Circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique

Circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique

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Circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique

Paris, le 7 septembre 2009.

La ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat à Mesdames et Messieurs les ministres et ministres délégués, Mesdames et Messieurs les secrétaires d'Etat, Monsieur le haut-commissaire

(Copie à Mesdames et Messieurs les préfets, Mesdames et Messieurs les administrateurs généraux des finances publiques.)

La circulaire du Premier ministre du 6 février 1995 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits (JO 15 fév. 1995, p. 2518) a encouragé la conclusion des transactions pour une meilleure satisfaction des intérêts publics. Les atouts de la transaction sont nombreux : en effet, la transaction facilite un règlement rapide et amiable des différends, elle permet une gestion économe des deniers publics et allège la charge de travail des juridictions.

L'intérêt de la transaction est manifeste dans le domaine contractuel.L'exécution des marchés publics, délégations de service public et autres contrats administratifs est à l'origine de litiges souvent longs et complexes où les responsabilités sont partagées, la durée des contentieux augmentant, souvent dans des proportions importantes, les intérêts moratoires dus par les parties. La multiplication des cas où des contrats sont annulés ou déclarés nuls par le juge pose le problème du paiement des prestations effectuées par le cocontractant de l'administration, en raison, depuis quelques années, de l'élargissement progressif des possibilités offertes aux concurrents évincés de contester les contrats conclus.

Malgré l'intérêt qui s'attache à la transaction et les encouragements de la circulaire du 6 février 1995, le développement souhaité du recours à la transaction se traduit aujourd'hui par un relatif échec. Dans son rapport public 2008, le Conseil d'Etat constate que les administrations restent réticentes devant la solution transactionnelle.

Les conditions dans lesquelles il peut être envisagé de transiger semblent mal appréhendées par les personnes publiques. Le contenu souhaitable et la portée exacte des contrats de transaction paraissent également méconnus. Les transactions sont fréquemment perçues comme induisant des risques importants, notamment sur le plan pénal. Le comportement des comptables publics est présenté comme un obstacle à l'exécution de ces contrats : des comptables exigeraient à tort leur homologation par le juge ou l'émission d'un ordre de réquisition par l'ordonnateur. Pourtant, depuis plusieurs années, la direction générale des finances publiques a rappelé aux comptables publics que de telles exigences n'étaient juridiquement pas fondées. Certains acheteurs en viennent à « détourner » de son objet la procédure de référé provision (article R. 541-1 du code de justice administrative), en incitant leur cocontractant à se pourvoir en référé afin d'obtenir une décision juridictionnelle autorisant le versement à ce dernier de l'indemnisation auquel il a droit.

Depuis 1995, le juge administratif a pourtant précisé le régime de la transaction, en rappelant que ce contrat a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée et est exécutoire de plein droit. Les conditions du recours à la transaction peuvent être aujourd'hui mieux cernées, en particulier lorsqu'est en jeu l'indemnisation du titulaire d'un contrat entaché de nullité. La jurisprudence a mis en lumière les modalités d'élaboration et de rédaction des transactions.

Le recours à la transaction ne peut constituer un mode courant de gestion des achats et contrats par l'administration. Cependant, son développement est une nécessité pour la préservation des intérêts publics.L'objet de la présente circulaire est de présenter les règles qui régissent la conclusion et l'exécution des transactions en matière de contrats de la commande publique.

Les administrations se réfèreront utilement à l'annexe à la circulaire du Premier ministre du 6 février 1995 pour une présentation des lignes directrices du régime des transactions administratives.

1. Cas dans lesquels le recours à la transaction est justifié

1. 1. Indemnisation des parties en l'absence de contrat valide

Le contrat de transaction constitue, à défaut de contrat, un titre juridique permettant le paiement des prestations effectuées. Il peut être le support de l'indemnisation de l'une des parties en cas de nullité du contrat.

