SOC. PRUD'HOMMES LG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 12 octobre 2011
Cassation partielle
M. TRÉDEZ, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt no 2028 F-D
Pourvoi no W 10-15.101
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Imprimerie coopérative ouvrière, société coopérative ouvrière de production anonyme,
dont le siège est Dijon,
contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2010 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. Dominique Y, domicilié Soirans,
défendeur à la cassation ;
M. Y a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 septembre 2011, où étaient présents M. Trédez, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Wurtz, conseiller référendaire rapporteur, M. Chollet, conseiller, M. Lalande, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Wurtz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat de la société Imprimerie coopérative ouvrière, de la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat de M. Y, l'avis de M. Lalande, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que M. Y a été engagé en qualité de contremaître à compter du 15 décembre 1986 par l'imprimerie coopérative ouvrière (SCOP ICO) ; que le 22 avril 2006, il a été victime d'un accident de la voie publique à la suite duquel il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 28 mai 2007 ; qu'à compter du 29 mai, et après avis du médecin du travail, le salarié a repris son emploi dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ; qu'il a été licencié par lettre du 6 août 2008 en raison de la dégradation de l'organisation au sein des ateliers et de la nécessité de procéder à son remplacement au poste de chef d'atelier ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par l'employeur
Attendu que la SCOP ICO fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Y des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que le licenciement d'un salarié absent pour maladie est justifié dès lors que les perturbations dues à ses absences répétées entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif que caractérise le glissement interne d'un salarié remplaçant sur le poste du salarié licencié avec engagement concomitant par voie de recrutement externe d'un autre salarié pour pourvoir le poste du remplaçant ; que la cour d'appel a expressément relevé que le poste de M. Y, salarié licencié, a été pourvu par M. ..., salarié remplaçant lié à l'entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée, et que M. ... a été engagé par voie de recrutement externe, par un contrat à durée déterminée suivi sans interruption d'un contrat à durée indéterminée, pour occuper les fonctions délaissées de M. ... ; qu'en considérant, pour dire le licenciement du salarié dénué de cause réelle et sérieuse, que la société SCOP ICO Imprimerie n'a pas procédé au remplacement définitif de M. Y, la cour d'appel, qui a pourtant relevé que l'effectif de l'entreprise avait été maintenu après le départ de M. Y de sorte qu'il n'y avait eu aucune suppression de poste, a violé les articles L. 1132-1, L. 1132-4 et L. 1232-1 du code du travail (anciennement L. 122-45 et L. 122-14-3 du code du travail) ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que M. ... avait été embauché à compter du 1er octobre 2008 par un contrat à durée déterminée renouvelé pour une durée de seize mois à compter du 1er décembre 2008 et n'avait vu son contrat transformé en contrat à durée indéterminée que le 1er mars 2009, soit sept mois environ après le licenciement de M. Y, la cour d'appel a pu en déduire l'absence à une époque proche du licenciement du caractère définitif du remplacement de ce salarié ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident formé par le salarié
Vu le principe d'égalité de traitement, ensemble l'article 508 de la convention collective nationale du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques ;
Attendu que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement, résultant d'un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ; que repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d'un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ;
Attendu que pour débouter M. Y de sa demande au titre de l'indemnité de préavis, l'arrêt retient qu'aux termes du texte conventionnel, le délai de préavis majoré dont bénéficient les cadres n'est pas un avantage accordé sans contrepartie, qu'en effet si les cadres licenciés peuvent bénéficier d'un préavis pouvant aller jusqu'à quatre mois, ils sont tenus d'observer un préavis de même durée en cas de démission, alors qu'un agent de maîtrise, quelle que soit son ancienneté, peut démissionner sans avoir à observer un préavis d'une durée supérieure à deux mois, de sorte que lesdits salariés ne sont pas dans une situation identique au regard dudit avantage ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la différence de traitement résultant de la convention collective, entre les cadres et assimilés cadre en matière de préavis n'avait pas pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation de chacune de ces deux catégories professionnelles distinctes, la cour d'appel a privé de base légale sa décision ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. Y de sa demande au titre de l'indemnité de préavis, l'arrêt rendu le 28 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la SCOP ICO Imprimerie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCOP ICO Imprimerie à payer à M. Y la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par de la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils, pour la société Imprimerie coopérative ouvrière, demanderesse au pourvoi principal
