CIV.3 CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 8 octobre 2015
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt no 1031 FS-P+B
Pourvoi no N 14-18.881
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Adam, société civile immobilière, dont le siège est Saint-Denis,
contre l'arrêt rendu le 9 avril 2014 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant
1o/ à la société Boucherie de la République, société par actions simplifiée, dont le siège est Saint-Denis,
2o/ à la société Moyrand Bally, société civile professionnelle, dont le siège est Bobigny cedex, prise en la personne de M. W W, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Boucherie de la République,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 septembre 2015, où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, Mmes Fossaert, Brenot, Masson-Daum, MM. Echappé, Parneix, Mmes Dagneaux, Provost-Lopin, M. Barbieri, conseillers, Mmes Proust, Meano, Collomp, M. Jariel, conseillers référendaires, Mme Bordeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Adam, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat des sociétés Boucherie de la République et Moyrand Bally, l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Vu l'article 370 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 145-60 du code de commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 avril 2014), que la société civile immobilière Adam, propriétaire d'un local commercial donné à bail en renouvellement à compter du 1er janvier 1998 à la société Boucherie de la République, a assigné la locataire en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, subsidiairement en résiliation du bail et plus subsidiairement en validation d'un congé à effet du 1er octobre 2010, refusant le renouvellement et le paiement d'une indemnité d'éviction ; que la résiliation judiciaire du bail commercial a été prononcée le 18 avril 2012 ; que le mandataire-liquidateur de la société Boucherie de la République, placée en redressement judiciaire le 19 septembre 2012 puis en liquidation judiciaire, a contesté, par conclusions d'appel du 23 janvier 2013, la validité du congé et demandé le paiement d'une indemnité d'éviction ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l'arrêt retient que l'action en contestation du congé a été interrompue et non suspendue, le 19 septembre 2012, jusqu'à la reprise d'instance le 20 décembre 2012, en application de l'article 370 du code de procédure civile, qu'un délai de deux ans a recommencé à courir le 20 décembre 2012 de sorte qu'à la date de la contestation par le mandataire soit le 23 janvier 2013, l'action en contestation du congé n'était pas prescrite ni la demande en paiement d'une indemnité pour les mêmes motifs ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le jugement de redressement judiciaire n'a d'effet interruptif que sur une instance déjà engagée et que le délai, dans lequel l'action en contestation de la validité d'un congé sans offre de renouvellement ni d'indemnité d'éviction peut être exercée par le locataire, n'est pas suspendu par son placement en redressement ou liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il
- reçoit M. ..., ès qualités, en son action tant en contestation du congé refus de renouvellement délivré par la SCI Adam le 2 février 2010 à effet du 1er octobre 2010 qu'en paiement d'une indemnité d'éviction,
- dit que la société Boucherie de la République avait droit au maintien dans les lieux et qu'elle peut prétendre au bénéfice d'une indemnité d'éviction, - ordonne une expertise avant dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation,
et, - déboute la SCI Adam de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun,
l'arrêt rendu le 9 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la SCP Moyrand Bally, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Boucherie de la République, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Adam
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'action de Me ..., en qualité de mandataire liquidateur de la société BOUCHERIE DE LA RÉPUBLIQUE, en contestation du congé délivré le 2 février 2010 à effet au 1er octobre 2010 et en paiement d'une indemnité d'éviction est recevable, que la société BOUCHERIE DE LA RÉPUBLIQUE a droit au maintien dans les lieux et peut prétendre au bénéfice d'une indemnité d'éviction qui sera déterminée après expertise, d'avoir débouté la SCI ADAM de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun, et de l'avoir condamnée au paiement d'une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Aux motifs que " Un congé en refus de renouvellement a été délivré par la SCI ADAM à la société BOUCHERIE DE LA RÉPUBLIQUE le 2 février 2010 à effet du 1er octobre 2010 ; l'action en contestation du congé a été interrompue et non suspendue par l'effet du jugement plaçant la société en redressement judiciaire le 19 septembre 2012 jusqu'à la reprise d'instance le 20 décembre 2012 en application de l'article 370 du code de procédure civile ; à la date de l'interruption, l'action en contestation du congé n'était pas prescrite ; un délai de deux ans a donc recommencé à courir le 20 décembre 2012 de sorte qu'à la date de la contestation par le mandataire soit le 23 janvier 2013, l'action en contestation du congé n'était pas prescrite.
(...)
Le mandataire liquidateur est également recevable à solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction, la demande en paiement n'étant pas prescrite pour les mêmes motifs que l'action en contestation du congé.
(...)
Le mandataire liquidateur est fondé à solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction et ce alors qu'à date d'effet du congé, la société BOUCHERIE DE LA RÉPUBLIQUE était in bonis et qu'elle n'a été placée en liquidation judiciaire qu'après avoir été expulsée des locaux. Cette indemnité sera évaluée au terme d'une expertise faute d'élément d'appréciation suffisant.
La SCI ADAM sollicite le paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun destiné à compenser le préjudice résultant selon elle de l'occupation des lieux sans droit ni titre jusqu'à l'éviction ; or, la société BOUCHERIE DE LA RÉPUBLIQUE a droit au maintien dans les lieux moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation de nature statutaire qui sera également déterminée après expertise " ;
Alors, d'une part, qu'en application de l'article L.145-60 du code de commerce, toutes les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans ; que ce délai de prescription de deux ans peut être interrompu par le mémoire défini aux articles R.145-23 et suivants du code de commerce, ou par les causes générales prévues aux articles 2240 et suivants du Code civil ; qu'en retenant, en l'espèce, pour déclarer recevable l'action de la société preneuse et de son mandataire liquidateur en contestation du congé et en paiement d'une indemnité d'éviction, pourtant exercée plus de deux ans après la date d'effet de ce congé, que le jugement plaçant la société preneuse en redressement judiciaire a eu pour effet d'interrompre le cours de l'instance, quand, l'action n'ayant pas été introduite avant l'expiration du délai de prescription, la suspension de l'instance était nécessairement sans effet sur la recevabilité de l'action, la Cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé l'article 370 du code de procédure civile, ensemble l'article L.145-60 du code de commerce ;
Alors, d'autre part, qu'est prescrite, et dès lors irrecevable, l'action en contestation du congé et en paiement d'une indemnité d'éviction qui n'a pas été exercée dans le délai de deux ans suivant la date d'effet de ce congé ; qu'en l'espèce, en jugeant l'inverse, sans constater l'existence d'une cause d'interruption du délai de prescription, la Cour d'appel a violé l'article L.145-60 du code de commerce.