Jurisprudence : Cass. soc., 18-03-2015, n° 13-23.102, F-D, Cassation

Cass. soc., 18-03-2015, n° 13-23.102, F-D, Cassation

A1768NE9

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2015:SO00462

Identifiant Legifrance : JURITEXT000030386682

Référence

Cass. soc., 18-03-2015, n° 13-23.102, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/23792350-cass-soc-18032015-n-1323102-fd-cassation
Copier

Abstract

La montée en puissance de l'exigence égalitaire dans l'entreprise n'a bien entendu rien retiré de leurs prérogatives aux employeurs qui continuent de pouvoir promouvoir les salariés selon leurs mérites ; elle conduit seulement le juge, en cas de litige, à vérifier que les décisions prises reposent sur des considérations professionnelles objectives, dont il contrôlera l'existence, laissant à l'employeur le soin de déterminer quel salarié devait être préféré au regard de ses compétences et des exigences du poste à pourvoir.



SOC. CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 18 mars 2015
Cassation
Mme LAMBREMON, conseiller le plus ancien faisant fonction de président
Arrêt no 462 F-D
Pourvoi no E 13-23.102
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par l'Association de formation professionnelle pour adultes de la Réunion (AFPAR), dont le siège est Saint-Denis,
contre l'arrêt rendu le 18 juin 2013 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. Y Y Y, domicilié Le Tampon,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 10 février 2015, où étaient présents Mme Lambremon, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Déglise, conseiller rapporteur, Mme Deurbergue, conseiller, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Déglise, conseiller, les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat de l'Association de formation professionnelle pour adultes de la Réunion, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Y Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y Y, engagé le 22 octobre 1982 en qualité de formateur en menuiserie par l'Association de formation professionnelle pour adultes de la Réunion (AFPAR), affecté à compter de 1984 au centre de Saint-Paul, a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en indemnisation du préjudice résultant des manquements de l'employeur, d'une part, aux dispositions conventionnelles lors du recrutement d'un formateur au centre de Saint-Pierre en juillet 2007, d'autre part, à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé des travailleurs ; qu'en cours de procédure, le salarié a été licencié le 24 mars 2011 pour inaptitude physique après avis du médecin du travail ;

Sur le premier moyen
Vu le principe de l'égalité de traitement ;
Attendu que pour dire que l'employeur s'est rendu coupable de discrimination à l'encontre du salarié et le condamner au paiement d'une somme en réparation du préjudice subi, l'arrêt retient que l'AFPAR n'a pas respecté ses obligations résultant de l'accord d'entreprise en éludant toute procédure de recrutement quant au poste attribué à un collègue, que le salarié est fondé à invoquer un favoritisme en faveur de celui-ci, et qu'à son endroit, il s'agit d'une discrimination illicite ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur n'établissait pas que son choix s'était fait objectivement, face à deux candidatures internes, en fonction de la compétence de chaque candidat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le deuxième moyen
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour dire que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité de résultat en matière de santé des travailleurs à l'égard du salarié et le condamner au paiement d'une somme en réparation du préjudice subi, l'arrêt retient que l'AFPAR n'invoque nullement avoir recherché les moyens de mettre en oeuvre la suggestion du médecin du travail du 6 juin 2006 quant à un rapprochement du lieu de travail-domicile bénéfique pour l'état de santé du salarié, et qu'il n'a dès lors pas été diligent au regard de son obligation de sécurité en ne tenant pas compte du fait que la préservation de l'état de santé du salarié induisait sa mutation sur le site de Saint-Pierre ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, dont elle constatait qu'elles avaient été reprises oralement à l'audience, l'employeur faisait valoir que par lettre du 11 octobre 2006, le salarié avait été averti que sa demande de mutation sur le site de Saint-Pierre avait été prise en compte, qu'elle avait reçu un avis favorable et qu'elle serait effective lorsque le pôle bois de Saint-Pierre serait redevenu opérationnel, et que le salarié avait donné son accord par lettre du 19 octobre 2006 en prenant compte de la réserve liée à la date de cette mutation, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'employeur et violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation sur les deux premiers moyens emporte la cassation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, de la disposition de l'arrêt critiqué par le troisième moyen ;

PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne M. Y Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat aux Conseils, pour l'Association de formation professionnelle pour adultes de la Réunion.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'AFPAR s'était rendue coupable de discrimination à l'encontre de Monsieur Y Y Y en l'absence de procédure de recrutement interne mise en place préalablement à l'embauche d'un formateur sur le site de Saint-Pierre ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 44 de l'accord d'entreprise du 1er février 2000, " la promotion interne est favorisée pour l'ensemble des catégories de personnel...à compétence égale requise pour tenir l'emploi, la promotion interne est prioritaire par rapport au recrutement externe " ; Monsieur Y Y considère que le recrutement de Monsieur ... a été réalisé en violation de ces dispositions ; mais Monsieur ... était salarié sous contrat à durée déterminée du 1er décembre 2006 au 30 juin 2007 ; son recrutement par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2007, doit alors être considéré comme un recrutement interne ; la violation de l'article précité n'est donc pas avérée ; le jugement est infirmé de ce chef ;
L'AFPAR explique que le recrutement de Monsieur ... ne s'inscrit pas dans celui initié en 2006 et qui portait sur des emplois de formateur de poseur de menuiserie et aménagement intérieur et en menuiserie d'agencement ; elle précise que celui-ci a été recruté sur un poste de formateur en matière de meubles créoles d'escaliéteur, formations qu'il assurait dans le cadre de son contrat à durée déterminée ; l'évaluation des compétences de Messieurs Y Y et ... réalisée en métropole dans le cadre du recrutement lancée en 2006 ne peut alors être invoquée pour justifier l'embauche de 2007 ; il est acquis qu'aucune procédure de recrutement, interne ou externe, n'a été diligentée par l'AFPAR quant au poste attribué à Monsieur ... ; or en application des dispositions conventionnelles, la procédure de recrutement était nécessaire, ce que ne conteste pas l'AFPAR qui invoque avoir fait un choix 'légitime' entre les deux candidats issus de la sélection faite en 2006 sur d'autres postes ; Monsieur Y Y invoque encore les dispositions de l'article L. 4624-1 du code du travail dès lors que le 06 juin 2006 le médecin du travail avait suggéré un rapprochement du lieu de travail-domicile bénéfique pour son état de santé (pièce 10) ; si cette suggestion n'a pas la valeur d'un avis d'inaptitude ou d'une prescription impérative, l'employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de santé des travailleurs devait à tout le moins rechercher les moyens de la mettre en oeuvre pour y parvenir ; elle n'invoque nullement l'avoir fait alors qu'elle a recruté Monsieur ... sur le poste de Saint-Pierre en juillet 2007 ; par ailleurs, l'inaptitude définitive prescrite en janvier 2011 par le médecin du travail confirme sa nécessité ; d'ailleurs, le second avis d'inaptitude du 24 janvier précise " pour raison médicale une affectation sur le secteur sud est nécessaire " ; ainsi, l'AFPAR n'a pas respecté ses obligations résultant de l'accord d'entreprise en éludant toute procédure de recrutement quant au poste attribué à Monsieur ... ; sur ce premier point, le salarié est fondé à invoquer un favoritisme en faveur de son collègue ; à son endroit, il s'agit d'une discrimination illicite ; pareillement, l'employeur n'a pas été diligent au regard de son obligation de sécurité quant à la préservation de l'état de santé de Monsieur Y Y ; le préjudice subi tient à la perte d'une chance d'obtenir le poste attribué ; il tient aussi à la perte d'une chance de ne pas avoir pu éviter l'inaptitude médicale ; il convient de préciser que Monsieur Y Y est né en 1953, son ancienneté était de 28 années ; son salaire brut était de 4.072,01 euros en mars 2010 (pièce 24 communiquée en première instance) ; en considération de ces éléments, le préjudice subi est fixé à la somme de 70.000 euros ; le jugement est alors confirmé sur les frais et dépens et infirmé pour le reste ;
ALORS QUE lorsque le juge retient que les faits présentés par le candidat à un emploi ou le salarié sont de nature à laisser présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il doit vérifier si les éléments de preuve fournis par l'employeur démontrent que les agissements litigieux sont étrangers à toute discrimination; que l'AFPAR faisait valoir que le seul fait du recrutement de Monsieur ... au poste de formateur en matière de " Meubles créoles " et " Escaliéteur " ne pouvait suffire à laisser supposer l'existence d'une discrimination à l'encontre de Monsieur Y Y, lequel avait postulé pour un poste de formateur en pose de menuiseries et aménagements intérieurs, et que sa décision était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en se bornant à énoncer que l'AFPAR n'avait pas respecté ses obligations résultant de l'accord d'entreprise en éludant toute procédure de recrutement quant au poste attribué à Monsieur ..., sans rechercher, comme elle y était invitée, si les éléments versés aux débats par l'AFPAR n'établissaient pas que son choix s'était fait objectivement, face à deux candidatures internes, en fonction de la compétence de chaque candidat, ce qui excluait toute discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'AFPAR n'avait pas respecté son obligation de sécurité de résultat en matière de santé des travailleurs en ne tenant pas compte du fait que la préservation de l'état de santé de Monsieur Y Y Y induisait sa mutation sur le site de Saint Pierre ;
