Tribunal de première instance des Communautés européennes3 avril 2003
Affaire n°T-119/02
Royal Philips Electronics NV
c/
Commission des Communautés européennes
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
3 avril 2003 (1)
"Concurrence - Concentrations - Recevabilité - Engagements pris au cours de la première phase d'examen - Doutes sérieux quant à la compatibilité avec le marché commun - Renvoi partiel aux autorités nationales"
Dans l'affaire T-119/02,
Royal Philips Electronics NV, établie à Eindhoven (Pays-Bas), représentée par Mes E. H. Pijnacker Hordijk et N. G. Cronstedt, avocats,
partie requérante,
soutenue par
De'Longhi SpA, établie à Trévise (Italie), représentée par Mes M. Merola, I. van Schendel, G. Crichlow et D. P. Domenicucci, avocats,
partie intervenante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Superti et K. Wiedmer, en qualité d'agents, assistés par Me J.E. Flynn, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
soutenue par
SEB SA, établie à Écully (France), représentée par Mes D. Voillemot et S. Hautbourg, avocats,
et par
République française, représentée par MM. G. de Bergues et F. Million, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties intervenantes,
ayant pour objet l'annulation, en premier lieu, de la décision de la Commission SG(2002)D/228078, du 8 janvier 2002, en application de l'article 6, paragraphes 1, sous b), et 2, du règlement (CEE) n° 4064/89 et de l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen, de ne pas s'opposer à la concentration entre SEB et Moulinex et la déclarant compatible avec le marché commun et avec l'accord sur l'Espace économique européen, sous réserve du respect des engagements proposés (Affaire COMP/M.2621 - SEB/Moulinex) et, en second lieu, de la décision de la Commission C(2002)38, du 8 janvier 2002, adoptée en application de l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 4064/89, renvoyant en partie l'examen de cette concentration aux autorités françaises,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,
greffier: M. J. Plingers, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 9 octobre 2002,
rend le présent
Arrêt
Réglementation applicable
1.
Conformément à son article premier, le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO L 395, p. 1, tel que rectifié, JO 1990, L 257, p. 13, et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1), ci-après le "règlement n° 4064/89"], s'applique aux opérations de concentration de dimension communautaire telles que définies en son article 1er, paragraphes 2 et 3.
2.
En application de l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, les opérations de concentration doivent être notifiées à la Commission au préalable.
3.
Par ailleurs, l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 prévoit qu'une concentration ne peut être réalisée ni avant d'être notifiée ni avant d'avoir été déclarée compatible avec le marché commun. Toutefois, aux termes de l'article 7, paragraphe 4, la Commission peut, sur demande, octroyer une dérogation à cette obligation de suspendre l'opération.
4.
Conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 4064/89, si la Commission constate que l'opération de concentration notifiée, bien que relevant du présent règlement, ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide de ne pas s'y opposer et la déclare compatible avec le marché commun (ci-après la "phase I").
5.
Si, par contre, conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous c), elle constate que l'opération de concentration notifiée relève du règlement n° 4064/89 et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d'engager la procédure (ci-après la "phase II").
6.
L'article 6, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, prévoit ce qui suit:
"Si la Commission constate que, après modifications apportées par les entreprises concernées, une opération de concentration notifiée ne soulève plus de doutes sérieux au sens du paragraphe 1, [sous] c), elle peut décider de déclarer ladite opération compatible avec le marché commun, conformément au paragraphe 1, [sous] b).
La Commission peut assortir la décision qu'elle prend en vertu du paragraphe 1, [sous] b), de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun."
7.
Conformément à l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission du 1er mars 1998 relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement (CEE) n° 4064/89 (JO L 61, p. 1), "les engagements que les entreprises concernées proposent à la Commission conformément à l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 4064/89 et que les parties veulent faire prendre en considération dans une décision fondée sur l'article 6, paragraphe 1, [sous] b), dudit règlement doivent être communiqués à la Commission dans un délai de trois semaines à compter de la date de réception de la notification".
8.
Dans sa communication concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement n° 4064/89 du Conseil et au règlement n° 447/98 de la Commission (JO 2001, C 68, p. 3, ci-après la "communication sur les mesures correctives"), la Commission définit ses orientations sur les engagements.
9.
L'article 21, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, prévoit que la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues par ce règlement. L'article 21, paragraphe 2, stipule que les États membres n'appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux opérations de concentration de dimension communautaire.
10.
Toutefois, l'article 9 du règlement n° 4064/89 autorise la Commission à renvoyer l'examen d'une concentration de dimension communautaire aux États membres. Cet article prévoit en particulier:
"1. La Commission peut, par voie de décision qu'elle notifie sans délai aux entreprises concernées et dont elle informe les autorités compétentes des autres États membres, renvoyer aux autorités compétentes de l'État membre concerné un cas de concentration notifiée, dans les conditions suivantes.
2. Dans le délai de trois semaines à compter de la réception de la copie de la notification, un État membre peut communiquer à la Commission, qui en informe les entreprises concernées, que:
a) une opération de concentration menace de créer ou de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans un marché à l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un marché distinct ou
b) une opération de concentration affecte la concurrence dans un marché à l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle du marché commun.
3. Si la Commission considère que, compte tenu du marché des produits ou services en cause et du marché géographique de référence au sens du paragraphe 7, un tel marché distinct et une telle menace existent:
a) soit elle traite elle-même le cas en vue de préserver ou de rétablir une concurrence effective sur le marché concerné;
b) soit elle renvoie tout ou partie du cas aux autorités compétentes de l'État membre concerné en vue de l'application de la législation nationale sur la concurrence dudit État.