1. 1. 1. Paiement de prestations fournies par le titulaire du marché

Les prestations exécutées par les titulaires des marchés publics ne peuvent faire l'objet d'un paiement si elles ne se rattachent pas à un support contractuel valide. Or il arrive que des travaux, fournitures ou services soient commandés au prestataire en dehors de tout contrat ou en dehors des prescriptions d'un contrat existant, c'est-à-dire en dépassement des quantités ou du montant prévu, ou au-delà de la durée du marché. Le titulaire du marché a également pu fournir des prestations ne présentant aucun lien avec l'objet du contrat. Un marché de régularisation ne peut être signé pour couvrir ces irrégularités (CE, 27 mai 1998, commune d'Agde, Lebon, p. 1019), de même qu'un marché complémentaire ou un avenant si les prestations ont déjà été exécutées.

La nullité des marchés ou de leurs avenants s'oppose également au règlement du prix convenu. Cette nullité peut résulter d'une décision du juge administratif prononçant l'annulation du contrat ou déclarant son invalidité, ou annulant la décision de le signer ou la délibération qui autorise sa signature. On prendra garde cependant que l'annulation d'un acte détachable du contrat n'emporte pas nécessairement la nullité de ce contrat, que seul le juge du contrat peut constater. Il appartient au juge de l'exécution, saisi d'une demande d'un tiers d'enjoindre à une partie au contrat de saisir le juge compétent afin d'en constater la nullité, de prendre en compte la nature de l'acte annulé ainsi que le vice dont il est entaché et de vérifier que la nullité du contrat ne portera pas, si elle est constatée, une atteinte excessive à l'intérêt général (CE, 10 décembre 2003, Institut de recherche pour le développement, Lebon, p. 501).

Dans ces différentes hypothèses, le cocontractant ne perd pas toutefois le droit au paiement des prestations effectuées, à titre d'indemnisation, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle ou de la responsabilité quasi-délictuelle de l'administration (CE, 19 avril 1974, Sté Entreprise Louis Segrette, Lebon, p. 1052).

1. 1. 2. Réparation des dommages subis par les parties

Lorsque le contrat est nul, la personne publique ne peut réparer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, les dommages subis par son cocontractant dans l'exécution de ses engagements. Elle ne peut procéder au versement de sommes dues à celui-ci sur la base des stipulations arrêtées (par exemple : subventions prévues par une convention de délégation de service public).

La nullité du contrat fait également obstacle à la réparation, sur le terrain contractuel, des préjudices subis par l'administration du fait de la mauvaise exécution par le cocontractant de ses obligations. Elle s'oppose à la mise en œuvre de la garantie décennale des constructeurs (CE Sect., 29 janvier 1982, Martin, Lebon, p. 44) ou à l'invocation de fondements de responsabilité dérivés de l'exécution des contrats, telle la garantie de bon fonctionnement. Les personnes publiques sont alors fondées à rechercher la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de leurs cocontractants (CE, 22 février 2008, Schmeltz et Orselli, n° 286174).

1. 2. Résolution des difficultés d'exécution des contrats

La transaction peut avoir pour objet de mettre fin à un contrat pour régler la situation juridique délicate née de l'annulation des actes préparatoires du contrat, sans que le contrat n'ait été lui-même annulé (cas d'une délégation de service public : CE, 29 décembre 2000, Comparat, Lebon, p. 658).

2. Négociation des transactions

2. 1. Analyse préalable de la situation de droit et de fait

2. 1. 1.L'administration doit s'interroger sur les risques qu'elle encourt en cas d'action contentieuse ou de poursuite de l'instance, afin de déterminer s'il peut être envisagé de transiger et, dans l'affirmative, afin d'appréhender les conditions de conception de l'accord transactionnel.

2. 1. 2. Cette analyse des risques doit conduire à définir les concessions susceptibles d'être accordées au cocontractant, de même que les engagements pouvant être attendus de celui-ci. Si son comportement peut être regardé comme fautif, cette circonstance doit amener la personne publique à exiger des concessions importantes de sa part, tout au moins s'il est envisagé d'indemniser un préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle. La circonstance que l'irrégularité de la procédure de passation du contrat puisse être imputée à l'opérateur ne peut en revanche être prise en compte pour la détermination de la réparation due au titre de l'enrichissement sans cause (CE, 22 février 2008, Tête, n° 266755). Aucun abattement ne peut donc être pratiqué sur l'indemnisation à laquelle peut prétendre le cocontractant.

