Extrait des minutes du secrétariat-Greffe du Tribunal de Grande instance de la ... Judetaire de Nanterre (Hauts-de-Seine).
TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE NANTERRE
PÔLE CIVIL
2ème Chambre
DEMANDERESSE
Madame Esther Z
JUGEMENT RENDU représentée par Maître ...21) de la SCP CRT 1) ET ASSOCIÉS, LE avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire NAN713
22 Octobre 2015 et la société VERDIER et associés, avocat plaidant au barreau d'Orléans
DEFENI)ERESSES
N° 12.G. 13/06176 N° Minute I() 2,
Société LABORATOIRES SERVIER SAS
SURESNES
représentée par Maître Nathalie CARRÈRE de l'Association PONS & CARRERE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire A0193
Caisse primaire d'assurance maladie du Tarn
ALBI cédex 9
AFFAIRE
représentée par Maître Jean-Michel ... de la SCI'
Esther ZZZ Z Z, avocats au barreau de PARIS, vestiaire
P0087
C/
CPAM DU TARN, L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2015 en audience publique
LABORAT 0 IR ES devant le tribunal composé de
SERVIER SAS
Copies délivrées le
Fabienne V, Vice-présidente
Agnès U, Vice-Présidente
Laure T, Juge
qui en ont délibéré.
Greffier lors du prononcé Fabienne MOTTAIS, Greffier. JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision Contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l'avis donné à l'issue des débats.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEI)URE
Mine Esther Z s'est vue prescrire du médiator® par son médecin généraliste en traitement d'une t rygl icéridém ie.
Après réception en décembre 2010 d'un courrier de l'AFSSAPS, elle a effectué un contrôle échographique qui a mis en évidence une double valvulopathie.
Par ordonnance de référé rendue le 8 juillet 2011 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, une expertise judiciaire a été confiée au docteur Jean-Marie F ...'expert a terminé son rapport le 30 avril 2012 et a déposé un additif le 28 juin 2012.
Par actes du 14 niai 2013, Mine Esther Z a fait assigner les Laboratoires Servier et la Caisse
primaire d'assurance maladie, ci-après CPAM, du Tarn aux fins de voir engager la responsabilité des laboratoires Servier sur le fondement de l'article 1386-1 du code civil et d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Le juge de la mise en état a, par ordonnance rendue le 17 décembre 2013, rejeté la demande de sursis à statuer de la société les laboratoires Servier et condamné celle-ci à payer à Mme ... une provision pour le procès de 3.000 euros ainsi qu'une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives signifiées par RPVA le 5 juin 2015, Mme
Esther Z demande au tribunal, sur le fondement de l'article 1386-1 du code civil, de juger
que le médiators est un produit défectueux engageant la responsabilité des laboratoires Servier et que sa pathologie cardiaque est en lien de causalité avec l'exposition au médiator® .
Elle demande par conséquent au tribunal
à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise confiée à un expert en cardiologie avec une mission détaillée dans ses écritures auxquelles il est renvoyé,et de condamner les Laboratoires
Servier aux frais de consignation de l'expertise ainsi qu'au paiement d'une provision de 50.000
euros,
à titre subsidiaire, de condamner les Laboratoires Servier à lui payer les sommes suivantes
- 3.780 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire
- 8.000 euros au titre des souffrances endurées
- 15.000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent ou 30.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent aggravé comprenant l'angoisse de développer une maladie évolutive
-15.000 euros au titre du préjudice d'anxiété et de condamner les Laboratoires Scrvier à lui verser la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter les Laboratoires Servier de toutes leurs demandes, fins et conclusions et notamment leur demande de sursis à statuer, d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir et enfin de condamner les Laboratoires Servier aux entiers dépens qui comprendront les frais de consignation d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la société CRTD,avocats au barreau des Hauts de Seine, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle expose que le Médiator commercialisé en France par les Laboratoires Servier dès 1976 aurait dû être retiré du marché bien avant la décision de l'A FSSAPS du 25 novembre 2009 d'en suspendre l'autorisation de commercialisation; qu'en effet, les fenfluramines, classe de substances qui sont dérivées de l'amphétamine et à laquelle s'apparente le benfluorex ont été progressivement suspectées dans l'apparition de cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies cardiaques au cours des années 1980 et au début des années 1990; que différentes études, en particulier l'étude interne réalisée par les Laboratoires Servier du 8 septembre 1993, ont mis en évidence la présence de norfenfluramine, métabolite issu du benfluorex qui est le principe acti f du Médiator; que d'autres études et enquêtes de pharmacovigilance ont également démontré la toxicité de la norfenfluramine, tant au regard du risque de développer une LITAP qui est connu, au moins, depuis la publication des résultats de l'étude épidémiologique dite IPPI IS en 1995 qu'au regard des atteintes valvulaires, ainsi que l'a démontré l'étude M. ... et coll. publiée le 28 août 1997.
Elle indique que malgré la mise sous surveillance du Médiator par ('AFSSAPS en 1997 et alors que les autres anorexigènes commercialisés par les Laboratoires Servier, l'lsoméride et le Pondéral, ont été retirés du marché mondial le 15 septembre 1997 en raison de la cardiotoxicité de la norfenfluramine, ce n'est que très tardivement que l'AFSSAPS a décidé de suspendre les autorisations de mise sur le marché des spécialités contenant du benfluorex, dont le Médiator, puis d'ordonner leur retrait à compter du 30 novembre 2009.
