COMM. CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 janvier 2014
Cassation
M. ESPEL, président
Arrêt n 5 F P+B Pourvoi n T 12-28.883 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. André Z, domicilié Soultz-Haut-Rhin,
contre l'arrêt rendu le 11 septembre 2012 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à M. Albert Y, domicilié Bergholtzzell,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 novembre 2013, où étaient présents M. Espel, président, Mme Mandel, conseiller rapporteur, M. Petit, conseiller doyen, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mandel, conseiller, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. Z, de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de M. Y, l'avis de M. Debacq, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y, qui a entretenu pendant plusieurs années des relations professionnelles avec M. Z, a déposé le 24 avril 1998 une demande de brevet français intitulé " porte basculante motorisée à ressorts latéraux ou pistons à gaz ", le désignant comme inventeur, qui a été délivré le 2 juin 2000 et publié sous le n 2 777 935 ; qu'il aa également déposé le 23 avril 1999, à son nom, une demande de brevet européen sous le n EP 0 952 293, dont mention de la délivrance a été publiée le 3 juillet 2002 ; que M. Z, faisant valoir que M. Y ne pouvait prétendre être l'inventeur unique et qu'il avait outrepassé les droits qu'il tenait de la convention conclue entre eux le 21 avril 1998, l'a fait assigner, le 17 novembre 2004, en revendication des brevets français et européen, en annulation de ce contrat et en paiement de diverses sommes ; qu'à titre subsidiaire, il a sollicité la nullité du brevet européen et la résiliation du contrat susvisé ainsi que le paiement d'une indemnité provisionnelle ;
Sur le premier moyen
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite son action en revendication et d'avoir, en conséquence, rejeté toutes ses demandes et moyens, alors, selon le moyen
1 / que s'il ne vise pas les dernières conclusions des parties avec l'indication de leur date, le jugement doit exposer, serait-ce succinctement, leurs prétentions respectives et leurs moyens essentiels ; qu'en statuant sans viser les dernières conclusions du revendiquant reçues par le greffe le 17 juin 2011, ni exposer ses différentes prétentions et moyens, notamment ses demandes tendant à la réformation partielle du jugement entrepris et aux conséquences complémentaires qui devaient être tirées du succès de son action en revendication, ainsi que ses prétentions formulées à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé et que la convention litigieuse du 21 avril 1998 serait jugée valable ou que l'action en revendication serait jugée prescrite, qui étaient relatives à la résiliation de la convention précitée et à la nullité du brevet européen, et ses prétentions ayant trait à la mention de sa qualité d'inventeur, la cour d'appel a méconnu les articles 455, 458 et 954 du code de procédure civile ;
2 / qu' en toute hypothèse le revendiquant demandait la confirmation partielle du jugement et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé et que l'action en revendication serait jugée prescrite, que la nullité du brevet européen soit prononcée, outre la mention de sa qualité d'inventeur qui était indépendante du débat relatif à la propriété des brevets ; qu'en retenant néanmoins que le revendiquant sollicitait seulement la confirmation du jugement entrepris et que toutes ses demandes et moyens en étaient les développements, pour en déduire que l'infirmation du jugement devait entraîner le rejet de toutes ces demandes, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de l'exposant, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'aucun texte ne détermine la forme dans laquelle la décision doit mentionner les prétentions et moyens des parties ; qu'il ne peut être fait grief à l'arrêt d'avoir statué sans avoir repris les prétentions et moyens exposés par M. Z dans ses conclusions dès lors que la cour d'appel a, dans le corps de sa décision, indiqué succinctement en les réfutant les moyens et demandes de celui-ci ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a relevé que M. Z concluait à la confirmation du jugement entrepris mais déclarait reprendre " en conséquence " de multiples demandes qui n'avaient pas été accueillies par le premier juge ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que le second moyen, pris en sa quatrième branche, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Vu les articles L. 611-8 et L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 2 et 64 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
