Jurisprudence : CE 2/7 SSR., 03-05-2004, n° 253013



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

253013

M. CHEROUD

Mme von Coester, Rapporteur
Mme de Silva, Commissaire du gouvernement

Séance du 5 avril 2004
Lecture du 3 mai 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 janvier 2003, présentée par M. Djilali CHEROUD, demeurant 7 rue Marcel Ricard à Albi (81000) ; M. CHEROUD demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 4 décembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2002 du préfet du Tarn ordonnant sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;

Vu l'arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d'établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades prévus à l'article 7-5 du décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme von Coester, Auditeur,

- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (.) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (.)" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. CHEROUD, de nationalité algérienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 23 juin 2001, de la décision du 22 juin 2001 du préfet du Tarn lui refusant un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, "ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion. 8° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. Les étrangers mentionnés au 1° à 6° et 8° ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la présente ordonnance" ;

Considérant qu'aux termes de l'article 7-5 introduit dans le décret du 30 juin 1946 par le décret du 5 mai 1999 : "Pour l'application du 11° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, le préfet délivre la carte de séjour temporaire, au vu de l'avis émis par le médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé. (.)./ Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'intégration, du ministre chargé de la santé et du ministre de l'intérieur, au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. L'état de santé défini au 8° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues aux deux premiers alinéas du présent article" ; que l'arrêté du 8 juillet 1999 pris pour l'application de ces dispositions impose au médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales d'émettre un avis précisant si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement médical approprié dans son pays, quelle est la durée prévisible du traitement, et indiquant si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers le pays de renvoi ; qu'en se fondant sur un avis rendu par le médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Tarn qui ne comportait pas d'indication sur la possibilité pour M. CHEROUD de voyager sans risque vers l'Algérie, alors qu'il ressortait de l'avis médical que l'état de santé de l'intéressé pouvait susciter des interrogations sur sa capacité à supporter ce voyage, l'arrêté de reconduite à la frontière a été pris suivant une procédure irrégulière et est, par suite, entaché d'illégalité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. CHEROUD est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2002 par lequel le préfet du Tarn a ordonné sa reconduite à la frontière ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 4 décembre 2002 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 18 novembre 2002 par lequel le préfet du Tarn a ordonné la reconduite à la frontière de M. CHEROUD est annulé.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Djilali CHEROUD, au préfet du Tarn et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Délibéré dans la séance du 5 avril 2004 où siégeaient : M. Robineau, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Delarue, M. Honorat, Présidents de sous-section ; Mme Forray, M. Balmary, M. Peylet, Mme Imbert-Quaretta, Mme Ducarouge, Conseillers d'Etat et Mme von Coester, Auditeur-rapporteur.

Lu en séance publique le 3 mai 2004.

Le Président :

Signé : M. Robineau

L'Auditeur-rapporteur :

Signé : Mme von Coester

Le secrétaire :

Signé : M. Conrath

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le secrétaire

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