CIV.3
I.K
COUR DE CASSATION
Audience publique du 12 février 2003
Rejet
M. WEBER, président
Pourvoi n° G 01-12.086
Arrêt n° 168 FS P+B
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ M. Jean-Michel Z,
2°/ Mme Anne-Marie YZ, épouse YZ,
demeurant Saint-Escobille,
en cassation d'un arrêt rendu le 24 octobre 2000 par la cour d'appel de Paris (15e chambre,section A), au profit de la Société générale, dont le siège est Paris ,
défenderesse à la cassation ;
La Société générale a formé, par un mémoire déposé au greffe le 12 février 2002, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 janvier 2003, où étaient présents M. ..., président, M. ..., conseiller rapporteur, MM. Chemin, Cachelot, Mmes Lardet, Gabet, Renard Payen, conseillers, Mmes Masson-Daum, Fossaert-Sabatier, Boulanger, Nési, conseillers référendaires, M. ..., avocat général, Mlle ..., greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. ..., conseiller, les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat des époux Z, de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la Société générale, les conclusions de M. ..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Paris, 24 octobre 2000), que les époux Z ont, par contrat soumis aux dispositions des articles L 231-1 et suivants du Code de la construction et de l'habitation, chargé la société Papini Pintat constructions (PPC) de l'édification d'une maison individuelle, le prix devant être partiellement payé grâce à un prêt consenti par la Société Générale ; que le chantier n'ayant pas été mené à son terme, et le constructeur placé en liquidation judiciaire, les maîtres de l'ouvrage, alléguant des négligences de la banque dans la mise en place et la gestion du financement et des garanties légales, ont assigné la Société Générale en réparation de leur préjudice ;
Attendu que les époux Z font grief à l'arrêt de dire que la Société Générale n'avait pas commis de faute en s'abstenant de vérifier l'authenticité de l'attestation de garantie de livraison, alors, selon le moyen
1°/ que la Banque, prêteur de deniers dans le cadre de la construction d'une maison d'habitation, ne peut consentir un prêt qu'à la condition qu'une garantie de livraison ait été préalablement obtenue par le constructeur au profit de l'emprunteur ; que la délivrance de cette garantie de livraison est une condition de formation du contrat et qu'ainsi la banque doit exiger la production de l'original de cet acte de garantie ; qu'en considérant, en l'espèce, que la banque pouvait se borner à octroyer le prêt litigieux au vu de la seule photocopie de la garantie de livraison, et sans exiger l'orginal de l'acte, la cour d'appel a violé l'article L. 231-10 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
2°/ que la banque qui consent un prêt destiné à la construction d'une maison d'habitation a l'obligation d'exiger l'original de l'acte de garantie lorsque la photocopie de l'acte laisse apparaître des irrégularités ou vices de fond ; que la date est une mention essentielle, requise à titre de validité de la garantie, la banque ne pouvant consentir le prêt que postérieurement à l'octroi de cette garantie de livraison ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que la photocopie de l'acte de livraison de garantie ne porte aucune date ; qu'en considérant que la banque n'avait commis aucune faute en octroyant le prêt litigieux sans requérir l'original de la garantie, la cour d'appel a violé l'article L. 231-10 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
3°/ que la date de l'octroi de garantie de livraison est une mention essentielle, requise à titre de condition de validité de l'acte de garantie, la banque ne pouvant consentir le prêt qu'après l'octroi de la garantie de livraison par le constructeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève expressément que la photocopie de l'acte de garantie de livraison ne porte aucune date ; qu'en considérant néanmoins que la banque n'avait commis aucune faute en consentant le prêt en cause sans s'enquérir sur l'absence de date, ce qui lui aurait permis de découvrir le défaut de toute garantie, la cour d'appel a violé l'article L. 231-10 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les documents produits en copie, sur lesquels figuraient une signature et un cachet, avaient une apparence de régularité et concordaient avec le marché de travaux, la cour d'appel, qui n'a pas constaté elle-même d'absence de date, a retenu, à bon droit, que les dispositions légales ne mettent pas à la charge du prêteur l'obligation de vérifier la véracité des documents produits, mais seulement leur existence, le prêteur n'étant pas tenu d'exiger la remise en original des documents énoncés à l'article L. 231-2 du Code de la construction et de l'habitation dont il doit obtenir la production par application de l'article L. 231-10 de ce code ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal
Attendu que les époux Z font grief à l'arrêt de limiter à 220 000 francs le montant des dommages-intérêts mis à la charge de la Société Générale à leur profit, alors, selon le moyen
1°/ que la banque ne peut acquitter directement le paiement des travaux qu'à la condition d'avoir obtenu préalablement l'accord écrit du maître de l'ouvrage et d'avoir préalablement informé le garant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que la banque a directement acquitté certains travaux les 9 et 22 décembre 1993 entre les mains d'un constructeur sans en informer le garant, et pour des montants respectifs de 180 000 francs et de 220 000 francs ; qu'en limitant à 220 000 francs le montant des dommages-intérêts aux époux Z, alors qu'elle relevait que deux paiements directs étaient intervenus et que, si le garant avait été informé préalablement à ces paiements, le défaut de garantie serait apparu, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article L. 231-10 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
2°/ que la cour d'appel précise que les époux Z sont en droit d'obtenir, en sus des dommages-intérêts de 220 000 francs, des pénalités de retard prévues au contrat et d'un montant journalier de 300 francs ; qu'en limitant néanmoins à la somme de 220 000 francs les sommes dues par la Banque aux époux Z, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1134 du Code civil et des articles L. 231-6, L. 231-7 et L. 231-10 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
Mais attendu que la cour d'appel a souverainement évalué le montant de l'indemnisation des époux Z mise à la charge de la Société Générale comme conséquence de sa faute, et représentant le coût de prestations non effectuées par l'entrepreneur et les pénalités de retard dues par lui, dans la limite de la somme de 220 000 francs que les époux Z auraient pu ne pas verser à la société PPC si la Société Générale avait rempli correctement et en temps utile son obligation, imposée par l'article L. 231-7 III du Code de la construction et de l'habitation, d'aviser de ses versements le garant supposé de l'opération, qui aurait révélé l'absence de garantie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident
Attendu que la Société Générale fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux époux Z 220 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi
1°/ que l'obligation mise à la charge du prêteur par l'article L. 231-7 du Code de la construction et de l'habitation d'informer le garant de tout versement fait entre les mains de l'entrepreneur étant prévue et stipulée dans l'intérêt exclusif du garant, viole ce texte ensemble l'article 1382 du Code civil l'arrêt qui admet l'emprunteur à se prévaloir d'un manquement du prêteur à cette obligation au prétexte que son accomplissement lui aurait permis de s'aviser que l'entrepreneur n'avait souscrit aucune assurance ;
2°/ que le manquement du prêteur à son obligation d'information n'ayant au cas d'espèce fait perdre aux époux Z, au mieux, qu'une chance de pourvoir en temps voulu au défaut d'assurance et de réduire ainsi un risque financier susceptible de résulter d'un inachèvement de l'ouvrage, viole l'article 1382 l'arrêt attaqué qui condamne la banque à réparer la totalité du préjudice subi du fait du défaut d'assurance ;
Mais attendu, d'une part, que l'obligation d'information mise à la charge du prêteur par l'article L. 231-7 du Code de la construction et de l'habitation est édictée dans l'intérêt du garant et du maître de l'ouvrage ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a souverainement évalué le montant de l'indemnisation des époux Z, en retenant expressément qu'elle limitait à 220 000 francs l'allocation mise à la charge de la Société Générale comme conséquence de sa faute ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois ;
Condamne les époux Z aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des époux Z ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille trois.