N° 13LY01144
Commune de Châtillon- sur- Seine
M. Martin, Président
Mme Courret, Rapporteur
Mme Schmerber, Rapporteur public
Audience du 3 décembre 2013
Lecture du 19 décembre 2013
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La Cour administrative d'appel de Lyon
(3ème chambre)
Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2013, présentée pour la commune de Châtillon-sur-Seine, représentée par son maire ;
La commune de Châtillon-sur-Seine demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200312 du 5 mars 2013 du tribunal administratif de Dijon en tant que son article 1er a annulé la délibération du conseil municipal de Châtillon-sur-Seine n° 2011-106 du 9 décembre 2011 en tant qu'elle prévoit la cession des parcelles cadastrées ZK n° 298 à ZK n° 311, qu'elle autorise le maire à signer les actes nécessaires à son exécution et qu'elle décide l'imputation des recettes afférentes à son exécution à l'article 7015 " vente de terrains " du budget annexe " Lotissement d'habitations les Hauts de Cramont " ;
2°) de rejeter la requête de M. Jean-Christophe Begin et de Mme Raymonde Brossault ;
3°) de mettre à la charge de M. Jean-Christophe Begin et de Mme Raymonde Brossault chacun une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- la délibération annulée n'est pas entachée d'illégalité dans la mesure où, si le terrain a été cédé à un prix inférieur à l'avis du service des domaines, cette cession est justifiée par des motifs d'intérêt général qui s'attachent à l'impérieuse nécessité de reloger dans des conditions décentes une partie de sa population ;
- cette cession comportait des contreparties suffisantes dès lors que les acquéreurs s'étaient engagés à ne pas revendre le terrain à un prix supérieur au prix initial pendant une durée de dix ans, ce qui exclut la réalisation d'une plus-value sur l'opération ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 16 juillet 2013 à M. Begin, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu la mise en demeure adressée le 16 juillet 2013 à Mme Brossault, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2013, présenté pour M. Begin et Mme Brossault qui concluent au rejet de la requête et, en outre, à ce que la commune de Châtillon-sur-Seine leur verse une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
ils soutiennent que :
- s'il n'est pas contesté que la délibération litigieuse, qui a pour objet de sédentariser plusieurs familles issues de la communauté des gens du voyage, constitue un intérêt général, la cession de ce terrain à un prix six fois inférieur à l'évaluation opérée par le service des domaines n'est pas accompagnée de contreparties suffisantes pour la commune ;
- les circonstances que les acquéreurs auront à leur charge les frais notariés d'acquisition et d'enregistrement, que les terrains ne pourront être cédés pendant dix ans qu'à un prix coûtant majoré du coût de la construction éventuellement édifiée et que la commune dispose d'un droit de préemption qui lui confère une priorité d'achat ne peuvent être regardées comme des contreparties suffisantes ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 novembre 2013, présenté pour la commune de Châtillon-sur-Seine qui conclut aux mêmes fins que la requête ;
elle soutient, en outre, que :
- elle a élaboré un projet d'aménagement avec des partenaires privés et publics qui a compensé le coût potentiel d'une aire d'accueil ;
- ce projet a permis de régulariser les branchements irréguliers (eau et électricité) et de remédier à l'absence d'imposition ; les propriétaires recevront des factures individuelles de consommation et s'acquitteront des impôts locaux ; il permet également l'économie des coûts d'entretien des lieux ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 novembre 2013, présenté pour M. Begin et Mme Brossault qui concluent aux mêmes fins que précédemment ;
ils soutiennent, en outre, que :
- la condition relative aux contreparties suffisantes ne peut être remplie au seul motif qu'un objectif d'intérêt général est poursuivi ;
- la vente de terrains à un prix inférieur à leur valeur vénale ne permet pas de faire cesser une situation d'insécurité, le respect de la loi ne pouvant être une contrepartie à un avantage octroyé par une personne publique ;
- le projet réalisé par la commune ne supprime pas la nécessité d'accueillir les gens du voyage par la réalisation d'aire d'accueil ;
- la concertation avec des acteurs publics et privés n'a pas concerné l'accession sociale à la propriété ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013 :
- le rapport de Mme Courret, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;
1. Considérant que la commune de Châtillon-sur-Seine fait appel du jugement du 5 mars 2013 du tribunal administratif de Dijon en tant que son article 1er a annulé la délibération n° 2011-106 du conseil municipal de Châtillon-sur-Seine du 9 décembre 2011 en tant qu'elle prévoit la cession des parcelles cadastrées ZK n° 298 à ZK n° 311, qu'elle autorise le maire à signer les actes nécessaires à son exécution et qu'elle décide l'imputation des recettes afférentes à son exécution à l'article 7015 " vente de terrains " du budget annexe " Lotissement d'habitations les Hauts de Cramont " ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales : " les communes (
) règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence (
) " ; qu'aux termes de l'article L. 2121-29 du même code : " Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune (
) / Le conseil municipal émet des vux sur tous les objets d'intérêt local " ;
3. Considérant que, comme l'ont rappelé les premiers juges, si la liberté reconnue aux collectivités territoriales par les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales d'accorder certaines aides ou subventions à des personnes privées pour des motifs d'intérêt général local ne peut légalement s'exercer que dans le respect des principes constitutionnels, la cession par une commune d'un terrain à une personne privée pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé que lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ;
4. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que par la délibération litigieuse n° 2011-106 du 9 décembre 2011, le conseil municipal de la commune de Châtillon-sur-Seine, a autorisé la vente des parcelles cadastrées section ZK n° 298 à ZK n° 311 du lotissement d'habitations " les Hauts de Cramont " à un prix de cinq euros hors taxes le m², alors que, dans un avis du 4 novembre 2011, le service des domaines estimait la valeur vénale de ces biens à trente euros hors taxes le m² ; que cette cession avait pour justification de doter d'un logement décent de nombreuses familles issues de la communauté des gens du voyage qui occupaient ce terrain dans des conditions d'hygiène et de salubrité sommaires ; qu'ainsi la cession en cause, qui n'est pas contestée sur ce point, était justifiée par un motif d'intérêt général local ;
5. Considérant, d'autre part, que cette cession de terrain à un prix inférieur à la valeur vénale établie par le service des domaines a, selon la commune, pour contrepartie la circonstance que les acquéreurs, sont soumis à un cahier des charges de cession de terrain, qui prévoit notamment qu'ils ne pourront vendre le terrain qu'à prix coûtant, majoré du coût de la construction éventuellement édifiée, et ce pendant les dix premières années suivant la vente initiale ; que cette unique obligation mise à la charge des acquéreurs, qui a pour seul effet de retarder une vente éventuelle au prix du marché, ne peut être regardée comme constituant une contrepartie suffisante à cette cession inférieure à sa valeur ; que, toutefois, si la collectivité soutient qu'elle a élaboré un projet d'aménagement avec des partenaires tant privés que publics qui compense le coût potentiel d'une aire d'accueil pour les gens du voyage et que la cession litigieuse poursuit une fin d'intérêt général en régularisant une occupation irrégulière du terrain, mettant fin à une situation dangereuse tant sur le plan sanitaire que sécuritaire et économisant des coûts d'entretien des lieux, ces éléments ne sont pour autant constitutifs d'aucune contrepartie à la charge des personnes privées bénéficiaires des parcelles litigieuses ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Châtillon-sur-Seine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération n° 2011-106 du 9 décembre 2011 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. Begin et de Mme Brossault, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par la commune de Châtillon-sur-Seine, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Châtillon-sur-Seine la somme demandée par M. Begin et Mme Brossault, au même titre ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Châtillon-sur-Seine est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. Begin et de Mme Brossault tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Châtillon-sur-Seine, à M. Jean-Christophe Begin et à Mme Raymonde Brossault.