CIV. 1 CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 23 septembre 2015
Cassation partielle sans
renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt no 1004 F-D
Pourvoi no U 14-22.636
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Z Z, domiciliée Pont-Sainte-Marie,
contre l'arrêt rendu le 23 mai 2014 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section II), dans le litige l'opposant à M. Y Y, domicilié Troyes,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 juillet 2015, où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Mouty-Tardieu, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bignon, conseiller doyen, Mme Nguyen, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouty-Tardieu, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme Z, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu les articles 373-2, alinéa 2, et 373-2-9, alinéa 3, du code civil ;
Attendu que, lorsqu'ils fixent les modalités d'exercice de l'autorité parentale d'un parent à l'égard de ses enfants, les juges ne peuvent déléguer les pouvoirs que la loi leur confère ;
Attendu qu'après avoir fixé la résidence habituelle de l'enfant au domicile de son père, l'arrêt confère à Mme Z un droit de visite et d'hébergement sur son fils Enzo, né le 8 mai 1999 et dit que ce droit sera exercé avec l'assentiment de l'enfant ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a subordonné l'exécution de sa décision à la volonté du mineur, a violé les textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit qu'eu égard à l'âge du mineur, l'exercice du droit de visite et d'hébergement suppose son assentiment, l'arrêt rendu le 23 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour Mme Z
IL EST FAIT GRIEF À L'ARRÊT ATTAQUE d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la résidence de l'enfant au domicile du père et fixé les modalités du droit de visite et d'hébergement de Madame Z sauf meilleur accord des parties, et d'avoir, y ajoutant, précisé qu'eu égard à l'âge du mineur, l'exercice du droit de visite et d'hébergement suppose son assentiment,
AUX MOTIFS QUE
" L'article 373-2-6 du Code civil précise que le juge aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs.
La décision de non lieu à assistance éducative rendue le 27 septembre 2012 par le juge des enfants de TROYES indique qu'Enzo, alors âgé de 13 ans, lui a adressé un courrier le 10 août 2012 " dans lequel il mettait en exergue les insultes et humiliations qu'il subissait de la part de sa mère et qui avaient conduit à son hébergement au quotidien au domicile paternel depuis le 14 février 2012. Le mineur déplorait l'intervention de la force publique le 9 août 2012 à l'initiative de Madame Z Z, laquelle ne l'avait pas rencontré depuis six mois, et afin que la précédente décision du juge aux affaires familiales soit respectée ". Le juge des enfants auquel le mineur demandait de le confier à son père (la police l'ayant obligé à retourner chez sa mère le 9 août 2012 au soir) a estimé que l'adolescent n'était pas en danger au sens de l'article 375 du Code civil et que seul le juge aux affaires familiales, dont la décision était attendue, était habilité à régir la situation.
Madame Z Z communique aux débats plusieurs attestations qui la décrivent comme une mère responsable, particulièrement soucieuse de l'éducation de son fils. Sont également versés plusieurs justificatifs de séjours à l'étranger et de nombreuses photographies illustrant l'attention qu'elle porte aux lieux de vacances et aux activités proposées afin qu'Enzo s'y épanouisse pleinement. Cependant, les témoignages les plus récents constatent des relations devenues difficiles entre Madame Z Z et son fils insultes, manque de respect, chaise jetée à terre (pièces no71 et 72). En août 2012, son amie Madame ... évoque à plusieurs reprises le " combat " mené par Madame Z Z depuis plus d'un an et demi " pour que ses droits de mère ne soient plus bafoués ". Le 26 juin 2013, Madame Z Z elle-même a effectué une déclaration de main courante pour se plaindre du comportement irrespectueux d'Enzo, qui n'accepte plus aucune des règles par elle fixées, s'énerve et injurie sa mère lorsqu'elle n'accède pas à sa requête.
Entendu par le juge aux affaires familiales le 4 avril 2013, Enzo a exprimé son souhait de vivre chez son père et de voir son père un week-end sur deux et pendant la moitié des vacances scolaires. Il a fait part de tensions existant entre sa mère et lui depuis quatre années et s'aggravant depuis deux ans. Il a expliqué que sa mère connaissait son désir de vivre chez son père mais ne l'acceptait pas, trouvant Monsieur Y Y trop laxiste.
Sur sa demande, Enzo a de nouveau été entendu le 18 décembre 2013 dans le cadre de la procédure d'appel. Il a fait part des insultes de sa mère, de sa violence physique envers lui parfois, de ses critiques incessantes contre Monsieur Y Y. Il a clairement exprimé sa souffrance face à certains comportements maternels tels qu'afficher sur Facebook la lettre d'Enzo au juge des enfants en la commentant.
Les pièces produites par Monsieur Y Y, notamment les longs courriers reçus de Madame Z Z, révèlent une mère qui accepte mal qu'Enzo grandisse et s'oppose à elle, qui attribue l'évolution du comportement de son fils aux manipulations du père et qui se situe encore dans le règlement de comptes avec Monsieur Y Y, à l'égard duquel elle est particulièrement négative. En dépit des critiques de Madame Z Z sur le suivi paternel, les résultats scolaires d'Enzo en classe de 3ème au premier trimestre 2013-2014 sont fort bons puisqu'il a obtenu une moyenne générale de 15,80 et les félicitations du conseil de classe (pièce no18). Les enseignants décrivent un élève sérieux, volontaire et toujours très régulier. Un tel constat suppose que le jeune garçon bénéficie d'une vie équilibrée et est disponible pour entrer dans les apprentissages.
En tout état de cause, divers documents produits par les parties démontrent les difficultés relationnelles actuelles entre Enzo et sa mère et révèlent que Madame Z Z peut avoir à l'égard de l'adolescent des réactions inappropriées, intrusives et blessantes, même si elle lui est indéniablement attachée. Par suite, la fixation de la résidence habituelle d'Enzo au domicile paternel apparaît conforme à l'intérêt du mineur et doit être confirmée.
Enzo est âgé de quinze ans. L'exercice du droit de visite et d'hébergement lui est actuellement source de souffrance et de mal être. Il souhaite qu'il soit organisé librement afin " de ne plus y penser tout le temps " et de le vivre de manière plus calme et sereine. Il importe, par souci d'apaisement du mineur, de préciser que le droit de visite et d'hébergement accordé à la mère suppose l'assentiment d'Enzo. " ;
ALORS D'UNE PART QUE les juges, lorsqu'ils fixent les modalités du droit de visite et d'hébergement accordé sur son enfant au parent non attributaire de la garde, ne peuvent déléguer sur ce point les pouvoirs que leur confère la loi ; Qu'en décidant, par souci d'apaisement du mineur, qu'eu égard à son âge, que l'exercice du droit de visite et d'hébergement accordé à Madame Z suppose l'assentiment d'Enzo, la Cour d'appel a violé les articles 373-2, 373-2-8 et 373-2-9 du Code civil ;
ALORS D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHÈSE QUE le juge, tenu de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; Que Monsieur Y n'a jamais demandé à la Cour d'appel de dire que, dans un souci d'apaisement et eu égard à l'âge d'Enzo, l'exercice du droit de visite et d'hébergement de Madame Z supposait l'assentiment de ce dernier ; Qu'en relevant d'office et sans inviter les parties à en débattre contradictoire8 ment le moyen pris de ce que l'exercice du droit de visite et d'hébergement est actuellement source de souffrance et de mal être pour Enzo qui souhaite qu'il soit organisé librement afin de ne plus y penser tout le temps et de le vivre de manière plus calme et sereine, de sorte qu'eu égard à l'âge de ce dernier, l'exercice de ce droit suppose son assentiment, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile.