DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KADLEC ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête n° 49478/99)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mai 2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kadlec et autres c. République tchèque,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. COSTA, président,
L. LOUCAIDES,
C. BIRSAN,
K. JUNGWIERT,
V. BUTKEVYCH,
Mmes W. THOMASSEN,
A. MULARONI, juges, et de M. T.L. EARLY, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 septembre 2003 et 4 mai 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 49478/99) dirigée contre la République tchèque et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Jan Kadlec, Mme Vlasta Kadlecová et Mme Jana Kadlecová (" les requérants "), ont saisi la Cour le 25 mars 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").
2. Les requérants sont représentés par Me R. Dvorský, avocat au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. V. Schorm.
3. Les requérants alléguaient que le rejet de leur recours constitutionnel a porté atteinte à leurs droits à un procès équitable et à un recours effectif.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 23 septembre 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.
7. La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. En 1991, les requérants saisirent le tribunal d'arrondissement (obvodní soud) de Prague 8 d'une action en restitution des immeubles confisqués par l'Etat en 1975. Le 16 septembre 1997, le tribunal les débouta de leur demande, considérant que les défendeurs n'étaient pas tenus de restituer les biens en question car ils ne les avaient pas acquis au mépris des règles alors en vigueur. Ce jugement fut confirmé par un arrêt rendu par le tribunal municipal (mìstský soud) de Prague le 19 mai 1998.
9. Le 8 septembre 1998, les requérants introduisirent par l'intermédiaire de leur avocat un recours constitutionnel (ústavní stínost), se plaignant de la violation de leurs droits à la protection judiciaire et au respect des biens. Ils indiquèrent sur la page de titre que le recours était dirigé contre " le jugement du tribunal d'arrondissement de Prague 8 n° 8 C 138/91 du 16 septembre 1997 et contre l'arrêt du tribunal municipal de Prague du 16 mai 1997 n° 18 Co 582/96 et 18 Co 538/96 " ; dans le premier paragraphe du recours décrivant la procédure litigieuse, ils citèrent cependant le jugement du 16 septembre 1997 et l'arrêt du tribunal municipal du 19 mai 1998 dont les copies furent jointes.
10. Le 11 novembre 1998, le juge rapporteur de la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) invita les requérants à lui soumettre, dans le délai de cinq jours, copie de la décision du tribunal municipal de Prague du 16 mai 1997. Les requérants furent prévenus que s'ils n'éliminaient pas le vice du recours, leur recours serait rejeté.
11. Le 17 novembre 1998, l'avocat des requérants réagit par une lettre libellée ainsi :
" J'accuse réception de votre sommation du 11 novembre 1998. Une erreur dans la mention de l'arrêt du tribunal municipal est par mégarde survenue dans le recours introduit, cette décision ayant été citée comme l'arrêt du tribunal municipal de Prague du 15 mai 1997 n° 18 Co 582/96 et 18 Co 583/96. L'information correcte aurait dû être : arrêt du tribunal municipal de Prague du 19 mai 1998 n° 35 Co 660/97-300, une copie de cette décision ayant en effet été jointe au recours. L'arrêt n° 18 Co 582/96 et 18 Co 583/96 du 16 mai 1997 concerne une autre affaire du même requérant, j'en envoie une copie pour votre information. Je joins également trois exemplaires du recours constitutionnel avec la mention corrigée de l'arrêt du tribunal municipal de Prague. "
12. Le 3 décembre 1998, la Cour constitutionnelle prononça l'extinction de l'instance portant sur l'arrêt du tribunal municipal du 16 mai 1997, considérant que les requérants avaient retiré cette partie du recours. Le recours dirigé contre l'arrêt du tribunal municipal du 19 mai 1998 fut en revanche rejeté pour tardiveté, la Cour constitutionnelle ayant estimé qu'il n'avait été introduit que le 17 novembre 1998 ; le rejet de celui dirigé contre le jugement du 16 septembre 1997 fut motivé par le fait que les requérants avaient omis, dans leur recours du 8 septembre 1998, d'indiquer la décision sur le dernier recours que leur offrait la loi pour défendre leurs droits.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
13. Selon l'article 34 de la loi n° 182/1993 sur la Cour constitutionnelle, le recours constitutionnel doit être introduit par écrit auprès de la Cour constitutionnelle. Il doit indiquer qui l'introduit, quelle affaire il concerne et ce à quoi il tend ; il doit être daté et signé. Outre ces conditions à caractère général, le recours doit comprendre un exposé véridique des faits décisifs, les preuves invoquées par le demandeur et ses revendications.
14. Aux termes de l'article 72-1 a) de ladite loi, un recours constitutionnel peut être introduit par toute personne physique ou morale qui se prétend victime d'une violation, commise par " une autorité publique ", des droits ou libertés fondamentaux reconnus dans une loi constitutionnelle ou dans un traité international au sens de l'article 10 de la Constitution.
L'article 72-2 précise que le recours constitutionnel doit être introduit dans un délai de soixante jours à compter de la date à laquelle a été notifiée au requérant la décision sur le dernier recours que lui offre la loi pour défendre ses droits.
L'article 72-4 dispose que doit être jointe au recours constitutionnel la copie de la décision sur le dernier recours offert par la loi pour la défense des droits.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
15. Les requérants se plaignent d'avoir été privés de leurs droits à un procès équitable et à un recours effectif, au motif que la Cour constitutionnelle a refusé d'examiner le fond de leur affaire pour des raisons purement formelles. Ils invoquent à cet égard les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, libellés respectivement comme suit :
" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "
" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "
16. De l'avis de la Cour, il convient d'examiner la présente affaire sous l'angle du droit à un tribunal, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
17. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, §§ 31-32) selon laquelle il n'appartient pas à la Cour de se substituer aux juridictions internes et d'évaluer l'opportunité de la pratique décisionnelle qu'ont choisie les tribunaux nationaux, son rôle étant limité à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets d'une telle activité. Il soutient que dans le cas d'espèce, la Cour constitutionnelle n'a fait que vérifier le respect des exigences formelles prévues par la loi, en poursuivant un but légitime qui est de minimiser la durée de l'insécurité juridique et ses répercussions sur les droits des autres parties à la procédure. Dans ce contexte, le Gouvernement estime que la disposition de l'article 72-2 de la loi sur la Cour constitutionnelle doit être appliquée rigoureusement notamment dans la situation où le recours constitutionnel s'attaque à une procédure civile dans laquelle s'affrontent deux personnes de droit privé (égales en droits). Quant au rapport raisonnable de proportionnalité et la charge incombant à l'intéressé, il est selon le Gouvernement nécessaire de prendre en considération la nature particulière de la procédure devant la Cour constitutionnelle, qui justifierait le caractère rigoureux des conditions d'accès à cette instance supérieure ; de surcroît, une approche formelle serait indispensable à assurer un bon et rapide fonctionnement d'une telle autorité.
18. Le Gouvernement est d'avis que l'avocat des requérants a en l'occurrence négligé son travail, n'ayant pas commis une simple faute dactylographique sur la page de titre du recours constitutionnel mais ayant confondu deux décisions du tribunal municipal ; ceci constituerait une erreur comparable à la substitution au requérant d'une autre personne, comme c'était le cas dans l'affaire Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne (arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I). Si le représentant des requérants a par la suite communiqué à la juridiction constitutionnelle une information complémentaire différente de celle contenue dans le recours initial, cette démarche ne pouvait être considérée que comme l'introduction (tardive) d'un nouveau recours. L'on ne saurait donc rejeter sur la Cour constitutionnelle la faute commise par l'avocat.
19. Le Gouvernement soutient enfin que c'était seulement en théorie que la procédure devant la Cour constitutionnelle pouvait avoir un impact sur la procédure au fond, étant donné que les requérants ne faisaient dans leur recours que polémiquer avec les conclusions des juridictions inférieures ; leur recours aurait donc probablement été rejeté pour défaut manifeste de fondement.
20. A la lumière de ces circonstances, le Gouvernement conclut que le rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé a été préservé dans le cas d'espèce et que les requérants n'ont pas subi d'atteinte dans leur droit d'accès à un tribunal.
2. Les requérants
21. Les requérants insistent sur leur thèse selon laquelle il s'agissait en l'espèce d'une simple faute de frappe et que le rejet de leur recours par la Cour constitutionnelle était injustifié et formel. Ils rappellent que le texte du recours contenait la mention correcte des décisions attaquées, que les copies de celles-ci y ont été jointes et que leur avocat a remédié à l'erreur figurant sur la page de titre suite dans le délai fixé dans la sommation du juge rapporteur.
22. Les requérants font valoir également que le contenu de leur recours ainsi que leur proposition de décision sollicitée étaient clairs et sans équivoque. Ils s'opposent à l'argument du Gouvernement tiré de l'impact purement théorique de la procédure devant la Cour constitutionnelle, notant que celle-ci pouvait aboutir à l'annulation des décisions rendues par les juridictions inférieures.
B. Appréciation de la Cour
23. La Cour observe d'abord que le libellé du recours introduit par l'avocat des requérants le 8 septembre 1998 était dirigé entre autres contre la décision du tribunal municipal du 16 mai 1997, tandis que les requérants avaient l'intention d'attaquer la décision dudit tribunal datant du 19 mai 1998. L'information correcte figurait néanmoins dans le premier paragraphe du texte du recours et la copie jointe était celle de la décision du 19 mai 1998. Vu la contradiction entre les décisions indiquées dans le libellé et les copies jointes, la Cour constitutionnelle a invité l'avocat des requérants à y remédier en soumettant copie de la décision du 16 mai 1997. En réaction, l'avocat a fait savoir à la juridiction constitutionnelle qu'il avait commis une erreur dans le libellé du recours et que celui-ci était dirigé contre la décision du 19 mai 1998, dont la copie avait été jointe à l'envoi initial. Ayant pris cette rectification pour un nouveau recours, la Cour constitutionnelle l'a rejeté pour tardiveté.
24. La Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne ; son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation par les tribunaux de règles procédurales. La réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique.
25. Par ailleurs, le " droit à un tribunal ", dont le droit d'accès constitue un aspect, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation (voir, entre autres, Garcia Manibardo c. Espagne, n° 38695/97, § 36, CEDH 2000-II, et Zvolský et Zvolská c. République tchèque, n° 46129/99, § 47, CEDH 2002-IX). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Guérin c. France, arrêt du 29 juillet 1998, Recueil 1998-V, § 37).
26. De l'avis de la Cour, il résulte de ces principes que, si le droit d'exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois.
27. En l'occurrence, la Cour estime que la décision de la Cour constitutionnelle souffre plutôt d'un formalisme excessif. Elle observe que la Cour constitutionnelle, ayant noté que le recours était entaché d'une erreur matérielle, a accordé aux requérants un délai pour y remédier (en les invitant à soumettre la copie de la décision mentionnée sur la page de titre), et que leur avocat a rectifié l'erreur avant la fin de ce délai. L'on ne saurait donc affirmer que cette inexactitude ne pouvait être redressée ultérieurement, comme c'était le cas dans l'affaire Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne invoquée par le Gouvernement défendeur. La Cour estime également qu'il y a lieu de distinguer la nature et le but de la procédure suivie dans cette dernière affaire de celle qui est en cause en l'occurrence. En effet, la procédure faisant l'objet de l'affaire Edificaciones March Gallego S.A. tendait uniquement au règlement sommaire d'une dette reconnue par les intéressés et n'avait pas pour but de décider du bien-fondé de la créance ; ainsi, les délais rigides dont elle s'accompagnait servait exclusivement à accélérer le règlement des montants en cause et l'erreur commise par la société requérante ne pouvait plus être redressée dans les délais impératifs prévus par la loi (§ 36). Dans le cas d'espèce en revanche, il s'agissait d'une procédure devant la juridiction constitutionnelle censée vérifier le respect des droits fondamentaux et de remédier, le cas échéant, aux violations de ceux-ci. Par ailleurs, la Cour considère comme sans pertinence l'argument du Gouvernement concernant la moindre chance de succès du recours constitutionnel des requérants, car il ne lui appartient pas de spéculer sur l'issue éventuelle de la procédure portant sur ce recours.
28. Enfin, le Gouvernement n'a invoqué aucune raison impérative qui empêchait la Cour constitutionnelle de prendre en compte la rectification effectuée par les requérants dans le délai imparti pour éliminer la contradiction entre la décision indiquée sur la page de titre et la copie soumise. La Cour ne voit pas pour quelle raison il aurait été possible de redresser une faute commise par l'envoi erroné de la copie d'une décision ne faisant pas l'objet du recours, et non pas une erreur dans la mention de la décision figurant uniquement sur la page de titre.
