N°
du 19 NOVEMBRE 2015 8ème CHAMBRE
RG 15/03187 EL Z Taoufik - Y Frédéric, Romuald
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
Arrêt prononcé publiquement le DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE
QUINZE, par Monsieur ..., Président de la 86" chambre des appels correctionnels, en présence du ministère public,
Nature de l'arrêt
voir dispositif
Sur appel d'un jugement du tribunal correctionnel de Nanterre -16ème chambre A, du 24 août 2015.
DÉCISION
voir dispositif
COMPOSITION DE LA COUR
lors des débats, du délibéré
Président Monsieur ...
Conseillers Madame ...
Monsieur ... au prononcé de l'arrêt Monsieur ...
MINISTÈRE PUBLIC Monsieur LE FUR, avocat général, lors des débats,
GREFFIER Madame LEBAS, lors des débats et Madame ... au prononcé de l'arrêt
PARTIES EN CAUSE
Bordereau N° du PRÉVENUS
EL Z Taoufik,
Né le ..... à AVIGNON
Fils d'EL Z Mohamed et de ... ... F. FAY L 1,6 De nationalité française, concubin, préparateur de commandes Déjà condamné, Détenu à la maison d'arrêt de Nanterre, écrou n° 43688,
,it'i MA/ J5 Demeurant CHATEAURENARD Mandat de dépôt du 24/08/2015
eet NA Aircie6
Comparant, assisté de Maître KORAITEM Tarek, avocat au barreau de VERSAILLES, commis d'office
3 3_,u,tiLuz
Y Frédéric, Romuald
FAX C L, L Né le ..... à VERSAILLES
Fils de W Antoine et de W Jacqueline
,Agpf4/AS De nationalité française, célibataire, employé (e)
Nolreggé Demeurant LA VERRIERE Déjà condamné, détenu à la maison d'arrêt de Nanterre , Mandat de dépôt du 24/08/2015 Comparant, assisté de maître ARAKELIAN Gérard, avocat au barreau de BOBIGNY
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
LE JUGEMENT
Par jugement contradictoire en date du 24 août 2015, le tribunal correctionnel de
Nanterre, statuant sur les poursuites exercées à l'encontre de
EL Z Taoufik pour
avoir à MEUDON, le 23 août 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, fait l'apologie d'actes de terrorisme prévue par le titre Il du livre IV du code pénal, en l'espèce, en demandant notamment aux passagers, s'ils étaient musulmans, en leur conseillant de faire leur prière, en menaçant de "tout faire péter dans le train, en faisant référence à un "Charlie Hebdo 2",
faits prévus par ART.421-2-5 AL.1, ART.421-1, ART.421-2, ART.421-2-1, ART.421-2-2 C.. ... et réprimés parART.421-2-5 AL.1, ART.422- 3, ART.422-4, ART.422-6 C.. ....
X Frédéric Romuald pour
avoir à MEUDON, le 23 août 2015, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, fait l'apologie d'actes de terrorisme prévue par le titre II du livre IV du code pénal, en l'espèce, en demandant notamment aux passagers, s'ils étaient musulmans, en leur conseillant de faire leur prière, en menaçant de "tout faire péter dans le train", en faisant référence à un "Charlie Hebdo 2",
faits prévus par ART.421 -2-5 AL. 1, ART.421 -1, ART.421-2, ART.421-2-1, ART.421-2-2 C.. ... et réprimés parART.421-2-5 ART.422-3, ART.422-
4, ART.422-6 C,PÉNAL.
Sur l'action publique
- a déclaré Y Frédéric coupable des faits qui lui sont reprochés,
pour les faits de PROVOCATION DIRECTE A UN ACTE DE TERRORISME commis le 23 août 2015 à MEUDON ;
- a condamné Y Frédéric à un emprisonnement délictuel de DIX-HUIT MOIS,
Vu les articles 144, 395, 397-4 du code de procédure pénale,
- a décerné mandat de dépôt à l'encontre de Y Frédéric,
- a déclaré EL Z Taoufik coupable des faits qui lui sont reprochés,
pour les faits de PROVOCATION DIRECTE A UN ACTE DE TERRORISME commis le 23 août 2015 à MEUDON ;
- a condamné EL Z Taoufik à un emprisonnement délictuel de TROIS ANS, Vu les articles 144, 395, 397-4 du code de procédure pénale,
- a décerné mandat de dépôt à rencontre de EL Z Taoufik.
