AFFAIRE N° RG 13/03156 Code Aff.
ARRÊT N°
E.S. E.F.
ORIGINE DÉCISION de la Cour de Cassation en date du 29 Mai 2013 - RG n° 11-28.732
Arrêt de la cour d'appel de Rennes en date du 26 octobre 2011 RG 03/4443
Jugement du tribunal de grande instance de Brest en date du 16 avril 2003 -RG 01/1775
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
APRES CASSATION
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2015
DEMANDERESSE À LA DÉCLARATION DE SAISINE
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU NORD FINISTÈRE
BREST CEDEX
prise en la personne de ses représentants légaux
Représentée par Me Mickaël ... substitué par Me ...,
avocats au barreau de CAEN,
assistée de Me Danaé PAUBLAN, avocat au barreau de QUIMPER
DÉFENDEUR À LA DÉCLARATION DE SAISINE
L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGÈNES ET DES AFFECTIONS NOSOCOMIALES 36 Avenue du Général de Gaulle
BAGNOLET CEDEX
pris en la personne de son représentant légal
Représenté par Me Jacques MIALON, avocat au barreau de CAEN,
assisté de Me Pierre ... substitué par Me ...,
avocats au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR DU DÉLIBÉRÉ
Madame PIGEAU, Président de chambre,
Monsieur JAILLET, Conseiller,
Madame SERRIN, Conseiller, rédacteur
DÉBATS A l'audience publique du 23 juin 2015, sans opposition du ou des avocats, Madame PIGEAU, président de chambre et Madame SERRIN, conseiller, ont entendu seules les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER Madame FLEURY
ARRÊT mis à disposition au greffe le 15 Septembre 2015 et signé par Madame PIGEAU, président, et Madame FLEURY, greffier
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme ... a été hospitalisée au centre hospitalier universitaire de Brest en mars 1976 pour subir une intervention chirurgicale dans les suites de laquelle elle a dû être transfusée. Des tests pratiqués en avril 1995 ont mis en évidence sa contamination par le virus de l'hépatite C.
Par arrêt en date du 22 novembre 2006, la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Brest le 16 avril 2003 en ce qu'il a dit que l'Établissement français du sang est responsable de la contamination de Mme ..., a ordonné une nouvelle expertise et a alloué à l'intéressée une provision de 30'000 euros en ordonnant le sursis à statuer sur la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Nord Finistère (ci-après la caisse).
Par conclusions déposées le 12 juillet 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des affections nosocomiales (ci-après l'ONIAM) est intervenu volontairement à la procédure.
Le 27 octobre 2010, l'expert commis a déposé son rapport.
Par arrêt en date du 26 octobre 2011, la cour d'appel de Rennes a
· infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Brest en ce qu'il a limité l'indemnisation du préjudice de Mme ... à la somme de 37 000 euros ;
· déclaré irrecevables les demandes de Mme ..., de l'ONIAM et de la caisse à l'égard de la société Allianz IARD comme les demandes de la caisse à l'encontre de l'ONIAM ;
· fixé le préjudice de Mme ... à la somme de 116 228,88 euros ;
· condamné l'ONIAM à payer à Mme ... la somme de 86 228,88 euros en réparation de son préjudice, déduction faite de la provision de 30 000 euros versée et celle de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
· condamné l'ONIAM aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions sur l'aide juridictionnelle et de l'article 699 du code de procédure civile.
Par arrêt en date du 29 mai 2013, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la caisse à l'encontre de l'ONIAM au visa des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile.
Après saisine de la présente juridiction désignée comme cour de renvoi, la caisse s'est désistée de ses demandes en tant qu'elles visaient Mme ..., l'Établissement français du sang et la société Allianz
Le conseiller de la mise en état a en conséquence prononcé une ordonnance d'extinction partielle d'instance le 24 février 2014.
Au terme de ses dernières écritures déposées le 17 octobre 2014, l'ONIAM demande à la cour, au visa des dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 et 72 de la loi 2012-1404 du 17 décembre 2012 de
· constater que la cour d'appel de Rennes a définitivement statué sur l'absence de garantie de l'assureur de l'établissement français du sang ;
En conséquence,
· dire et juger que la caisse ne dispose pas l'action surbrogatoire contre l'ONIAM ;
· débouter la caisse de ses demandes à l'encontre de l'ONIAM ;
· la condamner aux entiers dépens et faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières écritures déposées le 22 mai 2015, la caisse demande à la cour, au visa de la loi n° 2008-1330 et 17 décembre 2008, des articles L. 1221-14 et L. 1142-22 du code de la santé publique, de la loi 2012-1404 du 17 décembre 2012 et notamment de son article 72, de
· débouter purement et simplement l'ONIAM de l'ensemble de ses demandes, plus amples ou contraires,
· condamner l'ONIAM, venant aux lieu et place de l'Établissement français du sang à lui verser, au titre des débours exposés, suivant relevé de prestations définitives en date du 8 janvier 2011, les sommes suivantes
· dépenses de santé actuelles 86'719,81 euros
· perte de gains professionnels 6'988,41 euros
· dépenses de santé futures 7'239,24 euros
· soit au total la somme de 100'947,46 euros
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· dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter des conclusions de première instance et jusqu'à parfait paiement ;
· condamner l'ONIAM, venant aux lieu et place de l'Établissement français du sang à lui verser la somme de 1 037 euros par application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
· condamner l'ONIAM, venant aux lieu et place de l'Établissement français du sang à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les frais dépens, en distraction au profit de Me ...,
avocat de la SCP Dartois Barais et associés, par application des dispositions de l'article 699 du même code.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 juin 2015.
Pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs dernières écritures susvisées.
MOTIFS DE LA COUR
1° sur la recevabilité de la demande
L'ONIAM est intervenu à la procédure au titre de l'article 67, IV de la loi du 17 décembre 2008, par lequel, en vertu de ce texte, il a été substitué à l' Établissement français du sang dans les instances en cours au 1er juin 2010.
Dans ses motifs, la Cour de Cassation a rappelé que cette substitution, pour lui permettre d'assurer l'indemnisation des victimes de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C., n'a pas opéré transfert à l'ONIAM des créances de l'Établissement français du sang envers ses assureurs de responsabilité.
Elle a retenu en conséquence que ce moyen, produit au pourvoi principal par l'ONIAM qui reprochait à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande tendant à ce que l'assureur soit condamné à prendre en charge l'indemnisation de Mme ..., n'était fondé en aucune de ses branches.
Sur le pourvoi provoqué de la caisse, reprochant à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables ses demandes à l'encontre de l'assureur, la cour a indiqué que ce moyen n'était pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.
La Cour de Cassation a revanche cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la caisse à l'encontre de l'ONIAM, l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 26 octobre 2011, sur le pourvoi incident de la caisse.
L'arrêt de la cour d'appel de Rennes est donc irrévocable en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes présentées par Mme ..., par l'ONIAM et par la caisse à l'encontre de l'assureur de responsabilité de l'Établissement français du sang et en ce qu'il a fixé le préjudice de Mme ... à la somme de 116 228,88 euros.
Pour conclure au rejet de la demande présentée par la caisse à son encontre, l'ONIAM rappelle les dispositions de l'article I-4° de l'article L. 1221-4 du code de la santé publique dans sa rédaction issue des dispositions de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 qui prévoit que
c) "Lorsque l'office a indemnisé une victime, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Établissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (no 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance no 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.
"L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Établissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré." ' Les dispositions issues de la L. no 2012-1404 du 17 déc. 2012 s'appliquent aux actions juridictionnelles engagées à compter de la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée (L. préc., art. 72-III).
Toutefois, ce texte n'a pas vocation à régir les relations de l'ONIAM et des tiers payeurs.
L'ONIAM rappelle également les dispositions du IV de l'article 67 de la loi 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, complété par deux alinéas ainsi rédigés, lesquels s'appliquent également aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée
" Lorsque l'office a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Établissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.
Les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'office si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. "
Il se déduit de ce texte que par exception aux principes régissant la subrogation, l'ONIAM peut s'opposer à l'action surbrogatoire des tiers payeurs s'il ne dispose pas d'action en garantie pour les motifs limitativement énumérés par la loi.
En l'espèce, s'il est certain que l'ONIAM ne peut exercer d'action directe contre l'assureur, c'est en vertu de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Rennes en date du 26 octobre 2011 et de l'absence de transfert, en faveur de l'ONIAM, à la date de cette décision, des créances dont l'établissement français du sang était titulaire envers son assureur de responsabilité.
La caisse est donc recevable à demander sa condamnation à lui rembourser le montant des débours qu'elle a exposés pour Mme ....
2° ) Sur le bien fondé de la demande de remboursement
Devant la présente cour, l'ONIAM ne remet plus en cause le lien de causalité entre les débours exposés par la caisse et dont il est demandé remboursement et la contamination subie par Mme ....
Il est justifié en conséquence de faire droit à la demande et de condamner l'ONIAM à verser à la caisse la somme de 100'947,46 euros, étant observé que la somme de 24'450 euros qui a été allouée à Mme ... au titre de son déficit fonctionnel permanent (20 % à la date de consolidation) est égale à l'offre que l'ONIAM avait faite.
Il sera en outre condamné à verser à la caisse l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, soit 1 037 euros.
3°) sur les mesures accessoires
La caisse est bien fondée à demander que les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter des conclusions de première instance, sur le montant des sommes alors réclamées.
Il serait inéquitable de laisser pour le surplus à la caisse le montant des frais irrépétibles qu'elle a dus exposer pour faire valoir ses droits.
L'ONIAM sera en conséquence condamné à lui verser une indemnité de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Condamne l'ONIAM à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, en remboursement de ses prestations, la somme de 100 947,46 euros ;
Condamne en outre l'ONIAM à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère les intérêts au taux légal, à compter des conclusions de première instance, sur le montant des sommes alors réclamées ;
Condamne l'ONIAM à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Condamne l'ONIAM à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'ONIAM aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT E. FLEURY D. PIGEAU