Soutenant d'abord qu'il n'est pas dans l'intérêt d'une bonne justice de retarder la solution du litige,
Mme ... s'oppose à la demande de sursis à statuer.
Elle fait ensuite valoir que la responsabilité des Laboratoires Servier sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil est engagée à son égard dès lors qu'elle rapporte le défaut du produit, le caractère défectueux du Médiator tenant à la fois à la sécurité du médicament et à la présentation de sa notice, et le lien de causalité entre le produit et son dommage; qu'en effet, tant le collège Benfluorex que l'expert judiciare ont retenu un lien causal entre sa pathologie cardiaque et le Médiator; que le défaut du médicament est certain puisqu'il a justifié son retrait du marché en 2009 et bien que les risques de eardiotoxicité étaient connus en 1996 et 1997, la notice d'information du Médiator ne contenait aucune indication quant au risque, même présenté comme marginal ou exceptionnel, d'apparition d'une HTAP ou d'une valvulopathie; que les Laboratoires Servier ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité en prétendant que l'état des connaissances ne leur permettait pas, avant 2009, de connaitre la toxicité du Médiator alors qu'il est au contraire démontré que bien antérieurement à 2009, ils avaient connaissance de la présence de norfenfluramine et de ses effets toxiques sur le plan cardio-vasculaire.
Critiquant les conclusions du docteur ... au motif qu'elles ont été déposées avant la publication d'études récentes sur l'impact du Médiator, notamment les études Tri bouilloy de 2013 et 2014, et qu'elles ne permettent pas de liquider son préjudice à défaut de fixer la consolidation, elle sollicite une nouvelle expertise dont elle souligne la nécessité compte-tenu de l'évolution des connaissances sur la pathologie dont elle souffre. Subsidiairement, elle demande la réparation de ses préjudices, à titre provisionnel, à la lumière des conclusions provisoires du collège Benfluorex déposé le 11 février 2015.
Dans ses dernières écritures signifiées par RPVA le 9 septembre 2015, la société Les Laboratoires Servier, conclut in liminc litis aux fins de voir, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales.
Subsidiairement au fond, elle demande au tribunal de dire et juger que Mme .... ne rapporte
pas la preuve que les lésions valvulaires qu'elle présente sont imputables de manière certaine au médiator®, que la preuve du caractère défectueux du produit n'est pas rapportée, que faisant application des dispositions de l'article 1386-1-4° du code civil, l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut et plus subsidiairement que Mme ... ne rapporte pas la preuve d'un préjudice certain.
Les conditions de mise en jeu de sa responsabilité n'étant pas réunies, elle conclut au débouté de
Mme ... de toutes ses demandes, fins et prétentions et à la condamnation de celle-ci aux
entiers dépens. Subsidiairement, compte-tenu des autres facteurs intervenus dans la production du dommage, notamment une hypertension artérielle et une hypertrophie ventriculaire gauche, elle sollicite que sa garantie soit limitée, que les demandes de Mme ... soient ramenées à de
plus justes proportions et qu'il soit statué ce que de droit sur les dépens.
En défense, la société Les Laboratoires Servier expose que l'appréciation du caractère défectueux du Médiator procède d'un débat complexe qui fait actuellement l'objet de multiples investigations dans le cadre de procédures pénales en cours ce qui justifie que le tribunal ordonne un sursis à statuer tant dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que pour permettre un débat contradictoire sur l'ensemble des éléments qui sont couverts par le secret de l'instruction.
Au fond, elle soutient quc Mine ... ne démontre pas l'imputabilité de ses troubles au traitement par Médiator, cc traitement n'étant établi qu'entre 2006 et fin 2009; qu'en effet, l'expert judiciaire a considéré que le rapport de causalité paraissait plausible sans retenir d'imputabilité directe et certaine; qu'au contraire, l'imputabilité des troubles au médicament doit être écartée compte-tenu de l'absence d'éléments sur l'état antérieur de Mme ... qui ne permet pas
d'exclure que sa val vulopathic ait préexisté au traitement, des constatations échographiques qui ne sont pas caractéristiques des lésions observées dans les valvulopathies médicamenteuses et de l'existence d'autres causes pouvant avoir provoqué les fuites minimes observées chez Mme
S , la survenue de telles fuites valvulaires, observée clans la population générale hors toute
prise médicamenteuse, augmentant avec l'âge, l'existence d'un surpoids et d'une hypertension artérielle, ces facteurs de risque étant présents dans le cas de Mme ... Elle fait valoir que Mme ... ne démontre pas, non plus, la défectuosité du Médiator pendant
la période de traitement de 2006 à 2009. Rappelant que pour caractériser l'existence d'un défaut, il doit être tenu compte de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, la société Les Laboratoires Servier affirme que les risques cardiovasculaires liés à la consommation de Médiator n'ont été identifiés que tardivement ainsi qu'en attestent les décisions des autorités de santé et les publications scientifiques; qu'en effet, les autorités de santé ont considéré jusqu'à fin 2009 que les connaissances scientifiques ne permettaient pas de considérer que le rapport bénéfice-risque était défavorable tandis que le faible nombre de cas rapportés n'a pas permis la mise en évidence d'un signal significatif justifiant le retrait du Médiator, ou la modification des informations à destination des professionnels de santé ou du public, avant les données receuillies dans le courant de l'année 2009. Contestant l'argumentaire inspiré du rapport de l'1GAS, dont elle critique le caractère non contradictoire et manifestement orienté, la société Les Laboratoires Servier indique que malgré la parenté chimique qui existe entre la dexfenfluramine (Isoméridee) et le benfluoruex (Médiator®), puisqu'ils ont un métabolite commun qu'est la norfenfluramine, cc qui a toujours été une information disponible et connue, pour autant il ne peut en être déduit que les mêmes effets doivent en être attendus; que l'enquête de pharmacovigilance confiée au CRPV de Besançon en 1995, qui est devenue officielle à partir de 1998, n'a pas montré de signal de toxicité cardiovasculaire du Médiator® jusque dans le courant de l'année 2009.