2. 2. Implication des autorités de contrôle

2. 2. 1. Les autorités chargées du contrôle financier au sein des services de l'Etat et de ses établissements publics doivent être informés de la préparation des transactions. Chargées notamment de la prévention des risques financiers, ces autorités pourront exprimer leur avis sur les engagements devant figurer dans le contrat.

2. 2. 2.L'expertise technique des comptables publics, appelés à intervenir au titre de leurs fonctions de conseil, peut également être précieuse.

2. 3. Association éventuelle des assureurs

Aux termes de l'article L. 124-2 du code des assurances : « L'assureur peut stipuler qu'aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables.L'aveu de la matérialité d'un fait ne peut être assimilé à la reconnaissance d'une responsabilité ». Ces dispositions ne font pas obstacle au développement des transactions administratives. Les collectivités et établissements publics qui ont conclu des marchés publics d'assurances comprenant des stipulations réservant les droits de l'assureur doivent veiller à associer celui-ci aux négociations préalables à la conclusion de transactions. Les assureurs peuvent intervenir directement pour le règlement des litiges ou y apporter leur concours.

2. 4. Négociations et procédure contentieuse

Le Conseil d'Etat a admis qu'un contrat de transaction peut être conclu à tout stade de la procédure contentieuse engagée, y compris pendant l'instruction d'un recours en appel ou en cassation (CE, Ass., 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag, n° 287354).

La circonstance que le cocontractant de la personne a engagé une action contentieuse (cas fréquent de l'action engagée à titre conservatoire) ne doit en aucun cas être un obstacle à la conclusion d'une transaction.

2. 5. Conduite d'une conciliation efficace

2. 5. 1. Une transaction réussie est souvent le résultat d'une démarche coordonnée des parties dans le but de se concilier. Les administrations doivent s'appuyer sur leurs propres services et solliciter, lorsque cela apparaît utile, le concours d'un conseil spécialisé.

Lorsque l'origine exacte de dommages, ou leur étendue, n'apparaît pas clairement, une expertise peut être nécessaire. Les entités publiques, comme leurs cocontractants, peuvent solliciter du tribunal administratif compétent le prononcé d'une expertise contradictoire en référé. Le coût prévisible des opérations d'expertise doit être comparé aux enjeux liés au litige auquel l'administration devrait faire face. Le travail de l'expert permet souvent un rapprochement des parties et favorise l'engagement de négociations efficaces, avant même que celui-ci ne dépose son rapport. Le juge administratif peut, d'ailleurs, confier à l'expert, d'office ou à la demande des parties, une mission de conciliation (CE, 11 février 2005, Organisme de gestion du cours du Sacré-Cœur et autres, Lebon, p. 65).

2. 5. 2. La qualité des résultats de la conciliation peut exiger, lorsque la nature ou la complexité d'un litige le justifie, que les parties s'appuient sur un conciliateur ou une mission collégiale de conciliation.

Sollicité par les parties, le tribunal administratif compétent peut désigner un ou plusieurs conciliateurs ou procéder à une conciliation directe par ses soins.

Les marchés de services relatifs à la conciliation sont exclus du champ d'application du code des marchés publics, en application des dispositions du 12° de son article 3. Les administrations peuvent ainsi choisir un ou plusieurs conciliateurs parmi des experts ou professionnels du droit sans être tenues de procéder à une publicité et une mise en concurrence.

2. 5. 3. Dans le domaine des marchés publics, la saisine du comité national ou des comités consultatifs régionaux, interrégionaux et interdépartementaux de règlement amiable des différends ou litiges doit être privilégiée. Composés de magistrats administratifs et de représentants des acheteurs et des opérateurs économiques, ces comités ont pour mission de rechercher des éléments de droit ou de fait en vue d'une solution amiable et équitable aux différends (article 127 du code des marchés publics et article 1er du décret n° 2001-797 du 3 septembre 2001). La qualité et l'autorité des avis rendus par ces instances indépendantes doivent conduire les parties à s'entendre et à formaliser une transaction équilibrée et fiable.

