CIV. 1 CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 15 mai 2015
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt no 525 F-D
Pourvoi no X 14-17.096
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Z Z, domicilié Chérizet,
contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2013 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à Mme Y Y,
domiciliée Neuville-sur-Saône,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 avril 2015, où étaient présents Mme Batut, président, M. Delmas-Goyon, conseiller rapporteur, Mme Crédeville, conseiller doyen, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Delmas-Goyon, conseiller, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de M. Z, l'avis de M. Cailliau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses troisième et cinquième branches
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir été condamné pour travail dissimulé, M. Z a été invité par la chambre des appels correctionnels, statuant sur intérêts civils, à produire certaines pièces, puis a été condamné à verser diverses sommes à la victime de cette infraction ; que, soutenant que son avocat, Mme Y, avait failli à ses obligations d'assistance et de conseil au cours de l'instance pénale, il a assigné celle-ci en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de M. Z, l'arrêt retient, d'abord, que celui-ci avait connaissance de la décision de la juridiction répressive lui réclamant la production de pièces de preuve, qu'il en avait compris le sens et qu'il n'était donc pas nécessaire pour son avocat de l'éclairer davantage par ses conseils, ensuite, qu'étant lui-même tenu d'un devoir de collaboration l'obligeant à communiquer à son avocat d'autres éléments, il ne pouvait lui reprocher de n'avoir pas produit de conclusions complémentaires qui n'auraient pu présenter une argumentation pertinente ni d'avoir fait défaut à l'audience de renvoi et, enfin, que l'erreur commise par l'avocat sur le délai d'exercice du pourvoi en cassation n'a fait perdre à son client aucune chance sérieuse d'obtenir gain de cause ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'avocat avait accompli toutes les diligences utiles à la défense de son client, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne Mme Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour M. Z
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'Avoir décidé que Maître Y Y, avocat, n'a commis aucune faute portant préjudice à son client dans l'exercice de sa mission, en conséquence débouté intégralement M. Z Z de ses prétentions.
AUX MOTIFS QUE " Sur la production des pièces demandées par la cour de Dijon dans son arrêt du 20 mars 2008, il doit être observé que Jean Z Z avait connaissance des dispositions de l'arrêt de la cour qui était contradictoire et qui lui réclamait la production de pièces de preuve, notamment concernant les paiements faits.
(...) Il en découle qu'il lui appartenait de les remettre à son conseil qui prenait la suite de sa défense en remplacement de Maître ..., pour que Maître Y les remette à la cour. A cet égard, la communication des pièces faites en première instance et avant l'arrêt de la cour rendu le 20 mars 2008 n'a pas de pertinence ou d'influence sur la communication des pièces réclamées qui par hypothèque n'étaient pas entre les mains du greffe et de la cour qui ne les avaient pas.
(...) Maître Y n'avait pas, dans les conditions de son intervention dans la défense des intérêts de son client, l'obligation de lui rappeler l'arrêt de la cour et d'insister, par un conseil ferme et plus adéquat, pour que son client lui remette des preuves supplémentaires à celles qui avaient déjà été données et qui ont été transmises à la cour par Maître Y après l'arrêt. En effet Jean Z Z avait parfaitement compris le sens de l'arrêt qui l'invitait à produire des preuves permettant de vérifier les paiements effectifs faits à Maurice Y il n'y avait aucune nécessité qu'il soit mieux éclairé par les conseils de son avocat puisqu'il n'ignorait rien de la réalité du litige en cause.
(...) De ce chef, Maître Y Y n'a commis aucune faute professionnelle dans l'exercice de sa mission.
( ... ) Sur la rédaction de conclusions complémentaires Jean Z Z reproche à Maître Y de ne pas avoir rédigé des conclusions de nature à contester la réclamation faite au titre du préjudice moral par Monsieur ... qui réclamait son dû.