Elle affirme donc qu'avant 2009, compte-tenu du faible nombre de cas rapportés de valvulopathies et d'HTAP sous benfluorex ainsi que de la position des autorités de santé et de la communauté scientifique, le Médiator ne peut être considéré comme un produit défectueux au sens de l'article 1386-1 du code civil, soulignant que la loi instituant le fonds d'indemnisation géré par l'Oniam ne fait pas état du caractère défectueux du médicament; que ces mêmes éléments sont de nature à démontrer que le défaut du Médiator, s'il était rapporté, n'a pu être identifié que postérieurement à sa mise en circulation, ce qui constitue une cause d'exonération de responsabilité.
Aux termes de ses conclusions signifiées par RPVA le 17 mars 2014, la CPAM du Tarn demande au tribunal de constater la responsabilité exclusive de la société Les Laboratoires Servier dans les conséquences dommageables consécutives à la prise du médicament Médiator dont a été victime Mme ... et, en conséquence, sur le fondement de l'article L 376-1 du code
de la sécurité sociale, de condamner la société Les Laboratoires Servier à lui verser
- la somme de 473,48 euros au titre du remboursement des prestations versées à Mme Esther Z et ce sous réserve des prestations non connues à ce jour et pour celles qui pourraient être versées ultérieurement,
- les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de ses écritures, ces intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1154 du code civil,
- la somme de 157,83 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'alinéa 9 de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale,
- la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Elle demande également que la société Les Laboratoires Servier soit condamnée au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Hocquard et associés, avocats au barreau de Paris, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et que l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions soit ordonnée.
En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, i1 sera expressément renvoyé aux conclusions des parties en date du 17 mars 2014, du 5 juin 2015 et du 9 septembre 2015 pour plus ample exposé des motifs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2015.
MOTIFS
Sur le sursis à statuer Il résulte de l'article 4 du Code de procédure pénale que si la règle selon laquelle 'le criminel tient le civil en l'état" s'impose lorsque l'action civile est exercée en réparation du dommage causé par une infraction pénale, en revanche la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction ci vile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
En l'espèce, l'action engagée contre les Laboratoires Servier par Mme ... sur le fondement des articles 1386-1 du Code civil et suivants n'est pas exercée en réparation du dommage causé par une ou des infractions faisant l'objet des instances pénales en cours de sorte qu'un sursis à statuer ne s'impose pas.
Par ailleurs, la responsabilité du fait du défaut des produits est une responsabilité objective qui n'impose pas de démontrer l'existence d'une faute, le producteur pouvant toutefois s'exonérer dans des conditions limitativement énumérées par l'article 1386-1 du code civil, et notamment dans le cas prévu au 4°, s'il prouve "que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut". Or, il apparaît qu'en l'espèce, une expertise judiciaire civile a été réalisée de façon contradictoire, les questions posées à l'expert portant notamment sur les rapprochements signalés dans la littérature médicale et les éléments contenus dans la notice d'utilisation du médicament ; que les parties ont, tant pendant les opérations d'expertise que durant la procédure, échangé de nombreux documents scientifiques et médicaux, qui ont fait l'objet d'une discussion contradictoire, portant précisément sur l'état des connaissances quant aux effets défavorables du médicament et sur la question de la défectuosité du Médiator.
Par ailleurs, la société Les Laboratoires Servier ne peut soutenir qu'elle est privée d'un procès équitable au motif général de son empêchement à produire les éléments couverts par le secret de l'instruction sans préciser quels sont, parmi ces éléments, ceux qu'elle entend invoquer pour sa défense dans le cadre de l'instance civile laquelle est distincte, par son fondement et son objet, des procédures pénales en cours. Au vu des explications fournies et des pièces communiquées par la société défenderesse tout au long de la procédure, tant qu'auprès des experts qu'auprès du tribunal, notamment pour contester le défaut de l'information ou pour invoquer les causes d'exonération, il convient de constater que la société Les Laboratoires Servier, laquelle n'a jamais fait état de son impossibilité à produire un élément en particulier, a été en mesure de faire valoir les moyens qui étaient nécessaires à sa défense dans le cadre de la procédure civile.