2. 5. 4. La sécurisation du contrat de transaction constitue une donnée déterminante dans la discussion des parties. Le cocontractant de l'administration doit être sensibilisé par celle-ci aux conséquences d'un protocole mal rédigé ou signé dans la précipitation.

3. Rédaction des transactions

3. 1. Prévenir les contestations en fiabilisant

les clauses des contrats

Une attention particulière doit être accordée à la conception des transactions. En effet, la rigueur et la précision avec lesquelles sont rédigés ces contrats permettent d'éviter de nombreuses contestations et de préserver les intérêts de l'administration en cas de contentieux.

3. 1. 1. Les clauses du contrat doivent faire mention des éléments suivants :

― le litige que la transaction vise à prévenir ou régler. Si tel n'est pas le cas, la partie concernée s'expose au risque de ne pouvoir s'opposer à une action en justice engagée par l'autre partie après la signature de la transaction (CE, 30 janvier 2008, ville de Paris, n° 299675) ;

― la nature et l'étendue des concessions réciproques des parties. Les préjudices couverts par la transaction doivent être clairement identifiés dans celle-ci. Les raisons de droit et de fait pour lesquelles la partie concernée estime devoir en assurer la réparation doivent être détaillées ;

― les modalités d'évaluation des dommages et les opérations de liquidation des sommes comprises dans l'accord. Les parties peuvent utilement annexer au contrat de transaction l'ensemble des documents auxquels celui-ci fait référence.

Le juge administratif contrôle le contenu de ces clauses et vérifie les points suivants :

― les parties doivent consentir effectivement à la transaction ;

― l'objet de la transaction doit être licite ;

― l'administration ne doit pas accorder une libéralité à son cocontractant ;

― aucune règle d'ordre public ne doit être méconnue.

A la différence du juge judiciaire, il sanctionne les transactions ne comportant manifestement pas d'équilibre dans les concessions réciproques des parties (CE, Sect., 19 mars 1971, Mergui, Lebon, p. 235, concl.M. Rougevin-Baville).

3. 1. 2. Les marges de manœuvre des parties dans l'élaboration d'un compromis sont importantes : si les engagements souscrits ne doivent pas révéler une libéralité accordée par la collectivité publique à son cocontractant, ces engagements ne doivent pas nécessairement être équivalents, ni de même nature (CE, Ass., 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag). Seul un déséquilibre manifeste serait sanctionné par le juge.

La lecture des stipulations du contrat doit toutefois permettre de vérifier que les parties ont tenu compte des règles de droit applicables au différend en cause. Lorsque la transaction constitue le support de l'indemnisation de l'une des parties, celles-ci ne peuvent s'écarter du respect des principes du droit de la responsabilité.

Les parties peuvent mettre en œuvre les règles applicables de manière adaptée. Ainsi, par exemple, si l'étendue exacte de préjudices peut être difficilement justifiée, le montant de l'indemnité à verser peut être établi en tenant compte de la nature et de l'importance des concessions consenties par la personne qu'il convient d'indemniser. En revanche, l'indemnisation d'un préjudice inexistant ou découlant d'un fait ou d'une faute non imputable à l'administration n'est pas envisageable.

3. 1. 3. Les transactions ne peuvent porter sur :

― les conditions dans lesquelles l'administration doit exercer les prérogatives qui lui sont dévolues, notamment dans les domaines de la police administrative et de la gestion du domaine public, ni sur des questions relatives à la légalité des actes administratifs ;

― le montant des intérêts moratoires dus en exécution d'un marché public (CE, 17 octobre 2003, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c / Syndicat intercommunal d'assainissement le Beausset, la Cadière, le Castellet, Lebon, p. 411) ;

― la commande de nouvelles prestations au cocontractant si l'attribution de ces prestations implique la mise en œuvre préalable d'obligations de publicité et de mise en concurrence ;

― l'application des garanties contractuelles ou « postcontractuelles » afférentes aux marchés publics valides (par exemple, la garantie décennale des constructeurs).

3. 1. 4. Des sanctions financières peuvent être prévues dans la transaction afin d'inciter la partie concernée à respecter les engagements souscrits (CE, Ass., 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag), notamment le délai dans lequel un paiement doit être exécuté.

