Jurisprudence : Cons. const., décision n° 2011-173 QPC, du 30-09-2011

Cons. const., décision n° 2011-173 QPC, du 30-09-2011

A1171HYZ

Référence

Cons. const., décision n° 2011-173 QPC, du 30-09-2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5507907-cons-const-decision-n-2011173-qpc-du-30092011
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Abstract

Dans une décision du 6 juillet 2011 (1) , la première chambre civile de la Cour de Cassation avait accepté de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité remettant en cause la conformité à la Constitution de l'article 16-11 du Code civil, en ce qu'il interdit de procéder à une identification par empreintes génétiques sur une personne après sa mort, sauf à ce que celle-ci ait, de son vivant, manifesté expressément son accord à une telle mesure. L'article 16-11 du Code civil énumère les cas dans lesquels l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques peut être recherchée.



Décision n° 2011-173 QPC

du 30 septembre 2011

M. Louis CASALAN et autres

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juillet 2011 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 866 du 6 juillet 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Louis CASALAN, Mme Jacqueline PIERREVILLE et M. Lucien CASALAN, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du cinquième alinéa de l'article 16-11 du code civil.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les défendeurs par la SCP Vincent-Ohl, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 25 juillet 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 juillet 2011 ;

Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 12 août 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Farge, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 20 septembre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que l'article 16-11 du code civil énumère les cas dans lesquels l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques peut être recherchée ; que le cinquième alinéa de cet article dispose qu'en matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides ; qu'il précise en outre que le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli ; qu'aux termes de la dernière phrase de ce cinquième alinéa : " Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort " ;

2. Considérant que, selon les requérants, l'interdiction de recourir à l'identification par les empreintes génétiques sur une personne décédée, dans une procédure civile en matière de filiation, porte atteinte au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale ; qu'en outre, les dispositions contestées instaureraient entre les hommes et les femmes une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant... l'état et la capacité des personnes " ; qu'à ce titre, il appartient au législateur de déterminer les règles de preuve applicables en matière d'établissement et de contestation des liens de filiation, notamment lors de l'exercice d'actions en justice ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ; que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de l'article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression " ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée ; que, d'autre part, le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : " La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ; qu'enfin, aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : " La loi. .. Doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

5. Considérant que le deuxième alinéa de l'article 310-3 du code civil prévoit que lorsqu'une action relative à la filiation est engagée, " la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action " ; que, toutefois, les dispositions contestées ne permettent, à l'occasion d'une action en justice tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou à la suppression de subsides, de recourir à l'identification par empreintes génétiques sur une personne décédée, que si celle-ci avait, de son vivant, donné son accord exprès à l'exécution d'une telle mesure d'instruction ; qu'ainsi, en dehors de ce cas, les parties au procès ne peuvent avoir recours à l'expertise génétique sur le corps de la personne décédée avec laquelle un lien biologique est revendiqué ou contesté ;

6. Considérant qu'en disposant que les personnes décédées sont présumées ne pas avoir consenti à une identification par empreintes génétiques, le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d'assurer le respect dû aux morts ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, du respect dû au corps humain ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance du respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale doivent être écartés ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 325 du code civil, la recherche de maternité implique que l'enfant prouve qu'il est celui dont la mère prétendue a accouché ; que, par suite, la circonstance que les dispositions contestées, relatives à la preuve de la filiation par l'identification au moyen des empreintes génétiques, trouvent principalement à s'appliquer lorsque la filiation paternelle est en cause ne saurait être regardée comme une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi ;

8. Considérant que la dernière phrase du cinquième alinéa de l'article 16-11 du code civil n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

DÉCIDE :

Article 1er

La dernière phrase du cinquième alinéa de l'article 16-11 du code civil est conforme à la Constitution.

Article 2

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 30 septembre 2011.

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