Dès lors qu'il n'apparait pas établi que les éléments dont dispose le tribunal seraient insuffisants pour statuer au fond, ni que la société Les Laboratoires Servier aurait été privée d'un procès équitable, il n'est pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l'attente des décisions pénales ou de la levée du secret de l'instruction et la demande de la société défenderesse sera rejetée sur ce chef.
Sur la demande d'une nouvelle expertise
Mme ... sollicite une nouvelle expertise aux motifs que les conclusions du docteur ... ont été déposées avant la publication d'études récentes sur l'impact du Médiator, notamment les études Tribouilloy de 2013 et 2014, et qu'elles ne permettent pas de liquider son préjudice à défaut de fixer la consolidation.
En application de l'article 144 du code de procédure civile qui dispose que les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, le tribunal a la faculté d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise dès lors qu'il estime ne pas disposer des éléments suffisants pour statuer.
Il convient de constater que les motifs invoqués par Mme ... sont réels puisque compte-tenu de la date à laquelle il a établi son rapport, soit le 30 avril 2012, l'expert judiciaire n'a pas pu prendre en compte les études pertinentes qui ont été publiées plus récemment et par ailleurs, il n'a pas fixé de date de consolidation en estimant que l'état de Mme ... n'était pas
suffisamment stabilisé.
Néanmoins, il ressort du rapport d'expertise du collège d'experts benfluorex daté du 17 février 2015 qui est produit par Mme ... que, concluant comme le docteur ...! à l'imputabilité
de l'insuffisance aortique au benfluorex, le collège d'experts a fixé une date de consolidation et évalué les préjudices en lien avec le dommage.
Bien que ce rapport ne peut avoir la même portée que celui de l'expert judiciaire dans le cadre de la présente instance, il résulte néanmoins des missions confiées au collège d'experts placé auprès de l'ONIAM par la loi du 29 juillet 2011 qu'ayant vocation à constater l'existence d'un déficit fonctionnel imputable au benfluorex et à évaluer l'étendue des dommages, ce collège doit procéder aux investigations dans le respect du principe de la contradiction.
Eu égard à son caractère contradictoire et à l'autorité de ses auteurs tant pour déterminer le lien de causalité avec le benfluorex que pour évaluer les préjudices imputables, le rapport du collège benfluorex constitue un élément d'appréciation particulièrement pertinent dans le cadre de l'instance civile, d'autant plus qu'ayant été émis en février 2015, il tient compte des travaux et publications les plus récentes Au regard de cet élément et des autres pièces versées au débat, le tribunal estime qu'il est suffisamment éclairé et qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise qui ne pourrait que retarder inutilement l'issue du procès.
Sur la responsabilité Pour mettre en jeu la responsabilité du producteur d'un médicament sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut du médicament et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage, ce qui implique de démontrer au préalable l'administration du médicament et la participation du médicament dans la survenance du dommage.
Eu égard à la difficulté d'établir scientifiquement un lien de causalité, il est admis que la preuve de cette causalité peut être administrée par la réunion de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes à condition d'une part, que le fait invoqué puisse au regard des données acquises de la science être matériellement une cause génératrice du dommage, d'autre part qu'il soit hautement probable que ce facteur a été à l'origine du dommage et enfin, que les autres causes possibles du dommage aient pu être circonscrites et exclues.
S'agissant de la preuve de l'administration du médicament, la réalité du traitement par Médiator
de Mme ... ne fait pas l'objet de discussions, seule la durée de ce traitement étant contestée.
L'expert indique que le Médiator lui a été prescrit à partir d'au moins 2006 à raison de 3 comprimés par jour, la première ordonnance communiquée étant datée du 9 février 2006 et que la délivrance du médicament est attestée pour la période du 27 octobre 2006 au 17 octobre 2009 par la pharmacie et pour la période du 27 novembre 2007 au 17 octobre 2009 par la CPAM. Dans la mesure où l'attestation du docteur ... qui fait état d'un début de traitement à partir de
2004, n'est pas étayée par d'autres éléments objectifs, en particulier le dossier médical de sa patiente qu'il n'a pas communiqué à l'expert, il sera retenti que le traitement par Médiator est établi du 9 février 2006 au 17 octobre 2009.
Il ressort du rapport du docteur ... que Mme ... - âgée de 63 ans au moment de l'expertise, présente une hypertension artérielle ancienne qui est traitée, une hypertrophie ventriculaire gauche notable, une dyslipémie traitée par une stative, une insuffisance aortique minime 0,5/4 sans retentissement ventriculaire et une insuffisance mitrale très minime, l'expert précisant que cette double valvulopathie aortique et mitrale qui a été découverte en janvier 201 I, est moins sévère au jour de l'expertise que lors des électrocardiogrammes réalisés en janvier et juillet 201 1 .