3. 2. Calcul de l'indemnisation du titulaire

en l'absence de marché public valide

3. 2. 1. Les parties à la transaction ne peuvent fixer le montant de l'indemnité en se bornant à reprendre le montant du marché entaché de nullité (CE, 8 décembre 1995, commune de Saint-Tropez, Lebon, p. 431).

3. 2. 2. Seules les dépenses utilement exposées au profit de l'administration par son cocontractant peuvent faire l'objet d'une indemnisation sur le terrain de l'enrichissement sans cause. Le bénéfice auquel pouvait prétendre l'opérateur du fait de la fourniture des prestations ne peut être pris en compte. Ce mécanisme propre à la responsabilité quasi-contractuelle permet de rétablir l'équilibre entre les deux patrimoines. Aucun partage de responsabilité ne peut être opéré même si la nullité du contrat est imputable pour partie au cocontractant. En revanche, si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, celle-ci étant victime d'un dol ou d'une fraude de la part du cocontractant, aucune indemnité n'est due (CE, 22 février 2008, Tête).

La notion de « dépenses utiles » couvre les dépenses directes et indirectes (par exemple, les achats de marchandises et frais de personnel) exposées par le titulaire pour la fourniture de prestations auxquelles l'administration a consenti et qui lui sont objectivement utiles. Les frais financiers engagés par le titulaire dans l'exécution du contrat ne constituent pas des dépenses utiles à l'administration, depuis la décision Société Decaux et département des Alpes-Maritimes rendue par le Conseil d'Etat le 10 avril 2008 (n° 244950).

3. 2. 3. Sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, l'opérateur peut obtenir le paiement des sommes correspondant aux dépenses exposées par lui pour la fourniture des prestations, autres que les dépenses utiles, et du bénéfice auquel il pouvait prétendre.

Toutefois, aucune indemnité fondée sur la faute quasi-délictuelle de l'administration n'est due si l'indemnité à laquelle l'opérateur a droit sur le terrain quasi-contractuel lui assure déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée (CE, 23 mai 1979, commune de Fontenay-le-Fleury, Lebon, p. 226). De même, aucune indemnité n'est due sur le terrain quasi-délictuel si le cocontractant a commis une faute grave en se prêtant à la conclusion du marché dont il ne pouvait ignorer l'illégalité (cas d'un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence : CE, Sect., 10 avril 2008, Société Decaux et département des Alpes-Maritimes). Si le titulaire a eu connaissance de l'irrégularité de la procédure de mise en concurrence, sans solliciter sa régularisation, un partage de responsabilité doit être opéré. Il peut se traduire par l'application d'un abattement forfaitaire sur le montant de l'indemnité fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle.

3. 3. Cas particuliers

3. 3. 1. Indemnisation du cocontractant,

en cas de nullité de la délégation de service public

Les principes dégagés par la jurisprudence pour l'indemnisation du cocontractant en cas de nullité des marchés publics sont applicables aux délégations de service public. Le Conseil d'Etat a précisé que, dans le cas où le contrat est une concession de service public, le concessionnaire peut, au titre des dépenses utiles, susceptibles d'être indemnisées sur le terrain quasi-contractuel, être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l'exploitation du service font retour à l'administration, des dépenses d'investissement qu'il a consenties, ainsi que du déficit qu'il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements. Toutefois, il doit être établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d'une gestion normale, à la bonne exécution du service (CE, 16 novembre 2005, Auguste et commune de Nogent-sur-Marne, Lebon, p. 507).

3. 3. 2. Indemnisation de la personne publique,

en cas de nullité du contrat

Dans le cas où le marché conclu est nul, le maître d'ouvrage ne peut utilement invoquer la responsabilité contractuelle du titulaire ou obtenir la mise en œuvre des garanties procédant du contrat. Toutefois, il peut prétendre à être indemnisé des préjudices liés à l'exécution du contrat, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle ou sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle (CE, 22 février 2008, Schmeltz et Orselli). La méconnaissance des règles de l'art par un constructeur ou un manquement à ses obligations déontologiques par un maître d'œuvre peut constituer une faute quasi-délictuelle susceptible d'être invoquée.

Cette possibilité existe pour tous les contrats administratifs, lorsque l'administration ne peut se fonder sur les stipulations du contrat pour obtenir que son cocontractant répare les dommages occasionnés.

4. Conclusion des transactions

4. 1. Respect des règles de compétence

propres aux personnes publiques

4. 1. 1.L'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux disposent de la capacité de transiger. En vertu de l'article 2045 du code civil, les établissements publics de l'Etat ne peuvent transiger qu'avec l'autorisation expresse du Premier ministre (CE, 14 décembre 1998, chambre d'agriculture de La Réunion : Lebon, p. 729). Les statuts de l'établissement public peuvent l'autoriser à transiger ou à recourir à la transaction dans certains domaines. Dans le silence des statuts, un décret du Premier ministre doit autoriser la signature de la transaction envisagée par l'établissement public (CE, 23 avril 2001, Ceccaldi-Raynaud, n° 215552).

4. 1. 2. Les collectivités territoriales et établissements publics locaux peuvent transiger librement depuis la loi du 2 mars 1982 (CE, Section des travaux publics, avis n° 359996, 21 janvier 1997 : EDCE 1998, p. 184).

La signature des transactions qu'ils sont appelés à conclure nécessite en principe l'autorisation préalable de l'organe délibérant de l'entité considérée. Les règles propres à certains organismes publics autorisent l'organe délibérant à accorder une délégation de compétence à l'autorité exécutive pour la conclusion des transactions. Si tel n'est pas le cas, une délibération préalable autorisant la signature de chaque contrat est nécessaire.L'organe délibérant doit se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment la contestation précise que la transaction a pour objet de prévenir ou de terminer et les concessions réciproques que les parties se consentent à cette fin (CE, 11 septembre 2006, commune de Théoule-sur-Mer, Lebon, p. 395). Toutefois, la jurisprudence n'exige pas que l'organe délibérant examine un projet de contrat finalisé.

4. 1. 3. La signature de la transaction par l'exécutif de la collectivité territoriale ou de l'établissement public ne peut intervenir avant que la délibération de l'organe délibérant qui l'autorise lorsqu'elle est requise n'ait acquis un caractère exécutoire. Cela implique, pour les collectivités et établissements soumis au contrôle de légalité, que cette délibération ait été réceptionnée par les services préfectoraux (CE, Avis, 10 juin 1996, préfet de la Côte-d'Or, Lebon, p. 198). Pour les services de l'Etat, sont compétents pour signer la transaction ceux qui l'étaient pour signer les contrats de la commande publique.

4. 1. 4. Les personnes publiques doivent veiller au strict respect des règles permettant aux autorités administratives de déléguer leur signature ou les pouvoirs qui leur sont dévolus.

4. 2. Vérification de l'habilitation du signataire

représentant le cocontractant

4. 2. 1. La personne qui signe au nom du cocontractant de l'administration doit être régulièrement habilitée à cette fin. Il incombe aux personnes publiques de s'assurer de la qualité pour agir du signataire, quelles que soient ses fonctions au sein de l'opérateur.S'il s'agit d'un mandataire, tel un avocat, l'administration doit exiger toutes les pièces permettant de vérifier la réalité et l'étendue du mandat (CE, Sect., 5 janvier 1966, Hawezack, Lebon, p. 6).

4. 2. 2. Si le cocontractant de l'entité publique fait l'objet d'une procédure collective, l'intervention de l'administrateur judiciaire ou du juge peut, selon les cas, être nécessaire.

5. Exécution des transactions par les comptables publics

5. 1. La transaction est un titre exécutoire

En vertu de l'article 2052 du code civil, les transactions ont entre les parties l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et sont exécutoires de plein droit (CE, Ass., Avis, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de L'Hay-les-Roses, Lebon, p. 433, concl.G. Le Chatelier). Leur exécution par le comptable public suppose que celui-ci s'assure de la production des justifications exigibles, au nombre desquelles figurent le contrat de transaction signé et, le cas échéant, transmis au représentant de l'Etat. Selon les personnes publiques concernées, la transmission d'autres pièces doit être requise par le comptable, telle la délibération de l'organe délibérant habilitant l'autorité exécutive à signer ce contrat ou, lorsqu'est en cause un litige concernant un marché public, les documents permettant de retracer l'exécution financière du marché ou l'avis rendu par le comité consultatif de règlement amiable des litiges ayant examiné le différend.