29. Dès lors, la question posée en l'espèce relève selon la Cour du principe de la sécurité juridique ; il ne s'agit pas d'un simple problème d'interprétation de règles matérielles, mais de l'interprétation d'une exigence procédurale qui a empêché l'examen au fond de l'affaire des requérants, au mépris du droit à une protection effective par les tribunaux (voir, mutatis mutandis, Zvolský et Zvolská c. République tchèque précité, § 51).
30. Dans ces conditions, la Cour estime que les requérants se sont vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir la juridiction constitutionnelle et, d'autre part, le droit d'accès à cette instance.
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
31. La Cour note que les exigences de l'article 13 de la Convention sont moins strictes que celles de l'article 6, et absorbées par elles en l'espèce (voir, mutatis mutandis, Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A n° 168, § 110 ; Lauko c. Slovaquie, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, § 68).
32. En conséquence, et vu sa conclusion relative à l'article 6, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner l'affaire sur le terrain de l'article 13 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
33. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "
A. Dommage
34. Pour ce qui est du dommage matériel, les requérants réclament la somme correspondant à la valeur des immeubles qu'ils cherchaient à se voir restituer, à savoir 3 842 150 CZK (environ 120 431 EUR). Ils demandent le double de cette somme (240 862 EUR) au titre du dommage moral subi.
35. Le Gouvernement objecte qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le dommage matériel allégué par les requérants et la prétendue violation de leur droit d'accès à un tribunal, et que le montant revendiqué au titre du préjudice moral est excessif. Selon le Gouvernement, la constatation de violation constituerait en l'occurrence une satisfaction suffisante.
36. La Cour estime que la base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans le fait que les requérants n'ont pas pu exercer leur droit d'accès à un tribunal, composante du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle ne relève aucun lien de causalité entre les préjudices matériel et moral allégués par les requérants et la violation constatée de l'article 6. Elle ne saurait davantage spéculer sur ce qu'eût été l'issue du procès si la Cour constitutionnelle avait examiné et accueilli le recours constitutionnel formé par les requérants.
Dès lors, il n'y a pas lieu à indemnisation de ce chef, la Cour étant d'avis que le constat de violation suffit à réparer un éventuel préjudice moral subi par les requérants (voir, mutatis mutandis, Bìle et autres c. République tchèque, n° 47273/99, §§ 76 et 77, CEDH 2002-IX).
B. Frais et dépens
37. Les requérants demandent 319 435 CZK (10 013 EUR) pour l'ensemble des frais et dépens encourus.
38. Le Gouvernement estime que la plupart des frais mentionnés n'ont pas été engagés dans la tentative de prévenir ou de corriger la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention. Puisque la Convention aurait été violée par le procédé de la Cour constitutionnelle, le dédommagement ne peut inclure que les frais et dépens engagés devant cette dernière et les frais liés à la procédure devant la Cour.
39. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder aux requérants le remboursement des frais et dépens qu'ils ont engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A n° 66, § 36 ; Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 63). Il faut aussi que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 30, CEDH 1999-V).
Compte tenu des éléments en sa possession et statuant en équité, la Cour alloue aux requérants la somme globale de 1 000 EUR pour leurs frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
40. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
1. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le grief tiré de l'article 13 de la Convention ;
3. Dit, par cinq voix contre deux, que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;
4. Dit, à l'unanimité,
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, somme à convertir dans la monnaie nationale de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 mai 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. EARLY, Greffier adjoint
J.-P. COSTA, Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion partiellement dissidente commune aux juges Loucaides et Mularoni.
J.-P.C.
T.L.E.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LOUCAIDES ET MULARONI
Tout en étant d'accord avec la majorité sur le reste, nous nous sommes séparés sur l'application de l'article 41 de la Convention.
Nous estimons que dans cette affaire, où la Cour a constaté une violation de l'article 6 § 1 de la Convention dont les conséquences ont été très lourdes, la Cour aurait dû accorder une satisfaction équitable aux termes de l'article 41 de la Convention au titre du dommage moral subi par les requérants.