Cour administrative d'appel de Nantes
Statuant au contentieux
Société Solétanche Bachy France
M. CADENAT, Rapporteur
M. LALAUZE, Commissaire du gouvernement
Lecture du 6 juin 2001
R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la Cour les 21 novembre 1997 et 3 mars 1998, présentés pour la société Solétanche Bachy France, dont le siège est 6 rue de Watford, 92000 Nanterre (Hauts-de-Seine), par Me PARMENTIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
La société Solétanche Bachy France (Solétanche) demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 96-360 du 30 septembre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Caen, à la demande de M. Jean-Pierre VIAUD, a annulé la délibération du 15 janvier 1996 par laquelle le conseil municipal de Caen a autorisé la signature de l'avenant n 1 ayant pour objet d'augmenter le délai initial dont disposait la société requérante afin de tenir compte du rythme de disponibilité des mâchefers ;
2 ) de rejeter la demande présentée par M. Jean-Pierre VIAUD devant le Tribunal administratif de Nantes et de le condamner à lui payer la somme de 100 000 F au titre des frais non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mai 2001 :
- le rapport de M. CADENAT, président,
- les observations de Me ALONSO-MARTIN, substituant Me GRANGE, avocat de la ville de Caen,
- et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance de M. VIAUD par la société Solétanche et par la ville de Caen ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent la société Solétanche et la ville de Caen, M. VIAUD justifiait en première instance, en sa qualité de conseiller municipal, d'un intérêt à attaquer la délibération dont il demandait l'annulation, même sans se prévaloir d'une atteinte portée à ses prérogatives ;
Sur la légalité de la délibération du 15 janvier 1996 du conseil municipal de la ville de Caen :
Considérant que, par marché signé le 21 octobre 1994, la ville de Caen a confié l'opération de consolidation des anciennes carrières situées sous la zone d'aménagement concerté (Z.A.C.) de Beaulieu à la société Solétanche ; que, sur proposition de cette société, le conseil municipal a, par délibération du 15 janvier 1996, autorisé le maire de Caen à signer l'avenant n 1 qui prolongeait le délai de réalisation du comblement de certaines carrières pour tenir compte de la substitution, comme matériau de comblement, du mâchefer au sablon ; qu'à la demande de M. VIAUD, conseiller municipal, le Tribunal administratif de Caen a, par jugement du 30 septembre 1997, annulé cette délibération au motif que cet avenant bouleversait l'économie du marché, en méconnaissance de l'article 255 bis du code des marchés publics ;
Considérant qu'aux termes de l'article 255 bis du code des marchés publics : 'Lorsque le montant des prestations exécutées atteint le montant fixé par le marché, la poursuite de l'exécution des prestations est subordonnée soit à la conclusion d'un avenant, soit, si le marché le prévoit, à une décision de poursuivre prise par la collectivité ou l'établissement contractant. Sauf en cas de sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, avenants et décisions de poursuivre ne peuvent bouleverser l'économie du marché ni en changer l'objet.' ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la société Solétanche, les dispositions du second alinéa de l'article 255 bis précité relatives à l'impossibilité, pour les avenants et décisions de poursuivre, de bouleverser l'économie du marché ou d'en changer l'objet ne trouvent pas seulement à s'appliquer dans l'hypothèse, mentionnée au premier alinéa de cet article, où le montant des prestations exécutées atteint le montant fixé par le marché ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des pièces du dossier, et notamment des écritures de première instance de la société Solétanche, qu'à la date de présentation des offres des entreprises pour le marché initial, en juillet 1994, la proposition d'un comblement au moyen de mâchefers au lieu de sablon, alors même qu'elle n'était pas interdite par le cahier des clauses techniques particulières du marché, était techniquement impossible ; que d'ailleurs, il n'est pas contesté que les offres de toutes les entreprises, y compris la société Solétanche, prévoyaient un comblement au moyen de sablon ; que ce n'est que le 23 novembre 1995 que la société requérante a été autorisée, par arrêté du préfet du Calvados, à exploiter temporairement une installation de traitement de mâchefers d'incinération ;
Considérant, en troisième lieu, que si la société Solétanche soutient que l'avenant dont la signature était autorisée par la délibération attaquée n'avait pour seul objet que de lui accorder un délai supplémentaire pour la réalisation des travaux, il résulte des termes mêmes de cette délibération que le délai qui lui était accordé était nécessité par la substitution du matériau de comblement 'pour tenir compte du rythme d'approvisionnement des mâchefers ...' ;
Considérant, en quatrième lieu, que si l'avenant n 1 précise qu'il est sans incidence financière, il résulte toutefois de l'instruction que la substitution des mâchefers au sablon initialement prévu entraînait, pour la société Solétanche, une substantielle économie de coût d'approvisionnement en matériau de comblement alors que l'économie que cette substitution entraînait pour la ville de Caen du fait de la réduction de sa contribution au syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères n'était qu'indirecte et extérieure à l'avenant litigieux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le fait, pour la ville de Caen, d'autoriser son co-contractant, la société Solétanche, à substituer le mâchefer, matériau dont la mise en oeuvre était techniquement impossible au moment de la présentation des offres des entreprises, 18 mois plus tôt, au sablon sans procéder à un nouvel appel d'offres, alors surtout que cette substitution permettait à la société Solétanche de diminuer son coût d'approvisionnement en matériau de comblement, a bouleversé l'économie du marché initial ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la passation de l'avenant n 1 sans respecter les règles de mise en concurrence préalable est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 255 bis du code des marchés publics ; que, par suite, ni la société Solétanche, ni la ville de Caen ne sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Caen a annulé la délibération du conseil municipal de Caen du 15 janvier 1996 ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. VIAUD qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à payer à la société Solétanche et la ville de Caen les sommes qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des mêmes dispositions, de condamner la société Solétanche et la ville de Caen à payer chacune à M. VIAUD une somme de 3 000 F au titre de ces frais ;
Article 1er : La requête de la société Solétanche, ensemble les conclusions de la ville de Caen sont rejetées.
Article 2 : La société Solétanche et la ville de Caen verseront chacune une somme de trois mille francs (3 000 F) à M. VIAUD au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Solétanche, à M. Jean-Pierre VIAUD, à la ville de Caen et au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.