(...) Mais, en l'état du dossier, devant la cour d'appel de Dijon qui avait déjà statué sur l'action publique et qui avait reconnu la culpabilité de Jean Z Z pour travail dissimulé, il lui appartenait dans le cadre de son devoir de collaboration avec son avocat, de lui donner d'autres éléments que ceux figurant dans les pièces de la procédure et dans les pièces communiquées pour sa défense, pour permettre à son conseil de faire valoir des éléments de fait et de droit de nature à faire disparaître la réalité de ce préjudice moral ou de nature à en limiter le montant.
(...) Et le débat dans cette instance n'apporte aucun élément de cette nature permettant de reprocher à l'avocat de ne pas avoir conclu dans des conclusions écrites complémentaires une argumentation pertinente et efficace, au point que la cour aurait été convaincue d'allouer une somme moindre.
(...) De ce chef, il n'existe pas de faute imputable à l'avocat qui n'a pas manqué à sa mission au point de porter préjudice aux intérêts de son client.
(...) Quant à l'erreur sur le délai de pourvoi, commise dans la lettre du 22 janvier 2009 l'avocat a indiqué un délai de deux mois au lieu d'un délai de cinq jours, cette erreur qui est certaine n'a fait perdre aucune chance à Jean Z Z, aucune chance sérieuse de succès dans ce recours. Et en tout cas, il n'établit par son dossier, aucune perte de chance sérieuse dans un pourvoi qui annulerait l'arrêt statuant sur le préjudice de la personne victime d'un travail dissimulé.
(...) Il ne peut pas non plus être reproché à Maître Y de ne pas avoir été présente à l'audience de la cour qui était tenue pour avoir communication des pièces requises par la cour, alors qu'elle-même, avocate, n'avait reçu de son client qui le savait, aucune nouvelle pièce correspondant à celles demandées par la cour.
Jean Z Z est bien mal placé pour faire reproche à son avocat de ne pas être allé à l'audience alors qu'elle n'avait rien à apporter de nouveau au débat. Ce reproche aurait été pertinent s'il lui avait donné les pièces de preuve de paiements effectifs que la cour attendait. Il n'y a pas faute à ne pas être présente à l'audience pour présenter un dossier vide de pièces qui ne pouvait pas éclairer la cour sur l'évaluation qu'elle doit faire.
(...) En conséquence, Maître Y Y n'a commis aucune faute portant préjudice à Jean Z Z qui a été condamné par la cour de Dijon à indemniser Monsieur ... qui était victime d'un travail dissimulé parce que il n'a perdu aucune chance de payer moins.
(...) Au surplus, comme l'observe, à juste titre, Nathalie Y, dans ses conclusions dans son développement sur le préjudice retenu par la cour de Dijon, l'argumentation de Jean Z Z qui est pénalement fautif, n'a aucune pertinence quant à l'existence d'une perte de chance qui n'a pas de réalité "(arrêt p.3 et 4 ).
1o ALORS QU'il appartient à l'avocat de recueillir de sa propre initiative, auprès de son client, l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer au mieux la défense de ses intérêts et de rapporter la preuve qu'il a exécuté cette obligation ; que dès lors en affirmant, pour écarter toute faute professionnelle de Maître Y Y dans l'exercice de sa mission, qu'elle n'avait pas, dans la défense des intérêts de son client, l'obligation de lui rappeler l'arrêt de la cour rendu le 20 mars 2008 et d'insister, par un conseil ferme et plus adéquat, pour que son client lui remette des preuves supplémentaires à celles qui avaient déjà été données et transmises à la cour par Maître Y après l'arrêt, que M. Z ayant parfaitement compris le sens de l'arrêt qui l'invitait à produire des preuves permettant de vérifier les paiements faits à M. ..., il n'y avait aucune nécessité qu'il soit mieux éclairé par les conseils de son avocat puisqu'il n'ignorait rien de la réalité du litige en cause, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil.
2o ALORS QUE dans ses conclusions (récapitulatives p. 16 § 1) M. Z soutenait clairement et précisément que par conclusions, Maître Y aurait pu combattre la demande de M. ... au titre du préjudice moral totalement injustifié et totalement inexistant et expliciter les rapports entre les deux parties, M. ... étant à la fois salarié de la SCEA de la Grande Verrière, gérée par M. Z, mais également titulaire de sa propre exploitation, ce qui permettait de justifier les différents mouvements de fonds entre les deux parties ; que, dès lors, en déclarant concernant la rédaction de conclusions complémentaires que Jean-Louis Z reproche à Maître Y de ne pas avoir rédigé des conclusions de nature à contester la réclamation faite au titre du préjudice moral par M. ... qui réclamait son dû, la Cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile.
