Références
Cour Administrative d'Appel de VersaillesN° 12VE02942Inédit au recueil Lebon
1ère Chambrelecture du mercredi 27 mai 2015REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu le recours, enregistré le 2 août 2012 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES, sis 86-92 allée de Bercy télédoc 913 à Paris cedex 12 (75572) ;
Le ministre demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1011927 en date du 30 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé M. et Mme B...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2005 et 2006 ainsi que des majorations correspondantes ;
2° de rétablir M. et Mme B...à l'impôt sur le revenu au titre des années 2005 et 2006 à concurrence des droits et majorations dont la décharge a été prononcée à tort par les premiers juges ;
3° à titre subsidiaire, si la Cour estimait que la plus-value litigieuse ne pouvait être imposée sur le fondement les dispositions combinées du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts, de maintenir son imposition sur le fondement des dispositions combinées de l'article 167-1 bis et du II de l'article 167 bis du code général des impôts ;
Le ministre soutient que :
- la plus-value d'apport réalisée le 29 octobre 1999 par Mme D...-B... dans le cadre de la fusion des sociétés Promodes et Carrefour à raison de sa participation dans la société civile de portefeuille JPL, soumise au régime des sociétés de personnes, et placée, à sa demande, en report d'imposition en application du II de l'article 92 B du code général des impôts, est imposable en France dès lors que les requérants y étaient domiciliés en 1999 ; le fait générateur de la plus-value d'apport est en effet constitué par l'échange ou l'apport initial de titres, son assiette doit être déterminée selon les règles en vigueur à cette date et la domiciliation fiscale à prendre en compte est celle du contribuable à cette même date ; le report a seulement pour objet de décaler l'exigibilité de l'imposition effective de la plus-value à la date de l'évènement qui a mis fin au report, soit en l'espèce la cession des titres, ce qui conduit seulement à appliquer le taux d'imposition en vigueur l'année d'expiration du report ; ainsi, la circonstance que M. et Mme B...étaient résidents suisses à la date de cession des titres en 2005 et 2006 est sans incidence sur le fait générateur de l'imposition ;
- à titre subsidiaire, si les contribuables se sont placés sous le régime du report d'imposition du II de l'ancien article 92 B du code général des impôts, ils relevaient en réalité de l'article 167 bis de ce code (régime de l'exit tax) mettant fin au report à raison d'un transfert de domicile hors de France intervenu en 2002 et du II de l'article 167 bis du même code relatif au sursis de paiement qu'ils ont alors sollicité ; si la Cour ne retient pas comme fondement légal des impositions le II de l'ancien article 92 B du code général des impôts, il lui est demandé de maintenir ces impositions sur le fondement de l'article 167-1 bis et du II de l'article 167 bis du code général des impôts ;
- dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, il entend se référer à ses écritures de première instance ; notamment, la moins-value réalisée par M. et Mme B...en 2005 et 2006, alors qu'il étaient devenus résidents fiscaux en Suisse, n'est pas imputable sur la plus-value en report d'imposition dès lors que les requérants ne sont pas imposables en France à raison de cette moins-value ; M. et MmeB..., qui ont établi depuis 2002 leur résidence fiscale en Suisse, ne peuvent utilement soutenir que le refus de compensation entre la plus-value et la moins-value est contraire au principe communautaire de liberté d'établissement ; en tout état de cause, les requérants ne sont pas fondés à invoquer une atteinte à ce principe dès lors qu'ils n'établissent pas que les motivations de leur transfert de domicile revêtaient un caractère professionnel ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 avril 2015 :
- le rapport de Mme Bruno-Salel, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Delage, rapporteur public ;
1. Considérant que lors de la fusion, le 29 octobre 1999, des sociétés Promodès et Carrefour, M. et Mme A...B...ont déclaré avoir perçu une plus-value d'un montant de 5 481 797 euros, par l'intermédiaire de la société civile de portefeuille JPL, soumise au régime des sociétés de personnes et à laquelle ils sont associés ; qu'à leur demande, la plus-value d'apport qu'ils ont réalisée à cette occasion a bénéficié d'un report d'imposition en application des dispositions combinées du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts alors en vigueur ; que M. et Mme B...ont transféré leur domicile fiscal en Suisse en 2002 ; que, faisant application du paragraphe 1 bis de l'article 167 du code général des impôts alors en vigueur, en vertu duquel ce transfert de domicile fiscal mettait fin au bénéfice du report d'imposition de la plus value des contribuables (régime de l'exit tax), l'administration les a soumis à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux ; que M. et Mme B...ont demandé et obtenu le sursis de paiement de cette imposition, comme le prévoyait le paragraphe 1 bis de l'article 167 du code général des impôts ; que, suite à la cession partielle des titres Carrefour par la société JPL en 2005 et 2006, M. et Mme B...ont déclaré, au titre de leurs revenus de ces années, la plus-value en sursis de paiement diminuée des pertes constatées lors de la cession des titres ; que l'administration, ayant estimé que le régime de l'exit tax ne s'appliquait plus et que la plus-value en report d'imposition correspondante était devenue imposable, a mis à la charge des requérants des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2005 et 2006 assorties de majorations, correspondant à cette plus-value, sur le fondement du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts ; que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande l'annulation du jugement du 30 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé M. et Mme B...de ces impositions et des majorations correspondantes ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du I ter 4 de l'article 160 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable lors de la fusion : "L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B (...)" ; qu'aux termes du II de l'article 92 B, alors en vigueur, du même code : " 1 A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange. (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du 1 bis de l'article 167 du code général des impôts, en vigueur à la date du transfert de domicile : " Lorsque le contribuable transfère son domicile hors de France, les plus-values de cession ou d'échange de valeurs mobilières ou de droits sociaux dont l'imposition a été reportée sont immédiatement imposables. / Toutefois, le paiement de l'impôt correspondant peut être différé dans les conditions et les modalités prévues au II de l'article 167 bis, jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés (...) " ; qu'aux termes de l'article 167 bis de ce code alors applicable : " (...) II. - 1. Le paiement de l'impôt afférent à la plus-value constatée peut être différé jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés. / Le sursis de paiement est subordonné à la condition que le contribuable déclare le montant de la plus-value constatée dans les conditions du I, demande à bénéficier du sursis, désigne un représentant établi en France autorisé à recevoir les communications relatives à l'assiette, au recouvrement et au contentieux de l'impôt et constitue auprès du comptable chargé du recouvrement, préalablement à son départ, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor (... ) ";
4. Considérant, enfin, qu'aux termes du I de l'article 61 de loi du 30 décembre 2005 susvisée : " Lorsque le contribuable a transféré son domicile hors de France dans un Etat membre de la Communauté européenne, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale, avant le 1er janvier 2005, l'impôt établi sur le fondement du 1 bis de l'article 167 du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2005 est dégrevé d'office pour la fraction correspondant aux titres qu'il détient au 1er janvier 2006. Les reports d'imposition des plus-values afférentes à ces titres existant à la date du transfert du domicile hors de France sont rétablis de plein droit. "
5. Considérant qu'à la suite de l'arrêt du 11 mars 2004 de la Cour de justice des Communautés européenne (aff. C-9/02), qui a déclaré le 1 bis de l'article 167 du code général des impôts incompatible avec les stipulations de l'article 52 du traité instituant la Communauté économique européenne, repris à l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne et devenu l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la liberté d'établissement, le CE a jugé ces dispositions inapplicables à ceux des contribuables qui, exerçant la liberté d'établissement, transfèrent leur domicile fiscal dans un autre Etat de la Communauté européenne (10 novembre 2004 M. C...du Saillant N° 211341) ; que l'article 61 de la loi du 30 décembre 2005 portant loi de finances rectificative pour 2005 a prévu, pour les contribuables qui avaient transféré leur domicile fiscal hors de France avant le 1er janvier 2005, date à laquelle le régime de l'exit tax a été abrogé, d'une part, de dégrever d'office l'impôt afférent aux titres qui étaient toujours, à la date du 1er janvier 2006, dans le patrimoine des contribuables, et d'autre part, de rétablir le report d'imposition sur ces titres ; que cet article ne vise que les contribuables qui ont transféré leur domicile hors de France dans un Etat membre de la Communauté européenne, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ; que tel n'était pas le cas de M. et Mme B...qui ont transféré leur domicile fiscal en Suisse, Etat qui n'est pas membre de la Communauté européenne et qui, s'il est partie à l'accord sur l'Espace économique européen, n'avait pas encore conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ; que, par suite, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'était pas fondé à appliquer à M. et Mme B...l'article 61 de la loi du 30 décembre 2005 portant loi de finances rectificative pour 2005 et à les replacer dans le régime du report d'imposition prévu par les dispositions combinées du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts ;
6. Considérant que le ministre demande à la Cour de substituer aux dispositions combinées du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts le mécanisme de l'exit tax prévu par les dispositions du 1bis de l'article 167 du même code après expiration du sursis de paiement prévu au II de son article 167 bis ; que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure, de faire état d'une base légale différente de celle qu'elle a initialement retenue, dès lors que cette substitution peut être faite sans priver le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi, sans qu'elle soit tenue de prononcer préalablement le dégrèvement initial ni d'établir une nouvelle proposition de rectification ; que M. et Mme B... ont bénéficié des garanties de la procédure contradictoire de redressement offertes à un contribuable imposé dans la catégorie des plus-values ; que, dès lors, il y a lieu d'examiner la demande de substitution de base légale formulée par le ministre ; que, toutefois, si l'imposition placée en report en vertu du I ter 4 de l'article 160 et de l'article 92 B du code général des impôts est exigible à la date de cession des titres, en l'espèce en 2005 et 2006, et fonde l'imposition attaquée au titre de ces deux années, l'imposition à l'exit tax en vertu des dispositions du 1bis de l'article 167 du même code est exigible l'année du transfert de domicile, en l'espèce 2002, nonobstant la circonstance que les requérants aient obtenu un sursis de paiement ; que, par suite, la substitution de base légale ne permet pas de fonder les impositions établies au titre des années 2005 et 2006 et la demande du ministre ne peut qu'être rejetée ;
7. Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé M. et Mme B...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2005 et 2006 ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejeté.