ASSEMBLEE PLENIERE
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 mai 2004
M. CANIVET, premier président Cassation
Arrêt n° 515 P
Pourvoi n° S 02-13.225
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIÈRE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Philippe Z, demeurant Saint-Etienne , agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Dumas, société anonyme Pelussin,
en cassation d'un arrêt rendu le 1er février 2002 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, audience solennelle), au profit de la SCI Dumas, dont le siège est Pelussin, défenderesse à la cassation ;
La société Dumas et M. Luigi X agissant en qualité d'administrateur judiciaire du redressement judiciaire de cette société, se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon (3ème chambre) en date du 20 janvier 1995 ;
Cet arrêt a été cassé le 17 février 1998 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Chambéry qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 1er février 2002 dans le même sens que la cour d'appel de Lyon par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de
Chambéry, M. le premier président a, par ordonnance du 23 décembre 2003, renvoyé la cause et les parties devant l'Assemblée plénière.
Le demandeur invoque, devant l'Assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de Cassation par Me Gatineau, avocat de M. Philippe Z, agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Dumas ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de Cassation par la SCP Lesourd, avocat de la SCI Dumas ;
Le rapport écrit de M. W, conseiller, et le projet d'avis écrit de M. V V, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en Assemblée plénière, en l'audience publique du 30 avril 2004, où étaient présents M. U, premier président, MM. T, T, T, T, T, T, présidents, M. W, conseiller rapporteur, MM. Renard-Payen, Guerder, Boubli, Joly, Villien, Mme Aubert, MM. Philippot, Gridel, Mme Nocquet, MM. Boval, Petit, conseillers, M. V V, premier avocat général, Mme S, greffier en chef ;
Sur le rapport de M. W, conseiller, assisté de Mme R, greffier en chef, les observations de Me Q et de la SCP Lesourd, l'avis de M. V V, premier avocat général, auquel les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
Vu les articles 5 et 7 du décret du 30 septembre 1953 devenus les articles L. 145-9 et L. 145-12 du Code de commerce, et l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que le bail commercial renouvelé après délivrance d'un congé est un nouveau bail, le précédent cessant par l'effet du congé ; qu'il en résulte qu'il ne constitue pas un contrat en cours dont l'administrateur du redressement judiciaire du preneur peut exiger l'exécution ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (comm. 17 février 1998 bull IV n° 72) que, le 30 juin 1993, la société civile immobilière Dumas (la SCI) a délivré à sa locataire la société anonyme Dumas (la société) un congé pour le 31 décembre 1993, date d'expiration du bail commercial conclu entre elles le 8 octobre 1984, en proposant le renouvellement de ce bail pour un loyer supérieur au précédent ; qu'après avoir accepté le principe du renouvellement en contestant le loyer proposé, la société a été mise en redressement judiciaire le 22 décembre 1993 ; que, le 31 décembre 1993, la SCI a mis l'administrateur en demeure de se prononcer sur la poursuite du bail ; que celui-ci a répondu, le 11 février 1994, qu'il entendait "poursuivre" le bail aux conditions initiales ; que la SCI a assigné la société et son administrateur en résiliation du bail, expulsion et paiement de diverses sommes ;
Attendu que pour accueillir ces demandes, l'arrêt retient que le congé n'a pas mis fin aux relations contractuelles qui se poursuivaient après l'expiration du bail initial et que le défaut de réponse de l'administrateur dans le délai d'un mois entraîne une présomption irréfragable de renonciation à la poursuite du contrat ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors que, le bail en vigueur à la date d'ouverture de la procédure collective étant arrivé à son terme, les relations entre les parties ne pouvaient se poursuivre qu'en vertu d'un nouveau bail, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'un contrat en cours au sens du dernier des textes susvisés, la cour d'appel a violé lesdits textes ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er février 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;
Condamne la SCI Dumas aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SCI Dumas à payer à M. Z, ès qualités la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du sept mai deux mille quatre.
LE CONSEILLER RAPPORTEUR LE PREMIER PRÉSIDENT LE GREFFIER EN CHEF Moyens produits par Me Gatineau, avocat aux Conseils pour M. Philippe Z.
MOYENS ANNEXES à l'arrêt n° 515 P (ASSEMBLEE PLENIERE)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris sur le principe de la résiliation de bail, et, le réformant au surplus, d'avoir prononcé la résiliation du bail à effet du 27 septembre 1994, ainsi que d'avoir condamné Maître Z, ès qualité de mandataire liquidateur de la SA Dumas à payer provisoirement à la SCI Dumas le loyer au taux du bail expiré du 1er janvier 1994 au 27 septembre 1994, puis une indemnité d'occupation au montant équivalent du 28 septembre 1994 au 1er août 1995, débouté Maître Z ès qualité de toutes ses demandes, condamné Maître Z ès qualité aux dépens et à payer à la SCI Dumas 2 300 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE sur le déroulement des faits jusqu'au 31 décembre 1993, la SCI Dumas a notifié le 30 juin 1993 pour le terme du 31 décembre 1993 un congé avec offre de renouvellement ; que par lettre du 26 juillet 1993, la SA Dumas a accepté le renouvellement du bail ; que, par suite, après le 31 décembre 1993 à minuit, le bail s'est poursuivi car le renouvellement n'est pas subordonné à la fixation préalable du nouveau prix, prix qui était en discussion entre les parties ; que par jugement du 22 décembre 1993, la SA Dumas a été déclarée en redressement judiciaire, Maître X étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et Maître Z en qualité de représentant des créanciers ; que, sur l'application ou non de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, il a été examiné que le congé n'a pas mis fin aux relations contractuelles entre les parties ; que cela est si vrai que le 31 décembre 1993, soit donc quelques heures avant l'expiration de l'ancien bail, la bailleresse a mis en demeure l'administrateur judiciaire de la SA Dumas d'avoir à se prononcer sur la poursuite ou non du bail ; que la bailleresse avait donc bien conscience que les relations contractuelles des parties se poursuivaient au-délà du 31 décembre 1993 ; qu'il s'ensuit que l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 était bien applicable ; que, sur la résiliation du bail, en application dudit article 37, la SCI Dumas a mis en demeure Maître X, administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la SA Dumas d'avoir à se prononcer sur la poursuite ou non du bail ; que Maître X n'a fait parvenir sa réponse que le 11 février 1994, soit après l'expiration du délai d'un mois qui lui était imparti ; que le fait d'avoir réclamé le 20 janvier 1994 copie certifiée conforme du bail n'emporte pas interruption du délai ; que si Maître X estimait ne pouvoir se prononcer dans le délai d'un mois imparti par l'article 37 de la loi de 1985, il lui appartenait de demander au juge commissaire une prolongation du délai pour prendre parti, ainsi qu'indiqué par le premier alinéa in fine de l'article 37 ; que la résiliation du bail serait de plein droit après l'expiration du délai d'un mois, soit au 4 février 1994, la mise en demeure ayant été déclinée à Maître X le 4 janvier 1994, si la procédure était postérieure à la loi du 10 juin 1994 qui a modifié en ce sens l'article 37 ; que l'article 37 ancien prévoit que "la renonciation à la continuation du contrat est présumée après une mise en demeure adressée à l'administrateur restée plus d'un mois sans réponse..." ; que cette présomption irréfragable de renonciation à la poursuite du bail ne peut prendre effet qu'à la date où elle est constatée judiciairement, soit au jour du jugement du tribunal d'instance de Saint-Etienne, soit le 27 septembre 1994 ; que l'expulsion du locataire ne peut être ordonnée qu'à compter de cette date ;
ALORS QU'un bail commercial renouvelé est un nouveau bail qui naît à compter de la date d'effet du congé du premier bail, et non le simple prolongement du bail antérieur ; qu'en conséquence, l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 n'est pas applicable lorsque le bail en cours à la date d'ouverture de la procédure collective arrivait à son terme suite au congé donné par le bailleur et que, à la date de la mise en demeure adressée à l'admnistrateur, un nouveau bail était susceptible d'être conclu après la fixation du montant du loyer ; qu'en l'espèce, la date d'effet du congé était postérieure à l'ouverture de la procédure collective ; qu'en conséquence le bail renouvelé constituait un nouveau contrat qui n'était pas en cours au jour du prononcé du redressement judiciaire ; que l'administrateur auquel il avait été demandé de se prononcer sur le nouveau loyer n'avait donc pas à respecter le délai d'un mois de l'article 37 précité ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris sur le principe de la résiliation de bail, et, le réformant au surplus, d'avoir prononcé la résiliation du bail à effet du 27 septembre 1994, ainsi que d'avoir condamné Maître Z, ès qualité de mandataire liquidateur de la SA DUMAS à payer provisoirement à la SCI Dumas le loyer au taux du bail expiré du 1er janvier 1994 au 27 septembre 1994 puis une indemnité d'occupation au montant équivalent du 28 septembre 1994 au 1er août 1995, débouté Maître Z és qualité de toutes