Cour administrative d'appel de Bordeaux
Statuant au contentieux
Mme BILLARD Melle MATHE
Melle ROCA, Rapporteur
M. VIVENS, Commissaire du gouvernement
Lecture du 21 juin 1999
R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 30 octobre 1996, présentée pour Mme Marcelle BILLARD et Melle Florence MATHE en qualité de tutrice de son père M. Robert Mathe, domiciliés 7-32 rue de Verdun, Le Blanc (Indre) et agissant tant en leur nom propre qu'au nom de leur fils Marc Mathe ;
Mme BILLARD et Melle MATHE demandent à la cour :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges, en date du 10 octobre 1996, en tant qu'il a sous-évalué l'indemnisation du préjudice corporel subi par l'enfant Marc Mathe du fait des séquelles d'une intervention chirurgicale réalisée le 22 avril 1989 au centre hospitalier du Blanc, en ne retenant que le versement d'une rente annuelle de 200 000 F due à compter du 22 avril 1989 jusqu'à sa majorité ;
- de condamner le centre hospitalier du Blanc à leur verser la somme de 12 561 316,76 F ; subsidiairement si une rente devait être allouée à l'enfant, de déclarer que celle-ci devrait être servie à compter de son retour au domicile et revalorisée à compter de la décision à intervenir ;
- de surseoir à statuer sur le poste d'aménagement du logement et du véhicule automobile ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 modifiée ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 1999 :
- le rapport de Melle ROCA, rapporteur ;
- les observations de Maître LEBOIS, avocat de Mme BILLARD et de Melle MATHE ;
- les observations de Maître LEVY, avocat du centre hospitalier universitaire du Blanc ;
- et les conclusions de M. VIVENS, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
Considérant qu'au cours de l'intervention qu'il a subie le 22 avril 1989 au centre hospitalier du Blanc pour un syndrome appendiculaire le jeune Marc Mathe, alors âgé de 5 ans, a été victime d'un arrêt cardio-respiratoire, suivi d'une période de coma, qui ont entraîné des lésions neurologiques très graves à l'origine de préjudices dont les parents demandent réparation, l'enfant étant atteint d'une incapacité permanente de 100 % et nécessitant l'aide permanente d'une tierce personne ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts commis par le tribunal administratif, que plusieurs imprudences ont été commises lors de l'anesthésie, laquelle est à l'origine directe des lésions dont l'enfant est atteint ; qu'ainsi les opérations d'anesthésie ont été conduites, jusqu'à la survenance de l'incident, non par le médecin anesthésiste mais par l'infirmière anesthésiste qui a choisi de procéder à une anesthésie générale sans intubation, alors que l'enfant était porteur d'une infection des voies aériennes supérieures, et sans qu'une surveillance de la tension artérielle ne soit effectuée ; que le médecin anesthésiste qui est intervenu au moment de l'incident pour procéder immédiatement à une intubation, a sous-estimé la gravité de l'état de l'enfant en l'extubant quelque temps après alors que celui-ci n'était pas revenu à un état de conscience normal ; que trois heures après le début de l'intervention, le patient a été ramené dans sa chambre sans monitorage ni surveillance particulière alors que, selon les experts, le transfert immédiat de l'enfant intubé et ventilé dans un service de réanimation dès la constatation du retard de réveil lui aurait donné de meilleures chances de traitement lors de l'aggravation ultérieure de son état ; que ces faits constituent des fautes médicales et des fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Limoges a retenu l'entière responsabilité du centre hospitalier du Blanc ; qu'il suit de là que l'appel incident formé par ce dernier ne peut qu'être rejeté ;
Sur la réparation allouée à la victime :
Considérant que l'état de l'enfant ne pouvant être regardé comme consolidé c'est à bon droit que les premiers juges lui ont alloué, à compter de la date d'apparition du dommage et jusqu'à la date de sa majorité, une rente annuelle d'un montant non contesté de 200 000 F réparant l'ensemble des préjudices liés à l'invalidité, payable par trimestres échus et revalorisée par application des coefficients de revalorisation prévus à l'article L.434-17 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu de réserver jusqu'à l'âge de sa majorité la fixation de l'indemnité définitive à laquelle il pourra, le cas échéant, prétendre ;
Considérant que les conclusions des requérantes tendant à ce que la cour sursoie à statuer sur le poste d'aménagement du logement et du véhicule automobile dès lors que la victime n'est pas en mesure, en l'état, de faire valoir des devis et des factures, ne sont pas recevables ;
Sur la créance de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre :
Considérant qu'il ressort des pièces figurant au dossier de première instance que, contrairement à ce qu'elle prétend, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre a produit devant le tribunal administratif un seul mémoire enregistré le 16 octobre 1991 faisant état de débours s'élevant à la somme de 613 536,71 F pour la période du 22 avril 1989 au 30 septembre 1991 ; qu'elle n'est pas recevable à solliciter pour la première fois en appel le remboursement des frais qu'elle a exposés postérieurement à cette dernière date mais dont elle aurait pu réclamer le montant auprès des premiers juges ; que les frais d'hospitalisation engagés après l'intervention du jugement attaqué s'élèvent à la somme de 7 893,55 F, ainsi qu'il ressort de la notification de débours produite ; que la caisse ne fournit pas de précisions suffisantes permettant de déterminer le montant exact des frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et d'appareillage exposés à compter de cette même date, dont elle fait état ; qu'enfin elle n'est pas recevable à réclamer pour la première fois en appel le remboursement des frais futurs, et à demander par ailleurs qu'il lui soit donné acte de ses réserves ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre est en droit de réclamer la somme de 621 430,26 F ; qu'il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier du Blanc à payer 1 000 F à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre au titre des frais qu'elle a engagés non compris dans les dépens ;
Article 1er : Les droits de M. Marc Mathe à obtenir à la date de sa majorité la fixation de l'indemnité définitive à laquelle il pourra, le cas échéant, prétendre sont réservés.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier du Blanc a été condamné à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre par l'article 4 du jugement du tribunal administratif de Limoges en date du 10 octobre 1996, est portée de 613 536,71 F à 621 430,26 F.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 octobre 1996 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le centre hospitalier du Blanc versera 1 000 F à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus de la requête de Mme BILLARD et Melle MATHE, l'appel incident du centre hospitalier du Blanc et le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre sont rejetés.