Sans pouvoir affirmer, faute d'avoir eu communication du dossier médical de Mme ... , que
ces lésions n'existaient pas avant la prise de Médiator, l'expert retient néanmoins que le lien de causalité entre la prise de Médiator et la double valvulopathie que présente Mme ... est
plausible; qu'en effet, l'exposition au Médiator peut chez certains patients, plus souvent des femmes, entraîner la constitution de lésions valvulaires d'allure fibreuse, non inflammatoires, non sténosantes, mais restrictives; que des études scientifiques ont montré que ces lésions étaient analogues à celles décrites avec les anorexigènes et le pergol ide et qu'elles auraient, ainsi que le montre l'étude Triboulloy C et Coll de 2011, la même physiopathologie impliquant l'action de la norfenfluramine, métabolite du benfluorex, sur les récepteurs sérotoninergiques 5-1.1T2b qui sont fortement exprimés sur les valves cardiaques. Par ailleurs, l'expert conclut que cette pathologie qui est en lien plausible avec le Médiator a été adjointe aux facteurs de sclérose valvulaire présentés par Mine S , à savoir une hypertension artérielle et une hypertrophie
ventriculaire gauche, et qu'en l'absence d'état antérieur connu, il peut être considéré que cette pathologie a été, au minimum, additive à un état antérieur et génératrice d'une aggravation de risque.
Les Laboratoires Servier soutiennent que l'imputabilité des troubles de Mme ... au médicament ne peut être établie, même par des présomptions graves, précises et concordantes, dans la mesure où l'ignorance de l'état antérieur de Mme ... ne permet pas d'exclure que sa
valvulopathie ait préexisté au traitement, que les lésions observées ne sont pas évocatrices de val vulopathie médicamenteuse et qu'il existe d'autres causes possibles.
Il est exact que l'expert n'exclut pas de façon formelle que l'atteinte valvulaire pouvait exister avant le traitement, celle-ci ne pouvant être détectée par un simple examen clinique, néanmoins il convient de constater que des examens cardiaques réalisés en 1967 et 1970 n'ont révélé aucune anomalie et que c'est seulement après avoir reçu le courrier de ]'AFSSAPS que Mme ... a fait
pratiquer les examens qui ont révélé sa pathologie, ce qui permet de penser qu'elle ne souffrait pas auparavant de pathologie cardiaque qui aurait nécessité des échographies cardiaques régulières. Par ailleurs, les conclusions du docteur ... ., émises au vu de ses constatations et
des examens pratiqués, en particulier l'échocardiogramme, sont clairement en faveur d'une valvulopathie d'origine médicamenteuse; qu'en réponse au dire de la société Servier, l'expert a confirmé que les signes échographiques chez Mme ... étaient caractéristiques de l'effet du
Médiator au niveau de la valve aortique, marqués par l'épaississement diffus des sigmoïdes et l'aspect central de la fuite aortique; que l'expert précise que ces anomalies sont "en sus" de l'effet de l'hypertension artérielle et de l'hypertrophie ventriculaire, ce qui signifie qu'elles ne sont pas
imputables aux autres pathologies cardiaques de Mme ... . De même, ces anomalies ne
peuvent être la conséquence d'un éventuel état antérieur, l'expert considérant que dans l'hypothèse de la préexistence de lésions valvulaires, la pathologie en lien avec l'exposition au Médiator est au minimum additive à l'état antérieur.
Les conclusions du docteur ... sont confortées par le collège d'experts ..., dont le rapport en date du 17 février 2015 est versé au débat; en effet, au vu des pièces qui leur ont été fournies, le collège d'expert considère que, compte-tenu de la chronologie d'apparition, de la description anatomique et en l'absence d'autres causes possibles, seule l'origine médicamenteuse peut être retenue pour expliquer l'insuffisance aortique de Mme ... . En revanche, le même
collège conclut que n'étant accompagnée d'aucune anomalie morphologique évocatrice d'une atteinte médicamenteuse, l'insuffisance valvulaire mitrale n'est pas imputable au benfluorex; que cette dernière conclusion n'est pas contradictoire avec les conclusions de l'expert judiciaire, puisque cc dernier indique que lors de l'échocardiogramme qu'il a réalisé, il n'a pas constaté de fusion commissurale ou d'aspect restrictif au niveau de la valvule mitrale, alors que toujours selon cet expert, en échographie l'aspect restrictif caractéristique de l'effet du Médiator s'observe surtout au niveau de la valvule mitrale.
Ainsi il est établi que Mme ... souffre d'une double valvulopathie aortique et mitrale de faible importance, pour laquelle l'expert qui l'a examinée a retenu qu'elle était en lien de causalité plausible avec son exposition au Médiator; que si l'insuffisance valvulaire mitrale ne peut être imputée au benfluorex, en revanche l'insuffisance valvulaire aortique présente des aspects caractéristiques des lésions d'origine médicamenteuse qui ne peuvent être imputées ni à un éventuel état antérieur, ni aux autres pathologies cardiaques de Mme ... , l'expert judiciaire
considérant que la pathologie en lien avec le Médiator est au minimum additive à un éventuel état antérieur et aux autres facteurs de sclérose valvulaire présentés par Mme ... ; qu'il peut
également être constaté que la régression des fuites valvulaires constatée par l'expert est compatible avec les effets de l'arrêt du traitement par Médiator mais qu'une telle régression est inhabituelle pour les fuites liées au viellissement, ce qui permet d'écarter le facteur de l'âge. Compte-tenu des conclusions de l'expert qui sont confortées par les conclusions du collège
d'experts benfluorex, du fait que les lésions valvulaires présentées par Mme ... présentent
des aspects caractéristiques de l'exposition au benfluorex et dans la mesure où l'expertise n'a pas permis de mettre en évidence d'autre facteur causal autonome, il existe des présomptions précises, graves et concordantes de la présence d'un lien direct et certain entre la prise de Médiator pendant plusieurs années par Mme ... et sa valvulopathie aortique.
Sur le défaut du médicament Selon l'article 1386-4 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte-tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Il revient donc à Mme ... d'établir qu'au moment où il lui a été administré, le Médiator présentait un défaut de nature à présenter un danger pour les personnes et de démontrer, qu'au regard des données scientifiques de l'époque et du rapport bénéfice-risque qui en était attendu, ce médicament n'offrait pas la sécurité à laquelle elle pouvait légitimement s'attendre compte-tenu notamment de l'information figurant sur la notice d'accompagnement.
Le Médiator, qui a été commercialisé en France par les Laboratoires Servier à partir de 1976, a fait l'objet d'une décision de suspension d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010 en raison de sa toxicité cardio-vasculaire caractérisée par un risque d'hypertension artério-pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies, la démonstration étant aujourd'hui faite que cette toxicité est liée à la présence de norfenfluramine qui l'un des principaux métabolites du benfluorex, principe actif du Médiator.
Il ressort des pièces versées au débat que le benfluorex est pharmacologiquement associé à la famille des fenfluramines et que malgré les propriétés anorexigènes des fenfluramines, seules les propriétés sur les métabolismes glucidiques et lipidiques ont fait l'objet de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Médiator. Les laboratoires Servier ont par ailleurs commercialisé en France comme anorexigènes deux autres médicaments de la famille des fenfluramines, le Pondéral (fenfluramine) en 1966 et l'Isoméride (dexfenfluramine) en 1985.
A partir des années 1980, les fenfluramines ont été progressivement suspectées dans l'apparition de cas d'HTAP et de valvulopathies cardiaques et en 1995, l'étude pharmaco-épidémiologique internationale IPPHS a conclu à l'existence d'un risque d'FITAP lié à l'usage des anorexigènes en général et des fenfluramines en particulier, ce qui a amené la Direction générale de la santé à interdire l'ensemble des anorexigènes, y compris le benfluorex, dans l'exécution et la délivrance des préparations magistrales, étant précisé que le benfluorex n'a pas été concerné par les restrictions d'indications émises en 1994 et 1995 par la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV).
La mise en évidence des effets indésirables graves à type HTAP puis de valvulopathies a conduit l'Agence du médicament à suspendre, le 15 septembre 1997, l'AMM de la dexfenfluramine (Isoméride) et de la ferdluramine (Pondéral), ces médicaments ayant cessé ensuite d'être commercialisés.
S'agissant du benfluorex, une étude interne des laboratoires Servier portant sur l'analyse des différents métabolites du Médiator (Phannacokinetics of the metabolites of benfluorex- 8 septembre 1993 ) a mis en évidence la présence de norfenfluramine, cc qui, selon les écritures des Laboratoires Servier, a toujours été une information disponible et connue.
Or la cardiotoxicité de la norfenfluramine était fortement suspectée dès 1995 sans que les mécanismes de la norfenfluramine sur les valves cardiaques ne soient explicités. L'étude publiée par Richard ... et coll. en 2000 a démontré le mécanisme d'implication de la fenfluramine et de son principal métabolite, la norfenfluramine, dans l'apparition de valvulopathies cardiaques, les auteurs de cette étude invitant à reconsidérer la sécurité d'emploi de tous les médicaments contenant des principes actifs ou des métabolites susceptibles d'avoir une implication dans le mécanisme pathogène décrit, en particulier les médicaments se métabolisant en norfenfluramine. La cardiotoxicité de la norfenfluramine a été confirmée par des études in vivo menées sur des rats de laboratoire et dont les résultats ont été publiés en 2007 (European Heart Journal, 28, 2156-62, In vivo model of drag induceci valvular heart disease in rats) et 2009 (Droogman5, Cyproheptadine prevents Pergaele-Induced val vulopathy in rats; an echographic and hystological study; Ami Physiot 200).
11 ressort des éléments produits au débat que c'est en raison de sa parenté chimique avec les fenfluramines et de la présence de norfenfluramine, métabolite commun aux fenfluramines, que dès 1995, le benfluorex a fait l'objet d'une enquête de pharmacovigilance confiée au CRPV de Besançon. S'il est exact que jusqu'à la réévaluation du benfluorex par )'AFSSAPS, la Commission nationale de pharmacovigilance a estimé que le nombre de cas d'I1TAP et de valvulopathies rapportés par cette enquête de pharmacovigilance n'était pas suffisant pour constituer un signal significatif de toxicité du Médiator, néanmoins le rapport de l'IGAS qui pointe les graves défaillances du système de pharmacovigilance, conclut que les éléments recueillis par les autorités de santé entre 1995 et 2005 auraient dû conduire à une évaluation défavorable de la balance bénéfice-risque du Médiator, notamment les rapports italiens très documentés sur la toxicité de la norfenfluramine, le signalement le 3 octobre 2003 d'un cas de valvulopathie cardiaque par l'agence du médicament espagnole, et les cas signalés en France alerte de trois médecins conseil nationaux de l'assurance maladie entre 1997 et 1998, la notification au CRPV de Marseille le 10 février 1999 d'un cas de valvulopathie aortique et un cas d'IITAP notifié en juin 1999.
