CIV. 1
SL
COUR DE CASSATION
Audience publique du 14 octobre 2010
Cassation
M. CHARRUAULT, président
Arrêt n° 889 FS P+B+R+I
Pourvoi n° Y 09-69.195
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1°/ M. Marc Z, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire de ses trois enfants mineurs Yves, Anne et Etienne, domicilié Brest,
2°/ M. Joseph Z, domicilié Brest,
3°/ M. Charles Z, domicilié Brest,
4°/ M. Jean-Marie Z, domicilié Rennes,
5°/ Mme Marguerite Z, domiciliée Brest,
6°/ M. François Z, domicilié Brest,
contre l'arrêt rendu le 3 juin 2009 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre), dans le litige les opposant
1°/ à M. Stéphane Y, domicilié Brest,
2°/ à la Mutuelle nationale de l'aviation, dont le siège est Brest,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 septembre 2010, où étaient présents M. Charruault, président, Mme Dreifuss-Netter, conseiller rapporteur, M. Bargue, M. Gridel, Mme Crédeville, M. Gallet, Mme Marais, M. Garban, Mme Kamara, conseillers, Mme Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, M. Lafargue, Mme Richard, M. Jessel, Mme Bodard-Hermant, conseillers référendaires, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Dreifuss-Netter, conseiller, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de M. Marc Z, de M. Joseph Z, de M. Charles Z, de M. Jean-Marie Z, de Mme Marguerite Z et de M. François Z, de la SCP Richard, avocat de M. Y, les conclusions écrites de M. Legoux, avocat général, telles qu'elles figurent sur son rôle d'audience et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique pris en sa première branche
Vu l'article L. 1142-1,I du code de la santé publique ;
Attendu que pour débouter les consorts Z de leur demande en responsabilité envers M. Y, médecin, à la suite du décès de Claire Z, leur épouse et mère, des complications d'une grippe maligne contractée en décembre 2003, l'arrêt attaqué retient que si M. Y lui avait délivré des soins consciencieux, attentifs et diligents, son hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais qu'il était extrêmement difficile de dire si l'évolution de la pathologie eût été différente, que l'administration de l'antibiothérapie aurait été avancée mais qu'aucun élément médical ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l'état de santé de Claire Z et son décès, dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n'avait pu être déterminée, de sorte qu'il n'était pas établi que la faute de M. Y eût fait perdre à sa patiente une chance de survie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par M. Y, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de Claire Z, et la perte d'une chance de survie pour cette dernière, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y à payer aux consorts Z la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de M. Y ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par de la SCP Defrenois et Levis, avocat des consorts Z ;
MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les consorts Z de leur demande d'indemnisation à l'encontre de M. Y ;
AUX MOTIFS QUE c'est aux demandeurs de prouver la faute du médecin et le lien de causalité avec le préjudice subi ; que le médecin expert conclut en ces termes " il apparaît que Madame Z est décédée des suites d'une grippe maligne avec un syndrome de détresse respiratoire aigue. En ce qui concerne l'intervention des médecins à domicile, seule l'intervention du Docteur Y peut être critiquée. Nous avons indiqué la discordance qui existait entre ses souvenirs précis lors de son intervention le 10 décembre et son amnésie du 12 décembre. La description faite par le Docteur Y du 10 décembre aurait dû inciter à une surveillance un peu plus stricte car il décrit un fléchissement de l'état général qu'il qualifie lui-même de majeur. Des décisions plus énergiques auraient dû être prises dès le 12 décembre. Dans l'hypothèse où le Docteur Y aurait fait une prescription sans examiner Madame Z, cela est constitutif d'une sérieuse imprudence. Si le Docteur Y l'a examinée, des investigations complémentaires devaient être réalisées et conduire à l'hospitalisation de Madame Z sans délai. Il est extrêmement difficile de dire si l'évolution eut été différente en cas d'hospitalisation plus rapide. En revanche, si tel avait été le cas, on pourrait dire que le Docteur Y avait fait preuve de soins consciencieux, attentifs et diligents et tel n'est pas le cas " ; que c'est pertinemment que le premier juge a déduit de ces conclusions qu'il n'était pas établi que la faute du Docteur Y avait perdre une chance de survie à Mme Z ; que s'il est certain que l'hospitalisation plus rapide aurait permis d'avancer l'administration de l'antibiothérapie, aucun élément médical ne permet de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l'état de santé de Mme Z et son décès ; qu'en effet la cause du syndrome de détresse respiratoire aigué dont est décédée Madame Z n'a pu être déterminée ;
ALORS QUE la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition de la possibilité d'un événement favorable qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir retenu que l'hospitalisation plus rapide de Mme Z, qui n'avait pu avoir lieu par la faute du médecin, aurait permis d'avancer l'administration de l'antibiothérapie, ce dont il résultait nécessairement que le manquement du médecin avait fait perte une chance de survie à Mme Z ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.
ALORS QUE l'expert retenait qu'"il (était) extrêmement difficile de dire si l'évolution eut été différente en cas d'hospitalisation plus rapide" de sorte qu'il n'excluait pas la possibilité d'un lien entre le manquement de diligence du médecin et la perte de chance de survie de Mme Z ; qu'en retenant cependant qu'aucun élément permettait de dire que cette hospitalisation aurait évité la dégradation brutale de l'état de santé de Mme Z et son décès, quant ce lien n'était aucunement exclu par l'expert, la cour d'appel a violé l'article 11334 du code civil.