Si, au contraire, la Commission considère qu'un tel marché distinct ou une telle menace n'existent pas, elle prend à cet effet une décision qu'elle adresse à l'État membre concerné.
Dans les cas où un État membre informe la Commission qu'une opération de concentration affecte un marché distinct à l'intérieur de son territoire, qui n'est pas une partie substantielle du marché commun, la Commission renvoie tout ou partie du cas afférent à ce marché distinct, si elle considère qu'un tel marché distinct est affecté.
[...]
6. La publication des rapports ou l'annonce des conclusions de l'examen de l'opération concernée par les autorités compétentes de l'État membre concerné intervient au plus tard quatre mois après le renvoi par la Commission.
7. Le marché géographique de référence est constitué par un territoire sur lequel les entreprises concernées interviennent dans l'offre et la demande de biens et de services, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué des territoires voisins, en particulier en raison des conditions de concurrence sensiblement différentes de celles prévalant sur ces territoires. Dans cette appréciation, il convient notamment de tenir compte de la nature et des caractéristiques des produits ou services concernés, de l'existence de barrières à l'entrée, de préférences des consommateurs, ainsi que de l'existence, entre le territoire concerné et les territoires voisins, de différences considérables de parts de marché des entreprises ou de différences de prix substantielles.
8. Pour l'application du présent article, l'État membre concerné ne peut prendre que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le marché concerné.
9. Conformément aux dispositions pertinentes du traité, tout État membre peut former un recours devant la Cour de justice et demander en particulierl'application de l'article 186, aux fins de l'application de sa législation nationale en matière de concurrence.
[...]"
Les faits
1. Les entreprises concernées
11.
Par le présent recours, Royal Philips Electronics NV (ci-après "Philips" ou la "requérante") demande l'annulation, en premier lieu, de la décision de la Commission approuvant, sous certaines réserves, la concentration entre SEB et Moulinex [décision de la Commission SG(2002)D/228078 du 8 janvier 2002] et, en second lieu, la décision de la Commission renvoyant en partie l'examen de cette concentration aux autorités françaises [décision de la Commission C(2002) 38 du 8 janvier 2002].
12.
La requérante est une société néerlandaise qui, notamment, développe, fabrique et commercialise du petit électroménager. Ses petits appareils électriques sont commercialisés en Europe sous la marque "Philips".
13.
SEB est une société française qui conçoit, fabrique et commercialise du petit électroménager au niveau mondial. SEB commercialise ses produits sous deux marques de dimension mondiale ("Tefal" et "Rowenta") et quatre marques locales ("Calor" et "SEB" en France et en Belgique, "Arno" au Brésil et dans les pays du Mercosur, "Samurai" dans les pays du pacte Andin).
14.
Moulinex est une société française active dans le secteur de la conception, de la fabrication et de la commercialisation d'appareils du petit électroménager au niveau mondial. Moulinex commercialise ses produits sous deux marques internationales ("Moulinex" et "Krups") et une marque locale ("Swan" au Royaume-Uni).
2. La procédure nationale
15.
Le 7 septembre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre en France, a ouvert une procédure de redressement judiciaire contre Moulinex. Conformément à la loi française, des administrateurs judiciaires nommés par le tribunal de commerce ont dû établir si l'entreprise en redressement judiciaire pouvait poursuivre son activité, devait être cédée à des tiers ou devait être liquidée. Dans le cas présent, lapoursuite des activités de Moulinex s'étant révélée impossible, les administrateurs ont tenté de trouver un repreneur pour tout ou partie des activités de Moulinex.
16.
Au cours de cette procédure, SEB s'est portée candidate à la reprise de certaines activités "petit électroménager" de Moulinex, à savoir:
- tous les droits attachés à l'exploitation des marques Moulinex, Krups et Swan quels que soient les produits concernés;
- une partie de l'outil de production (huit sites industriels sur un total de 18 et certains outillages présents dans les sites non-repris) permettant la production d'au moins certains modèles pour tous les produits fabriqués par Moulinex, à l'exception des aspirateurs et des fours à micro-ondes;
- certaines sociétés de commercialisation à savoir, pour l'Europe, uniquement les sociétés allemande et espagnole.
17.
Dans des lettres envoyées, respectivement, aux administrateurs (le 20 septembre 2001) et au Président du tribunal de commerce (le 3 octobre 2001), la requérante a fait des propositions de rachat de Moulinex, à savoir de toutes ses activités sous la marque Krups. La requérante croit comprendre que ses propositions n'ont jamais été prises en compte par les administrateurs. En tout état de cause, Philips n'a jamais reçu de réponse formelle aux propositions qu'elle avait faites.
18.
Par jugement du 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a accepté le plan de reprise proposé par SEB.
3. Procédure devant la Commission
19.
À la demande de SEB, la Commission a accordé le 27 septembre 2001 une dérogation à l'effet suspensif telle que prévue à l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89. La décision de la Commission a été motivée principalement par le fait que les administrateurs judiciaires avaient exigé que toute offre de reprise soit inconditionnelle. La dérogation octroyée par la Commission était limitée à la gestion des actifs repris.
20.
Le 13 novembre 2001, la Commission a reçu notification, au titre de l'article 4 du règlement n° 4064/89, du projet de reprise partielle de certains actifs de Moulinex par SEB.
21.
Le 21 novembre 2001, la Commission a publié l'avis prévu par l'article 4, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 au Journal officiel des Communautés européennes. Au point 4 de celui-ci, la Commission invitait "les tiers concernés à lui transmettre leurs observations éventuelles sur le projet de concentration".