Attendu que pour déclarer prescrite l'action en revendication du brevet européen n EP 0 952 293, l'arrêt retient que le délai pour agir avait commencé à courir à compter du jour de la délivrance du brevet français ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le brevet européen, en ce qu'il désigne la France, s'étant substitué totalement au brevet français à compter du 3 avril 2003, soit antérieurement à l'introduction de l'action en revendication, le délai de prescription triennale pour agir en revendication du titre européen n'a commencé à courir qu'à compter du 3 juillet 2002, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. Z la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. Z
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite l'action en revendication intentée par le revendiquant (M. Z) contre le titulaire des brevets (M. Y) et, en conséquence, d'avoir rejeté toutes les demandes et tous les moyens présentés par le revendiquant dans le cadre de son action ;
AUX MOTIFS QU'infirmant le jugement entrepris, la cour d'appel déclarait irrecevable comme prescrite l'action intentée par M. Z ; que l'irrecevabilité de la revendication de celui-ci valait naturellement pour le droit moral qu'il revendiquait accessoirement ; qu'elle entraînait le rejet de toutes ses demandes et de tous ses moyens, tels que celui fondé sur une curieuse résiliation de la convention du 21 avril 1998 ; que toutes ses demandes et tous ses moyens étaient des développements de son action en revendication irrecevable ; qu'il était donc précisé, en tant que de besoin, que l'irrecevabilité valait pour toutes les demandes et tous les moyens présentés par M. Z pour faire aboutir sa revendication ; qu'il était rappelé par ailleurs qu'il y avait une contradiction dans le fait de demander la confirmation du jugement entrepris, et de reprendre des demandes qui avaient été en partie écartées ;
ALORS QUE s'il ne vise pas les dernières conclusions des parties avec l'indication de leur date, le jugement doit exposer, serait-ce succinctement, leurs prétentions respectives et leurs moyens essentiels ; qu'en statuant sans viser les dernières conclusions du revendiquant reçues par le greffe le 17 juin 2011, ni exposer ses différentes prétentions et moyens, notamment ses demandes tendant à la réformation partielle du jugement entrepris et aux conséquences complémentaires qui devaient être tirées du succès de son action en revendication, ainsi que ses prétentions formulées à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé et que la convention litigieuse du 21 avril 1998 serait jugée valable ou que l'action en revendication serait jugée prescrite, qui étaient relatives à la résiliation de la convention précitée et à la nullité du brevet européen, et ses prétentions ayant trait à la mention de sa qualité d'inventeur, la cour d'appel a mécon-nu les articles 455, 458 et 954 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en toute hypothèse le revendiquant demandait la confirmation partielle du jugement et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé et que l'action en revendication serait jugée prescrite, que la nullité du brevet européen soit prononcée, outre la mention de sa qualité d'inventeur qui était indépendante du débat relatif à la propriété des brevets ; qu'en retenant néanmoins que le revendiquant sollicitait seulement la confirmation du jugement entrepris et que toutes ses demandes et moyens en étaient les développements, pour en déduire que l'infirmation du jugement devait entraîner le rejet de toutes ces demandes, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de l'exposant, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite l'action en revendication intentée par le revendiquant (M. Z) contre le titulaire des brevets (M. Y) et, en conséquence, d'avoir rejeté toutes les demandes et tous les moyens présentés par le revendiquant dans le cadre de son action ;
AUX MOTIFS QU'il convenait de se demander si l'action de M. Z n'était pas prescrite sur le fondement de l'article L.611-8 ; que cette disposition édictait une prescription de trois années pour les inventions soustraites à l'inventeur, avec prorogation de ce délai en cas de mauvaise foi au moment de la délivrance ou de l'acquisition du titre ; qu'en l'espèce il n'y avait eu ni soustraction, ni mauvaise foi de la part de M. Y ; qu'il avait exécuté la convention du 21 avril 1998 qui lui permettait de déposer le brevet sous son seul nom ; que la revendication du brevet français se heurtait donc à la prescription lorsque la présente procédure avait été intentée le 17 novembre 2004 ; qu'un peu plus délicat était le problème de la prescription quant au brevet européen publié en 2002 ; qu'il était de nouveau rappelé qu'il s'agissait bien d'un brevet entièrement identique, même si les revendications avaient été rédigées dans un ordre différent et selon une autre méthode ; qu'il était observé, tout d'abord, que la revendication de M. Z ne pouvait concerner que le protection en France du brevet européen, de même que la nullité ne pouvait être prononcée qu'en ce qui concernait la France conformément à l'article L. 614-12 ; que le brevet français et le brevet européen étaient nécessairement solidarisés lors des transactions sur ceux-ci