ses demandes, condamné Maître Z ès qualité aux dépens et à payer à la SCI Dumas 2 300 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE sur le paiement des loyers durant l'occupation de la SA Dumas, du 4 janvier 1994 au 27 septembre 1994, les loyers restent dus au taux du bail expiré à défaut d'accord sur le montant des loyers ; que les appelants ne peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 38 de la loi de 1985 du moment que l'action de la SCI Dumas est fondée sur l'article 37 ; que le bailleur a reloué les lieux à compter du 1er août 1995 à la société Pilatex ; que les indemnités d'occupation dues du 27 septembre 1994 au 1er août 1995 doivent être fixées sur la base du montant du loyer du bail expiré, peu importe si le loyer payé par la société Pilatex, qui n'a pas loué les locaux d'habitation soit plus élevé, s'agissant d'un nouveau bail issu de nouvelles tractations ;
1) ALORS QUE le bailleur ne peut réclamer le paiement des loyers échus depuis moins de trois mois après le jour de l'ouverture de la procédure collective ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a méconnu les articles 37 et 38 de la loi du 25 Janvier 1985 ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE la demande en paiement des loyers du 3ème trimestre 1993 est recevable en la forme et bien fondée le loyer étant payable semestriellement à terme échu, le jugement de redressement judiciaire étant en date du 22 décembre 1993 et la demande en paiement plus de trois mois après ;
2) ALORS QUE le jugement d'ouverture de la procédure avait été prononcé le 22 Décembre 1993 ; que l'action en résiliation du bail ainsi qu'en paiement de loyers impayés avait été introduite par le bailleur par citations en date des 18 Février et 18 Mars 1994 ; qu'en relevant que la demande en paiement était postérieure de plus de trois mois au prononcé du redressement judiciaire, les juges du fond ont violé l'article 38 de la loi du 25 Janvier 1985, ensemble les articles 1134 et 1351 du Code Civil ;
3) ALORS QUE le juge doit se placer au jour de la demande initiale pour apprécier la recevabilité ou le bien-fondé d'une prétention ; qu'en décidant que la demande était intervenue plus de trois mois après le prononcé du redressement judiciaire alors que la citation introductive d'instance était intervenue moins de trois mois après l'ouverture de la procédure, les juges du fond ont méconnu l'article 38 de la loi du 25 Janvier 1985, ensemble l'article 53 du nouveau Code de procédure civile ;
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Maître Z ès qualité de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre la SCI Dumas et d'avoir condamné Maître Z ès qualité aux dépens et à payer à la SCI Dumas 2300 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE, sur la demande en dommages et intérêts présentée par les appelants, l'appelant estime la procédure suivie par la SCI manifestement abusive ; mais que l'attitude de la SCI a été particulièrement conciliante en permettant l'exploitation et la reprise de l'unité de production, ce qui n'a pu aggraver la situation compromise de la SA Dumas ; que le 20 décembre 1993, la SA Dumas a dû déclarer l'état de cessation des paiements ; que le jugement du 22 décembre 1993 a ordonné le redressement judiciaire de la SA Dumas en ouvrant une période d'observation d'une durée de six mois qui sera renouvelée jusqu'au 21 juin 1995 ; que le 8 novembre 1994, la SCI se déclarait prête à renouveler le bail, moyennant le paiement des loyers et accessoires ; que cependant le 21 juin 1995, la SA Dumas était déclarée en liquidation judiciaire, et que le 10 juillet 1995, elle offrait d'établir un nouveau bail avec une société Pilatex, ce qui a été effectué le 29 septembre 1995 ; qu'un plan de cession avec la société Pilatex a été possible avec l'accord de la société Dumas ; que l'exploitation de la SA Dumas s'est poursuivie avec la société Pilatex qui a repris la quasi-totalité du personnel, et ce, sans un seul jour d'interruption d'activité ; que, dans ces conditions, l'argumentation de l'appelant se fondant sur la privation de la SA Dumas de la possibilité de présenter un plan d'apurement du passif et se fondant également sur le fait qu'un repreneur a été "imposé" s'avère infondée, en se référant aux offres faites par les deux repreneurs possibles (les sociétés Pilatex et Monsieur Renaud ...) acceptées par la SCI Dumas et non imposées par cette dernière ; qu'en conséquence, l'appelant doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts ;
ALORS QUE le mandataire liquidateur de la SA Dumas justifiait sa demande de dommages et intérêts en montrant l'attitude fautive de la SCI Dumas visant à empêcher l'apurement du passif de la SA Dumas afin de pouvoir consentir un nouveau bail à des conditions beaucoup plus intéressantes à une nouvelle société ; qu'en rejetant cette demande en se fondant sur des motifs inopérants tirés de ce que la SCI aurait été conciliante en permettant la reprise de l'activité de production par un tiers, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
LE GREFFIER EN CHEF.