3o ALORS QUE tenue d'accomplir toutes les diligences utiles à la défense de son client, l'avocat doit prendre des conclusions complètes dans son intérêt et présenter dans ses écritures sa situation exacte, au besoin en recueillant de sa propre initiative auprès de lui l'ensemble des éléments propres à lui permettre d'assurer au mieux la défense de ses intérêts ; que dès lors, en déclarant qu'il appartenait à M. Z, dans le cadre de son devoir de collaboration avec son avocat, de lui donner d'autres éléments que ceux figurant dans les pièces de la procédure et dans les pièces communiquées pour sa défense, pour lui permettre de faire valoir des éléments de fait et de droit de nature à faire disparaître ou à limiter le préjudice moral de M. ..., et que le débat dans cette instance n'apporte aucun élément qui permette de reprocher à l'avocat de ne pas avoir conclu dans des conclusions écrites complémentaires une argumentation pertinente et efficace au point que la cour aurait été convaincue d'allouer une somme moindre, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil.
4o ALORS QUE dans le cadre de sa mission d'assistance en justice, l'avocat a l'obligation de donner tous renseignements et conseils utiles à son client ; que dès lors en ne répondant pas au chef des conclusions (récapitulatives p. 18 § 5 et 6) de M. Z qui faisait valoir que Maître Y aurait dû lui expliquer qu'il lui était possible de consulter un avocat à la Cour de cassation rapidement afin de savoir si un pourvoi devait être envisagé, qu'elle ne l'a pas fait, ce qui démontrait un manquement de l'avocat à son obligation de conseil, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
5o ALORS QUE, tenu d'accomplir toutes les diligences utiles à la défense de son client, l'avocat doit se présenter à l'audience et recueillir de sa propre initiative l'ensemble des éléments d'information et des documents propres à lui permettre d'assurer au mieux la défense de ses intérêts ; que dès lors en affirmant qu'il ne peut être reproché à Maître Y de ne pas avoir été présente à l'audience tenue pour avoir communication des pièces requises par la Cour, alors qu'elle n'avait reçu de son client, qui le savait, aucune nouvelle pièce correspondant à celles demandées par la Cour, qu'elle n'avait rien à apporter de nouveau au débat, qu'il n'y a pas faute à ne pas être présente à l'audience pour présenter un dossier vide de pièce qui ne pouvait pas éclairer la cour sur l'évaluation qu'elle devait faire, pour décider en conséquence Maître Y Y n'a commis aucune faute portant préjudice à M. Z parce qu'il n'a perdu aucune chance de payer moins, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil.
6o ALORS QUE lorsque le dommage réside dans la perte de chance de réussite d'une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue s'apprécie au regard de la seule probabilité de succès de cette action, qu'il appartient aux juges du fond d'évaluer en reconstituant fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer par la faute de l'avocat ; que dès lors en se bornant, pour débouter M. Z de sa demande de dommages-intérêts, à déclarer que M. Z, qui n'a donné à son avocat aucune nouvelle pièce de preuve des paiements effectifs faits à M. ..., n'a perdu aucune chance de payer moins, et à relever que Maître Y Y observe à juste titre dans ses conclusions sur le préjudice retenu par la Cour d'appel de DIJON que l'argumentation de M. Z, qui est pénalement fautif, n'a aucune pertinence quant à l'existence d'une perte de chance qui n'a pas de réalité, sans procéder elle-même, au vu des pièces invoquées par M. Z, à une exacte reconstitution de la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la Cour d'appel de DIJON statuant sur les intérêts civils, si Maître Y n'avait pas manqué à son obligation de solliciter et recueillir auprès de son client toutes les pièces nécessaires à la défense de ses intérêts, pour rechercher s'il existait une quelconque chance de succès pour M. Z, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.