Références
COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYONN° 14LY03710Inédit au recueil Lebon
2ème chambre - formation à 3lecture du mardi 07 juillet 2015REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 5 décembre 2014, présentée pour M. et Mme B...A..., demeurant ... ;
M. et Mme A...demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1102024 du 6 octobre 2014 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2004 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que le jugement du tribunal est insuffisamment motivé en ce qu'il n'indique pas en quoi l'administration pouvait faire application des dispositions des articles 109-1 1° et 111 c du code général des impôts et en ce qu'il n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'intention libérale n'était pas établie, et de ce que le montant du prix de vente ne résultait que de circonstances particulières ; que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'assiette taxable devait être modifiée pour prendre en compte le dégrèvement prononcé en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; que les conditions requises pour l'application de l'article 111 c) du code général des impôts ne sont pas réunies ; que le tribunal n'a pas vérifié que les époux A...avaient l'intention de recevoir la libéralité qui leur était octroyée ; qu'en déchargeant la taxe sur la valeur ajoutée, l'administration a considéré que le caractère délibéré de la minoration de prix n'était pas établi ; que l'assiette taxable devait être modifiée pour prendre en compte le dégrèvement prononcé en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; que la distribution de bénéfices doit être imposée au titre de l'année au cours de laquelle les résultats de la SARL For Entreprise ont été rectifiés ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er avril 2015, présenté par le ministre des finances et des comptes publics, qui conclut au non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 20 769 euros qui a fait l'objet d'un dégrèvement, et au rejet du surplus des conclusions de la requête ;
Il soutient que le montant des droits en litige s'élève, après dégrèvement, à 36 316 euros en matière d'impôt sur le revenu et 8 309 euros en matière de contributions sociales ; que les dispositions de l'article 111 c du code général des impôts sont applicables puisqu'il existe un écart de prix significatif entre le prix de cession et la valeur vénale des immeubles, sans contrepartie pour la société cessionnaire ; qu'il existe une relation d'affaires entre le vendeur et l'acquéreur ; que la volonté d'octroyer et de recevoir une libéralité doit être présumée ; que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des dégrèvements intervenus en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; que le montant de la distribution doit être rattaché à l'année de signature de l'acte de cession, soit en 2004 ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 mai 2015, présenté pour M. et Mme A..., qui persistent dans leurs conclusions, par les mêmes moyens, en soutenant en outre que l'administration n'a pas respecté les règles de rattachement des produits définis dans sa doctrine publiée au BODGI 8-E-82 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 juin 2015 :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- et les conclusions de M.Besse, rapporteur public ;
1. Considérant que M. et Mme A...ont acquis un appartement de type T4 et deux appartements de type T1, auprès de la SARL For Entreprise ; que cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration a considéré, notamment, qu'elle avait cédé les trois appartements en cause à un prix minoré, vente qu'elle a regardée comme constitutive d'un acte anormal de gestion ; qu'à l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a estimé que M. et Mme A...avaient bénéficié d'une distribution de revenus, correspondant à la différence entre la valeur vénale des biens et leurs prix d'achat, et mis à leur charge, au titre de l'année 2004, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités ; que, par jugement du 6 octobre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a ramené à 19,31 % l'insuffisance de prix pour l'appartement de type 4, à 35,56 % l'insuffisance de prix pour l'appartement de type 1 au rez-de-chaussée et à 37,66 % l'insuffisance de prix pour l'appartement de type 1 au premier étage ; que M. et Mme A... relèvent appel dudit jugement du 6 octobre 2014 en tant qu'il a partiellement rejeté leur demande tendant à la décharge desdites impositions ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que, par avis en date du 13 février 2015, le directeur des finances publiques de la région Rhône-Alpes a procédé au dégrèvement de la somme totale de 16 928 euros en droits et pénalités, au titre des cotisations d'impôt sur le revenu, et de 3 841 euros en droits et pénalités, au titre des cotisations de contributions sociales ; que les conclusions de la requête sont dans cette mesure devenues sans objet ;
Sur la régularité du jugement :
3. Considérant que, contrairement a ce que soutiennent M. et MmeA..., les premiers juges ont examiné, pour l'écarter, le moyen tiré de ce que l'administration fiscale ne pouvait fonder ses rehaussements sur les dispositions du 1° de l'article 109-1 et de l'article 111 c) du code général des impôts ; qu'ils ont également écarté l'argument des requérants selon lequel le prix de vente des appartements litigieux s'expliquerait par le fait qu'ils ont été acquis en fin de programme ;
4. Considérant que M. et Mme A...font valoir que le tribunal n'a pas répondu à leur moyen selon lequel la volonté de la SARL For Entreprise d'octroyer une libéralité n'était pas établie ; que, pour estimer fondées les impositions, compte tenu de l'existence d'une minoration de prix, les premiers juges ont estimé que les impositions pouvaient être fondées sur le fondement des dispositions du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence d'une intention libérale, dès lors, d'une part, qu'il y avait eu désinvestissement réel sans contrepartie pour la SARL For Entreprise, et, d'autre part, appréhension des distributions par M. et Mme A...; que, quelle que soit la pertinence de cette réponse, le tribunal n'a ni omis de statuer sur un moyen ni entaché son jugement d'insuffisance de motivation ;