AUX MOTIFS QUE Monsieur Y Y invoque encore les dispositions de l'article L. 4624-1 du code du travail dès lors que le 06 juin 2006 le médecin du travail avait suggéré un rapprochement du lieu de travail-domicile bénéfique pour son état de santé (pièce 10) ; si cette suggestion n'a pas la valeur d'un avis d'inaptitude ou d'une prescription impérative, l'employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de santé des travailleurs devait à tout le moins rechercher les moyens de la mettre en oeuvre pour y parvenir ; elle n'invoque nullement l'avoir fait alors qu'elle a recruté Monsieur ... sur le poste de Saint-Pierre en juillet 2007 ; par ailleurs, l'inaptitude définitive prescrite en janvier 2011 par le médecin du travail confirme sa nécessité ; d'ailleurs, le second avis d'inaptitude du 24 janvier précise 'pour raison médicale une affectation sur le secteur sud est nécessaire' ; ainsi, l'AFPAR n'a pas respecté ses obligations résultant de l'accord d'entreprise en éludant toute procédure de recrutement quant au poste attribué à Monsieur ... ; sur ce premier point, le salarié est fondé à invoquer un favoritisme en faveur de son collègue ; à son endroit, il s'agit d'une discrimination illicite ; pareillement, l'employeur n'a pas été diligent au regard de son obligation de sécurité quant à la préservation de l'état de santé de Monsieur Y Y ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; que l'AFPAR faisait valoir, s'agissant de l'obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qu'il n'était pas possible de lui reprocher une quelconque passivité dès lors que, par lettre du 11 octobre 2006, Monsieur Y Y avait été averti que sa demande de mutation sur le site de Saint Pierre avait été prise en compte, qu'elle avait reçu un avis favorable et qu'elle serait effective lorsque le pôle bois de Saint Pierre serait redevenu opérationnel, c'est-à-dire après la fin des travaux nécessaires à sa réhabilitation, que Monsieur Y Y avait donné son accord en tenant compte de la réserve liée à la date de cette mutation qui ne pourrait intervenir que lorsque les travaux de réhabilitation du pôle bois du centre de Saint Pierre seraient achevés; qu'en affirmant que l'AFPAR n'invoquait nullement avoir recherché les moyens de mettre en oeuvre l'obligation de sécurité de résultat en matière de santé des travailleurs cependant que celle-ci avait expressément soutenu avoir effectué cette recherche, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'AFPAR et violé l'article 4 du code de procédure civile.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'AFPAR à payer à Monsieur Y Y Y la somme de 70.000 euros en réparation du préjudice subi ;
AUX MOTIFS QUE le préjudice subi tient à la perte d'une chance d'obtenir le poste attribué ; il tient aussi à la perte d'une chance de ne pas avoir pu éviter l'inaptitude médicale ; il convient de préciser que Monsieur Y Y est né en 1953, son ancienneté était de 28 années ; son salaire brut était de 4.072,01 euros en mars 2010 (pièce 24 communiquée en première instance) ; en considération de ces éléments, le préjudice subi est fixé à la somme de 70.000 euros ;
ALORS, D'UNE PART, QUE seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en ordonnant la réparation du dommage découlant pour Monsieur Y Y de la perte de chance d'obtenir le poste attribué et de ne pas avoir pu éviter l'inaptitude médicale sans constater le caractère réel et sérieux de la chance perdue, c'est-à-dire la probabilité, au moment du fait à l'origine de la perte de chance, de se voir attribuer le poste et la possibilité d'éviter l'inaptitude médicale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'indemnité de réparation de la perte d'une chance ne peut être fixée à une somme forfaitaire et doit correspondre à la fraction des différents chefs de préjudice invoqués par le demandeur en réparation ; qu'en fixant à la somme de 70.000 euros la réparation du préjudice constitué par la perte d'une chance d'obtenir le poste attribué et de ne pas avoir pu éviter l'inaptitude médicale sans avoir évalué, au préalable, le montant total des préjudices invoqués par Monsieur Y Y pour déterminer et évaluer la perte de chance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.

Agir sur cette sélection :