Décision n° 2011-180 QPC
du 13 octobre 2011
M. Jean-Luc OURGAUD et autres
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 juillet 2011 par le Conseil d'État (décision n° 349383-349401 du 13 juillet 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jean-Luc OURGAUD, l'Association de défense des retraites supplémentaires d'entreprise (ADRESE), MM. Jean-Claude ALOUP et Alain VALADIER, relative à la conformité du troisième alinéa de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale aux droits et libertés que la Constitution garantit.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 ;
Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. OURGAUD par Me Stéphane Austry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 9 et 29 août 2011 ;
Vu les observations produites pour l'ADRESE, MM. ALOUP et VALADIER par la SCP David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 31 août 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10 août 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Austry pour M. OURGAUD, Me Gaschignard pour l'ADRESE, MM. ALOUP et VALADIER et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 4 octobre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2010 susvisée : " Les rentes versées dans le cadre des régimes mentionnés au I de l'article L. 137-11 sont soumises à une contribution à la charge du bénéficiaire.
" Les rentes versées au titre des retraites liquidées avant le 1er janvier 2011 sont soumises à une contribution sur la part qui excède 500 euros par mois. Le taux de cette contribution est fixé à 7 % pour les rentes dont la valeur mensuelle est comprise entre 500 et 1 000 euros par mois. Pour les rentes dont la valeur mensuelle est supérieure à 1 000 euros par mois, ce taux est fixé à 14 %.
" Les rentes versées au titre des retraites liquidées à compter du 1er janvier 2011 sont soumises à une contribution lorsque leur valeur est supérieure à 400 euros par mois. Le taux de cette contribution est fixé à 14 % pour les rentes dont la valeur est supérieure à 600 euros par mois. Pour les rentes dont la valeur mensuelle est comprise entre 400 et 600 euros par mois, ce taux est fixé à 7 %.
" Ces valeurs sont revalorisées chaque année en fonction de l'évolution du plafond défini à l'article L. 241-3 et arrondies selon les règles définies à l'article L. 130-1. La contribution est précomptée et versée par les organismes débiteurs des rentes et recouvrée et contrôlée dans les mêmes conditions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-1 due sur ces rentes " ;
2. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que la garantie des droits protégée par l'article 16 de la même Déclaration ;
SUR LE PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT L'IMPÔT
3. Considérant que les requérants soutiennent, en premier lieu, que les dispositions contestées ne permettent de tenir compte ni de l'ensemble des facultés contributives du contribuable bénéficiaire d'une telle retraite supplémentaire, ni des facultés contributives de son foyer, ni des personnes qui sont à sa charge ; qu'en deuxième lieu, ils font valoir que ces dispositions ne frappent que les bénéficiaires d'une telle retraite supplémentaire à l'exclusion des bénéficiaires des autres types de retraite supplémentaire ; qu'en troisième lieu, ils estiment que le barème retenu crée des effets de seuil constitutifs d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés " ; que, pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ; que, dans chaque cas, le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant l'impôt, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
6. Considérant que l'article L. 137-11 s'applique au régime de retraite supplémentaire dans lequel la constitution de droits à prestations est subordonnée à l'achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l'entreprise ; qu'en raison de cet aléa, empêchant l'individualisation du financement de la retraite par le salarié, le bénéficiaire ne contribue pas à l'acquisition de ses droits ; que ce régime se distingue de celui des retraites supplémentaires à droits certains dans lequel, l'individualisation par salarié étant possible, le bénéficiaire y contribue ; qu'en instituant un prélèvement sur les rentes versées, l'article L. 137-11-1 vise à faire participer les bénéficiaires qui relèvent de ce texte au financement de l'ensemble des retraites et à réduire la différence de charges supportées par chacune des catégories de titulaires ; que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi ;
7. Considérant qu'en fondant le prélèvement sur le montant des rentes versées, le législateur a choisi un critère objectif et rationnel en fonction de l'objectif de solidarité qu'il vise ; que, pour tenir compte des facultés contributives du bénéficiaire, il a prévu un mécanisme d'exonération et d'abattement, institué plusieurs tranches et fixé un taux maximal de 14 % ; que, par suite, les dispositions contestées, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, ne créent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant l'impôt doit être rejeté ;
SUR LA GARANTIE DES DROITS
9. Considérant que, selon les requérants, le législateur, en assujettissant à un nouveau prélèvement les rentes versées dans le cadre du paragraphe I de l'article L. 137-11 du même code au titre des retraites liquidées avant le 1er janvier 2011, remet en cause des situations contractuellement constituées, en méconnaissance de la garantie des droits ;
10. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;
11. Considérant que l'institution, par les dispositions contestées, d'un prélèvement sur les rentes versées ne porte pas, en elle-même, atteinte aux droits à la retraite ; que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
12. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er
L'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale est conforme à la Constitution.
Article 2
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2011, où siégeaient : M. Jacques BARROT exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 13 octobre 2011.