conformément à l'article L. 614-14 ; que de même, le rejet d'une action en contrefaçon d'un des deux brevets entraînait irrecevabilité d'une action en contre-façon fondée sur l'autre conformément à la disposition finale de l'article L. 614-15 ; qu'eu égard à cette nécessaire solidarité des protections par brevets, eu égard au fait que l'action de M. Z, qui avait connu dès l'origine le dépôt du brevet français, était prescrite sur le fondement de celui-ci, et eu égard au fait qu'il ne pouvait revendiquer en France que la partie française du brevet européen, sa revendication relative à la protection européenne était également frappée par la même prescription ; que la demande de brevet européen avec revendication de la priorité du dépôt du brevet français n'avait pas prorogé le délai de la prescription, qui avait commencé de courir à la date de publication du premier titre ; qu'au fond, le litige était directement contraire à la convention rédigée et signée par M. Z le 21 avril 1998 ; que celle-ci était possible en principe et que l'article L. 611-6 indiquait que le titre de propriété industrielle appartenait à l'inventeur ou à son ayant-cause ; qu'elle n'était naturellement pas une donation, ni dans la forme apparente, ni dans l'esprit ou la finalité ; qu'il s'agissait simplement d'un apurement conventionnel de comptes, ou d'un partage transactionnel de droits à la suite d'une opération à laquelle deux personnes avaient participé ;
ALORS QUE le délai de prescription triennale de l'action en revendication de propriété du titre de propriété industrielle européen, comme celui de l'action en revendication du titre de propriété industrielle français auquel il s'est substitué, commence à courir au plus tôt à compter de la date à laquelle la mention de la délivrance du brevet européen est publiée au bulletin européen des brevets ; qu'en retenant néanmoins que le délai pour agir en revendication du brevet européen publié le 3 juillet 2002 avait commencé à courir à compter du jour de la délivrance du brevet français antérieur, accordé et rendu public le 2 juin 2000, pour en déduire que l'action intentée le 17 novembre 2004 était prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 611-8 et L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 2 et 64 de la convention de Munich sur le brevet européen du 5 octobre 1973 ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, en cas de mauvaise foi au moment de la délivrance ou de l'acquisition du titre de propriété industrielle, le délai de prescription de l'action en revendication est de trois ans à compter de l'expiration du titre ; qu'en déclarant qu'il n'y avait eu aucune mauvaise foi de la part du titulaire des brevets pour la seule raison qu'il avait exécuté la convention du 21 avril 1998 en déposant les demandes à son nom, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. conclusions d'appel du revendiquant, pp. 15 et s.), si l'auteur des demandes avait, en toute connaissance de cause, méconnu ses obligations, son droit de mentionner son nom seul étant subordonné au respect de certains obligations, tenant au caractère intuitu personae de la convention, et avait sciemment omis de mentionner la qualité d'inventeur du revendiquant, bien que cette mention eût été impérative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-8 du code de propriété intellectuelle ;
ALORS QUE, au surplus, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte ; qu'en excluant que la convention du 21 avril 1998 soit une donation et en en déduisant qu'elle était valable, pour la raison inopérante que le revendiquant aurait perçu une rémunération en contrepartie de l'établissement des plans d'exécution de l'invention, c'est-à-dire d'une activité étrangère à la conception-même de celle-ci, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. conclusions d'appel du revendiquant, pp. 5 et s.), si le revendiquant avait disposé des droits qu'il tirait de sa qualité d'inventeur dans une intention libérale au profit du coïnventeur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 894 du code civil ;
ALORS QUE, enfin et en toute hypothèse, si un titre de propriété industrielle a été demandé soit pour une invention soustraite à l'inventeur ou à ses ayants cause, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne lésée peut revendiquer la propriété de la demande ou du titre délivré ; qu'en se bornant à relever qu'il n'y avait pas eu soustraction de la part du titulaire du brevet sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. conclusions d'appel du revendiquant, pp. 15 et s.), si ce dernier avait méconnu ses obligations résultant de la convention du 21 avril 1998, tenant au caractère intuitu personae de la convention, et en omettant sciemment d'indiquer la qualité d'inventeur du revendiquant, afin de soustraire frauduleusement l'invention au revendiquant, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article L. 611-8 du code de la propriété intellectuelle.