Les comptables publics ne sont fondés à refuser d'effectuer les opérations ou d'exécuter les paiements prévus par les transactions que lorsque de telles pièces n'ont pas été produites par l'ordonnateur ou pour l'un des motifs limitativement énumérés par les articles 12 et 13 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (absence de qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, indisponibilité des crédits, inexactitude de l'imputation budgétaire de la dépense, absence de validité de la créance ou absence de caractère libératoire du règlement).

Les comptables publics doivent s'assurer de la cohérence des pièces justificatives produites (par exemple, identité des montants figurant dans le contrat de transaction et dans le mandat de dépense). En revanche, il ne leur appartient pas de vérifier la réalité et l'équilibre des concessions consenties par les parties à la transaction. Les missions qui leur sont assignées ne les autorisent pas à contrôler la validité des contrats qui leur sont présentés (CE, 5 février 1971, Balme, Lebon, p. 105 ; CE, 10 février 1997, Ibo, Lebon, p. 751 ; Cour des comptes, 28 mai 1952, Marillier, Rec. Valentigney : Gr. arrêts jur. fin., n° 15).

Sous ces réserves, les comptables publics ne peuvent se prévaloir de l'étendue de leur responsabilité pécuniaire et personnelle pour faire obstacle à l'exécution des transactions. Ils doivent exécuter les transactions conclues par les personnes publiques, sans pouvoir exiger leur homologation par le juge administratif (TA Versailles, 16 mai 2008, commune d'Issy-les-Moulineaux, AJDA 2008, p. 1556). Ils ne peuvent non plus exiger des ordonnateurs l'émission d'ordres de réquisition.

5. 2. La transaction n'efface pas les faits

susceptibles d'être sanctionnés par le juge pénal

Les contrats de transaction peuvent avoir pour objet de prévenir ou régler les litiges consécutifs à des manquements à des obligations de publicité et de mise en concurrence. La conclusion de ces contrats ne peut, en aucun cas, avoir pour effet de régulariser les irrégularités commises. La circonstance que de tels manquements puissent être réprimés au titre du délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal) ne prive pas le recours à la transaction de sa légalité. La transaction permet d'éviter ou de terminer un contentieux indemnitaire mais ne saurait faire obstacle aux poursuites pénales auxquelles s'exposent les personnes ayant méconnu les dispositions du code des marchés publics ou d'autres textes du droit de la commande publique.

Dès lors, les comptables publics ne peuvent être mis en cause devant le juge pénal au motif qu'ils auraient, en exécutant les transactions, participé à la commission des infractions résultant de manquements à des obligations en matière de publicité et de mise en concurrence. Ils ne peuvent non plus refuser de payer sur le fondement d'une transaction, au motif que le marché initial aurait été conclu dans des conditions constitutives du délit de favoritisme.

6. Homologation des transactions par le juge

6. 1. Encadrement des demandes d'homologation

6. 1. 1. Recevabilité des demandes présentées en cours d'instance

La conclusion d'une transaction en cours d'instance conduit normalement le requérant à se désister de son action. En l'absence de désistement, le juge est tenu de prononcer un non-lieu à statuer si la transaction a pour effet de régler le litige pendant (CE, 28 janvier 1994, Sté Raymond Camus et Cie, Lebon, p. 1041).

Toutefois, les parties peuvent demander au juge d'homologuer la transaction conclue postérieurement à sa saisine (CE, Sect., 19 mars 1971, Mergui). Des conclusions en ce sens peuvent être soumises au tribunal administratif, à la cour administrative d'appel ainsi qu'au Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation (CE, Ass., 11 juillet 2008, Société Krupp Hazemag).

6. 1. 2. Irrecevabilité, sauf exceptions, des demandes présentées

en dehors de toute instance

6. 1. 2. 1. Le Conseil d'Etat a jugé qu'en dehors des cas où la contestation à laquelle il est mis fin a été précédemment portée devant le juge administratif, des conclusions tendant à ce que celui-ci homologue une transaction sont en principe dépourvues d'objet et par suite irrecevables (CE, Ass., Avis, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de L'Hay-les-Roses).