Il ressort du compte-rendu établi en octobre 2009 qu'après examen des résultats réactualisés de l'enquête du CRPV de Besançon, la CNPV a maintenu sa position et que finalement, après avoir procédé à l'examen de nouvelles données, notamment les résultats de l'étude du CHU de Brest et de l'étude Regulate réalisée par les Laboratoires Servier, ces résultats étant confirmés par une troisième étude menée par la CNAMTS, et avoir réévalué défavorablement la balance bénéfice-risque, l'A FSSAPS a décidé de suspendre l'AMM des spécialités contenant du benfluorex, visant ainsi explicitement le Médiator, et à les retirer du marché à compter du 30 novembre 2009.
Au vu de l'ensemble des éléments, il est établi que le benfluorex fait partie de la famille des fenfluramines et que comme les autres fenfluramines ou dérivés de fenfluramine commercialisés par les Laboratoires Servier (Isoméride, Pondéral), il se métabolise en norfenfluramine. Par ailleurs, il ressort des études et publications scientifiques qu'au moins depuis 1995, la norfenfluramine est suspectée d'être responsable des risques cardio-vasculaires liés à l'usage des fenfluramines, ce qui a été confirmé par l'étude Rothman de 2000 qui a démontré le mécanisme d'implication de la fenfluramine et de son principal métabolite, la norfenfluramine, dans l'apparition de valvulopathies cardiaques.
S'il est exact que jusqu'à la veille du retrait du Médiator, les autorités de santé ont considéré que le benfluorex ne présentait pas de risque cardiotoxique compte-tenu du faible nombre de cas d'HTAP et de valvulopathies associés à l'usage de benfluorex, néanmoins la parenté chimique du benfluorex avec les autres fenfluramines commercialisées par les Laboratoires Servier, les publications scientifiques sur la toxicité de la norfenfluramine, dont la présence en tant que métabolite du benfluorex était connue au moins depuis 1993, le signalement des cas d'HTAP et de valvulopathie associés au benfluorex, même s'ils étaient peu nombreux, auraient dû conduire ces autorités de santé à reconsidérer la balance bénéfice-risque du benfluorex dans un sens défavorable ou au moins, à s'assurer que les risques cardiotox igues liés à la norfenfluramine étaient mentionnés dans l'information destinée aux professionnels de la santé et aux patients, en particulier qu'il figuraient sur la notice d'utilisation du Médiator. Or jusqu'en 2009, date du retrait tardif du Médiator, les informations sur les effets indésirables et les précautions d'emploi du Médiator ne taisaient pas mention des risques d'apparition d'une FITAP et d'une valvulopathie Il est donc démontré qu'entre 2006 et 2009, période pendant laquelle il a été administré à Mme
S , le Médiator présentait un défaut en ce que ses effets cardio-toxiques liés à la présence de
norfentluramine étaient avérés et en ce que, au regard des données scientifiques de l'époque et du rapport bénéfice-risque qui en était attendu, ce médicament n'offrait pas la sécurité à laquelle elle pouvait légitimement s'attendre compte-tenu notamment de l'absence d'information figurant sur la notice d'utilisation quant au risque d'IlTAP et de valvulopathie. Dans la mesure où la valvulopathie aortique présentée par Mine ... a un lien direct et certain avec les effets cardio-
toxiques du Médiator, il est également établi le lien de causalité entre son dommage et le défaut du médicament.
Compte-tenu des développements précédents, il apparait que les Laboratoires Servier ne peuvent invoquer un risque de développement pour s'exonérer de leur responsabilité; qu'en effet, malgré les divergences au sein de la communauté scientifique et la discordance des résultats de certaines études, notamment celles diligentées à la demande des Laboratoires Servier, il apparait que la publication des études internationales qui ont progressivement mis en évidence les effets toxiques du benfluorex et la confirmation de ces études par le signalement de cas d'I-ITAP et de valvulopathies associés à l'usage du benfluorex, initialement peu nombreux mais en constante augmentation ensuite, permettent de considérer qu'entre 2006 et 2009, période pendant laquelle le Médiator a été administré à Mme ... , l'état des connaissances scientifiques ne permettait
pas d'ignorer les risques d'HTAP et de valvulopathies induits par le benfluorex et qu'en tout état de cause, dans la mesure où elle était sérieusement documentée, la seule suspicion de ces risques obligeait le laboratoire producteur à en informer les patients et les professionnels de santé, notamment en les mentionnant dans la notice d'utilisation du médicament.
Par conséquent, la responsabilité des laboratoires Servier est engagée vis à vis de Mme ...
en application des articles 1386-1 et suivants du code civil et ils seront tenus à l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de son exposition au Médiator.
Sur les préjudices de Mme ... Au vu des conclusions de l'expert judiciaire et des récentes conclusions du collège d'experts benfluorex, ainsi que de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Mme
Esther S , âgée de 63 ans au moment de la consolidation de son état, sera fixé ainsi que suit
étant fait observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.
