CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
387896
COMMISSION NATIONALE DES COMPTES DE CAMPAGNE ET DES FINANCEMENTS POLITIQUES
c/ M. C.
M. Yannick Faure, Rapporteur
M. Alexandre Lallet, Rapporteur public
Séance du 27 mai 2015
Lecture du
10 juin 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, le tribunal administratif de Lyon de la décision du 2 octobre 2014 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de M. A. C., candidat tête de liste lors des élections municipales et communautaires d'Oyonnax (Ain) organisées les 23 et 30 mars 2014.
Par un jugement n° 1408443 du 26 janvier 2015, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et a fixé le montant du remboursement dû par l'Etat à M.C., en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, à zéro euro.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 15 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 janvier 2015 ;
2°) de confirmer le rejet du compte de campagne de M. C.;
3°) de fixer le montant de l'excédent du compte de campagne à la somme de 6 152 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M.B. :
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. / (.) / Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection (.) " ;
2. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a qualité pour faire appel d'un jugement par lequel un tribunal administratif a rejeté sa saisine, quand bien même le candidat dont le compte a été rejeté ne peut, comme en l'espèce, prétendre au remboursement de ses dépenses électorales en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, faute de justifier d'un apport personnel pour financer ses dépenses de campagne ;
3. Considérant que, par suite, la fin de non recevoir opposée par M. C.à la requête de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques doit être écartée ;
Sur le rejet du compte de campagne :
4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral : " A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du même code : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués " ; qu'enfin, il résulte des articles L. 52-4 et L. 52-12 du même code que chaque candidat tête de liste est tenu de faire régler par un mandataire les dépenses engagées en vue de l'élection, " pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection ", et d'établir, s'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés, un compte de campagne " retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte ", au cours de cette période ;
5. Considérant que, par une décision du 2 octobre 2014, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne établi par M. C., pour la candidature de sa liste au scrutin qui s'est déroulé le 23 mars 2014 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires d'Oyonnax, au motif que le n° 10 du bulletin municipal " Oyonnax magazine " du premier semestre 2013, intitulé " Cinq ans de mandat, 60 mois d'actions ", constituait un bilan de mandat dont le coût aurait dû figurer à son compte de campagne et qui ne pouvait être financé par la commune sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral ;
6. Considérant, d'une part, que ce bulletin a été imprimé en avril 2013, soit après l'ouverture de la période définie par l'article L. 52-4 du code électoral pendant laquelle toutes les dépenses engagées en vue de l'élection doivent être retracées dans le compte de campagne du candidat ; que les dispositions de l'article L. 52-1 du même code déterminant la période pendant laquelle aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sont, à cet égard, dépourvues d'incidence ;
7. Considérant que, d'autre part, même s'il ne faisait aucune référence explicite aux futures élections et au programme de l'équipe municipale sortante, ce numéro, qui se présentait comme une " édition spéciale ", revêtait un caractère exceptionnel, tant par sa pagination que par son contenu consacré, à la suite d'un éditorial du maire soulignant le respect des engagements pris en 2008, à la présentation d'un bilan flatteur des réalisations de la municipalité depuis les précédentes élections, ainsi que des atouts de la ville et des projets dont l'aboutissement était envisagé au cours de la dernière année de la mandature ; qu'il devait, ainsi, être regardé comme constituant, pour partie, un document de propagande au profit de la liste conduite par M.C., maire sortant ; que, par suite, la fraction des coûts d'impression et de distribution de ce bulletin, qui peut être évaluée à 25 %, correspondant à la surface qu'y occupent l'éditorial du maire ainsi que les textes et photographies évoquant, en les mettant en valeur, les résultats obtenus par l'équipe municipale sortante et les projets à venir a constitué, au profit de la liste conduite par M.C., un avantage en nature assimilable à un don par une personne morale, prohibé par les dispositions de l'article L. 52-8 précité ; que, dès lors, eu égard au montant des sommes en cause, s'élevant à 6 253 euros, soit 20, 5 % du plafond de dépenses autorisées, et à la circonstance que la réintégration de cette somme dans le compte de campagne fait apparaître un total de dépenses supérieur à ce plafond, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M.C. ; que celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa saisine ; qu'il s'en suit, en revanche, que ses conclusions tendant à la fixation du montant de la dévolution de l'excédent du compte de campagne sont sans objet ;
Sur l'inéligibilité :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction applicable aux élections considérées : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales (.) Il prononce également l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales (.) " ; qu'en dehors des hypothèses de fraude, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ces dispositions prévoient que le juge de l'élection ne prononce l'inéligibilité d'un candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ; qu'il lui incombe, à cet effet, d'apprécier, d'une part, s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et, d'autre part, s'il présente un caractère délibéré ; qu'en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'importance de l'avantage ou du don irrégulièrement consenti et de rechercher si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il a été susceptible de porter atteinte, de manière sensible, à l'égalité des candidats ;
9. Considérant que M. C.a méconnu les dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, qui présentent un caractère substantiel ; que, toutefois, eu égard notamment à la circonstance que la publication du bulletin municipal litigieux est intervenue au tout début de la période d'un an prévue par l'article L. 52-4 du code électoral, alors au surplus que la candidature de M. C. n'était pas encore déclarée, et que son contenu ne met pas en valeur la personne des élus de la majorité municipale, il est fondé à soutenir qu'il n'a pas commis un manquement délibéré aux dispositions de l'article L. 52-8 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment à la date de la publication litigieuse, que l'avantage dont celui-ci a bénéficié aurait été de nature à porter atteinte, de manière sensible, à l'égalité entre les candidats ; que, par suite, le manquement commis par l'intimé ne peut être qualifié, dans les circonstances de l'espèce, de manquement d'une particulière gravité, au sens de l'article L. 118-3 du code électoral ; que, par suite, il n'y a pas lieu de prononcer l'inéligibilité de M. C. ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 janvier 2015 est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques tendant à la fixation du montant de la dévolution de l'excédent du compte de campagne de M.C.
Article 3 : Le compte de campagne de M. C. a été rejeté à bon droit.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de déclarer M. C. inéligible en application de l'article L. 118-3 du code électoral.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et à M. A.C.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.