LES APPELS
Appel a été interjeté par
- EL Z Taoufik, le 27 août 2015
- Y Frédéric, le 27 août 2015,
- M. le procureur de la République, le 27 août 2015, appel incident contre Y Frédéric et EL Z Taoufik ;
DÉROULEMENT DES DÉBATS
À l'audience publique du 10 novembre 2015, Monsieur le Président a constaté l'identité des prévenus qui comparaissent assistés de leur conseil ;
Le Président informe les prévenus de leur droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui leur sont posées ou de se taire,
Ont été entendus
Monsieur ..., président, en son rapport et ses interrogatoires, Les prévenus, en leurs explications,
Monsieur ... ..., avocat général, en ses réquisitions,
Maître ..., avocat, en sa plaidoirie,
Maître ..., avocat, en sa plaidoirie, Les prévenus ont eu la parole en dernier.
Monsieur le président a ensuite averti les parties que l'arrêt serait prononcé à l'audience du 19 NOVEMBRE 2015 conformément à l'article 462 du code de procédure pénale.
DÉCISION
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant
LE RAPPEL DES FAITS ET LA PROCÉDURE
Le 23 août 2015, les policiers recevaient l'appel d'une passagère d'un train de banlieue, reliant Paris ... à Mantes la Jolie, leur faisant part de propos inquiétants tenus par des individus.
Par peur, elle était descendue en gare de Clamart suite aux déclarations d'un jeune maghrébin qui proclamaient qu' " on ne parle que de C. ... mais qu'on ne parle pas de (sa) soeur égorgée en Syrie " ou encore qu'il s'apprêtait à procéder à un " Charlie Hebdo 2 ". Elle précisait que l'auteur de cette phrase ne portait qu'un gant, à la main droite, main considérée comme pure dans la religion musulmane, lui faisant alors penser qu'il devait pratiquer cette religion.
Les policiers étaient informés dans le même temps que le conducteur du train s'était finalement arrêté en gare de Meudon, par précaution, en apprenant ce qui se passait dans les wagons.
Ces faits intervenaient en effet 48 heures après les événements survenus le 21 août 2015 dans un train Thalys reliant Amsterdam à Paris et à l'intérieur duquel un terroriste avait voulu tirer sur les passagers.
Une patrouille se rendait alors en gare de Meudon et était avisée que les deux individus avaient quitté les lieux quelques minutes plus tôt.
Toutefois des témoins décrivaient physiquement les 2 individus aux policiers afin qu'ils puissent les identifier.
Entendu sur les faits, le conducteur du train confirmait que deux jeunes femmes étaient venues l'avertir qu'un individu proférait des menaces de faire exploser une bombe et faisait l'apologie du terrorisme, évoquant un " Charlie Hebdo 2 ".
Les passagers décrivaient un déroulement identique des faits deux individus sortant d'une boite de nuit, " Le mix ", situé gare Montparnasse, étaient montés dans le train en direction de Mantes la Jolie et l'un d'eux n'avait cessé de faire des va-et-vient entre les wagons, leur demandant s'ils étaient ou non musulmans. Le cas échéant, ils les invitaient à descendre du train, prétextant qu'une bombe allait exploser, souhaitant n'épargner qu'eux.
Alors que les fonctionnaires de police appréhendaient un gant en cuir (main droite), laissé à terre, correspondant à la description de celui porté par l'un des protagonistes, ils entendaient des cris leur signalant que les individus se trouvaient encore à l'accueil de la gare.
Ils remontaient immédiatement les escaliers et apercevaient effectivement deux hommes correspondant en tout point à la description qui leur en avait été faite. Les deux protagonistes tentaient alors de prendre la fuite.
Au vu de la gravité des faits, les policiers sortaient leurs armes de services et sommaient les individus de se coucher au sol.
L'individu de type nord africain s'exécutait tandis que l'individu de type africain refusait, ce qui obligeaient les enquêteurs à recourir à la force strictement nécessaire pour l'interpeller.
Invité à justifier de leur identité, les deux individus leur déclaraient se nommer Taoufik Z Z et Frédéric W. Ils n'étaient trouvés porteurs d'aucun objet dangereux.
Les enquêteurs procédaient à l'audition des principaux passagers, témoins de ce qui s'était passé dans le train.
L'un d'entre eux affirmait qu'outre les propos faisant l'apologie du terrorisme, Taoufik Z Z avait effectué un geste brusque avec ses bras, simulant le décrochage d'une ceinture d'explosifs.
Décrit comme déterminé, dans son regard comme dans sa démarche, mais pas particulièrement agressif verbalement, Taoufik Z Z présentait un comportement jugé unanimement " bizarre " par tous les passagers entendus.
