Décision n° 2011-179 QPC
du 29 septembre 2011
Mme Marie-Claude ALEXIS
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juillet 2011 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 905 du 12 juillet 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Marie-Claude ALEXIS et relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris par Me Jean Castelain, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 août 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 9 août 2011 ;
Vu les observations produites pour la requérante, par la SCP Jean-Alain Blanc et Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Jean-Patrick Saint-Adam, enregistrées le 30 août 2011 ;
Vu les observations produites en intervention pour le Conseil national des barreaux, par Me Thierry Wickers, avocat au barreau de Bordeaux, enregistrées le 29 juillet 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Patrick Saint-Adam pour la requérante, Me Castelain pour le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, Me Wickers pour le Conseil national des barreaux, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 20 septembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée : " Un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis.
" Toutefois, le Conseil de l'ordre du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline connaît des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits.
" L'instance disciplinaire compétente en application des alinéas qui précèdent connaît également des infractions et fautes commises par un ancien avocat, dès lors qu'à l'époque des faits il était inscrit au tableau ou sur la liste des avocats honoraires de l'un des barreaux établis dans le ressort de l'instance disciplinaire " ;
2. Considérant que, selon la requérante, en soumettant les avocats inscrits au barreau de Paris à un organe disciplinaire composé selon des règles différentes de celles applicables aux autres barreaux, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la justice ; qu'elle fait valoir, en outre, d'une part, que l'indépendance des membres de l'organe disciplinaire du conseil de l'ordre du barreau de Paris à l'égard du bâtonnier, qui préside ledit conseil et officie en tant qu'autorité de poursuite dans la procédure disciplinaire, ne serait pas garantie et, d'autre part, que le règlement intérieur du barreau de Paris adopté par le conseil de l'ordre prévoit que la méconnaissance de ses dispositions peut donner lieu à des poursuites devant la formation disciplinaire du même conseil ; que, par suite, le respect des droits de la défense et les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions seraient également méconnus ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que son article 16 dispose : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'en instituant un conseil de discipline unique dans le ressort de chaque cour d'appel, le législateur a entendu garantir l'impartialité de l'instance disciplinaire des avocats en remédiant aux risques de proximité entre les membres qui composent cette instance et les avocats qui en sont justiciables ; qu'en maintenant le conseil de l'ordre du barreau de Paris dans ses attributions disciplinaires, il a, d'une part, tenu compte de la situation particulière de ce barreau qui, au regard du nombre d'avocats inscrits, n'est pas exposé au même risque de proximité ; qu'il a, d'autre part, entendu assurer une représentation équilibrée des autres barreaux relevant de la cour d'appel de Paris au sein d'un conseil de discipline commun ; que, dès lors, la différence de traitement établie par le législateur repose sur des critères objectifs et rationnels, poursuit un but d'intérêt général et est en rapport direct avec l'objet de la loi ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des termes de l'article 22-2 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée que le bâtonnier de l'ordre du barreau de Paris n'est pas membre de la formation disciplinaire du conseil de l'ordre du barreau de Paris ; que la circonstance que les membres de cette formation sont désignés par le conseil de l'ordre, lequel est présidé par le bâtonnier en exercice, n'a pas pour effet, en elle-même, de porter atteinte aux exigences d'indépendance et d'impartialité de l'organe disciplinaire ;
6. Considérant, en troisième lieu, que les termes du règlement intérieur du barreau de Paris sont sans incidence sur la conformité des dispositions contestées à la Constitution ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice ainsi que de l'atteinte aux droits de la défense et aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, doivent être rejetés ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er
L'article 22 de la loi n° 71 1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est conforme à la Constitution.
Article 2
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 29 septembre 2011.