5. Considérant que, si les premiers juges ont incomplètement tiré les conséquences de la décision du 25 juin 2008, produite par M. etA..., ayant accordé un dégrèvement partiel à la SARL For Entreprise, après réévaluation des prix tant des termes de comparaison que des appartements litigieux, ils n'ont pas omis de statuer sur le moyen qu'avaient ainsi soulevé les requérants ;
Sur le bien-fondé des impositions :
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) " ; qu'aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) " ; que les sommes réintégrées par l'administration dans le résultat imposable d'une société ayant fait l'objet d'une rectification ne peuvent être regardées comme des revenus distribués au sens de ces dispositions que dans la mesure où elles ont été effectivement appréhendées par leur bénéficiaire, qu'il soit actionnaire, associé ou tiers ; qu'en cas de vente à un prix minoré, l'imposition de ces sommes entre les mains du débiteur n'est toutefois possible qu'à la condition qu'il y ait eu volonté de la part de la société d'accorder un avantage sans contrepartie ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 111 c du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; (...) " ; qu'en cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées de l'article 111 c) du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause ; que la preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession ; que dans le cas où le vendeur et l'acquéreur sont liés par une relation d'intérêts, l'intention d'octroyer et de recevoir une libéralité est présumée ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans le cadre du programme immobilier " Résidence des Vallées " à Thonon-les-Bains, la SARL For Entreprise a vendu en l'état de futur d'achèvement à M. et Mme A...un appartement de type T4, le 24 mars 2004, pour un montant, frais de commercialisation inclus, de 133 606 euros, et deux appartements de type T1, le 23 novembre 2004, pour des montants, frais de commercialisation inclus, de 57 931 et 51 833 euros ; que l'administration a évalué la valeur vénale de ces appartements en déterminant un prix par tantième pour des appartements comparables, appartenant au même programme immobilier, et vendus à une date voisine des cessions en litige, et constaté des écarts de prix au moment de la signature des actes notariés, après dégrèvements, de 16,68 % pour l'appartement de type T4 et de 31,66 % et 33,56 % pour les appartements de type T1 ; que, si M. et MmeA..., qui ne contestent pas l'écart de prix pour des appartements de taille comparable, soutiennent qu'il doit être tenu compte du fait qu'ils ont acquis ces biens immobiliers en fin de programme, il résulte de l'instruction, en tout état de cause, que les acquisitions prises comme termes de comparaison ont été effectuées à des dates proches ; que l'administration établit ainsi l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur réelle des biens, sans que cet écart ne soit justifié par une contrepartie ;
9. Considérant que, si M. et Mme A...font valoir qu'ils n'étaient liés par aucune relation d'intérêts avec la SARL For Entreprise, la répétition des ventes sur un même programme, sur une période de neuf mois, sans contrepartie pour le vendeur, révèle de la part de la société une volonté d'octroyer une libéralité, et, pour les intéressés de la recevoir ; que l'administration établit ainsi l'existence d'un avantage au bénéfice de M. et MmeA..., constitutif de revenus distribués, imposables sur le fondement des dispositions précitées de l'article 109-1 1° et de l'article 111 c) du code général des impôts ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. " ; que les versements assimilés à des libéralités sont imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre de l'année où ils ont été mis à la disposition des bénéficiaires ; que ce n'est que lorsque cette date ne peut être déterminée que de tels versements sont présumés distribués à la date de clôture de l'exercice au titre duquel leur existence a été constatée ; que, s'agissant d'une libéralité constituée par une vente à un prix minoré il y a lieu de se référer, pour établir la date de mise à disposition de l'avantage à l'acquéreur, aux règles de rattachement des produits applicables au vendeur ;
1
1. Considérant qu'aux termes du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à la détermination du bénéfice imposable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " (...) les produits correspondants à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées (...) " ; qu'en l'absence de toute disposition législative définissant les actes ou opérations qui, au regard de la loi fiscale, doivent être regardés comme constitutifs d'une livraison, il y a lieu de se référer à la définition de la " délivrance " mentionnée à l'article 1605 du code civil qui dispose que " L'obligation de délivrer les immeubles est remplie de la part du vendeur lorsqu'il a remis les clefs, s'il s'agit d'un bâtiment, ou lorsqu'il a remis les titres de propriété. " ;
12 Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de réception produits par les requérants, que les clefs de deux des trois appartement leur ont été remises au cours de l'année 2004 ; que l'administration était par suite fondée à imposer l'avantage constitué par la vente de ces deux appartements à un prix minoré lors de cette année ; que, toutefois, il résulte de la même instruction que les clefs de l'appartement de type 4 n° B9 leur ont été remises le 9 mars 2005 à 15 heures ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner le bénéfice de la doctrine administrative invoquée par les requérants, ils sont fondés à soutenir, sur le terrain de la loi fiscale, que l'administration ne pouvait légalement les imposer, au titre de l'année 2004, sur la somme de 25 679 euros correspondant à l'avantage constitué par la vente de ce troisième appartement que les époux A...avaient acquis en l'état futur d'achèvement ;