Quant à Frédéric W, il semblait avoir eu un rôle secondaire.
En effet, il avait abordé une jeune fille en l'invitant à s'asseoir près de lui. Refusant cette proposition, ils avaient tout de même échangé quelques mots et, étonnée du comportement de Taoufik Z Z, elle s'était vue répondre par Frédéric W qu'il venait de Marseille et qu'il était " dérangé ".
Au commissariat, les deux mis en cause étaient soumis à un contrôle d'alcoolémie qui révélait un taux de 0,15 mg/L d'air expiré pour Frédéric W et de 0,36 mg/L d'air expiré pour Taoufik Z Z.
Interrogé sur les faits, Frédéric W niait catégoriquement toute parole laissant penser qu'il faisait l'apologie du terrorisme.
Il expliquait qu'il ne connaissait pas très bien Taoufik Z Z, qui était l'ami d'un ami et qu'il venait de s'installer en région parisienne.
Frédéric W confirmait que Taoufik Z Z avait effectué des allers retours dans le train en accostant certaines personnes mais sans jamais savoir quelle était la teneur de ses propos.
Taoufik Z Z était également entendu par les fonctionnaires de police. Interrogé sur sa famille, il expliquait que sa soeur habitait à Cavaillon et qu'aucun de ses frères et soeurs n'étaient partis en Syrie.
Quant au déroulement de sa soirée à Paris, Taoufik Z Z relatait qu'il était sorti sur Paris en compagnie de Frédéric W et qu'ils avaient bu un peu d'alcool.
Ils avaient repris le train tôt le matin afin de regagner leur domicile.
Au cours du trajet, il était allé parler à une jeune fille quand un groupe de jeunes l'avait questionné sur ses origines.
li leur avait alors répondu qu'il était d'origine tunisienne et l'un des jeunes avait rétorqué " tu es un terroriste toi I ".
Prenant cela avec humour, le mis en cause leur avait alors affirmé " oui je suis un terroriste, j'ai mis une bombe sous ton siège ".
Il déclarait aux policiers avoir tenu ses propos pour s'amuser, sans penser que cela prendrait de telles proportions. Il était désolé et admettait avoir conscience qu'il n'aurait pas dû dire cela.
Questionné sur les autres paroles entendues par les passagers, Taoufik Z Z affirmait ne pas se souvenir, avoir " un trou noir", précisant qu'il avait trop bu ce soir là.
Enfin, concernant le gant, Taoufik Z Z déclarait qu'il l'avait trouvé par terre à Châtelet et qu'il l'avait d'abord récupéré, sans but précis, pour le laisser finalement avant sa sortie du train.
Saisi des poursuites engagées par le ministère public, le tribunal correctionnel de Nanterre a statué par jugement contradictoire à signifier du 24 août 2015 dans les termes rappelés en tête du présent arrêt.
Les prévenus puis le ministère public ont relevé appel de ce jugement le 27 août 2015.
Devant la cour,
Le ministère public a requis la confirmation du jugement entrepris sur la culpabilité et la peine, soutenant que les prévenus avaient agi en co-action.
Frédéric W a maintenu n'avoir tenu aucun propos faisant l'apologie du terrorisme et ne pas avoir entendu Taoufik Z Z tenir de tels propos.
Il a ajouté n'adhérer nullement aux mouvements de l'islamisme radical, précisant être de religion chrétienne.
Son conseil a donc plaidé sa relaxe.
Taoufik Z Z a admis avoir tenu des propos déplacés mais sans référence à l'attentat de C. ... et sans évoquer une soeur égorgée en Syrie. Lui aussi a contesté avoir fait l'apologie du terrorisme et ne pas partager les thèses de l'islam radical.
Son conseil a contesté la décision de première instance rendue selon lui sous le coup de l'émotion des événements liés au Thalys.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- en la forme
Les appels des prévenus et du ministère public, interjetés dans les formes et délais légaux, sont réguliers et recevables.
- sur le fond
I - SUR L'ACTION PUBLIQUE
- sur la culpabilité
Le délit reproché à Taoufik Z Z est établi par les constatations précises des policiers régulièrement rapportées en procédure.
Le prévenu ne fournit pas d'éléments concrets et objectifs venant contredire ces constatations, se contentant de simples dénégations partielles qui ne sont pas en mesure de leur faire perdre leur caractère probant.
En effet, plusieurs passagers l'ont clairement entendu demander s'ils étaient musulmans, leur conseillant de faire leur prière et de quitter le train car il allait tout faire "péter", évoquant un "Charlie Hebdo 2".