Conformément aux conclusions du collège d'experts, la consolidation de l'état de santé de Mme sera fixée au 26 janvier 2012, date à partir de laquelle la situation cardiaque de celle-ci est apparue stable du point de vue clinique et des données écho-cardiographiques.
Souffrances endurées
s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, dignité et intimité présentées et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.
L'expert ... retient, sans la côter, une souffrance psychique éventuelle du fait de la découverte de l'atteinte valvulaire et de la connaissance de la possibilité d'un risque infectieux ultérieur.
Compte-tenu des souffrances physiques et psychiques liées à la dyspnée d'effort, à la découverte de l'atteinte valvulaire et aux craintes légitimes quant à une aggravation ou à une infection, il est justifié d'allouer à Mme ... une somme de 3.000 euros en réparation des souffrances endurées.
Déficit fonctionnel temporaire
Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire Le collège d'experts benfluorex conclut à l'existence d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 1 à compter du 26 octobre 2011, soit trois mois avant l'échographie cardiaque qui a mis en évidence l'insuffisance aortique, jusqu'à la consolidation.
1...es troubles dans les conditions d'existence subis par Mme ... jusqu'à la consolidation,
justifient l'octroi d'une somme totale de 1.350 euros ( 900 euros x 15 mois x 10%)
Déficit fonctionnel permanent
Ce poste tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales).
Alors que l'expert judiciaire n'a pas retenu de déficit fonctionnel permanent en considérant que les lésions constatées ne pouvaient avoir de retentissement fonctionnel, le collège d'experts
benfluorex a évalué le déficit fonctionnel permanent de Mme ... à 3% en tenant compte des
séquelles cardiologiques en lien avec la pathologie valvulaire imputable au Médiator. Ce taux de 3% sera donc retenu par le tribunal.
En outre, la valeur du point doit être majorée pour tenir compte de l'anxiété ressentie légitimement par Mme ... quant aux risques d'aggravation de l'atteinte valvulaire qui restent
réels malgré la diminution et la stabilisation observées par les experts, ainsi qu'aux risques d'infection ou d'apparition d'une IITAP.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et de l'âge de Mme ... au moment de la consolidation, en l'occurrence 63 ans, il est justifié de retenir une valeur de point de 1.800 euros et d'indemniser ce poste de préjudice en lui allouant la somme totale de 5.400 euros (1.800 euros x 3).
Préjudice spécifique d'anxiété
Dans la mesure où les préjudices de Mme ... sont considérés comme consolidés, qu'il n'existe pas pour elle de risque vital et imminent et où le préjudice lié à l'anxiété du fait des risques d'évolution future a déjà été indemnisé dans le cadre du défict fonctionnel permanent, il ne sera pas fait droit à cette demande.
Sur les demandes de ta CPAM du Tarn
Les demandes de l'organisme de sécurité sociale ne font pas l'objet de contestations.
En application de l'article L.376-1 du Code de la Sécurité Sociale, la CPAM du Tarn dispose d'un recours subrogatoire sur les sommes versées à Mme ... en réparation de son préjudice
corporel.
Selon l'attestation définitive de débours du 5 octobre 2012, les prestations versées par la CPAM
du Tarn à Mme ... s'élèvent à la somme de 473, 48 euros et correspondent aux frais futurs
capitalisés pour l'échographie-doppler transthoracique à faire réaliser tous les 3 ans.
La créance du tiers payeur, dont le recouvrement est poursuivi par subrogation dans le droit d'action de la victime, n'est pas indemnitaire et se borne au paiement d'une certaine somme. En application de l'article 1153 du code civil, le point de départ des intérêts pour les créances des organismes sociaux est celui du jour de leur première demande en justice et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement.
Par conséquent, la société les Laboratoires Servicr sera condamnée à payer à la CPAM du Tarn la somme de 473,48 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2014, ces intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1154 du code civil.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
I. société Les Laboratoires Servier succombant à l'instance, elle sera condamnée aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise et qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée à verser à Mme ... , au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer dans la présente instance, une somme que l'équité justifie de fixer à 10.000 euros et à verser la somme de 1.000 euros à la CPAM du Tarn sur le même fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur l'exécution provisoire Eu égard à l'ancienneté du litige, l'exécution provisoire qui est compatible avec la nature de l'affaire sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort,
Dit que la responsabilité de la société Les Laboratoires Servier est engagée à l'égard de Mme
Esther Z du fait de la défectuosité du Médiator® pendant la période d'administration du
médicament,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à verser à Mme Esther Z ses préjudices corporels, provisions non déduites, les sommes suivantes
- 3.000 euros au titre des souffrances endurées
- 1.350 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 5.400 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de ce jour,
en réparation de
Déboute Mine ... du surplus de ses demandes indemnitaires,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à la CPAM du Tarn la somme de 473,48 euros au titre des frais futurs,
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2014 et que ces intérêts foreront anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1154 du code civil,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme Esther Z la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à la CPAM du Tarn la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Les Laboratoires Servier aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise,
Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.
signé par Fabienne V V, Vice-présidente et par Fabienne V, Greffier présent lors du prononcé.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Pour expédition codifiée coi** nie
Néntcrre, le t .... 1 0, ^ 1
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