COUR DE CASSATION - CIV. 1
Pourvoi n° 58-11.450
Arrêt n° 59 du 21 janvier 1963
Cassation
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur la requête présentée par le sieur Édouard ..., Architecte, demeurant à Brest (Finistère) 3 rue du Bois d'Amour, en cassation d'un arrêt rendu le 14 mars 1958 par la Cour d'appel de Rennes au profit
1°/ du Lieutenant Colonel Jacques ..., domicilié à Estieux Candat Le Lardin (Dordogne) précédemment et actuellement secteur postal N° 79 777 T.O.E. ;
2°/ du Commandant Henry ..., domicilié à Versailles (Seine-et-Oise) à Haguenau (Bas-Rhin) et enfin actuellement au 3ème Hussards à Oudja (Maroc)
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque à l'appui de son pourvoi deux moyens de cassation dont le premier est ainsi conçu
"Violation des articles 1134, 1146 et suivants, 1165, 1315, 1341, 1382, 1383, 1792, 1984, 1985 et 2270 du Code Civil, 7 de la loi du 20 Avril 1810, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale en ce que l'arrêt attaqué, qui constate que les conditions nécessaires à l'application de l'article 1792 du Code Civil ne sont pas réunies pour la mise en jeu de la responsabilité décennale d'un architecte, décidé que la responsabilité de ce dernier, lié au propriétaire non par un contrat de louage d'ouvrage, mais un contrat de mandat, trouverait son fondement dans l'article 1992 et resterait soumise aux règles du droit de l'article 1382 du Code Civil, alors, d'une part, que la responsabilité contractuelle d'un architecte envers le maître de l'ouvrage ne peut être engagée postérieurement à la réception définitive, que dans le cadre de la responsabilité décennale édictée par les articles 1792 et 2270 du Code Civil, d'où il suit que l'arrêt attaqué ayant constaté que les conditions mises à l'application de ces textes n'étaient pas réunies, ne pouvait du fait même prononcer la condamnation de l'architecte ; et alors, d'autre part, que l'architecte n'est en principe tenu, envers le maitre de l'ouvrage que par un contrat de louage d'ouvrage, conformément à l'article 1972 du Code Civil et ne saurait être déclaré mandataire dudit maitre de l'ouvrage qu'à la condition qu'ait été légalement établie la preuve de l'existence d'un tel mandat, ce que l'arrêt attaqué ne constate pas ; et alors, d'autre part également, que l'arrêt attaqué, qui ne s'explique pas sur le contenu du contrat de mandat, considère comme faute commise par l'architecte, à ses obligations, une erreur de conception des travaux, c'est-à-dire un manquement à une obligation de louage d'ouvrage et non de mandat, d'où une contradiction de motifs caractérisée ; et alors enfin que la responsabilité résultant de l'exécution d'un obligation contractuelle ne saurait être soumise aux règles du droit commun de l'article 1382 du Code Civil sans violation du principe du non-cumul des responsabilités contractuelles et quasi-délictuelle".
Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Vu les articles 1792 et 1984 du Code Civil ;
Attendu que l'architecte est un locateur d'ouvrage ne représentant pas le maitre ; qu'il ne saurait être considéré comme un mandataire à moins qu'il n'ait été chargé par son client d'accomplir, au nom et pour le compte de celui-ci, certains actes juridiques, déterminés et nécessaires à l'exécution du mandat ainsi confié ;
Attendu qu'au mois de décembre 1945, les consorts ... ont chargé les frères Crenn, entrepreneurs, d'effectuer, sous la direction de Mocaer, architecte, des travaux provisoires, dits de "mise hors d'eau", pour réfection de l'immeuble dont ils étaient propriétaires que, par exploit du 25 Août 1955, ils ont engagé une action contre les entrepreneurs et l'architecte pour obtenir réparation du préjudice résultant des conditions défectueuses d'exécution de ces travaux ;
Attendu que l'arrêt confirmatif attaqué a exonéré Crenn de toute responsabilité, mais a estimé que Mocaer avait commis une faute "dans la conception des travaux", et a décidé que les conditions nécessaires à l'application de l'article 1792 du Code Civil n'étaient pas réunies et qu'il convenait "en l'espèce" de déclarer que la responsabilité de l'architecte, "lié au propriétaire non par un contrat de louage d'ouvrage, mais par un contrat de mandat, (trouvait) son fondement dans l'article 1992 du Code Civil ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans justifier de l'existence d'un mandat, distinct du contrat d'entreprise, et sans rechercher l'étendue et les limites de la mission confiée à l'architecte, la Cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision.
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen ni sur le second moyen
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties par la Cour d'appel de Rennes le 14 mars 1958 ; remet en conséquence la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Angers à ce désignée par délibération spéciale en la Chambre du Conseil.
Sur le rapport de M. ... ... ..., les observations de Me Boulloche, avocat de Mocaer, de Me Giffard, avocat des consorts ..., les conclusions de M. ..., Avocat Général.
M. ..., Conseiller le plus ancien faisant fonctions de Président.