Ces propos étaient tellement inquiétants que l'une des passagères, N. ... a appelé les services de police en gare de Clamart.
F. ..., autre passagère, l'a vu faire un geste brusque simulant l'activation d'une ceinture d'explosif.
Le port d'un gant à la main droite, en plein été, ne pouvait qu'inciter les usagers au courant de cette pratique religieuse, à penser ces propos crédibles.
L'émoi suscité dans le train par ses menaces a été confirmé par le conducteur du train qui a pris la décision de s'arrêter définitivement en gare de Meudon. Dès lors, ces propos font clairement l'apologie d'actes de terrorisme et la décision du tribunal sur la culpabilité de Taoufik Z Z sera confirmée.
En revanche, la cour considère que rien ne permet d'associer Frédéric W au comportement et aux propos tenus par Taoufik Z Z.
En effet, aucun passager ne le met en cause pour avoir prononcé des paroles équivalentes, pour avoir accompagné son ami lorsqu'il les tenait ou pour l'avoir soutenu d'une quelconque manière à l'occasion de cet apologie du terrorisme. F. ... a confirmé qu'il l'avait simplement interrogée sur ses tresses et qu'il avait voulu engager la conversation mais sans insister et sans la menacer.
N. ... a même indiqué qu'il s'était interrogé sur les raisons pour lesquelles le train demeurait immobilisé en gare de Meudon, ce qui conforte l'idée qu'il n'avait aucunement conscience des propos tenus par Taoufik Z Z.
Si certains passagers ont pu penser qu'il adhérait aux paroles proférées par Taoufik Z Z puisqu'ils étaient montés ensemble dans le train, cette déduction ne repose sur aucun autre élément objectif.
Dès lors, sa seule présence dans le train ne suffit pas à caractériser une co-action dans le délit d'apologie du terrorisme commis par son ami, ni même un acte de complicité.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur la culpabilité de Frédéric W qui sera renvoyé des fins de la poursuite.
- sur la peine
Taoufik Z Z a déjà été condamné à plusieurs reprises et se trouvait sous le régime de la mise à l'épreuve à l'époque des faits.
Dans ces conditions, compte tenu de la gravité de l'infraction et en raison de la personnalité du prévenu telle qu'elle ressort de ses antécédents judiciaires, seule une peine d'emprisonnement ferme est de nature à réprimer ce comportement, à l'exclusion de toute autre sanction qui serait insuffisamment dissuasive et manifestement inadéquate.
Il convient en effet de rappeler que ces faits, commis 48 heures après la tentative d'attentat du Thalys, ont manifestement suscité un réel émoi auprès des passagers et provoqué une désorganisation complète du trafic ferroviaire pendant plus d'une heure.
Toutefois, le tribunal, en prononçant à son encontre une peine de 3 années d'emprisonnement, n'a pas suffisamment tenu compte des regrets exprimés par Taoufik Z Z, de sa personnalité particulièrement immature et du fait qu'il s'agit de sanctionner des propos et non des actes.
Aussi, la cour ramènera cette peine à une plus juste proportion en le condamnant à 2 ans d'emprisonnement.
Une mesure d'aménagement ab initio n'est pas envisageable au regard de la personnalité du prévenu, des trop nombreux antécédents, du risque majeur de récidive, de la nécessité d'assurer une sanction effective et perçue comme telle.
Le prévenu étant actuellement détenu, il est justifié de prononcer son maintien en détention afin de garantir l'exécution immédiate et effective de la peine d'emprisonnement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevables les appels formés par les prévenus et par le ministère public, Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité de Taoufik Z Z, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne Taoufik Z Z à 2 ans (deux) d'emprisonnement,
Renvoi Frédéric W des fins de la poursuite et Ordonne sa remise en liberté immédiate s'il n'est détenu pour autre cause,
Ordonne le maintien en détention de Taoufik Z Z.
Et ont signé le présent arrêt, le président et le greffier
LE PRÉSIDENT
Décision soumise à un droit fixe de procédure (article 1018A du code des impôts) 169,00euros pour Taoufik Z Z
Si le condamné s'acquitte du montant des droits fixes de procédure et, s'il y a lieu, de l'amende dans un délai d'un mois à compter de ce jour, ce montant est diminué de 20% sans que cette diminution puisse excéder 1.500euros, le paiement de l'amende ne faisant pas obstacle à l'exercice des voies de recours et ce, en application de l'article 707-3 du code de procédure pénale. Dans le cas d'une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l'intéressé de demander la restitution des sommes versées.