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur Y dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la Société SCOP ICO IMPRIMERIE à paiement de 38.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. ... a été embauché à compter du 1er octobre 2008 par un contrat de travail à durée déterminée, renouvelé pour une durée de 16 mois à compter du 1er décembre 2008 et n'a vu son contrat transformé en contrat de travail à durée indéterminée que le 1er mars 2009, soit sept mois environ après le licenciement de Monsieur Y ; qu'il résulte de cette chronologie que l'employeur n'avait pas définitivement remplacé l'intimé au moment de son licenciement ou à une époque contemporaine de celui-ci ; qu'à ce constat, c'est par une exacte application du droit aux faits que le conseil de prud'hommes a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur Y ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'au vu des pièces et des explications lors des débats, la Société SCOP ICO IMPRIMERIE ne rapporte pas la preuve du remplacement définitif de son salarié en procédant à la promotion de Monsieur ... à la fonction de contremaître, poste tenu avant son licenciement par Monsieur Dominique Y et en remplaçant Monsieur ... par Monsieur ... recruté en contrat de travail à durée déterminée et non pas en contrat de travail à durée indéterminée pour une durée de deux mois prolongée à dix huit mois, en conséquence dit que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE le licenciement d'un salarié absent pour maladie est justifié dès lors que les perturbations dues à ses absences répétées entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif que caractérise le glissement interne d'un salarié remplaçant sur le poste du salarié licencié avec engagement concomitant par voie de recrutement externe d'un autre salarié pour pourvoir le poste du remplaçant ; que la Cour d'appel a expressément relevé que le poste de Monsieur Y, salarié licencié, a été pourvu par Monsieur ..., salarié remplaçant lié à l'entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée, et que Monsieur ... a été engagé par voie de recrutement externe, par un contrat à durée déterminée suivi sans interruption d'un contrat à durée indéterminée, pour occuper les fonctions délaissées de Monsieur ... ;
qu'en considérant, pour dire le licenciement du salarié dénué de cause réelle et sérieuse, que la Société SCOP ICO IMPRIMERIE n'a pas procédé au remplacement définitif de Monsieur Y, la Cour d'appel, qui a pourtant relevé que l'effectif de l'entreprise avait été maintenu après le départ de Monsieur Y de sorte qu'il n'y avait eu aucune suppression de poste, a violé les articles L. 1132-1, L. 1132-4 et L. 1232-1 du code du travail (anciennement L. 122-45 et L.122-14-3 du code du travail).
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour M. Y, demandeur au pourvoi incident
Monsieur Y reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement d'une indemnité représentative de préavis ;
AUX MOTIFS QUE M. Y, qui avait le statut d'agent de maîtrise, sollicite que lui soit fait application, pour ce qui est du délai de préavis, des clauses de la convention collective relatives aux cadres ; que l'article 508 de la convention collective des imprimeries de labeur définissant le délai de préavis des agents de maîtrise et cadres est ainsi libellé
" 1. Le préavis réciproque sera
Pour les agents de maîtrise et assimilés
- d'un mois jusqu'à deux ans de présence ;
- de deux mois après deux ans de présence.
Pour les cadres et assimilés de deux mois jusqu'à deux ans de présence, plus quart de mois par année supplémentaire de fonctions de cadre ou de maîtrise, avec un maximum de quatre mois au total." ;
Que de la rédaction même du texte conventionnel, il ressort que le délai de préavis majoré dont bénéficient les cadres n'est pas un avantage accordé sans contrepartie ; qu'en effet, s'agissant tant des agents de maîtrise que des cadres, le délai de préavis est défini comme réciproque ; qu'il en résulte que quelle que soit son ancienneté, un agent de maîtrise peut démissionner sans avoir à observer un préavis d'une durée supérieure à deux mois ; qu'au contraire, si les cadres licenciés peuvent bénéficier d'un préavis pouvant aller jusqu'à quatre mois, ils sont tenus de respecter un préavis de même durée en cas de démission ; que c'est donc à tort que M. Y prétend à une indemnité représentative de préavis correspondant à celle dont bénéficient les cadres alors qu'il ne peut raisonnablement prétendre être dans une situation identique puisqu'il aurait pu démissionner, contrairement à un cadre ayant la même ancienneté, sans avoir à observer un préavis de plus de deux mois ;
ALORS QUE la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ; qu'en se fondant, pour dire que M. Y n'était pas fondé à revendiquer l'application, à son profit, des stipulations de la convention collective octroyant aux cadres licenciés un délai de préavis plus long que celui consenti aux agents de maîtrise licenciés, sur le la circonstance -inopérante- qu'en cas de démission, les cadres doivent respecter un délai de préavis plus long que celui auquel sont tenus les agents de maîtrise, au lieu de rechercher si l'avantage accordé aux cadres licenciés était justifié par des raisons objectives et pertinentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe d'égalité de traitement.