, que l'établissement public Voies navigables de France avait en l'espèce la qualité d'entreprise utilisatrice et donneur d'ordres à la société Aplomb TSM, comme maître d'ouvrage devant avoir recours aux services spécialisés de celle-ci pour effectuer des tâches spécifiques au-delà d'une simple maintenance, décrites à l'ordonnance de renvoi et au jugement, pour lesquelles elle ne disposait en propre ni des personnels ni des matériels adéquats nécessaires ; qu'en effet, l'établissement public Voie navigables de France, qui a donc accepté sa culpabilité pénale, ne saurait aujourd'hui, dans le cadre de l'action civile, se prévaloir de la seule circonstance d'avoir mis à disposition de la société Aplomb une barge et son pilote servant à amener les plongeurs - scaphandriers employés par celle-ci sur les lieux de leur intervention, pour prétendre caractériser un travail collectif avec elle, alors, d'une part, que ses propres interventions pour programmer la date des travaux, pour gérer au plus bas en amont le niveau des eaux, ou pour mettre en position adéquate les " hausses " équipant le barrage, n'ont été que préparatoires et de son seul fait, l'inspection préalable alléguée de fin mai 2002 par le responsable de son atelier de maintenance n'ayant pas été davantage concertée avec la société Aplomb, et alors, d'autre part, qu'il ne fait état d'aucune directive précise et spécifique de sa part dans l'exécution de leur travail par les deux victimes et les autres employés de la société Aplomb ; qu'au demeurant, il ne peut qu'être constaté que l'établissement public Voie navigables de France n'a aucunement été recherché à l'occasion de la procédure engagée par Mme ..., épouse ..., et M. Romain ... devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur de leur mari et père, M. Bruno ..., ayant donné lieu à une décision du 20 mai 2010 faisant droit à cette demande à l'encontre de la société Aplomb ; que, par ailleurs, c'est à bon droit que les premiers juges ont admis le droit des parties civiles en cause d'être indemnisées d'un préjudice moral spécifique par le tiers responsable, l'établissement public Voie navigables de France, à raison de sa faute pénale propre, en dehors des règles dérogatoires d'indemnisation des conséquences d'un accident du travail au sens de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu de confirmer l'évaluation faite par les premiers juges du préjudice moral de chacun des parties civiles, qui est appropriée aux circonstances de l'espèce ;
"et aux motifs réputés adoptés qu'au regard de la nature des fautes de conception de sécurité reprochées, des circonstances particulièrement dramatiques des décès des deux victimes, des conditions de travail auxquelles elles étaient exposées, du sens du devoir et de la solidarité dont elles ont fait preuve au moment des faits, il apparaît convenir d'accueillir les prétentions des parties civiles au titre de leur préjudice moral respectif ;
"1o) alors qu'il y a travail en commun lorsque les salariés de plusieurs entreprises travaillent simultanément dans un intérêt commun et sous une direction unique ; qu'en ce cas, le salarié victime ne peut exercer de recours de droit commun contre l'entreprise tierce qui a participé à ce travail ; que la direction unique, élément constitutif du travail en commun, implique une concertation des représentants des entreprises concernées sur la façon d'accomplir une tâche déterminée de manière simultanée ; que cette concertation préalable ne suppose pas nécessairement que tous les travaux préparatoires à la tâche commune aient été exécutés en commun ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée, si le pilotage de la barge par le préposé de l'établissement VNF était coordonné avec les opérations de plongée effectuées depuis cette barge sous la direction technique de M. ..., dirigeant de la société Aplomb, ce qui supposait nécessairement une concertation préalable, peu important que l'établissement VNF eût effectué seul des interventions préparatoires à ce travail en commun, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2o) alors qu'en écartant encore le travail en commun au motif que l'établissement public VNF ne faisait pas état de directives précises et spécifiques de sa part à l'égard des employés de la société Aplomb, tandis que, comme le faisait valoir l'établissement public, la direction unique pouvait avoir été exercée par l'un des préposés de cette société, en l'occurrence M. ..., seul personnel qualifié assurant la direction technique des opérations, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier légalement sa décision ;
"3o) alors que la qualification de travail en commun n'est pas dépendante de la poursuite par la victime ou ses ayants droit des entreprises tierces ayant participé à ce travail devant la juridiction de sécurité sociale ; qu'en relevant que l'établissement public VNF n'avait pas été recherché à l'occasion de la procédure engagée par Mme ..., épouse ..., et M. Romain ... devant le tribunal des affaires de sécurité sociale en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a statué par un motif impropre à écarter le travail en commun exécuté notamment par un préposé de cet établissement ;
"4o) alors, en tout état de cause, que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit ; que la victime ne peut réclamer au tiers responsable la réparation de son préjudice que dans la mesure où celui-ci n'est pas réparé par application de la législation de sécurité sociale ; qu'à supposer que l'établissement public VNF ait été un tiers responsable de l'accident du travail dont MM. ... et ... ont été victimes, la cour d'appel ne pouvait allouer aux parties civiles, ayants droit de ces victimes, des sommes au titre de leur préjudice moral, ce chef de préjudice étant couvert par la législation de sécurité sociale relative aux accidents du travail dès lors que la faute inexcusable de l'employeur a été retenue" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 14 juin 2002, deux scaphandriers-plongeurs mis à la disposition de la société Aplomb TSM par une entreprise de travail temporaire sont intervenus en immersion afin d'effectuer des travaux de réfection et d'entretien sur un barrage situé à Meaux, géré par l'établissement public Voies navigables de France qui avait fait appel à ladite société ; que ces deux salariés ont trouvé la mort lors de cette intervention ; que le tribunal correctionnel a constaté l'extinction de l'action publique à l'encontre de la société Aplomb TSM en raison de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire la concernant, a déclaré l'établissement public Voies navigables de France coupable d'homicides involontaires aggravés et l'a condamné à réparer le préjudice moral des proches des victimes ;
Attendu que, pour confirmer cette décision et rejeter le moyen invoqué par l'établissement public Voies navigables de France, appelant des seules dispositions civiles, faisant valoir que l'accident s'était produit lors d'un travail en commun et que, dès lors, il n'avait pas la qualité de tiers responsable, les juges du second degré prononcent par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, il n'y a travail en commun, limitant le dédommagement du salarié victime de l'accident et de ses ayants droit aux seules réparations forfaitaires assurées par les prestations sociales, que lorsqu'il est constaté que les préposés de plusieurs entreprises travaillant simultanément dans un intérêt commun, sont placés sous une direction unique ;
Que tel n'étant pas le cas en l'espèce, les parties civiles ayant conservé le droit de demander la réparation de leur préjudice conformément au droit commun, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;