Il a néanmoins admis qu'une telle demande d'homologation est recevable, notamment en matière de marchés publics et de délégations de service public, lorsque la conclusion d'une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d'une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation, ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières.

La circonstance que le contrôleur financier ou le comptable public exige qu'une demande d'homologation de la transaction soit adressée au juge ne peut constituer une difficulté particulière justifiant que le juge examine une telle demande (TA Grenoble, 2 mars 2004, Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice et Société Dumez Rhônes-Alpes, BJCP 2004, n° 35, p. 291).

La transaction emportant par elle-même des effets de droit, le recours à l'homologation par le juge administratif n'est donc pas nécessaire et doit rester exceptionnel.

6. 1. 2. 2. Le Conseil d'Etat a précisé le cadre de l'instance en homologation. La demande d'homologation présentée par les parties ou l'une d'entre elles ne peut porter que sur un contrat conclu. Lorsque ce contrat doit être soumis à l'approbation de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale ou d'un ou plusieurs des conseils d'un établissement public, le juge ne peut être saisi qu'après cette approbation. Les contrats de transaction soumis au contrôle de légalité ne peuvent faire l'objet d'une demande d'homologation avant d'avoir été transmis au représentant de l'Etat. La demande d'homologation n'est pas soumise aux procédures dont l'accomplissement serait nécessaire avant que le juge puisse être saisi de conclusions tendant au règlement du litige que la transaction prévient ou éteint.

Le juge fait application de celles des règles de procédure qui ne sont pas incompatibles avec la demande d'homologation. Les demandeurs sont dispensés du ministère d'avocat s'ils l'auraient été pour saisir le juge d'une demande tendant à ce qu'il tranche le litige auquel la transaction met fin ou qu'elle a pour objet de prévenir. Le juge dirige une instruction contradictoire, écrite ou orale.

La demande d'homologation est communiquée à toute personne qui aurait eu la qualité de partie dans une telle instance. Lorsque le contrat de transaction doit être adressé au représentant de l'Etat pour l'exercice du contrôle de légalité, la demande d'homologation portant sur ce contrat lui est communiquée. Le juge peut demander à toute personne de produire des observations susceptibles d'éclairer sa décision. Il peut ordonner aux parties à la transaction la production de tout élément susceptible de compléter son information et il peut refuser l'homologation au seul motif qu'il ne dispose pas des éléments d'appréciation nécessaires (TA Paris, 22 avril 2003, Sté KPMG, BJCP 2003, n° 30, p. 400). Il dispose de tous les moyens d'investigation mentionnés au titre II du livre VI du code de justice administrative.

6. 2. Contrôle du juge et voies de recours

6. 2. 1. Avant d'homologuer la transaction, le juge vérifie que les parties consentent effectivement à la transaction, que l'objet de cette transaction est licite, qu'elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu'elle ne méconnaît pas d'autres règles d'ordre public.

Si une de ces conditions n'est pas remplie, le refus d'homologation entraîne la nullité de la transaction. Si la transaction a été conclue en cours d'instance, le juge ne peut alors que rejeter la demande d'homologation et est amené à statuer sur les conclusions qui lui ont été soumises. Si la demande d'homologation a été présentée en dehors de toute instance, le juge prononce le rejet de la requête.

Dans le cas où le juge prononce l'homologation du contrat de transaction, sa décision est revêtue de l'autorité relative de la chose jugée.

6. 2. 2. Le jugement du tribunal administratif se prononçant sur la demande d'homologation présentée indépendamment de tout contentieux est susceptible d'appel mais ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation si le litige concerne une somme inférieure au seuil de 10 000 € (CE, 4 avril 2005, Sté Cabinet JPR Ingénierie, Lebon p. 139 ; articles R. 222-13 (7°), R. 222-14 et R. 811-1 du code de justice administrative).

La ministre de l'économie,

de l'industrie et de l'emploi,

Christine Lagarde

Le ministre du budget, des comptes publics,

de la fonction publique

et de la réforme de l'Etat,

Eric Woerth

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